Simone GIOVETTI, Paris, juin 2009
Le Chaos irakien, dix clefs pour comprendre.
En 2007, un Irakien de 25 ans n’a jamais connu son pays en paix.
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Réf. : Fanny Lafourcade, « Le Chaos irakien, dix clés pour comprendre », la découverte, Paris, 2007.
Langues : français
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Comment expliquer qu’en quatre ans, une société a glissé dans la guerre civile ? Les différences, sociales, ethniques, confessionnelles ne suffisent pas à expliquer un tel engrenage de la haine.
L’ouvrage débute avec un bref rappel historique, nécessaire pour comprendre la genèse de la guerre civile en Irak. Produit des découpages coloniaux de l’Empire ottoman, l’État irakien émerge au début du siècle dernier aux dépens d’une partie de la population, réprimée par le colonisateur britannique. Dans la seconde partie du XXème siècle, l’Irak, pris dans la tourmente du nationalisme arabe, tente de trouver sa propre voie vers l’indépendance et la modernité politique et économique. L’État baassiste, le dernier des différents régimes qui se sont succédés, dénature progressivement ses objectif initiaux de développement social et économique en laissant derrière lui une société irakienne exsangue et traumatisée. C’est de cette histoire marquée par la violence qu’hérite la coalition emmenée par les Etats-Unis en 2003. Les 4 années qui suivent se résument à une série d’erreurs accumulées faisant glisser progressivement la société dans la violence et la guerre interne.
Première clé : pourquoi l’Irak est-il dans un tel état de délabrement en 2003 ?
Après le miracle économique des années 1970, l’Irak s’est enfoncé progressivement dans la crise et la paupérisation, en raison de la guerre contre l’Iran mais aussi du système des sanctions internationales mis en place après la guerre du Golfe (1991).
Deuxième clé : quels étaient les rapports entre les communautés avant la guerre d’Irak ?
Les entités Kurde et chiite se sont progressivement forgées au cours du XXème siècle, à partir d’un sentiment d’oppression, d’injustice et d’exclusion du pouvoir politique. Malgré cela, jusqu’en 2003, les populations irakiennes vivent en bonne intelligence et les mariages mixtes, entre sunnites et chiite par exemples sont nombreux.
L’identité chiite telle qu’elle s’exprime dans l’Irak de l’après 2003 se forge autour d’un sentiment de profonde injustice qui puise sa source dans la perception de la sous représentation de cette communauté dans les instances du pouvoir depuis la formation de l’Etat irakien et la révolution de 1920 et dans la persécution du chiisme politique de Saddam Hussein dès années 1970.
L’identité kurde se forme en opposition au pouvoir central de Bagdad et dans la revendication du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. A ses origines, la question kurde prend sa source dans le partage de l’Empire ottoman.
Troisième clé : quelle logique sous-tend l’intervention des Etas-Unis ?
Jusqu’à la fin des années 1990, la politique des Etats-Unis au Moyen-Orient, en particulier en ce qui concerne l’Irak, repose avant tout sur la volonté de maintenir un équilibre régional. En plein guerre froide, l’Irak devient même un rempart contre l’Iran de Khomeini.
Mais le pouvoir baassiste et ses velléités expansionnistes inquiètent les Etats-Unis. La guerre du Golfe est aussi l’occasion de réduire la puissance de l’Irak amputé d’une partie de son territoire au nord, soumis à un régime d’inspections et mis au ban de la communauté internationale.
Toutefois pour « certains », Saddam reste une menace et il faut donc prévoir un changement de régime. C’est le 11 septembre 2001 qui fait basculer l’administration américaine vers cette théorie. Installer un régime démocratique à Bagdad devient un des objectifs centraux de « la guerre contre la terreur ». Le changement de régime en Irak doit, de plus, produire un effet d’entraînement concernant la démocratisation au Moyen-Orient permettant de régler à terme les problèmes sécuritaires des Etats-Unis…
Quatrième clé : après la guerre comment gagner la paix ?
La coalition victorieuse semble avoir négligé la préparation de l’après-guerre. Elle est en effet fondamentalement partagée entre un désir de désengagement rapide et la volonté de démocratisation de l’Irak et, au-delà, du Moyen-Orient. Cette contradiction sera lourde de conséquences.
Cinquième clé : pourquoi la transition irakienne est-elle un échec ?
La période de transition en Irak s’achève officiellement avec les élections de décembre 2005. L’assemblée chargée de rédiger la Constitution (à adopter par référendum avant le 15 octobre 2005) doit céder la place à un Parlement élu pour quatre ans. Dans la pratique aucun objectif n’est atteint : aucun consensus national sur le partage du pouvoir et sur l’organisation du fonctionnement des institutions démocratiques en Irak. L’adoption d’une nouvelle Constitution en Irak n’as pas pu régler l’enjeu essentiel de l’Irak post-Saddam : le partage du pouvoir entre les différentes communautés.
Sixième clé : à quel moment s’enclenche la logique de guerre civile ?
Quelle est la nature du conflit irakien ? Qualifier ou non le conflit irakien de guerre civile est une question de perspective. Les autorités américaines et irakiennes réfutent ce terme, considérant que le problème s’analyse plutôt en termes de tentatives de la part de groupes armés, minoritaires et marginaux, « les terroristes », de déstabiliser une jeune démocratie.
Le CICR qualifie le conflit irakien de « conflit armé interne internationalisé » du fait qu’à une guerre interne s’ajoute également une guerre contre des troupes étrangères d’occupation. La guerre civile s’institutionnalise à l’occasion des premières élections en janvier 2005.
Septième clé : dans quelle mesure ce conflit change-t-il la donne régionale ?
La chute du régime de Saddam Hussein et les développements politiques en Irak ont profondément modifié la donne régionale. L’effondrement de l’Irak baassiste à introduit trois éléments nouveaux :
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L’émergence d’un Irak dominé par les chiites ;
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La consolidation de l’autonomie kurde ;
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La présence américaine au cœur du Moyen-Orient.
Les pouvoirs sunnite s’inquiètent de l’émergence d’un croissant chiite ; tandis que les voisins de l’Irak craignent l’éclosion de revendications séparatistes kurdes sur leur territoire. Les Etats qui ont une relation conflictuelle avec les Etats-Unis, notamment l’Iran et la Syrie, essayent d’influencer le jeu politique irakien en leur faveur et en opposition aux Américains.
Huitième clé : l’Irak, premier front du jihâd international ?
Après la guerre en Afghanistan en 2001, la principale implantation territoriale d’al-Qaida est remise en question. Le nouveau combat à investir pour al-Qaïda se trouve donc en Irak, qui devient la base territoriale d’où projeter sa volonté de puissance et sa stratégie de jihâd globale. Point de rupture entre sunnite et chiite, entre les Etats-Unis et leurs opposants, l’Irak est désormais le nouveau point nodal du jihâd.
Neuvième clé : comment survit la population ?
Les conditions de vie des Irakiens dépendent essentiellement de l’endroit où ils vivent. Dans les trois gouvernorats kurdes, les conditions de vie tendent à s’améliorer. Par contre dans le reste du pays elles se sont nettement dégradées depuis 2003 et l’Irak est entré progressivement dans un état de crise chronique. L’urgence humanitaire tend à se pérenniser sous l’effet de la mise en place dune société de guerre.
Dixième clé : comment sortir du chaos ?
Le chaos irakien est devenu un motif d’inquiétude majeur pour la communauté internationale. Quels sont les différents scénarios de sortie de crise envisagés ? Washington met en place une solution essentiellement militaire. D’autres proposent une solution régionale plus globale passant par l’ouverture d’un dialogue avec la Syrie et l’Iran. Pour d’autres la partition de
Commentaire
La guerre lancée par George W. Bush, n’a pas été le moteur d’une démocratisation du Moyen-Orient ni d’une sécurisation de l’ordre international. Au contraire, l’action miliaire américaine a créé le chaos. La transition démocratique n’a pas eu lieu et une véritable guerre civile s’est installée. La question du partage du pouvoir n’a pas été réglée. De plus des acteurs, avant absents du territoire irakien, ont investi ce pays avec leurs ambitions de puissance : la Syrie, l’Iran et al-Qaida.
Les Irakiens payent tous le prix d’un décalage entre l’idéologie et la réalité, entre la théorie et la pratique, rappelle justement Fanny Lafourche. Comment donc promouvoir une vraie réconciliation capable de permettre l’émergence d’un nouveau pacte national ?