Larbi Bouguerra, La Corniche, Bizerte, décembre 2007
Turquie : Pénurie dans le château d’eau du Proche–Orient.
Il ne suffit pas d’avoir de l’eau pour que la population soit correctement desservie et que la paix sociale règne. L’infrastructure et la gestion doivent aussi être à la hauteur.
Réf. : Pierre Blanc, « Le pain, la terre et l’eau : sujets de révolte en Méditerranée », Les notes d’analyse du CIHEAM, N° 28, novembre 2007.
Langues : français
Cet été, outre l’Egypte, la Turquie a connu des difficultés d’approvisionnement en eau potable. Envisagée comme possible fournisseur d’eau d’un Moyen–Orient apaisé – quand l’occupation israélienne des territoires aura cessé - la Turquie, château d’eau de la Mésopotamie, a souffert d’une bien curieuse pénurie d’eau au cours de l’été 2007. Ce pays qui alimente déjà Chypre en eau douce et qui envisage de fournir de l’eau à Tel Aviv, a fait face à de graves pénuries, l’été 2007 ayant été le plus sec depuis 80 ans. Le barrage d’Alebeykoy, près d’Istanbul s’est retrouvé à sec et la production agricole a souffert. C’est en fait le grenier du pays, la région centrale d’Anatolie qui a été le plus durement touché et les pertes ont atteint les 40 % (pastèques, blé, raisin de table, tomate…).
L’approvisionnement urbain en eau a été perturbé jusque et y compris dans la capitale Ankara. La question de l’eau a même gagné le terrain de la politique car, en période électorale, la municipalité n’a pas suivi les conseils des spécialistes l’invitant à rationner l’eau.
Sous l’aiguillon de cette situation, devant les cas de diarrhées et d’autres affections hydriques, les autorités ont annoncé l’accélération de divers projets de barrages dont celui d’Illisu sur le Tigre et qui avait été bloqué jusque là pour des raisons environnementales et géopolitiques. Devant la gravité de la crise, le pouvoir est passé outre les récriminations des associations d’écologistes d’autant que la déliquescence de l’Irak semble atténuer ses préventions à froisser le gouvernement de Bagdad.
Si elle a peut être révélé l’intensité des crises climatiques à venir, les difficultés de l’été 2007 ont souligné le caractère précaire de la situation de la Turquie.
Bien pourvu en eau, le pays n’en accuse pas moins un retard certain en matière de desserte et de planification hydraulique.
Si les infrastructures et la gestion de l’eau étaient à la hauteur des enjeux, il ne fait aucun doute que ce pays, exportateur potentiel d’eau pourrait largement subvenir à ses besoins même en cas de fortes sécheresses.
Commentaire
La gouvernance est à la base de la gestion avisée de la ressource. Bien que possédant les deux fleuves mythiques de la région et dotés d’un fantastique capital hydrique, dans cette partie du monde qui a vu la naissance de l’agriculture en Mésopotamie, la domestication des animaux et des florissantes civilisations, la Turquie a vécu une situation humiliante pour un pays qui se veut puissance régionale dans l’espace turcophone à l’est et vis-à-vis des voisins arabes, ex-vassaux pendant des siècles. Ankara, la capitale, ses quartiers chics et ses ambassades étrangères a essuyé une crise de l’eau potable.
Le projet pharaonique du GAP n’aura servi à rien car le coup est venu d’ailleurs, là où on ne l’attendait pas. Ce qui prouve bien l’importance des infrastructures d’interconnexion des réseaux hydriques puisque la rivière Gerede et le fleuve Kizilimak – proches d’Ankara - n’ont pas satisfait la demande de la capitale étant donné leur forte pollution.
Il ne suffit pas de se targuer d’être le château d’eau du Moyen – Orient et de comparer son eau au pétrole des voisins arabes, il faut aussi réaliser , disposer en bon état de fonctionnement des infrastructures nécessaires pour alimenter les villes et la population en général.
La concorde et la paix civile sont à ce prix.