Larbi Bouguerra, La Corniche, Bizerte, décembre 2007
Syrie : Infrastructures hydrauliques à la gloire du régime, géopolitique et hydroconflits
Traitant du cas de la Syrie, qui bénéficie de l’eau de l’Euphrate et de l’Oronte, l’auteur montre les limites de la politique de l’offre dans le domaine de l’eau et l’utilisation des réalisations hydrauliques à la gloire du régime du Bâath, le parti au pouvoir depuis des décennies ainsi que les contraintes géopolitiques (guerres de l’eau ?) qui pèsent sur la gouvernance de l’eau.
Réf. : Pierre Blanc et Philippe Le Grusse, « Une révolution hydraulique en Méditerranée », Les notes d’analyse du CIHEAM, N° 26, Novembre 2007.
Langues : français
La Syrie, après l’arrivée du Bâath – mouvement de renaissance socialiste arabe - a tenté d’accroître son offre d’eau pour irriguer des terres agricoles qui ont été distribuées dans le cadre d’une politique contraignante de coopératives paysannes qui n’a pas soulevé l’enthousiasme des agriculteurs. Les opérations de bonification et de mise en valeur ont bénéficié de l’eau accumulée derrière le barrage de Tabqa sur l’Euphrate qui a créé aussi le lac Assad – œuvre pharaonique à la gloire du régime bâathiste. Depuis son érection en 1973, le barrage a permis d’augmenter les terres irriguées dans la région de la Jézireh. Mais sur les 700 000 ha escomptés, 200 000 ha seulement sont mis en valeur. Il reste beaucoup de terres à valoriser.
La région (dépression en fait) du Ghab traversée par l’Oronte, un fleuve qui prend sa source au Liban, a été bonifiée aussi. Cette région a nécessité de grands travaux pour faire sauter l’obstacle basaltique, creuser le lit de l’Oronte, drainer les terres et construire trois barrages sur le fleuve : Rastan, Hilfaya- Meharde et Acharné. C’est à ce prix qu’on a pu irriguer 80 000 ha.
Puis l’auteur aborde la question des hypothèques géopolitiques.
En fait, des contraintes géopolitiques majeures pèsent sur les politiques de gestion de l’eau. Dans certains cas de transferts d’eau, les pays qui les mettent en œuvre s’exposent en effet à des rivalités plus ou moins contenues entre régions : c’est le cas en Syrie dans la région alaouite du Jebel Ansariyeh, opposée à Damas, plutôt sunnite.
Les Etats ne sont pas les seuls acteurs géopolitiques, les rivalités sur le terrain peuvent mettre en scène des régions, des mouvements sécessionnistes et, dans le cas de l’eau, des groupes aux intérêts divergents. L’eau, affirme le géographe français Yves Lacoste, est une question de politique interne puisqu’elle suscite des dynamiques d’opposition au sein d’un même espace national. Pour Wolff, c’est à ce niveau infra national que les conflits sont de loin les plus nombreux. Mais contrairement aux affirmations de cet auteur, c’est surtout une géopolitique externe – rivalités de pouvoir entre Etats - qui est le plus souvent avancée. Avec la multiplication des Etats au XXème siècle, particulièrement au Proche–Orient, des bassins hydrographiques se sont retrouvés communs à plusieurs pays. Les bassins du Nil, du Tigre, de l’Euphrate et du Jourdain sont devenus des pommes de discorde entre pays dont les contentieux géopolitiques ne se réduisent pas au différend hydropolitique, même s’il est la toile de fond omniprésente de leurs conflits, voire l’élément fondamental.
La notion de guerre de l’eau a été souvent évoquée, peut être de manière abusive. En 2001, le S.G des Nations Unies en a agité le spectre. Mais, chez les chercheurs, cette notion n’est pas validée et l’histoire montre que les conflits hydropolitiques se résorbent pour l’essentiel grâce à la coopération. Il ne faut pas faire de parallèle avec le pétrole car l’eau, contrairement aux hydrocarbures, est une ressource renouvelable.
Commentaire
La politique de l’offre n’est pas viable car non durable (voir les travaux du Pr Arrojo de Saragosse). Il faut plutôt recourir à celle de la demande.
L’agriculture doit procéder à une sorte de révolution culturelle et tenir compte du fait qu’il faut économiser l’eau.
Sur un autre plan, dans le cas du bassin du Tigre et de l’Euphrate, le partage et l’usage des eaux mettent en jeu les questions de « souveraineté nationale » d’une part, et d’autre part celles des « inimités locales » du côté des populations affectées par les transferts de l’eau. On a ici un excellent exemple avec l’opposition alouite/sunnite. Mais, il importe de relever que le pouvoir en Syrie est entre les mains de la minorité religieuse alouite à laquelle appartient le Président Assad qui a initié les travaux ainsi que son fils, l’actuel président. Ces inimités – attisées par les conflits sur l’eau - mettent en danger l’entente et la paix dans le pays.
Il y aussi l’usage de l’eau au profit de la gloire du régime en place. Le parti Bâath – dont le théoricien est le chrétien syrien Michel Aflak- vise à l’unité arabe sous la bannière du socialisme. Or, l’Irak et la Syrie se sont ingéniés à être en désaccord sur bien des points car les leaders politiques n’admettaient pas de perdre une once de leur pouvoir au profit de l’Unité arabe à laquelle se ralliaient les masses et non les tenants du pouvoir. La guerre a failli éclater entre les deux pays « bâathistes » ( !) lors de la construction du barrage de Tabqa. L’eau est ici un prétexte pour des chefs d’Etat provenant de l’armée, en général, décidés à en découdre. Mais les grandes puissances régionales (Arabie Saoudite) et l’URSS les en ont empêché.
Les guerres de l’eau ne sont pas obligatoires : la coopération, la communauté internationale, l’ONU, les organismes régionaux (Ligue arabe, Organisation de l’Unité Africaine, Organisation des Etats Islamiques…) ont ici un grand rôle à jouer pour les prévenir ou les empêcher. Dans l’intérêt de la paix.