Larbi Bouguerra, Paris, November 2007
Chatt El Arab a perdu 80 % de ses poissons et la « marée rouge » risque de venir à bout du reste.
Chatt El Arab – marais et cours d’eau à la fois - écosystème unique s’étendant sur 170 km, après la rencontre du Tigre et de l’Euphrate, est en train de mourir du fait de la guerre, du manque d’entretien et de la pollution et, avec lui, une culture et un mode de vie uniques en Irak.
Ref.: Hassan Ala Eddine, « Chatt El Arab a perdu 80% de ses poissons et la « marée rouge » risque de venir à bout du reste », Al Quds Al Arabi, quotidien de langue arabe paraissant à Londres, 21 novembre 2007, Première page et p.17.
Languages: Arabic
Chatt El Arab – marais et fleuve à la fois - est formé par un triangle qui unit l’Iran, l’Irak et le Koweit. Il s’étend sur 170 km après la confluence du Tigre et de l’Euphrate et se déverse dans le Golfe Arabique. Le manque d’entretien et l’accumulation des sédiments sont en train d’en changer le cours avec des conséquences dramatiques sur les palmeraies et les vergers.
Ecosystème unique alliant poissons d’eau douce et d’eau salée et riche d’une biodiversité exubérante, la guerre, l’accumulation des sédiments et la pollution provenant notamment du naufrage d’un très grand nombre de bateaux risquent de le faire disparaître à jamais et, avec lui, une culture et un mode de vie uniques en Irak. Avec les guerres que l’Irak a vécu ces dernières années, l’entretien des voies navigables et des ports qui ponctuent les cours du Tigre et de l’Euphrate n’a pas été fait. Les bateaux mis au chômage de ce fait ont fini par sombrer au fond. Le carburant et les autres produits chimiques sont venus contaminer l’eau. Le poisson, jadis produit de base de l’alimentation – notamment à Bassorah - a disparu ou n’est plus guère consommé du fait qu’il sent ou a le goût du pétrole. D’après les chercheurs de l’Université de Bassorah et d’après les spécialistes irakiens en écologie et en pollution, les cas de cancer ont beaucoup augmenté dans la région ces derniers temps et les autorités ne veulent pas divulguer les chiffres de cette épidémie due à la pollution de l’eau et des poissons par les produits pétroliers et d’autres toxiques.
La disparition ou la raréfaction du poisson ont bouleversé les habitudes et les modes de vie de la grande ville du sud irakien. Le front de mer, jadis si prisé pour ses restaurants de poissons et pour le spectacle des marées est déserté et ne voit plus passer que de frileuses patrouilles britanniques armées jusqu’aux dents ou des milices qui interdisent tout signe de joie : ainsi, les youyous des femmes à l’occasion des mariages ou des fêtes sont-ils interdits.
La sédimentation des fonds du Chatt El Arab n’a plus permis la navigation des embarcations qui s’échouent sur les fonds.
Cette sédimentation a en outre provoqué le changement du cours du Chatt El Arab comme le prouve l’observation par GPS. Le lit s’est déplacé de 15 mètres et les rives s’effondrent.
Ce qui a eu des effets dramatiques sur l’environnement : les palmeraies se meurent : alors que la région du Chatt comptait 20 millions de pieds de palmiers, il n’en reste plus que deux millions. Les meilleures variétés de dattes ont pratiquement disparu. La population se voit ainsi privée d’une source appréciable d’alimentation.
La pollution des fleuves a provoqué en outre l’asphyxie des poissons et, avec les chaleurs, amènera la prolifération des algues. La consommation de l’oxygène dissous donnera dans son sillage l’apparition de marées rouges.
Les universitaires jettent un véritable cri d’alarme à l’intention du gouvernement afin qu’il prenne les mesures pour limiter les effets de cette pollution et de cette sédimentation catastrophiques pour les hommes, la biodiversité et le milieu. Ils reconnaissent cependant que la remédiation sera difficile : les rives du Chatt appartiennent autant à l’Irak qu’à l’Iran et toute mesure qui n’est pas appliquée conjointement par les deux partenaires ne servira à rien d’où la nécessité d’une action internationale concertée pour sauver Chatt El Arab, dans le respect des accords et des traités internationaux.
Commentary
Chatt El Arab a ainsi été mis à mal par la guerre et le manque d’entretien des voies navigables et des canaux tout autant que par la pollution par les hydrocarbures.
Il avait pourtant beaucoup souffert par la passé du fait de la politique sécuritaire éminemment répressive du régime de Saddam Hussein qui l’a, en partie, asséché.
Chatt El Arab est une victime collatérale de la guerre et de la mauvaise gouvernance.
Son écosystème si précieux, si particulier risque de s’effondrer à jamais – lui qui a vu naître et fleurir, il y a 5000 ans, la civilisation sumérienne.