Larbi Bouguerra, Paris, novembre 2007
Géopolitique de l’eau : le cas turc
Le complexe de barrages que construit la Turquie est une parfaite illustration de la géopolitique de l’eau et de ce que certains appelle la gestion de « l’hydroconflictualité ».
Réf. : Janine et Samuel Assouline, « Géopolitique de l’eau. nature et enjeux », Studyrama et Perspectives, Levallois-Perret, 2007.
Langues : français
La Turquie, par l’exécution de l’impressionnant complexe hydroélectrique du Sud-est anatolien, impose aux pays avoisinants une position de pouvoir qu’elle se forge au détriment du gouffre consécutif au financement par un budget national disproportionné.
L’optimiste proposition turque de « l’aqueduc de la paix » n ‘a pas abouti. En 1991, la Turquie est montrée du doigt : elle a construit le barrage Atatürk et ne semble pas respecter les règles de bon voisinage. Elle se propose de rehausser sa popularité en envisageant la dérivation des eaux des rivières Ceyhan et Seylan afin de donner aux pays du Golfe englobant la Syrie, Israël, l’Arabie Saoudite et l’Irak. Ce projet évalué à 20 milliards de dollars n’a pas abouti dans le contexte proche-orientale de rivalités, mais il semble dire qu’un pays abondamment pourvu en eau peut partager ses richesses avec ceux qui en sont démunis.
Mais la région a vécu des moments difficiles quand l’Irak se trouva aux bords d’un conflit armé avec la Syrie en 1975 et 1974 suite à la construction du barrage de Tabqa sur l’Euphrate par la Syrie. C’est la médiation saouditeet soviétique qui sauva la situation. Il a fallu attendre les années 1990 pour aboutir à un accord de partage, malgré les divergences, lorsque les deux pays se sentirent sérieusement menacés par Ankara qui remplissait son barrage Atatürk à leurs dépens et ils comprirent alors la nécessité d’une alliance.
L’Irak fut différemment impliqué lorsque Saddam Hussein attaqua le Koweït en 1991 et qu’il prit les infrastructures hydrauliques comme cibles de guerre. Les Irakiens détruisirent stratégiquement un certain nombre d’unités de dessalement mais l’Irak verra, de son côté, la destruction de ses centrales électriques, à Bagdad, en 1991, par les forces alliées conduites par les Américains. Ainsi furent paralysées les infrastructures de distribution d’eau potable de la capitale irakienne.
Pareillement, les forces alliées ont demandé à la Turquie, lors de la guerre du Golfe en 1991, de couper l’eau aux Irakiens au moyen du barrage Atatürk mais Ankara s’y refusa.
Commentaire
Les auteurs visent à démontrer que l’eau peut être brandie comme arme de guerre.
La réalité est cependant bien plus complexe. Les jeux de la politique, de la géostratégie, des inimités séculaires ainsi que l’aversion des dirigeants les uns pour les autres ont aussi leur part dans ce type de conflits. Il était de notoriété publique que Saddam et Al Assad étaient des rivaux bien que professant, en apparence, la même idéologie baâthiste de l’Union arabe et convoitaient tous deux le leadership du monde arabe, leadership laissé vacant ou en déshérence depuis le décès du Président égyptien Gamal Abd Ennasser, héros du panarabisme- il a stoppé net l’invasion tripartite « impérialiste » France-Israël- Grande Bretagne- et de la nationalisation du Canal de Suez.
L’eau a servi de prétexte aux gesticulations militaires à la frontière des deux pays.
De plus, Irak et Syrie ne portent guère dans leur cœur la Turquie, héritière de l’Empire ottoman, qui a mis sous sa botte, avec une férocité légendaire, les populations locales des siècles durant. Plus les divergences religieuses entre les Turcs hanéfites, les Irakiens et les Syriens malékites ou pire encore – car malékisme et hanafisme dont des rites orthodoxes, malgré tout- alaouites (non orthodoxe) comme dans le cas du clan du Président Al Assad.
Il ne faut pas perdre de vue la géostratégie et la « grande » politique. La Turquie, avec son « aqueduc de la paix » cherchait peut être, à la demande de Washington, de faire en sorte qu’Israël apparaisse comme un Etat « normal » dans cette région du monde où il n’est guère accepté…du moins par les populations et que les dirigeants entretiendraient des relations non officielles, « cachées » ( sociétés –écrans, bureaux de représentation commerciale …) avec Israël, exception faite de la Turquie précisément ainsi que de l’Egypte et de la Jordanie qui ont échangé des ambassadeurs avec Tel Aviv.