Dix pays font des vagues à propos des eaux du Nil
Les nations situées au sud de l’Egypte et du Soudan veulent avoir un usage plus important des eaux du Nil mais cela serait en contradiction avec un traité international datant de 1929.
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Réf. : Tim Cocks, {« Ten countries make waves over Nile waters »}, The Christian Science Monitor, 16 mars 2004
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Ce fleuve de plus de six mille kilomètres est une artère vitale, la jugulaire et la carotide pour les pays qu’il traverse. D’intenses négociations ont cependant eu lieu pour aplanir les difficultés et éviter les conflits quant à l’usage des eaux du Nil entre les dix pays qui ont en partage le fleuve ou ses affluents. Pour certains spécialistes en effet, les désaccords relatifs à quelques projets, menacent de déstabiliser cette région déjà explosive.
En mars 2004, à Entebbe en Ouganda, sur les rives du lac Victoria, s’est tenue une réunion de haut niveau de techniciens, d’experts et de juristes représentant chaque Etat en vue de donner de la consistance à un traité réglementant l’usage de l’eau du fleuve.
La conférence s’est réunie à huis clos mais les délégués étaient plutôt confiants quant à la possibilité d’atteindre un accord sachant qu’un échec serait lourd de graves conséquences.
Pour le délégué Sirajuddin Hamid Youssef, ambassadeur soudanais en Ouganda : « Cet accord sera vital pour la paix et la sécurité de la région » car, expliquait-il : « La sécurité moderne n’est plus tributaire seulement des relations interétatiques, elle est dépend aussi du partage équitable et de la préservation des ressources environnementales ».
Les pourparlers ont été initiés par le « Nile Basin Initiative » (NBI), un organisme intergouvernemental créé pour servir de forum pour la résolution des différents sur l’emploi des eaux du fleuve. Pour Meraji Msuya, directeur exécutif du NBI : « Le plus important est que tout le monde veuille véritablement discuter. Il s’agit d’une réunion d’experts et chacun défendra ses intérêts mais il y a une volonté affirmée pour parvenir à un accord à l’amiable ».
Ces pourparlers se tiennent à l’heure où des tensions croissantes entre les pays du sud du bassin nilotique –principalement Ouganda, Kénya, Tanzanie et Ethiopie- qui veulent utiliser les eaux pour de grands projets- et l’Egypte et le Soudan-, pays bien en aval du Nil qui coule vers le nord et la mer Méditerranée, que ces projets pourraient léser.
Comme bien des désaccords en Afrique, ceux à propos du Nil viennent du passé colonial du continent noir. Le traité du Nil de 1929 , en effet, signé entre l’Egypte et la Grande Bretagne – cette dernière à l’époque contrôlait pratiquement tout le bassin nilotique- interdit à tout pays au sud de l’Egypte de réduire le volume des eaux atteignant l’Egypte et le nord du Soudan. Le traité stipule que, sans le consentement du gouvernement égyptien, aucun plan d’irrigation et aucune construction hydroélectrique ne peuvent être menés à bien sur les affluents du Nil ou sur ses lacs si ces réalisations sont susceptibles de diminuer le volume d’eau de façon dangereuse pour l’Egypte. Les pays d’Afrique de l’Est veulent abolir ce traité anachronique datant de la période coloniale et qui ignore complètement leurs intérêts. Mais l’Egypte avertit que toute tentative de viol du traité et toute altération de celui-ci serait considérée comme casus belli. L’Egypte est, militairement, le pays le plus puissant du bassin du Nil.
Peu impressionnée cependant, la Tanzanie a lancé en février 2004, un projet pour utiliser l’eau du lac Victoria comme eau potable, en contradiction avec l’esprit et la lettre du traité. De même, le Kénya, qui manque d’eau potable, pousse à l’abrogation de ce traité.
De son côté, l’Ouganda cherche à combler son manque d’électricité en construisant des centrales sur le fleuve. L’Ethiopie vise à réaliser de vastes projets d’irrigation étant donné la sécheresse chronique par laquelle elle passe et qui a affamé 13 millions d’Ethiopiens.
En 1980, l’Egypte a menacé de guerre l’Ethiopie après que son président Mengistu Hailé Mariam se soit opposé au Président Anwar Sadate qui voulait amener l’eau du Nil au Sinaï. De fait, c’est l’Egypte qui risque le plus dans cette affaire car elle n’a pratiquement aucune autre source d’eau douce. Mais les autres pays rétorquent que le Soudan et l’Egypte utilisent l’eau du Nil à des fins commerciales puisqu’ils exportent des produits agricoles et font une agriculture de rente, destinée à satisfaire le marché étranger et à se procurer des devises.
Au cours de la réunion, les délégués égyptiens se sont abstenus de tout commentaire.
Les dix pays – Egypte, Soudan, Erythrée, Ethiopie, Ouganda, Kénya, Rwanda, Burundi, Congo et Tanzanie- sont cependant tombés d’accord pour se rencontrer immédiatement à Nairobi pour discuter de projets communs de développement.
Commentaire
Nous avons là l’exemple archi- classique de l’opposition des pays d’amont à ceux de l’aval. Il est vrai que ce traité est dépassé …mais il y a les droits acquis d’une part et la nécessité, pour les pays du sud du bassin nilotique à se développer d’autre part, d’autant que ces souffrent d’un sous-développement chronique avec des maladies tropicales essentiellement hydriques (malaria, bilharziose, maladie du sommeil…)- auquel est venu s’ajouter dramatiquement le sida - , de la sécheresse et d’un manque flagrant d’eau potable. Le pire dans cette région confrontée déjà et depuis longtemps à divers conflits ethniques et autres serait une guerre de l’eau dont elle n’a absolument pas besoin tant les souffrances de leurs populations sont grandes.
L’espoir vient d’abord du fait que les divers protagonistes veulent bien s’asseoir autour d’une même table pour discuter et ensuite qu’ils aient consenti à travailler au sein de la NBI. Il est crucial que le dialogue se maintienne à l’heure où les tensions ethniques et religieuses s’exacerbent et où les jeux politiques s’intensifient (Darfur, Erythrée, Corne de l’Afrique…) . Pour ne rien dire des changements climatiques qui risquent de perturber le régime du Nil pourtant qualifié de « Fleuve Eternel » par le grand poète égyptien Ahmed Chawki.