Larbi Bouguerra, février 2005
Le Wazzani, source de conflit au Liban
La station de pompage libanaise, inaugurée à la mi-octobre et menacée de destruction par Israël, pourrait raviver le conflit sur l’eau.
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Réf. : Christophe Ayad, Libération, 18 février 2003.
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Le Wazzani est un joli ruisseau qui jaillit de la colline pierreuse et qui serpente au fond de la vallée. Au nord, la terre est nue, sèche et stérile : c’est le Liban. Au sud, il y a de la verdure à profusion : c’est Israël. Après le départ des soldats israéliens qui occupaient la région depuis 1978, le sud libanais peine à revenir à la vie. Un peu plus à l’est, reste le chancre des fermes de Chebaa, pomme de discorde entre le Liban, la Syrie et Israël. Ce sud chiite est le fief du vieux politicien Nabih Berri, Président du Parlement libanais. Celui-ci a eu une idée pour faire taire les critiques quant à l’utilisation de l’aide internationale : financer la construction d’une station de pompage sur le Wazzani afin d’alimenter les villages avoisinants dont les habitants sont obligés d’acheter l’eau à des camions-citernes au prix prohibitif d’un euro les 2 m3. L’idée avait de quoi séduire : il s’agit enfin d’un projet concret pour des gens abreuvés de promesses par les politiciens. Mais, détail capital : le Wazzani est un affluent du Hasbani qui se jette dans le Jourdain qui traverse Israël. D’où un double problème politique : d’abord, casus belli dit Israël, comme toujours, qui menace de détruire toute installation sur le Wazzani car l’eau puisée n’arriverait plus au Jourdain et ensuite le Hezbollah, impliqué nolens volens et qui contrôle le sud Liban et résiste à Israël. Il est aussi partie prenante dans cette affaire.
La station, pour des raisons toujours politiques, a été construite en un temps record et comme le pays des Cèdres est sous occupation syrienne, elle flatte l’amour propre national : enfin, une réalisation ! Mais on ne peut visiter la station et on ne peut connaître ses performances. Tout ce qui se rapporte à l’eau est « secret défense » car Israël est tout proche, occupant le Golan syrien en face. Israël a aussi une installation qui pompe l’eau du Wazzani. L’eau pompée par les Libanais va alimenter les villages par des canalisations souterraines qui longent la frontière israélienne parfois à moins de cinq mètres. Au total, 120 000 habitants et 16 000 ha en profitent. Pour l’heure, Israël n’a pas mis sa menace à exécution car la station n’est encore en mesure de pomper à la rivière le volume maximum de 4,9 millions de m3. Mais, le feu peut partir à tout moment : Israël n’a pas hésité en 1965 à bombarder une première installation dont les ruines sont encore visibles. Côté libanais, le Hezbollah se veut le protecteur de la région et menace de répliquer à toute attaque. Les militaires israéliens voudraient profiter de cette occasion pour détruire le Hezbollah mais Washington leur a bien fait comprendre qu’il n’était pas question d’ouvrir un nouveau front avant la guerre contre l’Irak. La Syrie, quant à elle, n’est pas en mesure d’affronter l’Etat hébreu et fait le gros dos surtout depuis le 11 septembre 2001 et veut éviter l’élimination de sa carte maîtresse dans la région : le Hezbollah.
Commentaire
La construction de cette station a donné des sueurs froides aux diplomates, aux militaires, aux juristes, aux hydrauliciens et aux communautés. L’eau est un véritable explosif dans cette partie du monde et tous la veulent, pour eux seuls. Pour Israël, il s’agit surtout d’affirmer sa prééminence et sa puissance militaire dans la région et de se constituer des réserves pour l’avenir. L’utilisation de l’eau en Israël est égale à celle des Européens, étant donné le standard de vie : piscines, arrosage public à profusion, jardinets et plates bandes devant les maisons… Pour les Libanais, c’est une question de vie ou de mort car, sans eau, point d’agriculture dans cette partie sèche et pierreuse du pays où le précieux liquide est si rare. Sans eau, famine et exode vers les bidonvilles de Beyrouth, de Saïda et de Tripoli où les ruraux s’entassent.
Il est clair que dans cette partie du monde, la paix ne saurait se construire sans un accord sur le partage de l’eau. Pour y parvenir, il faut d’abord des relations confiantes et il faut que les données hydrauliques soient partagées : hydrauliciens, géologues et géographes doivent travailler en toute sérénité. Il faut que les données scientifiques ne soient plus considérées comme des secrets d’Etat.
Etant donné cependant la haine accumulée, la communauté internationale doit être partie prenante. Pour le bien de la paix internationale et pour éviter des guerres et des souffrances pour l’eau. Comme on l’a vu au cours de l’été 2006 !