Ouvrage:"Fitna : Guerre au coeur de l’Islam" de G.Kepel.
Mots clefs : Utilisation de la religion pour la guerre, utilisation de la religion pour la paix | Fondamentalisme religieux et paix | Résistance civile | Organisations et acteurs politiques locaux non gouvernementaux | Moyen Orient
Type de document : Ouvrage
Fitna : Guerre au coeur de l’islam
I. Présentation de l’auteur :
Gilles Kepel est diplômé d’arabe, d’anglais, de philosophie et de l’IEP de Paris. Il est actuellement responsable du programme du troisième cycle sur les mondes arabo-musulmans à Science-Po et chercheur au CNRS.
Il a été professeur invité à l’université de New-York en 1994 et Columbia University en 1995 et 1996.
Il est spécialiste de l’Islam contemporain et a écrit de nombreux ouvrages sur la nouvelle forme de l’islamisme.
Son premier succès, il l’a connu avec « Le prophète et le pharaon » en 1984, qui consistait en une analyse de l’islamisme en Egypte. Il annonce en 1987, la naissance d’un nouvel Islam en France dans son ouvrage sur « Les banlieues de l’Islam ».
Gilles Kepel se prononce sur la nécessité de rester à l’écoute des mouvements islamistes à travers leur terrain d’expression pour démanteler les réseaux dans « À l’ouest d’Allah ».
Mais son plus grand succès était jusqu’à présent son analyse en détail, de la théorie à la pratique de l’islamisme, à travers des informations au quotidien dans son livre « Jihad » paru en 2000.
Ce dernier ouvrage intitulé « Fitna » est une analyse de l’affrontement des islamistes contre les néo-conservateurs ; il est paru en Août 2004, permettant d’avoir assez de recul sur la guerre en Irak et les attentats de Madrid.
II. Presentation du livre
« Fitna » qui signifie la "discorde" en arabe décrit tout d’abord dans son prologue l’échec de la paix d’Oslo, sur fond de méfiance israélo-palestinienne conduisant au cercle infernal. Puis il revient sur les évènements du 11 Septembre 2001 qui ont été précédés de l’arrivée de Bush au pouvoir aux Etats-Unis.
Dans un premier chapitre, Gilles Kepel analyse la droite néo-conservatrice américaine et le triomphe de ses idées au sein de la politique américaine en abordant ses fondements et objectifs.
Dans le deuxième chapitre, l’auteur aborde la conceptualisation de la mouvance Al qaida qui par les attentats du 11 Septembre a « visé l’ennemi lointain pour jeter l’ennemi proche dans l’effroi ».
Dans les troisième et quatrième chapitre, Kepel aborde la vision du monde selon Ben Laden et Al Zawahiri ainsi que la situation délicate que vit l’Arabie Saoudite à l’heure actuelle.
Dans son chapitre Cinq, la vision de l’Irak en champ de ruine et la métaphore de la boite de Pandore montrent que les Etats-Unis en ayant attaqué l’Irak ont permis à des vieux démons de s’échapper.
Enfin, dans le dernier chapitre « La bataille d’Europe », Kepel dit que l’Europe est peut-être le dernier champ de bataille dans lequel l’islamisme affronte plusieurs défis dont celui de l’intégration.
Ce livre propose cinq thématiques différentes permettant de voir de plusieurs façons le phénomène du terrorisme islamiste.
Après réflexion, j’ai préféré me limiter à l’analyse du chapitre sur la « Traque et résilience d’Al Qaida pour mieux cerner l’analyse en profondeur de l’auteur sur cet élément important.
III. Analyse du chapitre « Traque et résilience d’Al Qaida »
A travers ce chapitre, Kepel retrace les visions et les stratégies des deux camps qui s’affrontent ; d’un coté le gouvernement Bush et de l’autre la mouvance d’Al Qaida.
Pour l’auteur, les deux cotés ont réalisés un mélange entre le réel et le symbolique, de manière à stigmatiser l’ennemi.
Aux Etats-Unis, le 11 Septembre 2001 constitue un bouleversement dans la manière d’aborder le monde. Il y a une prise de conscience de l’incapacité structurelle de Washington à définir la menace qui se substitue à celle de Moscou et à la conceptualiser. Le réflexe du gouvernement américain est d’adopter une analyse avec des éléments connus, mais dépassés. Ben Laden serait « un héritier islamiste de Lénine » et Al Qaida serait « un groupe gauchiste terroriste des années 70-80 ». Il est nécessaire aux néo-conservateurs de trouver un adversaire défini avec un territoire, des institutions et non pas « une ONG terroriste sans siège ». C’est de cette vision des choses qu’est née l’idée d’attaquer l’Afghanistan et le régime Taliban.
De leur coté, les terroristes d’Al Qaida voient le 11 Septembre comme une victoire leur apportant notoriété. C’est la concrétisation des théories « Des cavaliers sous la bannière du prophète », d’Ayman Al Zuwahiri. Frapper l’ennemi lointain permet, si cela touche des symboles, d’accroître sa notoriété et de trouver un écho favorable chez tous les mécontents du monde. Lors de l’attaque en Afghanistan, Ben Laden déshumanise les victimes en les rendant martyrs. C’est une manière de faire de cette guerre, une guerre durable.
Kepel analyse la nouvelle stratégie américaine, elle consiste selon lui à transformer la lutte contre un ennemi inconnu en lutte ou croisade contre la « terreur ». En parallèle, Ben Laden essaie de se fondre dans la masse des musulmans.
Les Etats-Unis se retrouvent face à un problème d’ordre militaire tout d’abord, depuis la Guerre Froide leur stratégie repose sur le concept de dissuasion. Pour Ben Laden, le nouvel équilibre sera celui de la mort.
L’attaque de l’Afghanistan est la réaction que les Etats-Unis ont trouvé pour porter atteinte aux terroristes sur un territoire délimité. Tous les moyens et ressources y sont mobilisés pour la traque du réseau d’Al Qaida. Le résultat de cette guerre selon Kepel, c’est qu’il y a eu une réussite foudroyante pour les armes de haute technologie et pour les services de renseignement, qui ont mobilisé les alliances internes dans le pays pour se battre. Cela a conduit à un effritement de la base religieuse du pays appelant au Jihad, car ce sont des musulmans qui ont combattus d’autres musulmans. Cependant en dépit du coup sévère à la nébuleuse, c’est seulement la base physique qui a été touchée. Face à cet échec, les Etats-Unis ont tenté de le cacher en faisant prévaloir la victoire sur les Talibans.
C’est en fait une révision des logiques de la politique américaine depuis les années 80 en Afghanistan. En effet, les Talibans avaient été soutenus par eux et cela contre les soviétiques, par la suite les Américains avaient laissé cette mouvance islamiste radicale se fixer dans les montagnes afghanes. Mais les Talibans accueillaient une bonne partie des soldats perdus du Jihad de plusieurs pays musulmans comme l’Algérie, l’Albanie ou le Cachemire. C’est ainsi qu’avec l’appui des Américains, Ben Laden, a été transféré du Soudan à l’Afghanistan en 1996. L’afghanistan pour les Etats-Unis étaient isolé donc incapable d’exporter le Jihad.
Pour Kepel, la chute des Talibans a propagé les intégristes dans le monde et leur capacité à se reconstituer en réseau est toujours existante.
La stratégie de Ben Laden consiste en un objectif à atteindre : élargir sa base de soutien. Pour cela, il a deux critères : l’effet de souffle de la terreur et la popularité attendue en fonction de sa dimension morale supposée. Les meilleures cibles sont les Israéliens et les Américains, puis les occidentaux. Cette stratégie, Kepel l’illustre à travers les nombreuses évolutions d’Al Qaida qui ont suivi le 11 Septembre.
En décembre 2002, une nouvelle donne apparaît : Al Qaida envoie un communiqué dont l’intitulé est « Bureau politique de l’organisation Al Qaidat Al Jihad ». Ce besoin de se renommer et de rappeler les objectifs, est pour Gilles Kepel une preuve que le réseau traverse une période de faiblesse, après de nombreuses arrestations importantes et investigations fructueuses. Le réseau se rend compte de sa vulnérabilité au niveau de sa sécurité, de ses alliances et sa politique de communication. Ben Laden dote l’organisation d’instances décisionnelles pour exprimer son existence effective et la nécessité de repréciser les objectifs après quelques "ratages".
Le 17 Avril 2002, est rendu public le testament de l’un des kamikazes du World Trade Center. Cette revendication explicite positionne le terrorisme comme seule force capable de porter un coup à l’adversaire. De plus, la parution du texte d’Al Zawahiri « Al wala wa’l bara » (fidélité et rupture), réaffirme les bases doctrinales du Jihad et identifie les cibles. Il appelle à « un renfermement de l’identité islamique en une citadelle intérieure face à la menace imminente".
Les attentats de l’année 2003, constituent, selon Kepel, une nouvelle étape de violence recentrée sur le monde arabe, après l’attaque contre l’Irak par les Etats-Unis. Que ce soit à Casablanca, à Riyad ou à Istanbul, les résultats sont contrastés car ils sont le fait d’amateurs autochtones. Ils touchent des musulmans, mais prouvent qu’il y a eu prolifération au-delà des cercles activistes spécialistes.
Au contraire, les attentats de Madrid en Mars 2004 sont d’après l’auteur, organisés par des « professionnels » et exécutés par des autochtones.
Finalement pour Kepel, les Etats-Unis ont échoué dans leur volonté de chasser le terrorisme et lui ont permis de se répandre. Mais Al qaida n’est pas vainqueur car il n’a pas atteint son objectif de conquête du pouvoir dans les pays musulmans ni celui de libération de la Palestine. Le terrorisme est inapte à mobiliser toute les masses, cependant c’est un poids non négligeable dans les relations à l’intérieur d’un pays.
IV. Opinion personnelle
La meilleure manière de comprendre les conséquences du 11 Septembre, est certainement d’avoir pris du recul par rapport à la situation dans le temps. Gilles Kepel, dans ce chapitre, nous propose d’aborder les visions des deux camps sur ce qui s’est passé après. Il s’agit d’une analyse issue de la compréhension au jour le jour de l’actualité.
Les stratégies de Bush et Ben Laden sont celles d’acteurs de la scène mondiale incontournable mais qui s’appuient sur des faits du passé, d’où le danger pour le reste du monde. Le reproche que l’on pourrait adresser à Gilles Kepel serait celui de ne pas parler du rôle des Européens dans la traque et le démantèlement d’Al Qaida : il semble parfois limiter cette lutte à un simple face à face entre les Etats-Unis et la nébuleuse, mis à part lorsqu’il aborde les attentats de Madrid.
Kepel nous montre que le terrorisme est un moyen de déstabiliser les sociétés civiles et les gouvernements par la peur, de faire pression sur l’opinion publique. Mais si ceci était l’objectif d’Al Qaida, il n’a pas été couronné de succès dans le monde arabe. Cependant le réel danger vient du rôle de pression que la mouvance a sur les relations internes des pays.
Pour conclure, le passage le plus important de ce chapitre, est selon moi celui qui traite de la transformation d’Al Qaida de nébuleuse en « ONG avec un bureau politique ». De plus, dernièrement on a pu constater que Ben Laden essayait de se transformer en acteur politique et non plus en simple groupe terroriste. La preuve en a été lors des interventions d’Al Zarqawi pour appeler au boycott des élections en Irak. Cette nouvelle transformation augure une tentative dangereuse de se rapprocher des masses en utilisant les armes de l’expression politique des populations.