L’art de la paix. Ouvrage de Michel Rocard. Deuxième condition pour construire une paix durable : briser le tabou majeur.
Mots clefs : Travailler la compréhension des conflits | Elaboration et utilisation du symbolique | Briser le tabou majeur
Réf. : J.Garrisson et M. Rocard, « L’art de la paix », ed, Atlantica, Paris, 1997.
Langues : français
Type de document : Ouvrage
Parmi les conditions pour construire la paix, Michel Rocard, dans son ouvrage « l’Art de la Paix », nous propose un élément original, bien que peu valorisé par les spécialistes de la paix : briser le tabou majeur.
Par « briser le tabou majeur », l’auteur entend briser l’élément symbolique qui cristallise le conflit, le nœud qui en empêche toute résolution. Il nous livre plusieurs exemples :
« Au delà de tout ce sur quoi on peut transiger, partage de forces, de territoires, d’argent, procédures d’organisation sociale locale […] il y a souvent un fait dominant l’élément symbolique a priori non partageable autour duquel s’organise le conflit ».
Pour comprendre ce qu’est cet élément symbolique, il n’hésite pas à donner des illustrations concrètes :
« Ce peut être le rattachement à une puissance dominante coloniale notamment, l’unité d’un État, le choix d’une langue ou d’une religion officielle, l’exigence d’un changement de constitution ou de règles sociales ».
À travers l’Édit de Nantes, qui selon Rocard est l’idéal de règlement d’un conflit, il montre qu’Henri IV a su briser le tabou majeur, à savoir l’unicité de la religion au sein du royaume de France, étant entendu que la religion a une double fonction : à la fois sociale (car elle est la base du fonctionnement et de l’encadrement de la société française sous l’Ancien Régime) mais également politique (puisqu’il s’agit de l’instrument de légitimation du pouvoir royal, le roi étant le représentant de Dieu sur terre). Henri IV va donc aboutir à la théorie de la liberté de conscience, ce qui non seulement est révolutionnaire pour l’époque mais va aussi permettre de mettre un terme aux guerres de religion qui secouaient le royaume depuis plusieurs années.
D’où la difficulté de faire de cet élément symbolique un objet dépassionné, car en tant que tabou majeur, une personne de l’un des deux camps doit décider et donc choisir de désacraliser cet objet symbolique afin qu’il devienne un simple objet et perde - ou du moins voit s’atténuer - cette force symbolique à l’origine du blocage. Or, comme le dit si justement l’auteur : « les éléments symboliques sont nettement plus efficaces que les seuls éléments matériels. Tout culmine en ces symboles, et on ne transige pas avec les symboles ».
Ce n’est donc qu’à la condition de briser ce tabou majeur, en dépassant ce qui paraît insurmontable, qu’une paix de compromis pourra se mettre en place et s’instaurer. Briser le tabou majeur constitue ainsi un aspect fondamental de la résolution des conflits quels qu’ils soient. Il s’agit d’un aspect capital. C’est pourquoi selon Rocard, il incombe à la puissance dominante du conflit de faire le premier pas pour briser le tabou majeur car « c’est la tâche la plus lourde qui puisse lui être impartie ».
Néanmoins, pour que la puissance dominante puisse jouer ce rôle activement deux conditions préalables s’imposent :
Tout d’abord, « identifier le symbole ou le tabou majeur » en évitant de se focaliser sur des éléments secondaires visant à détourner l’attention du nœud réel du problème.
Puis, et dans le cas où cela est fait, renoncer à ce symbole ou du moins transiger pour parvenir à une paix de compromis.
Ce n’est qu’à ces deux conditions que la paix peut se faire et, selon lui, ce sont elles qui caractérisent les artisans de paix. « Accepter de renoncer au symbole dominant pour transiger intelligemment et sans faiblesse sur le reste sans être contraint par la force, telle est la marque des grands faiseurs de paix » (p 25).
L’exemple contemporain que nous donne l’auteur est l’exemple sud-africain avec comme protagonistes Frederik de Klerk et Nelson Mandela. En effet, c’est Frederik de Klerk, président de l’Afrique du Sud au début des années 1990, qui a décidé de mettre fin au système d’apartheid et permis la libération de Mandela, il a su renoncer au tabou majeur qu’était la politique d’apartheid et qui cristallisait le conflit pour y mettre fin.