Document file Dossier : Du désarmement à la sécurité collective

, Grenoble, France, December 1996

Reconversion des industries d’armements des deux anciennes superpuissances.

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Les livres consacrés à la reconversion des industries d’armements sont rares. Aux États-Unis, le nombre de sorties annuelles se réduit à quelques unités. Et les ouvrages où figurent des analyses globales sur plusieurs pays sont pratiquement inexistants. Le livre édité par Alex Green (Université de Floride) et Victor Chernyy (Bureau de la reconversion de l’Ukraine), Defense Conversion. A Critical East-West Experiment, fait exception à la règle. L’analyse comparative de la reconversion des deux protagonistes principaux de la guerre froide, les États-Unis et l’ex-Union Soviétique, donne au lecteur un bon aperçu général de l’évolution de la reconversion dans deux pays - qui sont désormais trois car l’étude porte sur la Russie et l’Ukraine - parmi les plus affectés par les transformations géopolitiques de l’après guerre froide.

Ce livre est le résultat de trois conférences, organisées entre 1992 et 1994, réunissant divers spécialistes américains, russes et ukrainiens désireux de voir le processus de reconversion se développer dans leurs pays.

Au départ, les États-Unis et l’ex-Union Soviétique font face au même problème : un arsenal militaire qui n’a cessé d’augmenter depuis le début de la guerre froide et des budgets militaires exorbitants dont la raison d’être s’est évanouie avec la chute du mur de Berlin. Mais, face à un problème identique, les deux anciennes superpuissances disposent de moyens très différents et subissent chacune des contraintes économiques, politiques et sociales particulières qui font que le processus de reconversion suit son propre chemin dans chacun des pays étudiés. Malgré ces différences, les États-Unis et les pays de l’ancien bloc soviétique doivent désormais unir leurs efforts pour défaire ce qu’ils ont créé lors de la guerre froide afin de restructurer leurs bases économiques et industrielles qui en ont bien besoin, surtout dans l’ex-Union Soviétique. Les conférences organisées aux États-Unis avaient donc pour objectif d’amorcer un mouvement de coopération entre les responsables américains, russes et ukrainiens et de définir une stratégie bilatérale de reconversion des industries de l’armement.

Un ouvrage de ce genre, basé sur une ou plusieurs conférences et réunissant divers collaborateurs, présente souvent l’inconvénient de manquer de perspective synthétique. Le livre édité par A. Green et V. Chernyy n’échappe pas à cette lacune. Néanmoins, l’ouvrage donne une assez bonne idée des problèmes auxquels sont confrontés les responsables politiques et scientifiques des différents pays. Tout d’abord, le lecteur est frappé par le fossé qui sépare la vision des Américains d’un côté, et celle des Russes et des Ukrainiens de l’autre. La première impression qui se dégage est que si le processus de reconversion est important pour l’industrie américaine, il est crucial pour l’économie et la stabilité des anciens pays de l’URSS. De plus, la reconversion de ces pays de l’ex-bloc soviétique a des effets sur la sécurité et l’environnement des pays voisins, et même au delà. Il n’est donc pas étonnant qu’Américains, Russes et Ukrainiens envisagent les choses différemment.

Les collaborateurs américains (de cet ouvrage) voient la reconversion de manière spécifique, et décrivent des projets précis de reconversion déjà mis sur pied, souvent par des entreprises commerciales. Les Russes et Ukrainiens examinent d’abord les ramifications de la guerre froide avant d’envisager les possibilités offertes par la reconversion, reconversion qui touche des industries entières, par exemple la reconversion des indus tries du plutonium ou celles du nucléaire. Là où les Américains s’intéressent aux programmes d’assistance gouvernementaux à la reconversion, les Russes et les Ukrainiens s’inquiètent de la fragilité économique de leurs sociétés. De manière générale, la reconversion en Russie et en Ukraine apparaît comme singulièrement plus problématique qu’elle ne l’est aux États-Unis. D’un autre côté, étant donné la centralisation qui orientait naguère toute l’industrie soviétique, on a aussi l’impression que des industries entières peuvent être lancées sur la voie de la reconversion du jour au lendemain, ce qui n’est évidement pas le cas en Amérique. Tout le processus de reconversion paraît beaucoup plus dangereux dans l’ex-Union Soviétique, sur le plan de la sécurité, qu’aux États-Unis - une des raisons d’ailleurs pour lesquelles le gouvernement américain fournit une aide substantielle aux républiques de l’ex-URSS pour qu’elles démantèlent leurs armes atomiques et qu’elles reconvertissent leurs bases nucléaires (Nunn-Lugar Act).

Malgré ces divergences de fond, les États-Unis, l’Ukraine et la Russie ont aussi des problèmes communs. Dans ces trois pays, la reconversion se résume souvent à une lutte dans laquelle les hommes politiques et industriels préférant la voie de l’exportation par rapport à celle de la reconversion forment un noyau de résistance puissant face aux partisans de la reconversion des industries de l’armement. Un autre point commun entre les trois pays est le fait que la production d’armes est souvent concentrée dans des régions (ou États) bien définis qui réclament chacun des solutions particulières adaptées à la configuration sociale, géographique et économique des régions concernées.

Dans la conclusion à cet ouvrage, Alex Green met en lumière la réussite économique de deux pays ayant su négocier le virage de l’après guerre en menant une campagne de conversion industrielle à grande échelle : l’Allemagne et le Japon. Selon Green, il est nécessaire aujourd’hui de s’inspirer de cet exemple qui démontre que la conversion d’une économie consacrée presque exclusivement à la guerre vers une économie de la paix peut engendrer une croissance économique extraordinaire.

Commentary

L’ouvrage édité par Alex green et Victor Chernyy permet un bon aperçu des problèmes auxquels doivent faire face désormais les deux anciens adversaires de la guerre froide. On peut néanmoins regretter l’absence d’un chapitre européen, indispensable pour une vision globale du processus de reconversion.

Si l’on doit tirer un enseignement de cette étude comparative, peut-être est-ce que la problématique de la conversion se situe actuellement à deux niveaux : les pays de l’ex-Union Soviétique sont engagés dans un vaste processus de conversion d’une économie de la guerre à une économie de la paix alors que les États-Unis, dont l’industrie est au départ beaucoup plus diversifiée et dynamique, sont plus modestement engagés dans le processus de reconversion de leurs industries d’armements. La reconversion dans les pays de l’ex-URSS réclame encore aujourd’hui une planification rigoureuse et une assistance gouvernementale alors que la reconversion des industries d’armement en Amérique devrait se faire presque naturellement, en fonction des lois d’un marché de moins en moins favorables aux fabricants d’armes et d’une politique qui oublie progressivement les rivalités du passé.