Richard Pétris, Grenoble, France, février 2006
La Déclaration Robert Schuman du 9 mai 1950
Ce texte, considéré comme l’acte de naissance de l’unification européenne, a une portée éminemment pacifique et propose un modèle d’organisation inédit à l’échelle d’un continent. La force de la Déclaration Schuman fut l’écho enthousiaste qu’elle rencontra auprès des dirigeants politiques français et allemands dans le contexte d’une guerre froide naissante. La réconciliation des frères ennemis autour d’un projet de coopération économique fut le moteur de l’Europe pacifiée depuis 1950.
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Langues : français
Le plan Schuman, mis au point dans le secret et présenté dans la Déclaration du 9 mai 1950, a lancé le processus de réconciliation et de coopération entre deux pays engagés dans des luttes sans merci depuis plusieurs décennies : la France et l’Allemagne. En effet, à ce moment crucial de la guerre froide, Robert Schuman, alors Ministre des Affaires Etrangères, a pris la responsabilité de donner chair à une idée révolutionnaire. C’est le porte-parole d’une équipe d’hommes généreux et surtout lucides qui, autour de Jean Monnet, ont fécondé une pensée prophétique, porteuse de valeurs humanistes. C’est cet acte de naissance de la construction européenne qui est célébré chaque année comme la journée de l’Europe, le 9 mai.
Au printemps 1950, Jean Monnet, Commissaire au Plan et collaborateur de l’ombre de Robert Schuman, prend conscience que la guerre froide risque d’engendrer une guerre véritable, dans laquelle le continent européen serait pris en étau entre deux grandes puissances antagonistes. Il réalise que les paroles ne suffisent plus à changer le cours des évènements et l’esprit des hommes : « il faut une action profonde, immédiate (…) qui change les choses » .
Le plan Schuman sera cette action destinée à prévenir une nouvelle tragédie « opposant à la force aveugle de la fatalité la ressource de l’action commune réfléchie et volontariste » et « reposant non plus sur le recours à la force mais sur l’appel à l’intelligence »(1).
La Déclaration Schuman est fondée sur une décision qui a fait acte de paix et sur une méthode unique : a) décision de rompre avec une culture de guerre, vivante depuis les Grecs et qui reposait sur l’obligation de la vengeance ; b) une méthode unique, basée sur une série d’actes, de gestes, de paroles et de valeurs prioritaires :
¨ La main tendue au lieu de l’utilisation de la force
¨ La reconnaissance de l’autre comme partenaire et non plus comme ennemi
¨ La paix plutôt que la vengeance
¨ La coopération plutôt que l’individualisme
¨ La solidarité plutôt que l’égoïsme
¨ Un plan d’action plutôt que la fatalité
¨ L’union plutôt que la division
La Déclaration fixait déjà pour objectif une « fédération européenne » et révélait le contenu d’un projet dont un précédent président du Parlement Européen jugeait l’analyse « limpide » , le moyen « réaliste » , l’objectif « ambitieux » et l’institution « révolutionnaire » :
¨ L’analyse : « la paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent » . Les premiers mots pointent le but dernier : il n’y aura pas de paix sans une « Europe organisée et vivante » et pas d’Europe organisée sans réconciliation franco-allemande.
¨ Le moyen : « L’Europe ne se fera pas d’un coup : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait » . Que les Français et les Allemands mettent ensemble le fer français et le charbon allemand pour tous ceux et avec tous ceux qui voudront se joindre à eux.
¨ L’objectif : « Cette proposition réalisera les premières assises concrètes d’une fédération européenne, indispensable à la préservation de la paix » .
¨ L’institution : « Une Haute Autorité composée de personnalités désignées par les gouvernements, mais indépendante, dont « les décisions seront exécutoires » dans l’ensemble des pays adhérents.
La Déclaration lue par Robert Schuman, dans le Salon de l’Horloge du Quai d’Orsay, est la transformation du projet en une décision politique, immédiatement approuvée par le Chancelier allemand Konrad Adenauer. En proposant à l’Allemagne l’établissement d’une Haute Autorité ouverte aux autres pays d’Europe, chargée d’organiser la production de charbon et d’acier, la France a initié une dynamique qui sera transformée par six gouvernements en un traité ratifié en un temps record.
Le temps pressait effectivement puisque le 25 juin 1950, cinq jours après l’ouverture de la Conférence de Paris, c’est l’invasion de la Corée du Sud par la Corée du Nord, marquant le premier affrontement indirect de la guerre froide. L’Europe de l’Ouest, désormais pacifique, aidée financièrement par les Etats-Unis, mais dynamique, restera libre.
Commentaire
Ce texte historique n’est ni moralisateur, ni démagogique, mais l’œuvre d’humanistes engagés, animés de générosité, d’enthousiasme, de foi en l’avenir, de lucidité et d’esprit d’ouverture. Il s’agissait, après l’œuvre de mort encore répétée par la Seconde Guerre Mondiale, de créer un « organisme vivant au service de la paix » , de proposer un accord, une alliance, de prévoir tout pour en assurer la réussite, de créer une communauté de destin.
En remarquant qu’il pensait comme Jaurès qu’il faut « marcher à l’idéal en partant du réel » , le président du Parlement européen commentait la vision de Schuman : il projetait dans le futur « la fédération indispensable » , mais il commençait par le charbon et l’acier : « la cave, les fondations » .
Près de cinquante ans après la Déclaration du 9 mai 1950, le parlementaire irlandais, John Hume, élu par un jury international « l’Européen de l’année 1994 » , voit dans l’Europe un « modèle de résolution des conflits » . L’Amérique latine s’en est d’ailleurs inspiré pour établir les règles de fonctionnement du MERCOSUR. Pourquoi ne pas imaginer que cette méthode - qui a fait ses preuves - puisse contribuer à la résolution du conflit au Moyen-Orient en rapprochant Israéliens et Palestiniens ?
Ces visionnaires européens, hommes de paix, affirmaient qu’il n’y a pas de fatalité à la logique de guerre. La paix est possible quand on transmue les peurs et la haine en espoir. Faire la paix durablement, c’est permettre la victoire d’Eros sur Thanatos.
Notes
(1) Henri RIEBEN, Un changement d’espérance ou la révolution du 9 mai 1950 in « Europe Hier-Aujourd’hui-Demain » , Economica 2001