Silvia Gurrieri, Paris, novembre 2005
Médias et conflits. Ouvrage collectif sous la direction de Marie-Soleil Frère.
Information et analyse sur le rôle des médias dans les conflits en Afrique centrale.
Mots clefs : Presse écrite et paix | Télévision et paix | Radio et paix | Presse écrite | Télévision | Radio | Journaliste | Elaborer une culture de la tolérance et de la négociation pour gérer des conflits | Déconstruire les discours identitaires | Apprendre une culture de paix | Région des Grands lacs | République Démocratique du Congo | Cameroun | Tchad | Centrafrique | Gabon | Guinée équatoriale
Réf. : Ouvrage collectif sous la direction de Marie-Soleil Frère, Editions GRIP, 2005
Langues : français
Type de document : Ouvrage
Ce livre en trois parties à pour objectif d’unir une réflexion théorique sur le rôle des médias dans les conflits et les processus de paix, à des études de cas pratiques dans neuf pays d’Afrique centrale.
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Première partie
Dans la première partie, le journaliste canadien Ross Howard présente et commente les dix documents fondateurs de la réflexion développée à partir des années 1990 notamment dans le monde anglo-saxon, autour du rôle des médias dans les situations de crise. Il cherche également à mettre en exergue les polémiques suscitées par le courant « médias et construction de la paix », affirmant la nécessité d’orienter le travail des professionnels des médias vers la recherche et la consolidation de la paix.
Pour les détracteurs de ce courant, « obliger la presse à travailler pour servir des objectifs spécifiques constitue une négation de la liberté de presse ».
Parmi les notions récemment développées soutenant le rôle des médias comme vecteurs de paix, Ross Howard nous présente : le « journalisme proactif » (cherchant délibérément à influencer les attitudes et les perceptions du public en présentant des alternatives pacifiques), le « journalisme sensible au conflit » (évitant de se focaliser sur le facteur ethnique dans son analyse et cherchant à identifier les causes réelles des conflits et à souligner les efforts de règlement de la crise), le « journalisme de paix » (qui adopte une éthique favorisant la paix comme alternative à la guerre, mettant en évidence les points communs des parties en conflit).
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Deuxième partie
La deuxième partie du livre est organisée en neuf chapitres, chacun représentant une étude de cas d’un pays de l’Afrique centrale. Chaque chapitre s’ouvre avec une présentation des principales phases de l’histoire politique du pays, des facteurs de conflictualité et des cheminements entrepris vers la paix. Ensuite, l’analyse se concentre sur le rôle et le positionnement des médias, soit locaux soit internationaux pendant les conflits et les périodes de pacification et d’ouverture démocratique.
Le Burundi, la République démocratique du Congo et le Rwanda ont tous connu une période de violence où les médias sont devenus des outils de propagande pour les groupes en conflit, contribuant à nourrir la division et la haine. Au Burundi, ce sont les radios privées qui ont joué un rôle majeur dans la promotion du dialogue, de la paix et de la réconciliation entre les communautés. Elles ont également donné la parole au public et aux différentes forces belligérantes.
Dans la République démocratique du Congo, les médias ont été des enjeux et des instruments du conflit. Au Rwanda, la reconstruction du secteur de l’information a lentement commencé après le génocide, où les médias avec leur propagande ethnique ont constitué l’un des instruments d’une stratégie globale visant à éliminer les Tutsis et les opposants à l’idéologie génocidaire. Si au Congo-Brazzaville, la paix, les médias et la profession de journaliste demeurent à renforcer, au Tchad les médias jouent un rôle essentiel de dénonciation, en se plaçant aux côtés des victimes. La presse gabonaise est fortement politisée et dans l’autoritaire Guinée équatoriale la marge de manœuvre des journalistes est très limitée.
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Troisième partie
La troisième partie est constituée d’une réflexion de Jean-Paul Marthoz, directeur international de l’Information à Human Rights Watch, sur la manière dont les médias du Nord couvrent les crises du continent africain. La couverture de la presse internationale des événements africains reflète deux tendances : l’oubli sélectif et la simplification des situations complexes. L’accent est placé sur les événements négatifs (guerres, famines, morts, violence) et sur la réduction des conflits à de simples guerres ethniques. Un exemple de l’oubli de la presse est donné par le cas de la guerre au Soudan, qui a reçu une couverture tardive. L’auteur cherche à déterminer les causes de cet oubli de la presse occidentale : aux États-Unis, il est dû au volume dérisoire des échanges économiques avec l’Afrique et à la faiblesse de la communauté noire. La couverture européenne de l’Afrique est plus substantielle et plus spécialisée que l’américaine, mais elle reste ancrée à un « journalisme de métropole » privilégiant la couverture des anciennes colonies.
Selon l’auteur, les médias internationaux en voilant ou en relevant des situations, finissent par influencer les actions de leur gouvernements : par exemple, un reportage sur la famine en Éthiopie a favorisé l’afflux d’aide humanitaire en 1984, et le manque de couverture journalistique des événements au Rwanda a contribué à expliquer la passivité de la communauté internationale face au génocide.
Jean-Paul Marthoz parle enfin de l’existence d’une autre couverture de l’Afrique, réalisée par des journalistes donnant une vision diversifiée et plurielle du continent, en présentant aussi les acteurs et les événements positifs.
La couverture internationale de l’Afrique bénéficie aujourd’hui de l’appui des médias locaux comme sources d’informations et d’analyse et pourra présenter dans le futur une réalité africaine moins stéréotypée.
Commentaire
Les journalistes sont des médiateurs des conflits, consciemment ou non. Ils disposent automatiquement d’un certain potentiel pour leur aggravation ou leur résolution. Les médias ne sont pas des acteurs neutres des conflits, mais ils peuvent jouer un rôle important dans leur radicalisation et leur poursuite (comme au Rwanda), ainsi, ils peuvent représenter des acteurs fondamentaux dans leur résolution pacifique (comme au Burundi).
Il s’agit d’un livre de grande actualité sur un thème percutant, celui du rôle des médias dans la résolution des conflits, qui n’avait jamais été systématisé dans le monde francophone.
Il est du reste intéressant de découvrir l’existence des médias de la paix cherchant, à travers de multiples instruments (programmes radiophoniques, théâtre, musique, bandes dessinées) à influencer volontairement les comportements et les perceptions des gens dans un sens favorable à une résolution pacifique des conflits.
Le rôle des médias dans le fait d’influencer positivement les conflits et les processus de démocratisation est de plus en plus reconnu, si l’on considère le fait que les interventions multilatérales de construction de la paix prévoient désormais des projets d’appui aux médias.