Muriel Lescure, Grenoble, France, mars 1999
Le microdésarmement
Mots clefs : Démilitarisation de la société | Reconvertir les armements
Il y a moins de dix ans, les armes légères étaient presque totalement absentes des études sur le contrôle des armes et le désarmement. Elles sont, aujourd’hui, devenues un sujet incontournable. La multiplication, depuis la fin de la guerre froide, des conflits internes menés essentiellement avec des armes légères ainsi que les échecs essuyés par de nombreuses opérations de maintien de la paix expliquent, en partie, cet intérêt. Même si elles n’en sont pas la cause, les armes légères aggravent les conflits, retardent leur résolution et compliquent la reconstruction post-conflit. Elles cultivent, enfin, une logique de guerre.
C’est Boutros Boutros-Ghali, alors secrétaire général des Nations Unies, qui utilisa pour la première fois, en 1995, le terme « microdésarmement » (le désarmement des « petites armes ») pour souligner la spécificité de cette problématique. En effet, les caractéristiques physiques des armes légères et de petit calibre (petites, bon marché, facilement dissimulables) ainsi que le nombre d’acteurs impliqués dans la production et les transferts (pas de monopole étatique) rendent leur contrôle extrêmement difficile. Le microdésarmement doit impérativement faire l’objet d’une stratégie originale et différente de celle qui s’applique aux armes lourdes conventionnelles et nucléaires.
Malheureusement cependant, il ne suffit pas de mettre en place des programmes de microdésarmement pur et simple pour résoudre les conflits ou en éloigner les risques. Le microdésarmement n’a d’effet que s’il est abordé dans un cadre global et s’exerce simultanément sur l’offre et la demande. Les expériences réalisées ces dernières années dans de nombreuses régions sensibles l’ont démontré, permettant de dégager quelques grands principes :
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Un programme de microdésarmement doit être cohérent et impartial. Le programme a plus de chance de réussir lorsqu’il s’inscrit dans le cadre d’un accord de paix et vise toutes les parties (ONUSAL au Salvador) que lorsqu’il relève d’une politique improvisée (UNITAF et ONUSOM II en Somalie). Il doit être planifié et faire l’objet du mandat d’une mission de maintien de la paix, plutôt que d’apparaître en cours de mission en réponse à la détérioration de la situation sécuritaire sur le terrain.
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Le microdésarmement doit s’accompagner d’un programme de démobilisation des combattants. Il faut favoriser leur retour (ainsi que celui de leurs proches) à la vie civile par un programme de réintégration sociale et économique. Sans une telle assistance, la démobilisation peut faire place à une criminalité croissante et à une instabilité politique. Les ONG étrangères et la communauté internationale sont importantes dans cette phase car les autorités locales n’ont souvent pas les ressources ou l’expertise pour réaliser la reconversion de dizaines de milliers de combattants.
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Le microdésarmement doit prévoir un programme de rachat d’armes (buy-back) contre de l’argent, des produits ou des services, voire d’amnistie des propriétaires non licenciés pour encourager les populations à se désarmer de manière légale.
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Il est par ailleurs important de détruire les armes recueillies ou saisies. L’expérience démontre que les armes simplement entreposées reviennent en circulation à des fins criminelles ou politiques ou sont transférées vers d’autres pays pour alimenter de nouveaux conflits. L’ONUMOZ transféra aux autorités mozambicaines la majorité des 189.227 armes qu’elle recueillit, mais une partie de ces armes se retrouvèrent par la suite entre les mains de criminels en Afrique du Sud. Des problèmes similaires de diffusion à l’échelle régionale, voire mondiale, de surplus d’armes légères et de petit calibre ont été observés en Asie et en Amérique latine.
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Le désarmement coercitif de groupes armés est peu praticable, excepté contre des éléments marginaux et à condition d’un consensus entre les parties. Une telle politique requiert de plus un net avantage militaire de la part de troupes menant de telles opérations (la SFOR en Bosnie). Par contre, une campagne policière vigoureuse pour repérer et détruire les caches d’armes peut s’inscrire dans une politique plus large de désarmement volontaire des parties.
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Le microdésarmement d’un pays nécessite la coopération des Etats limitrophes afin de stopper ou limiter les infiltrations d’armes dans le pays. Dans certains cas, le contrôle frontalier peut représenter un défi de taille pour l’Etat et nécessiter une assistance extérieure ; dans d’autres cas, l’absence de contrôle administratif et policier peut masquer une politique d’assistance militaire à une des parties au conflit. Le microdésarmement, même s’il se pratique sur le terrain a donc une dimension diplomatique régionale. Sans embargo régional une partie au conflit peut rapidement renouveler les hostilités (l’UNITA en Angola de 1992 à 1996).
La coopération internationale se révèle également essentielle pour maîtriser les flux. Des traités multilatéraux sur le contrôle et la limitation des transferts d’armes conventionnelles, dont les armes légères, doivent être conclus. Une percée dans le domaine a été réalisée par la convention interaméricaine contre la fabrication et le trafic illicite des armes à feu, munitions, explosifs et autres matières afférentes, signée le 14 novembre 1997 au siège de l’Organisation des Etats Américains (OEA). On peut également épingler ici le moratoire sur l’importation, l’exportation et la fabrication des armes légères en Afrique de l’Ouest.