Arnaud BLIN, Grenoble, France, décembre 1996
Les objectifs du programme « culture et paix » de l’UNESCO
Mots clefs : ONU
Une culture de la paix aborde les causes profondes des conflits à travers une longue approche qui promeut le développement, la découverte, le respect des droits de l’homme et l’évolution des valeurs, attitudes et comportements vers la non-violence et la solidarité. Ainsi que le proclame l’Acte constitutif de l’UNESCO : « les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix."
Comme indiqué dans l’Agenda pour le développement, « extirper les racines d’un conflit va bien au-delà de la satisfaction des besoins immédiats et de la reconstruction des sociétés déchirées par la guerre. Il est nécessaire de se pencher sur les causes profondes des conflits. Elles sont variées et les moyens d’y remédier doivent donc l’être également. Consolider la paix, c’est encourager une culture de la paix."
En créant le programme Culture de la paix de l’UNESCO, la Conférence générale de l’organisation a reconnu qu’il correspond à sa mission fondamentale, telle que définie par son Acte constitutif, qui est de promouvoir “ la collaboration entre les nations par l’éducation, la science et la culture afin d’assurer le respect universel de la justice, de la loi, des droits de l’homme et des libertés fondamentales “.
Une culture de la paix nécessite la transformation des aspects communs de nos cultures qui ont été façonnés jusque là par la guerre et la violence. Cela signifie qu’à la place de la violence, il faut instaurer la non-violence, le dialogue et le respect des droits de l’homme ; au lieu d’images d’ennemis, la compréhension entre cultures et la solidarité ; au lieu du secret, la mise en commun et la libre circulation de l’information ; au lieu de la domination des hommes, la pleine émancipation des femmes. Cela doit être intrinsèquement lié au développement fondé sur la justice et sur la pleine application des principes démocratiques.
Un large éventail d’actions à tous les niveaux, du local au global, est nécessaire à la promotion d’une culture de la paix. Des programmes régionaux et nationaux sont nécessaires de même que des initiatives thématiques globales en matière d’éducation, à la fois formelle et informelle, qui sollicitent les personnes dans leur vie quotidienne. Alors que des actions peuvent être lancées par des organisations telles que les Nations Unies et l’UNESCO, la mise en oeuvre d’une culture de la paix dépend du développement d’un mouvement d’ensemble mobilisant des organisations à tous les niveaux et les reliant entre elles par des réseaux d’échange d’informations et d’expériences.
Bien que les objectifs soient clairs, il n’est pas possible de définir une culture de la paix de manière trop rigide, non plus que de l’imposer de l’extérieur. C’est un processus qui doit s’appuyer sur l’histoire, les cultures et les traditions des populations elles-mêmes et qui se développera différemment dans chaque pays. En général, néanmoins, une culture de la paix reposera sur la reconnaissance des droits de l’homme fondamentaux et sur le règlement pacifique des conflits.
Le programme pour la culture de la paix de l’UNESCO a débuté en 1993 et en 1994 avec les programmes nationaux pour la culture de la paix lancés par les Nations Unies au Salvador et au Mozambique dans des situations de consolidation de la paix à l’issue des conflits. Puis en 1995 et 1996, des programmes nationaux connexes ont été engagés au Burundi, au Rwanda, en Somalie, au Guatemala, au Congo et aux Philippines, entre autres, dans des situations pouvant être considérées autant comme préventives que comme consécutives à un conflit. Ces programmes nationaux ont mis en pratique un principe fondamental de la culture de la paix : le passage du conflit à la coopération par le dialogue et la collaboration pour atteindre des buts communs de développement humain. Ceux qui se sont combattus s’engagent ensemble dans la définition et la mise en oeuvre de programmes de développement. C’est un constat fondamental de la psychologie sociale, que l’on retrouve dans des contextes divers, suivant lequel le moyen le plus efficace de mettre fin à un conflit ou de l’éviter est d’engager les parties en différend à collaborer pour atteindre un but commun plus élevé. La portée du programme a été définie lors d’une série de tribunes et de réunions consultatives internationales, y compris la premier Forum international sur une culture de la paix, qui a eu lieu au Salvador en février 1994 et le deuxième aux Philippines en novembre 1995.
L’éducation comme principal processus fondant une culture de la paix est entendue au sens large comme comprenant l’apprentissage formel, informel et non formel, non seulement à l’école donc, mais également au sein de la famille, par le biais des médias et dans le cadre d’autres institutions sociales, non pas en tant que processus isolé, mais faisant partie intégrante d’une expérience mondiale consistant à apprendre en agissant. La clé, aux termes du rapport récemment soumis à l’UNESCO par la Commission internationale sur l’éducation pour le XXIe siècle, c’est d’” apprendre à vivre ensemble “.
Un aspect important de cette éducation consiste à apprendre et à promouvoir les principes fondamentaux de la paix et des droits de l’homme et à diffuser les conventions internationales sur les droits de l’homme afin de faire connaître leurs dispositions à un public aussi large que possible. L’UNESCO s’y est attachée, aux côtés d’autres institutions, depuis sa création. De plus, dans le cadre de son travail avec les instituts oeuvrant pour les droits de l’homme, l’UNESCO a créé des chaires universitaires et des réseaux d’enseignement supérieur dans le domaine des droits de l’homme, de la démocratie et de la paix dans de nombreux pays dans le monde entier.
L’éducation à la paix, aux droits de l’homme, à la justice, à la solidarité et à la coopération interculturelle est la priorité du Système des écoles associées (SEA) de l’UNESCO qui rassemble plus de 3700 écoles et établissements de formation des enseignants de 129 pays. En liaison avec ce système, l’UNESCO a lancé un programme interrégional pour la culture de la paix et la non-violence dans le système éducatif, en particulier dans les écoles situées dans les zones de violence urbaine et dans les sociétés déchirées par la guerre.
L’éducation pour une culture de la paix a été examinée lors de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes à Beijing et intégrée dans un programme d’action. La Déclaration de l’UNESCO sur la Contribution des femmes à une culture de la paix, signée par d’éminents participants à la Conférence de Beijing, appelle à un accroissement du nombre de femmes occupant des postes de responsabilité, étant donné la contribution qui est la leur à la cause de la paix par leurs expériences, leurs compétences et leurs approches novatrices.
L’éducation joue aussi un rôle décisif dans l’action de réconciliation et de reconstruction entreprise dans le cadre des programmes nationaux de culture de la paix. Au Salvador, le premier grand projet à mettre en oeuvre consiste à produire des émissions de radio quotidiennes et à organiser des campagnes d’éducation non formelle à l’intention des femmes salvadoriennes les plus pauvres et les plus délaissées. Non seulement ce projet a été élaboré par des représentants du gouvernement, l’opposition du FMLN et les stations de radio, mais le comité technique qui effectue le travail quotidien du projet est lui-même constitué de représentants de ces trois composantes.
Le système éducatif, qu’il soit formel ou informel, quand il fait appel aux moyens de communication de masse, a joué le même rôle dans les programmes nationaux de culture de la paix mis au point au Mozambique, au Rwanda et au Burundi. Chaque fois, les principes directeurs sont définis lors d’une rencontre nationale ou par un comité directeur national, et les projets sont mis au point et exécutés par toutes les parties au conflit.
L’UNESCO a apporté une contribution importante à la réconciliation et à la culture de la paix en soutenant des médias indépendants dans un certain nombre de régions. Dans l’ex-Yougoslavie et au Rwanda, où la radio a, dans certains cas, été utilisée pour donner une image hostile de certains groupes ethniques, l’UNESCO, en collaboration avec d’autres organisations, a soutenu la mise en place de médias indépendants qui s’efforcent de surmonter les divisions ethniques et de favoriser la réconciliation. Un programme d’informations pour une culture de la paix destiné à être radiodiffusé est actuellement prévu dans le cadre d’un nouveau projet mis en oeuvre en Somalie. De même, le soutien de l’UNESCO aux radios communautaires et indépendantes rend possible l’utilisation des médias par les populations elles-mêmes au service de la paix et de la réconciliation à Haïti et dans les territoires autonomes palestiniens.
La formation est un élément essentiel des programmes nationaux de culture de la paix. Pour favoriser la coopération entre anciens ennemis dans le processus de développement, la priorité est accordée à la formation de “ promoteurs de paix “ qui ont pour mission d’aider ces derniers à mettre en oeuvre ensemble des projets de développement humain pouvant donner des résultats positifs pour tous. Ces promoteurs de paix, qui peuvent être enseignants, journalistes, travailleurs sociaux ou agents de développement, sont formés à l’utilisation de méthodes locales et universelles de médiation et de règlement des conflits. Une attention particulière est accordée aux soldats démobilisés comme promoteurs de paix et l’UNESCO parrainera, conjointement avec le gouvernement du Mozambique, une conférence internationale d’associations de soldats démobilisés qui se tiendra à Maputo (Mozambique) en décembre 1996.
Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est un effort mondial de formation en faveur du changement social non-violent qui transforme les conflits en action de coopération pour ce développement humain. Il faut qu’à l’école ou dans les médias populaires, les individus apprennent l’art du dialogue, de la négociation et du consensus en s’appuyant sur leurs propres traditions et expériences. L’UNESCO est prête à se charger de coordonner un tel effort mondial de formation, s’acquittant ainsi de sa mission qui est d’élever les défenses de la paix dans l’esprit des hommes et des femmes.
Dans le passé, l’UNESCO a contribué à répandre dans le monde les principes universels de justice énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans nombre d’instruments normatifs ultérieurs. Elle est maintenant prête à faire bénéficier chacun d’une formation à la transformation des conflits en reliant les systèmes éducatifs et les médias au processus de développement participatif. En même temps, l’association des actions en faveur d’une culture de la paix au processus de développement garantit que ces actions contribueront à réduire radicalement la pauvreté et l’exclusion qui sont le plus souvent à l’origine des conflits violents.
En promouvant une culture de la paix, il est possible de prévenir les conflits violents car les problèmes sont plus difficiles à résoudre une fois qu’ils ont atteint le stade de la crise. Bien que les initiatives prises pour prévenir les conflits soient souvent invisibles et passent inaperçues, elles sont à long terme plus économiques et durables, et elles sont la condition nécessaire des progrès du développement humain, de la justice et de la démocratie dont dépend notre avenir commun.