Henri Bauer, Caracas, Venezuela, juillet 2003
La démocratie, l’un des défis majeurs de la paix au Venezuela.
Dès son élection en 1998, le président Chavez, conforté par le soutien massif de la population, se réconfortait dans l’idée d’être le gouvernant qu’il fallait, que le Venezuela avait enfin trouvé le « bon » gouvernant. Il a mis en marche un processus politique nouveau.
Il affirmait que pour la première fois le Venezuela connaissait une véritable démocratie. Les gouvernements précédents étaient tous les partisans d’une fausse démocratie : ils s’érigeaient en représentants de la société alors qu’ils ne cherchaient que leurs intérêts de classe. Il s’agissait, selon lui, d’une minorité oligarchique ayant monopolisé la richesse économique et le pouvoir politique. Tous les gouvernements l’ayant précédé avaient cherché, d’abord, leur enrichissement privé et avaient entraîné la dégradation des conditions de vie de la population. C’était cela, à son avis, la véritable corruption du système.
Le président a voulu mettre en œuvre une démarche politique de remplacement de la démocratie représentative par la démocratie participative. La population n’aurait plus de représentants politiques, mais elle-même, par sa participation au nouveau projet révolutionnaire, deviendrait le seul protagoniste de son destin. La révolution ne serait plus le fruit d’une élite mais d’un peuple lancé dans une odyssée révolutionnaire.
Les anciens responsables et leaders politiques, considérés comme responsables de la crise vénézuélienne et esclaves du système ancien, furent exclus du projet de construction de cette forme de démocratie : n’appartenant pas au « peuple révolutionnaire » ils n’existaient pas. Les nouveaux leaders et responsables politiques étaient la véritable « voix du peuple », ils étaient « le peuple ». Un peuple qui retrouve dans son « lider » sa véritable identité, car c’est lui, issu du peuple, qui porte les intérêts du vrai peuple. Le « lider » connaît bien le peuple, ses attentes, ses souffrances, ses angoisses, ses rêves… Il le comprend, c’est pour cette raison qu’il lui revient la responsabilité de conduire les destins du peuple vers la révolution en marche.
Les autorités politiques à tous les niveaux, les institutions elles-mêmes, sont passées d’une domination charismatique à une relation de soumission : toutes les formes du pouvoir devaient fonctionner au service du peuple révolutionnaire et donc sous l’autorité du pouvoir éxécutif : le président de la République centralisait en sa personne tous les pouvoirs. À partir de la croyance selon laquelle la totalité de la population vénézuélienne ne pouvait que le soutenir, que personne ne voulait s’opposer à sa révolution, le président ne voyait pas que les conditions politiques qu’il imposait à l’ensemble de la société empêchaient toute critique, voire des tentatives d’opposition. Le pouvoir politique s’est personnalisé. La démocratie représentative, les institutions politiques, les partis, furent remplacés par le nouveau caudillo, le président de la République. Puisque, selon le caudillo, il était impensable que quelqu’un ait l’intention de s’opposer à ses bonnes intentions et à son bon gouvernement, ce dernier a assumé une politique de répression sélective de toute opposition.
L’autoritarisme, le populisme et le messianisme politique ont d’ores et déjà provoqué des ravages en Amérique latine. Les divisions sociales et l’instauration de la lutte des classes ont déjà provoqué des guerres civiles sanglantes. L’un des grands défis pour la paix au Venezuela concerne aujourd’hui la construction d’un régime démocratique où tous les acteurs sociaux puissent se retrouver pour élaborer ensemble un projet de nation.