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, Paris, April 2016

Le droit international se meurt-il ?

La remise en cause de l’interdiction du recours à la force.

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« Il faut combattre contre tous ceux qui enfreignent les Conventions, les ignorent ou les oublient. Il faut combattre pour les faire appliquer. Il faut combattre pour les dépasser. Il faut combattre pour en faire admettre l’esprit si les textes en sont imparfaits. » Marcel Junod, Le troisième combattant.

Tout comme le droit interne régit la société interne, le droit international a la lourde tâche de régir la société internationale. Les plus grands utopistes ont tous rêvé de créer une sorte d’État-monde, de soumettre tous les États à un gouvernement mondial qui mettrait en échec les souverainetés nationales. L’abandon général de la souveraineté étatique ne restera cependant que dans les rêves les plus fous de ces juristes idéalistes, et leurs aspirations ont dû se contenter d’une organisation internationale, l’Organisation des Nations Unies (ONU). Ce pacte social international qu’est la Charte de San Francisco ne place pas les États sous l’autorité d’un quelconque organe, mais par sa signature ils ont accepté de se soumettre à cette norme internationale. Cette approche volontariste du droit international explique à elle seule ses forces et ses faiblesses. L’application, l’interprétation et l’évolution de ce droit sont sources de nombreux débats et cristallisent les tensions des relations internationales ; un principe notamment, l’interdiction du recours à la force.

De l’interdiction du recours à la force, pierre angulaire de la paix et la sécurité internationale.

Avec la charte des Nations Unies, le droit international se transforme. Elle vient parachever une lente construction. Le droit international évolue d’un droit de la coexistence à un droit de la coopération. Il bascule d’un jus ad bellum, un droit qui réglemente le recours à la force, à un jus contra bellum, un droit qui interdit un tel recours. Cependant, aujourd’hui, le principe fondateur du droit international moderne est remis en question. Les guerres, devenues illégales font encore partie intégrante des relations internationales. Nous développerons deux éléments qui mettent en péril ce principe ; l’interprétation large des textes qui a pu donner naissance à la notion de guerre préventive, ainsi que l’apparition de nouveaux acteurs sur la scène internationale, les sociétés militaires privées.

I. La légitime défense préventive.

L’évolution du droit international passe notamment par l’interprétation des normes internationales, comme celui du principe de légitime défense.

Véritable pendant de l’interdiction du recours à la force et illustration du droit à la survie des États, la légitime défense selon l’article 51 de la Charte des Nations Unies prévoit que « Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations unies est l’objet d’une agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. » A noter, tout d’abord, la distinction, et même l’opposition, entre les notions de guerre « préventive » et de guerre « préemptive »1. La notion de guerre préemptive consiste dans le fait de frapper le premier lorsque l’attaque est certaine et imminente, avec l’éternel problème de la preuve. L’Israël a notamment invoqué cette doctrine à l’occasion de la guerre des 6 jours. Alors que la guerre préventive consiste en une attaque ayant pour objectif qu’un ennemi plus faible ne devienne un jour assez fort pour remettre en question la domination d’une entité supérieure. Par cela, nous voyons que la guerre préventive est l’apanage des plus forts. La guerre préventive revient à la volonté de détruire un ennemi potentiel, elle revient à le détruire sur la base d’une simple crainte. Si la notion est compréhensible, il est évident que le fondement juridique est inexistant et l’acte illégal.

Lorsque le président Bush présente le 1er juin 2002 une stratégie globale influençant à la fois la politique étrangère de la première puissance mondiale, mais aussi l’emploi et le commandement de son armée, il présente une doctrine qui s’appuie sur une vision stratégique de la défense2. Le président étatsunien déclarait alors que les États-Unis agiront contre les menaces avant mêmes qu’elles n’éclosent, permettant de ce fait l’utilisation « préventive de la force contre les terroristes ou les États qui les accueillent, qui détiennent, essaient de détenir ou d’employer une arme de destruction massive (ADM)".3 Le terrorisme et la prolifération des ADM étant en effet les deux principales justifications de cette nouvelle approche de la sécurité internationale.

Les promoteurs de la doctrine de la guerre préventive avancent l’argument suivant ; étant donné d’une part la facilité avec laquelle un État, ou un acteur non-étatique, peut se procurer une arme de destruction massive, qu’elle soit biologique, chimique ou encore nucléaire ; et d’autre part la croissance exponentielle du danger que représente le terrorisme aujourd’hui, la guerre préventive n’est plus absurde. La menace lointaine, se confondrait effectivement avec la menace immédiate. Ainsi, si l’invasion de l’Irak a été fondée sur la détention par Saddam Hussein d’armes de destructions massives, leur absence, aujourd’hui vérifiée n’a pas entraîné une remise en question l’intervention par la coalition. G.W. Bush déclara en effet que si S. Hussein n’était pas en possession à ce moment d’ADM, il le souhaitait, ce qui fondait l’intervention militaire préventive. Si le soupçon suffit à fonder une intervention préventive le problème de la preuve n’en est plus un. Ainsi la condition qui pouvait encore rattacher la guerre préventive à la légitime défense disparaît, le risque d’une attaque encourue par une État, disparaît.

A la lecture de la charte, la guerre préventive ne semble en aucun point légale. Ni de par ses conditions, une attaque armée, ni de par ses buts, faire cesser une agression. L’intervention préemptive doit, quant à elle, être analysée plus en détails.

Le chapitre VII de la charte des Nations Unies4 « Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression » pourrait trouver à s’appliquer. Après la constatation d’une menace, le Conseil de sécurité, peut choisir d’intervenir afin de maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationale. Cette possibilité d’intervention dans le but de maintenir la paix consiste en ce que nous avons défini comme étant une intervention préemptive. Celle-ci, légitimée par une décision du Conseil de sécurité deviendrait donc légale. La légitime défense, prévue à l’article 51, a pour but de contourner les lenteurs du Conseil afin de faire cesser le plus rapidement possible l’agression. Par conséquent, l’intervention préventive pourrait naître de l’interprétation commune des articles 42 et 51.

Un concept est fréquemment avancé pour défendre la guerre préemptive, celui d’agression imminente. L’intervention préemptive est considérée par beaucoup comme le simple prolongement de la légitime défense. La condition d’une attaque préalable est critiquée par de nombreux juristes. Selon eux, si, et seulement si, l’agression est imminente et certaine, il est impossible d’obliger un État à subir une attaque avant d’avoir la possibilité de recourir à la force dans le but de la faire cesser. Cependant, si une telle interprétation est faite de l’article 51, il est nécessaire que la preuve de l’imminence de l’agression soit sans équivoque, preuve qui semble être impossible à apporter. Si, pour admettre une attaque préventive, nous nous contentons d’un éventuel faisceau d’indices qui désignerait une agression certaine et imminente, telles que la rupture des relations diplomatiques ou la mobilisation de troupes, ne précipiterons-nous pas cette guerre qui semble, en l’état actuel des événements, encore évitable ? De même, l’argument assimilant une menace d’agression à une agression5 elle-même a été balayé par la Cour International de Justice (CIJ). La cour est en effet très prudente sur l’interprétation de l’article 51 ainsi que sur la preuve qu’il faudrait apporter pour justifier une légitime défense préemptive.

Il faut enfin rappeler que, bien qu’étant définit comme un droit naturel des États, la légitime défense n’en demeure pas moins un droit d’exception. Par conséquent, cette exception doit s’interpréter de manière restrictive, permettant au principe clef de l’interdiction du recours à la force de garder la prépondérance qui lui est nécessaire.

II. La privatisation du recours à la force.

Depuis une vingtaine d’année, de nouveaux acteurs sont apparus sur la scène internationale, les sociétés militaires privées (SMP). Tel Andrea Doria, célèbre condottière, qui vendit ses services aux plus offrant et fit preuve d’un apolitisme exemplaire en servant huit camps différents6, les sociétés militaires privées proposent officiellement à leur client toute une gamme de services. Des conseils en stratégie militaire, un entraînement de leurs soldats, une expertise en armement ou encore une protection de zones stratégiques. Cependant, ces activités ne sont pas les seules exercées par les contractors7. Plusieurs acteurs s’inquiètent de la participation directe de ces soldats aux hostilités.

Une des problématiques qui se posent est celle de la qualification des employés des SMP. Ni soldat, ni mercenaire, ni civil, leur statut hybride et flou ne permet pas, à l’heure actuelle, de qualifier juridiquement leur fonction. De par ce vide juridique apparaît un danger considérable. L’absence de qualification juridique rend quasiment impossible toute responsabilité, que ce soit des employés eux-mêmes, des sociétés ou des États commanditaires.

Autre problématique majeure, l’obscurité dans laquelle agissent les sociétés militaires privées remet en cause de nombreux principes du droit. L’interdiction du recours à la force n’est effectivement applicable, avec de grandes difficultés, qu’aux États qui agissent dans un cadre officiel. Les sociétés militaires privées agissant dans la clandestinité, les États commanditaires peuvent alors contourner les principes du droit international. Si, évidemment, des opérations spéciales menées par les forces régulières des États, ont lieu et sont également susceptibles de violer des principes internationaux. La responsabilité des États est plus éloignée, plus floue et bien plus difficile à mettre en œuvre lorsqu’il ne s’agit que de membres privés.

Par ailleurs, ces soldats de fortune n’étant que de simples employés fournissant un service contre rémunération, pourquoi le recours à ces sociétés ne serait possible que pour les États ? Ainsi, aujourd’hui il est envisageable que les États ne soient plus les seuls à pouvoir intervenir militairement. Si pour le moment, les services militaires des SMP sont essentiellement loués par des États, des entreprises privées pourraient un jour devenir des acteurs des relations internationales en ayant leur propre armée de mercenaires.

Autre aspect inquiétant de cette clandestinité, la violation des droits fondamentaux et du droit humanitaire. De nombreuses et sérieuses allégations de violations commises par des contractors ont été rapportées. Tortures, traitements inhumains et dégradants, massacres de civils, exécutions sommaires, viols, … la liste de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis par des contractors est longue et risque d’être sans fin si aucune réaction normative n’est prise.

Enfin, il faut noter que la logique pacifique du droit international, l’objectif de l’instauration d’une paix durable par le droit, est en complète opposition avec la logique mercantile des sociétés militaires privées. Les sociétés militaires privées ne sont en effet pas présentes pour agir sur les causes sous-jacentes d’une situation mais pour régler une crise sécuritaire. A leur niveau, une paix durable ne représente aucun avantage, elles n’ont donc aucun intérêt à œuvrer dans le sens du droit international.

La marchandisation du recours à la force, remet en cause des principes fondamentaux du droit international et permet la violation en toute impunité des traités et conventions. L’absence de sanction des actes commis par contractors nous renvoie au problème plus global de l’application du droit international.

La nécessaire adaptation du droit international.

Par ses propos conclusifs, il est important de rappeler ce qui fait l’essence du droit international, ses valeurs. L’éternel débat juridique entre la légalité et la légitimité est, encore une fois, au cœur des discussions. Nous l’avons vu à travers ces deux sujets brièvement développés, le droit international public tel que nous le connaissons est remis en question, et avec lui les valeurs et la vision du monde qu’il défend. L’interdiction du recours à la force, avec d’autres principes tels que le droit de non-ingérence ou l’égalité souveraine des États, fondent l’ordre mondial et sont autant d’outils destinés à protéger les populations du fléau de la guerre. Cependant tous ces outils sont aujourd’hui remis en cause laissant entrer l’économie de marché dans les facteurs d’évolution et oubliant les leçons du passé. Le droit international public est la branche du droit la plus politique mais c’est aussi la plus humaniste. Du droit de la coexistence au droit de la coopération, la défense de la paix et de manière sous-jacente, la défense de l’être humain, doivent rester au centre des préoccupations de la norme. Si l’homme a créé lui-même, par sa propre folie, l’instrument de sa destruction, c’est le rôle du droit de le protéger.

Notes

1Le terme « préemptive » n’existe pas dans le dictionnaire français mais est fréquemment utilisé afin de différencier les notions telles que le permet la langue anglaise. Nous nous permettrons donc ce néologisme. Voir par exemple la différenciation des notions par Alia Al Jiboury – www.irenees.net/bdf_fiche-notions-175_fr.html

2Sur l’emploi de la guerre préventive dans la stratégie étatsunienne, voir La guerre préventive : une stratégie illogique par Stephen M. WALT – www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/10_138-152.pdf

3Discours de G. W. BUSH devant l’académie militaire de West Point, 1er juin 2002.

4A consulter sur www.un.org/fr/documents/charter/chap7.shtml

5Argumentation née de l’interprétation de l’avis de la CIJ du 8 juillet 1996 sur la Licéité de la menace ou de l’emploi de l’arme nucléaire. « La question de savoir si une intention affichée de recourir à la force, dans le cas où certains événements se produiraient, constitue ou non une «menace» au sens de l’article 2, paragraphe 4, de la Charte est tributaire de divers facteurs […] Les notions de «menace» et d’«emploi» de la force au sens de l’article 2, paragraphe 4, de la Charte vont de pair, en ce sens que si, dans un cas donné, l’emploi même de la force est illicite - pour quelque raison que ce soit - la menace d’y recourir le sera également »

6www.universalis.fr/encyclopedie/andrea-doria/ M. BALARD," DORIA ANDREA - (1466-1560) ", Encyclopædia Universalis 

7Terme anglais employé pour définir les employés de sociétés militaires privées.