Cyril Musila, Kinshasa, 2015
Paix et sécurité en Afrique centrale
Les conflits et l’insécurité y sont multiformes et les États disposent très peu des capacités d’anticipation et d’adaptation, d’où la pertinence d’une stratégie de coopération régionale pour tenter d’enrayer le phénomène.
Où en sont la paix et la sécurité en Afrique centrale ? Depuis la fin de la décennie 90 et le début des années 2000, l’Afrique centrale est en proie aux mêmes défis politiques et sécuritaires que le reste du continent. Trois pôles géographiques concentrent ces défis : d’abord la région des Grands Lacs avec pour épicentre la République Démocratique du Congo (RDC) et dans une moindre mesure le Burundi, son voisin ; ensuite le fragile bassin du Lac Tchad impliquant la partie septentrionale du Cameroun, le Tchad et la République Centre Africaine (RCA), et enfin le golfe de Guinée où la piraterie, les trafics maritimes illicites et les attaques en mer touchent le Cameroun, le Gabon, la Guinée Équatoriale, Sao Tomé et Principe.
La Trente-sixième Réunion Ministérielle du Comité Consultatif Permanent des Nations Unies chargé des Questions de Sécurité en Afrique Centrale (CCPNUQSAC) tenue à Kigali du 20 au 25 août 2013 permettait à la Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale (CEEAC) de présenter le panorama géopolitique et sécuritaire de la sous-région dans les domaines de la paix, de la sécurité et de la stabilité, notamment en ce qui concerne les acquis, ainsi que les menaces au sein de la sous-région d’Afrique Centrale.
Le panorama géopolitique régional dans son ensemble présenté par cette réunion s’articule autour de quatre enjeux majeurs, à savoir :
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les dysfonctionnements politiques et institutionnels d’un côté, la fragilité des processus démocratiques avec des conflits électoraux de l’autre ;
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la sécurité intérieure et transfrontalière menacée à la fois par des trafics illicites, par des groupes armés ou des groupuscules terroristes marqués par leur propension à multiplier des ramifications transfrontalières;
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les enjeux liés à la gouvernance, à la situation humanitaire et aux droits de l’homme ;
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la situation interne dans plusieurs États minés soit par l’instabilité politique quasi chronique soit par l’insécurité causée par des groupes armés.
Ainsi, l’actualité de la sécurité de la sous-région est accaparée par ces trois pôles géographiques sensibles et fragiles d’Afrique centrale où on rencontre ces quatre enjeux. Or, depuis le milieu des années 2000, deux de ces zones ont de plus en plus rapproché leurs dynamiques d’insécurité.
En effet, les rebelles de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) ougandaise sont non seulement actifs dans le nord-est de la République Démocratique du Congo (RDC) où écument déjà des dizaines de groupes armés, mais ont également rejoint la République Centre Africaine (RCA) qui est elle-même en constante instabilité politique et malmenée par les coupeurs de route ou les anciens militaires en débandade. La RCA est devenue depuis le coup d’État de mars 2012 la principale préoccupation de la CEEAC au point d’absorber les attentions de la sous-région pour restaurer un minimum de sécurité là où l’instabilité politique s’est muée en conflit inter–communautaire, impliquant les appartenances religieuses.
Dans le bassin du lac Tchad on constate la résurgence de la menace terroriste de l’extrémisme islamique du groupe nigérian Boko-Haram qui menace non seulement le Nigeria, mais s’est étendu sur le Cameroun et le Tchad, tout en menaçant la RCA.
Quant à l’insécurité maritime, sa manifestation de départ était la piraterie à la fin des années 1990 avec pour épicentre la région du Delta du Niger, sur la côte du Nigéria. D’où elle a progressivement essaimé vers d’autres pays riverains, en s’appuyant sur des réseaux de criminalité. C’était l’époque du MEND, Mouvement pour l’Émancipation du Delta du Niger, dont les actes de piraterie contre le secteur pétrolier relevaient de la survie économique et du brigandage ordinaire. Un cap a été franchi entre 2010 et 2011, avec la multiplication des actes de piraterie commis en haute mer et recourant à des modes opératoires proches de ceux observés au large des côtes somaliennes. Les attaques perpétrées en golfe de Guinée prennent de plus en plus la forme de raids et détournements de bateaux, impliquant un niveau élevé de violence, jusqu’à terre. La piraterie en golfe de Guinée est désormais le fait de réseaux très organisés, disposant de ressources et des compétences significatives qui dépassent souvent celles des États.
Ce contexte géopolitique et sécuritaire donne à voir une Afrique centrale en pleine mutation, qui rend complexe la structuration de la conflictualité dans la sous-région. Non seulement les conflits et l’insécurité sont multiformes, mais les États disposent très peu des capacités d’anticipation et d’adaptation. Au contraire, des facteurs aggravants tels que la porosité des frontières, l’extrême pauvreté matérielle des populations, la mauvaise gouvernance des ressources du sol et du sous-sol (hydrocarbures et minerais), ainsi que la défaillance des services publics de l’État dans certaines parties de leurs territoires exacerbent les conflits.
Pareillement une combinaison de menaces cerne la sous-région : le narco-terrorisme et Boko Haram à l’extrême nord du Cameroun, au Tchad et dans une moindre mesure en RCA ; le braconnage industriel et le trafic de drogues ou d’armes en provenance et en partance des deux Soudans ; l’insécurité maritime dans le Golfe de Guinée; et la montée en puissance au sein de certains États d’une forme de criminalité dite « rituelle »1. Cette évolution ne fait que confirmer toute la pertinence d’une stratégie de coopération régionale aussi bien à travers la Communauté Économique des États d’Afrique centrale (CEEAC) - qui a mandat de la paix et de la sécurité régionale dans le cadre de l’Architecture de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine (APSA) - que la Conférence Internationale de la Région des Grands Lacs (CIRGL).
Notes
1Revue de la situation géopolitique et de sécurité des Etats membres du comite consultatif permanent des Nations-Unies chargé des questions de sécurité en Afrique Centrale (36e Réunion, Kigali, du 20 au 25 aout 2013, CEEAC, Secrétariat Général, Département de l’Intégration Humaine, de la Paix et de la Sécurité et de la Stabilité, Direction des Affaires Politiques du Mécanisme d’Alerte Rapide de l’Afrique centrale .