Arnaud BLIN, Grenoble, France, octobre 1996
Conversion interne et conversion externe
La fin de la décennie 1980 a été marquée par une révolution géopolitique qui paraît aujourd’hui lointaine. Alors que la révolution technologique de l’information et de la communication est en passe de changer de manière radicale nos sociétés et notre économie, tous les regards sont fixés vers l’an 2000, moment symbolique et porteur d’espoir. L’ultime décennie du second millénaire n’est-elle qu’une phase de transition ? C’est l’impression qui se dégage de la lecture de l’ouvrage que Lloyd Dumas et ses collaborateurs consacrent à la conversion, et plus particulièrement à son aspect socio-économique.
Aux États-Unis, le terme de « conversion économique » est un terme générique qui englobe tout ce qui touche à la conversion, y compris la reconversion des industries d’armement. Il n’est donc guère étonnant que la plupart des études consacrées à la conversion soient envisagées sous un angle économique. Lloyd Dumas, éminent spécialiste de la conversion basé au Texas, perçoit la politique de conversion américaine comme vitale pour l’avenir de l’économie du pays. C’est à travers la conversion d’une économie de guerre - de type guerre froide - vers une économie beaucoup plus pacifique que l’Amérique peut négocier le virage qui va l’amener aux portes du XXIe siècle. Les courants politiques qui ne renoncent pas à la mentalité de la guerre froide constituent l’un des obstacles majeurs à la mise en oeuvre d’une transformation à la fois nécessaire et inéluctable.
La « conversion économique » est l’un des éléments clefs qui permettront ce changement de cap économique. De manière générale, la conversion devrait aider l’Amérique à redevenir compétitive. Plus particulièrement, la conversion devrait engendrer une croissance économique capable de résoudre les problèmes de déficits budgétaires et commerciaux.
Quelles sont les transformations touchant au domaine militaire qui seront le plus capables de provoquer des changements en profondeur de l’économie ? Selon Lloyd Dumas, ce sont toutes celles qui visent au transfert de la recherche et du développement - y compris les ressources financières et humaines - du secteur militaire vers le secteur civil. La réduction des troupes ou la fermeture des bases militaires sont, dans ce sens, moins importantes. En effet, la recherche et le développement attirent aujourd’hui vers le secteur militaire ce que la nation a de plus précieux : ingénieurs, scientifiques, capitaux industriels. Jusqu’à présent, constate Dumas, la baisse des dépenses militaires aux États-Unis a surtout affecté les secteurs liés aux opérations et à l’entretien.
Depuis 1945, le gigantisme des dépenses militaires en Amérique a contribué à affaiblir sa base économique et industrielle par rapport à ses compétiteurs internationaux, en particulier l’Allemagne et le Japon. Aujourd’hui, nombreux sont les ingénieurs, les scientifiques et les managers dont l’expérience professionnelle se limite au secteur militaire. Aux cours des décennies, un fossé s’est créé entre le travail des civils et celui des militaires, y compris à formation et compétences égales. Même les grandes entreprises travaillant dans les deux secteurs ont préféré pratiquer des divisions séparées n’ayant aucun rapport l’une avec l’autre, tant sur le plan technologique que commercial. L’industrie militaire a la particularité d’être conduite par la performance, sans aucun souci du coût. Cela veut dire que :
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Certains capitaux sont trop limités aux besoins des armées pour être d’aucune utilité dans le civil.
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Certains capitaux ont une utilité dans le civil mais leurs coûts sont prohibitifs.
Selon Dumas, il faut comprendre ces difficultés avant d’aborder le problème de la reconversion industrielle et il est nécessaire de faire la distinction entre deux types de reconversions :
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La reconversion interne. Elle implique la reconversion totale d’une entreprise qui maintient ses ressources physiques et humaines tout en modifiant ses activités.
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La reconversion externe. Elle implique que les travailleurs précédemment employés par une entreprise liée au secteur militaire sont obligés de retrouver du travail ailleurs, à partir du moment où l’entreprise cesse ses activités.
Idéalement, la reconversion interne est la meilleure solution. Toutefois, dans bien des cas, ce type de reconversion est difficile à réaliser. En effet, la structure de certaines industries militaires, où le nombre d’ingénieurs et de managers est équivalent à celui des ouvriers spécialisés, est impossible à maintenir pour une entreprise commerciale, même lorsqu’elle évolue dans un secteur technologique de pointe. Et il faut aussi être réaliste : même les plans de reconversion interne les mieux pensés échouent parfois, imposant un repli stratégique vers une reconversion externe. Enfin, les entreprises du secteur militaire, en particulier les plus grosses, rechignent à effectuer des changements et préfèrent se battre pour garder leurs contrats avec l’armée, quitte à réduire leurs activités.
Chaque type de reconversion présente des avantages et des désavantages. La reconversion interne est avantageuse pour les travailleurs : leur vie n’est pas trop perturbée et ils peuvent bénéficier des programmes de formation professionnelle. Le défaut principal de la reconversion interne est qu’il est parfois plus difficile de modifier une structure existante que d’en construire une nouvelle. C’est là l’avantage de la reconversion externe qui puise dans les ressources disponibles pour établir une structure neuve parfaitement adaptée aux besoins commerciaux. Toutefois, les coûts, en particulier pour les travailleurs, sont très élevés.
Lloyd Dumas encourage plutôt la reconversion interne, tout en spécifiant qu’elle ne peut être efficace que lorsqu’elle se base sur une stratégie adaptée à chaque cas particulier. Une stratégie unique de la part de l’État aurait pour effet de ne servir la cause de personne plutôt que celle de tout le monde. L’État américain pourrait s’inspirer de certains programmes fédéraux du passé comme le GI Bill of Rights qui avait fourni à des millions de soldats démobilisés de la Seconde Guerre mondiale l’opportunité d’acquérir une formation professionnelle ou universitaire, avec un profit inestimable pour la société. Surtout, l’État doit créer une demande directe qui vise à modifier la nature de l’industrie - et donc à encourager une reconversion interne des industries de l’armement.
Conclusion
Lloyd Dumas s’intéresse au problème de la reconversion des industries d’armement depuis de nombreuses années. Il en connaît tous les rouages et ses solutions ont l’avantage de prendre en compte tous les obstacles qui peuvent se trouver sur son chemin, et de ne pas négliger, comme le font beaucoup, le destin des travailleurs. S’il se veut optimiste quant à l’avenir de la reconversion, Dumas n’en demeure pas moins réaliste et c’est ce qui fait la force de son argumentation - et lui évite aussi de sombrer dans le découragement comme certains observateurs trop idéalistes de ces derniers temps.