Fiche de défi Dossier : À la rencontre d’artisans de paix en Amérique latine, juillet-août 2003.

, Cusco, Perou, juillet 2003

Le sanctuaire « Machu Picchu » : la montée des conflictualités vertes.

Mots clefs : Ressources naturelles et paix. Préserver et partager les biens publics mondiaux. | Réorganisation de l'économie pour le partage équitable des biens à l'échelle régionale | Société Civile Locale | Communauté Indienne | Gérer des conflits | Amérique du Sud

Dès que le site de Machu Picchu a été connu dans le monde, il a évoqué des images d’un monde à la fois spectaculaire, mystérieux, mythique et mystique. Le monde occidental se dit ébloui du charme naturel d’un tel lieu. En effet, il s’agit d’une région très riche grâce à son histoire et à son architecture mais aussi grâce aux différents habitats qu’elle possède et à la grande biodiversité qu’elle contient. Les scientifiques ont pu classer dix habitats différents, allant des 6721 mètres des montagnes enneigées jusqu’à la forêt tropicale amazonienne. Afin de préserver de telles richesses, le gouvernement péruvien a établi le « Sanctuaire historique Machu Picchu » comprenant plus de 32 000 hectares. En 1983, l’UNESCO le désigna Patrimoine mondial de l’humanité.

Cette image idyllique masque une réalité de plus en plus dramatique. Les touristes qui affluent dans la région sont de plus en plus nombreux. Les populations locales s’ouvrent et s’adaptent à cette population touriste passant sans cesse avec sa culture, ses habitudes et ses capitaux. Les autorités locales tentent aussi de s’adapter et de répondre aux nouvelles exigences en matière de gestion des lieux.

De multiples conflits se développent entre différents domaines : la nécessaire préservation des ressources naturelles, les envies des touristes, les situations socio-économiques des populations locales, la préservation archéologique des lieux historiques, les exigences de l’administration, les intérêts commerciaux, etc. Les intérêts des différents acteurs qui se rencontrent à Machu Picchu sont aussi nombreux, différents et imbriqués que les habitats qu’ils prétendent protéger.

En 1988, puis en 1994, le ciel de Cuzco était devenu gris et la ville était couverte d’une couche de cendres provenant des nombreux incendies de la région de Machu Picchu. Des milliers d’hectares ont été embrasés par le feu qui emportait avec lui des milliers de plantes et d’animaux. Les incendies provoqués par les paysans éliminent chaque année des milliers d’êtres vivants entre juillet et août. Un sol de plus en plus appauvri par l’érosion et brûlé chaque année ne fait que perdre ses capacités de régénération. Cette destruction de l’environnement naturel de la région, en raison de la situation socio-économique des populations locales indiennes contraintes de cultiver des produits agricoles sur des terres de moins en moins fertiles qui seront par la suite vendus sur le marché à des prix dérisoires, est l’un des conflits majeurs pour la région andine.

Cependant, les conflits provoqués par les situations socio-économiques des populations pauvres ne sont ni les seuls ni les moins importants. L’exploitation du bois d’œuvre mise en œuvre par des agents industriels ou par de gros propriétaires terriens par des moyens détruisant profondément l’écosystème, par exemple lorsqu’ils abattent des centaines d’arbres pour n’en récupérer que quelques-uns « économiquement intéressants », ravage les forêts laissant les sols à nu et impropres à la culture.

Le flux de touristes se rendant tous les ans dans la région provoque de plus en plus un conflit à grande échelle. Les besoins en nourriture, en services, en produits de consommation, en infrastructures ou en énergie, suivent l’augmentation constante de la quantité annuelle de touristes. Les modes de vie des populations locales se trouvent bouleversés. Celles-ci tentent de s’adapter en remplaçant l’agriculture par des services aux touristes : les paysans deviennent hôteliers, restaurateurs, traducteurs, guides touristiques, les villages se transforment, les mentalités locales subissent des phénomènes d’acculturation ou de contre-acculturation, les rapports sociaux changent et de nouveaux conflits émergent. Le village d’Aguas Calientes, constitue un bon exemple de passage obligé des touristes se rendant à Machu Picchu. Aujourd’hui, les habitants de ce village, au début 100 % agricole, se tournent vers le tourisme, ils accueillent des populations agricoles venant chercher d’autres possibilités économiques. La croissance de la population et des services qu’ils rendent aux touristes les poussent à remplacer la forêt par des plantations et par de l’élevage…

Cet écosystème connaît une dégradation continue du fait du développement sans cesse accéléré des activités humaines, à tel point que la relation de dépendance réciproque qui prévalait il y a cinquante ans entre les populations et leur environnement naturel laisse place à des relations de domination des premiers sur le second.

L’administration d’une telle complexité de relations est devenue à son tour conflictuelle. L’autorité sur le sanctuaire est distribuée entre des communautés indiennes locales, des entreprises, des institutions gouvernementales qui, en raison de leurs projets divergents, sont à leur tour dans une dynamique de concurrence interne…

Les conflits sont de plus en plus nombreux entre des populations locales, qui ont des modalités particulières de gestion de la terre chargées d’éléments culturels et religieux, des intérêts privés portés par des entreprises qui développent des démarches rationnelles guidées par les valeurs du capitalisme, et les administrations qui mettent en place des politiques et des mesures concrètes guidées le plus souvent par les gains touristiques et commerciaux que la région peut produire.

La notion de « protection de l’environnement » rencontre d’importantes difficultés à être acceptée dans une région où s’affrontent un projet économique global visant à la mettre sur les voies du « développement » et une population vivant dans des conditions de pauvreté très importantes.