Fiche de défi Dossier : Equipes de Paix dans les Balkans : les processus de réconciliation au Kosovo

Paris, février 2008

Se rencontrer après un conflit  : imaginer un projet de voyage en dehors du Kosovo

Les obstacles et difficultés rencontrés par les volontaires internationaux et les locaux pour circuler librement dans une région marquée par la guerre et par les tensions inter-ethniques.

Mots clefs : Intervention civile de paix | Les difficultés d'une culture de paix dans une population ayant vécu la guerre | Espaces de partage et de transfert d’expériences pour la paix | Dialogue entre les acteurs de paix | Guerre du Kosovo | Equipes de Paix dans les Balkans | Les Balkans | Kosovo

Février 2005, plus de 5 ans après la fin de la guerre, les différentes communautés habitant le Kosovo – albanais, ashkallis, gorans, roms, serbes, et autres – n’ont pas encore trouvé les modalités pour vivre ensemble en paix. Ce territoire de Serbie est toujours sous protectorat des Nations Unies. Les communautés sont réparties sur le territoire selon leur appartenance communautaire : schématiquement, la communauté serbe habite dans le quart Nord du territoire, et quelques enclaves au Sud, lequel est majoritairement habité par la communauté albanaise.

Cette situation complique considérablement les déplacements des uns comme des autres, aussi certains se sentent-ils « comme dans une prison » car ils ne peuvent se déplacer librement. Alors les volontaires de EpB – Equipes de Paix dans les Balkans, présents depuis 2001 pour des missions d’Intervention Civile de Paix, sont parfois sollicités pour accompagner ces déplacements en vue de les sécuriser.

Cette fois, il s’agit de conduire un Kosovar d’origine albanaise dans la ville de …* en Serbie – c’est-à-dire en dehors du Kosovo – pour qu’il puisse y récupérer des documents d’état civil (qui y ont été transportés durant la guerre). Cette démarche implique pour lui la traversée de la partie Nord du Kosovo, considérée comme n’étant pas sûre, voire dangereuse. Un transport dans une voiture immatriculée à l’étranger, conduite par une volontaire internationale de EpB, lui permet d’envisager ce voyage avec plus de sérénité. Un de ses amis, également de la communauté albanaise mais parfaitement serbophone, les accompagne pour faciliter la communication.

C’est l’hiver, les routes en mauvais état sont difficilement entretenues, la voiture dérape sur une plaque de verglas et immobilise le véhicule … du « mauvais côté » : deux Kosovars Albanais, accompagnés d’une internationale qui ne parle pas les langues locales, se retrouvent bloqués dans la partie serbe du Kosovo, dans cette période de post-conflit non stabilisée…

Coup de chance : une voiture de police arrive rapidement sur les lieux et les dépanne sans difficultés – la police du Kosovo est constituée de policiers Kosovars (Serbes ou Albanais) et internationaux. Le véhicule est tracté jusqu’à Leposavic où se trouve la gendarmerie la plus proche, laquelle est heureusement située juste à côté des bureaux d’une ONG internationale. Après les déclarations utiles auprès des forces de l’ordre, les passagers trouvent asile auprès de cette ONG pour chercher un moyen d’être rapatriés vers le Sud du Kosovo. La visite opportune d’une volontaire d’une autre ONG internationale, motorisée, permet à chacun de rentrer à bon port.

Mais la voiture est restée immobilisée à Leposavic, où aucun garage ne pouvait la réparer. L’assurance la fait transporter à …*, en Serbie – où elle ne peut rester plus d’un mois sans payer de fortes taxes d’importation.

L’un des partenaires de EpB, Kosovar de la communauté serbe, propose alors ses services aux volontaires de EpB pour faciliter le rapatriement du véhicule grâce à sa connaissance du pays et de la langue. Une réparation s’avère nécessaire, et les pièces sont difficiles à trouver. L’aide de ce jeune acteur de paix kosovar se révèle donc plus que précieuse pour effectuer toutes les démarches avec patience et persévérance – jusqu’au passage à la « frontière » entre Serbie et Kosovo. Au cours de ce voyage de retour, la volontaire EpB interroge donc naturellement ce partenaire si efficace sur les modalités qu’il souhaite pour le dédommager pour son aide.

Mais l’histoire se passe au Kosovo, où la solidarité et l’entraide existent simplement. Il n’attend donc pas de dédommagement, mais comprend bien que l’interlocutrice internationale, reconnaissante, souhaite le remercier.

Il lui répond alors comme une boutade : « Ce qui me ferait plaisir, c’est que EpB organise un voyage en France pour les partenaires du Kosovo. Nous pourrions nous retrouver ensemble, ceux du Nord et ceux du Sud [du Kosovo], rencontrer les partenaires de EpB en France, les personnes et associations qui font la même chose que nous, des politiques, discuter avec eux et apprendre comment vous travaillez en France … ». Attentive, la volontaire l’encourage à creuser un peu plus son idée – et s’engage à en étudier la faisabilité avec les autres membres de l’association.

Quelques semaines plus tard, les deux volontaires de EpB sont en réunion de travail hebdomadaire avec l’équipe d’animatrices « du Sud » de la ville. L’équipe de volontaires EpB va bientôt partir du Kosovo, faute de moyens financiers, et prépare ce départ avec ses partenaires depuis plusieurs semaines. Il leur a été demandé de réfléchir au soutien que EpB pourrait peut-être apporter depuis la France dans la poursuite de leurs actions favorisant la reconstruction du dialogue entre les communautés. Au cours de cette réunion, l’une des animatrices évoque alors l’idée de pouvoir venir visiter la France pour apprendre sur place comment les écoles et les associations travaillent la gestion des conflits, et continuer le partenariat autrement, en faisant part aussi de leur expérience.

De chaque côté de la rivière Ibar, dans chacune des communautés hier en conflit, la demande des uns rejoint celle des autres.

Ce n’est pas la première fois que Kosovars Serbes et Kosovars Albanais évoquent des idées de projets similaires – et qu’ils se heurtent aux mêmes difficultés : les déplacements et les rencontres en toute sécurité. Construire un tel projet entre eux est donc difficile, quasiment impossible. La présence d’un tiers, également engagé auprès des uns comme des autres, pourra faciliter cette élaboration commune – et, leur permettra peut-être de réaliser ce projet.

Notes

  • (*) : Le nom de la ville n’est pas mentionné ici pour respecter l’anonymat et la sécurité des personnes concernées par les événements relatés dans cette fiche.