Cheffi Brenner, Michel Doucin, janvier 2006
Le droit donné éventuellement à des organisations privées de représenter ou assister les porteurs de communications ne leur donnera-t-il pas un pouvoir politique déstabilisant pour les pouvoirs politiques ?
La question du rôle des organisations représentatives des sociétés civiles dans le fonctionnement des démocraties est l’objet de débats qui ont commencé avec l’apparition des institutions démocratiques elles-mêmes. La question de leur légitimité, qui serait inférieure à celle d’autres institutions politiques et sociales, parce que les associations, syndicats, fondations et ONG ne sont pas issus d’un processus électif transparent, est au cœur de la controverse. Ce à quoi certains répondent que les États sont, eux aussi, confrontés à des problèmes de déficit démocratique qui se répercutent sur leur fonctionnement judiciaire. (Nicolas Espejo Yaksic)
A partir de là s’expriment, selon la réponse faite à ces interrogations, inquiétude ou sérénité quant à ce que pourrait être la dimension politique du rôle joué par des organisations privées qui assisteraient des personnes qui présenteraient des communications à un comité chargé de les recevoir et de les instruire pour vérifier que les États satisfont leurs obligations au regard des engagements qu’ils ont pris en ratifiant le Pacte des droits économiques, sociaux et culturels et son protocole additionnel.
Les discussions qui ont eu lieu à ce sujet ont fait apparaître que dans de nombreux cas, l’appui ou le relais d’organismes privés sera le seul moyen pour les victimes de voir leurs revendications défendues de manière utile.
Mais des garanties existent pour que ce rôle n’acquière pas une dimension politique trop importante exerçant des effets déstabilisants sur des institutions considérées comme plus légitimes.
Le droit donné aux organismes privés de représenter ou assister les porteurs de communications comme moyen incontournable d’une protection efficace des droits économiques, sociaux et culturels
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Le collectif comme moyen de défense des intérêts individuels
Il apparaît tout d’abord utopique de penser que, concernant des violations de droits visant à garantir les humains contre l’exclusion sociale, économique et culturelle, la plupart des victimes, en situation de pauvreté, de mauvaise santé et/ou de carences éducatives, pourraient seules affronter le labyrinthe de procédures nationales (à plusieurs degrés), puis régionales et enfin internationales/universelles (sans exclure les mécanismes sectoriels) susceptibles de reconnaître leur bon droit. Les victimes les plus défavorisées ont donc rarement accès à ces procédures. (Lucie Lamarche, Eric Tistounet)
C’est pourquoi « les droits économiques, sociaux et culturels sont à envisager, dans certaines conditions, de façon collective ». (Arto Kosonen)
En effet, le collectif peut s’avérer être le moyen approprié de défense des intérêts individuels, à l’exemple des situations et droits de populations autochtones. D’autres systèmes régionaux à l’exemple de celui africain accordent une place importante aux groupes et la Charte sociale européenne permet des réclamations collectives sur communication d’ONG. » (Didier Agbodjan)
« Les réclamations collectives peuvent jouer un rôle majeur, surtout dans les sociétés où les groupes ont un rôle important, comme c’est par exemple le cas chez les populations autochtones. » (Giorgio Malinverni)
« Les réclamations des catégories de personnes les plus défavorisées nécessiteront souvent l’intervention d’appuis, avec des implications financières. Si par hasard le protocole facultatif limitait la possibilité de tels soutiens dans la procédure de réclamation, cela exclurait les catégories les plus démunies et réduirait de façon considérable les avancées qui se sont produites aux plans national et régional. Si les personnes qui subissent des handicaps, parce que leurs lieux de travail et de vie ont été conçus comme si elles n’existaient pas, ont besoin pour leurs démarches d’appuis ayant des répercussions budgétaires, cela confirme la nécessité absolue de leur reconnaître leurs droits au travail et au logement ou de répondre au besoin de mettre en œuvre des réparations. La typologie des obligations a certes été développée dans le Commentaire général (du Comité PIDESC) qui a clarifié les différentes dimensions de chaque droit, mais sans qu’il faille y voir une raison de rejeter la possibilité que des groupes particuliers ou des plaintes spécifiques justifient d’aides ». (Bruce Porter)
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Une intervention légitime des ONG
Les ONG présentes ont pu donner de nombreux exemples du rôle de conseils ou de porte-parole indispensable qu’elles jouent dores et déjà aux plans national et régional, parfois même devant certains comités conventionnels des Nations Unies pour aider des populations défavorisées à faire reconnaître leurs droits. Par exemple, au Nicaragua, le Centro Nicaraguense de Derechos Humanos (CENIDH) est parvenu, par voie de justice à obtenir que le prix de l’eau soit bloqué pendant plusieurs années, ou bien encore que les titres de propriété des terres qu’ils cultivaient de longue date soient reconnus aux paysans qui, sans cela, auraient été expulsés.
La nécessité de comprendre le contexte socio-économique et culturel dans lequel s’inscrit une allégation de violation de droits économiques, sociaux et culturels devrait, au demeurant, rendre incontournable l’intervention d’organisations tierces apportant des éclairages complémentaires à un comité, qui, sans cela se trouverait fort démuni pour les apprécier. « Dans de nombreux cas, le comité chargé de traiter les plaintes va devoir prendre en considération la nature « polycentrique » des droits sociaux, et devoir enquêter au-delà des circonstances particulières rapportées par le plaideur, s’intéresser aux autres droits et besoins environnants, en particulier pour former sa décision relative à l’allocation des ressources financières. Aussi devra-t-il entendre des catégories de personnes qui n’auront pas les moyens de participer effectivement aux audiences, et il faudra qu’il cherche activement le concours d’autres groupes de personnes susceptibles de lui apporter des perspectives complémentaires et d’apprécier toutes les dimensions du cas traité. » (Bruce Porter)
Il y aurait d’autre part un certain paradoxe à tenir les associations, syndicats, groupes organisés et ONG à l’écart d’une nouvelle procédure visant à clarifier et mieux satisfaire les droits économiques, sociaux et culturels des populations vulnérables alors que l’évolution générale des institutions internationales tend, depuis deux décennies, à leur reconnaître un rôle croissant dans l’appui à l’expression des plus démunis. Ainsi, qu’il s’agisse des mécanismes d’élaboration et de mise en œuvre des Cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté ou de l’Initiative Pays Pauvres Très Endettés, ou encore des méthodes de lutte contre la corruption, la participation des organisations non gouvernementales est fortement sollicitée par les gouvernements concernés, les bailleurs de fonds et les institutions financières et économiques intergouvernementales. Une légitimité, fondée sur leur capacité à exprimer les besoins et attentes des exclus des systèmes de représentation traditionnels, sur la capacité à nouer des relations de confiance avec les « organisations de base », sur une certaine technicité professionnelle et sur la reconnaissance des médias (et à travers eux de l’opinion publique), est aujourd’hui de plus en plus reconnue aux ONG. (Michel Doucin)
Doit-on craindre que le Comité se trouve assailli de multitudes de communications présentées avec le soutien d’ONG par les milliers - ou millions ou dizaines de millions - de personnes qui ont à souffrir de violations de droits élémentaires ? L’ouverture de la possibilité de communications collectives devant le Comité de la Charte sociale européenne n’ayant pas produit l’explosion des demandes, au contraire, (32 à ce jour) il est apparu à plusieurs intervenants que cette crainte était très exagérée. A l’inverse, on pouvait penser que l’intervention d’ONG permettrait de rassembler un grand nombre de plaignants potentiels dans une même procédure, favorisant la rationalisation du fonctionnement de la nouvelle procédure.
L’existence de garanties pour éviter que cette possibilité ne constitue un facteur déstabilisant pour des pouvoirs politiques
Dans le domaine de la lutte contre la pauvreté, les évolutions récentes ont donné aux associations et ONG un pouvoir de représentation important des personnes que le handicap de l’insuffisance d’éducation tient à l’écart de la vie publique. Cela ne s’est pas pour autant traduit par des problèmes politiques majeurs, les institutions politiques plus classiques ayant compris que le développement de la société civile accompagnait la maturation de tout système politique moderne.
Certes, « la bonne gouvernance dépend dans une large mesure de la légitimité des gouvernants et de leur sens de responsabilité vis-à-vis de leurs populations. […] Malheureusement dans bon nombre de pays ouest africains, les gouvernants ne bénéficient pas d’une légitimité démocratique suffisante et ne se sentent pas souvent responsables vis-à-vis de leurs populations. Il s’ensuit parfois des exclusions de certains groupes sociaux de la vie politique et de l’accès aux ressources, ce qui peut aboutir à des tensions politiques fréquentes, voire à des contestations et remises en cause se traduisant parfois par des rebellions comme nous le montrent les conflits au Libéria, de la Sierra Leone et plus récemment de la Côte d’Ivoire. De telles situations sont à la base de l’instabilité politique que connaissent certains pays de la sous-région et constituent de sérieux freins à la réalisation progressive des droits économiques, sociaux et culturels. » (M.Vincent Zakane)
D’où l’importance que les exclus puissent être épaulés dans leurs démarches.
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La participations d’organismes privés à des procédures judiciaires ou quasi-judiciaires en tant que représentants des victimes assure une meilleure mise en oeuvre des droits protégés par les Etats
La référence incontournable demeure en la matière Tocqueville, dont le « De la démocratie en Amérique » n’a rien perdu de son intérêt. « Les sentiments et les idées ne se renouvellent, le cœur ne s’agrandit et l’esprit humain ne se développe que par l’action réciproque des hommes les uns sur les autres. […] Cette action est presque nulle dans les pays démocratiques. Il faut donc l’y créer artificiellement. Et c’est ce que les associations seules peuvent faire. (…) Dans les pays démocratiques, la science de l’association est la science mère ; le progrès de toutes les autres dépend des progrès de celle-là (1). (…) La liberté d’association est devenue une garantie nécessaire contre la tyrannie de la majorité (2). (…) Dans les pays où les associations sont libres, les sociétés secrètes sont inconnues (3). » Et, même si l’activité des ONG exerce une incidence sur la vie politique, « la liberté d’associations en matière politique n’est point aussi dangereuse pour la tranquillité publique qu’on le suppose, et (…) il pourrait se faire qu’après avoir quelques temps ébranlé l’État, elle l’affermisse (4). » Cette question renvoie également à celle de la situation du droit associatif dans chaque pays, notamment au fait qu’il soit garanti ou pas. (Michel Doucin)
Peut-on admettre dès lors que la procédure qui pourrait résulter du protocole additionnel permette à des groupes tiers de représenter les victimes ? « L’argument d’une politisation déstabilisante de ces organismes privés peut être utilisé par certains États pour contourner la revendication qui leur est adressée. La meilleure façon d’éviter cet écueil ou d’en minimiser la portée serait de garantir que c’est bien la voix de la victime qui s’exprime. Enfin, l’examen des communications se ferait dans le cadre de procédures contradictoires devant un collège d’experts aptes à discerner les fondements des communications, ce qui constitue une garantie supplémentaire contre le risque de déstabilisation de pouvoirs légitimes. » (Philippe Texier)
Les initiatives prises par un grand nombre d’États visant à consolider le pouvoir judiciaire, loin de voir en la société civile une rivale, y voient un partenaire. « Les organismes privés travaillent avec les pouvoirs politiques dont ils peuvent contribuer à asseoir la légitimité. Ainsi, à Madagascar par exemple, les actions identifiées pour les réformes (de la justice) touchent à la fois le Ministère de la Justice et les autres départements ministériels, mais aussi les organismes et organisations de la société civile, dans une démarche globale et systémique, pour assurer une meilleure coordination et synergie des actions. Dans sa finalité, la réforme vise à restaurer un État de droit et une société bien gouvernée et à accroître la confiance de la population dans son système de justice en le rendant plus accessible, plus humain et plus rapide. (…) Les actions visent au renforcement des capacités des ONG oeuvrant dans le secteur de la justice et à la mise en place de mécanismes de concertation entre le gouvernement et la société civile […avec la] mise en place récemment, pour la première fois à Madagascar, de la Plate-Forme de la société civile et l’appui […] à son organisation […]. La défense des droits des victimes ou groupes des victimes à travers une organisation de la société civile forte […] joue véritablement son rôle de pilier du système national d’intégrité. (Bakolalao Ramanandraibe)
Un citoyen d’un pays où une menace de famine avait été annoncée par les services de prévisions météorologiques et les agences internationales d’aide et qui estimerait que son gouvernement n’avait pas défini de politiques à la hauteur de la situation, qui aurait assigné celui-ci devant la justice nationale et aurait été débouté, pourrait-il s’adresser au comité onusien pour reprocher à son État un insuffisant respect de ses responsabilités de respecter, protéger et satisfaire le droit à l’alimentation ? Sans doute oui, mais le gouvernement du pays aurait tout loisir de démontrer, par exemple, que l’ajustement structurel qui lui avait été imposé par les IFI a désarticulé son ministère de l’agriculture, que ses appels à l’aide internationale pour détruire les nuages de sauterelles lorsqu’ils étaient en formation n’ont pas été entendus, que les abaissements de droits de douane que lui a imposés le dernier round de négociations dites du commerce et du développement, l’ont privé de capacités budgétaires de réponse, etc. Et si le plaignant, qui se sera fait assister des avocats d’une ONG internationale, cherche à démontrer que, par exemple, l’État s’est, dans le même temps, engagé dans de coûteuses politiques d’armement ou d’organisation de rencontres sportives, n’assumant pas ses responsabilités premières, le Comité aura certainement la sagesse de considérer que sa compétence s’arrête au seuil du terrain de la vie politique interne aux pays.
Si la mondialisation est difficile à contrôler, surtout son volet néo-libéral (Jean Marc Ayrault), un facteur accélère la reconnaissance du rôle des ONG dans la construction de l’état de droit : la prise de conscience du fait que « d’autres entités privées exercent aujourd’hui un pouvoir sur les droits qu’il s’agit de contrebalancer (Saadia Belmir). Dans de nombreux pays sont posées avec vigueur des questions telles que la portée de la notion de souveraineté face aux entreprises multinationales, ou encore le mouvement de délocalisation. La confrontation que permet la réflexion sur la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels est de nature à explorer de nouvelles pistes susceptibles d’apporter des éléments de réponse à ces interrogations. On constate une évolution simultanée du patronat, des syndicats et des ONG pour reconnaître le rôle et les limites des firmes dans la protection et le respect des droits de l’Homme. Le succès de l’initiative du Secrétaire général des Nations Unies, Global Compact, à laquelle plusieurs milliers d’entreprises - 350 en France- et des ONG ont adhéré, est un signe. » (Michel Doucin)
Le droit donné à des organismes privés de participer à des procédures judiciaires ou quasi-judiciaires en tant que représentants des victimes, encadré par des dispositions procédurales claires ne doit dès lors pas, dans un contexte mondial où sont apparus de nouveaux acteurs très puissants, se voir comme représentant une menace pour les pouvoirs politiques dans la mesure où il participe, au contraire, avec ces derniers à une meilleure mise en œuvre des droits protégés par les États.
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Le risque d’une instrumentalisation éventuelle des victimes
Une question, complémentaire de la précédente, trouve sa réponse dans des règles procédurales. Celle de l’instrumentalisation éventuelle des victimes. Le risque que des plaintes soient déposées à l’insu des victimes est réel et s’est vérifié à l’UNESCO. Ces introductions avaient, bien sûr, une dimension politique. (Arto Kosonen)
« Que les groupes parlent effectivement au nom des victimes et que ces dernières ne soient pas instrumentalisées doit demeurer un aspect primordial. Pour ce faire, l’examen du lien de causalité entre les violations dénoncées et le sort des victimes devrait être un point central. » (Philippe Texier)
Dans l’intérêt des victimes, la possibilité que la présentation des plaintes soit faite par des groupes de personnes - dont des ONG - recueille un avis général positif, pourvu que ce soit, avec leur consentement, et même, exceptionnellement, sans celui-ci lorsque démonstration serait faite qu’il y aurait nécessité parce que les victimes en seraient objectivement empêchées alors qu’elles subiraient des violations graves. Ainsi, dans la procédure CEDAW, le consentement de la victime est requis pour qu’une communication soit prise en compte, sauf dans les cas où il peut être démontré qu’il n’a pas été possible de le recueillir. (Shanti Daïriam)
Le CERD accepte de recevoir des communications individuelles et collectives. Dans ce dernier cas, il requiert comme condition, soit l’existence d’un préjudice direct collectif, soit le mandat de groupes de victimes donné à une organisation. (Régis de Gouttes)
Dans son rapport présenté en 1997, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels proposait que le Protocole facultatif reconnaisse au Comité la compétence de “recevoir et examiner des communications émanant de tous particuliers ou groupes relevant de sa juridiction conformément aux dispositions du présent Protocole”.
La question se pose alors de savoir si, au-delà des particuliers qui se prétendent victimes en propre d’une violation des droits du Pacte – qu’il s’agisse de personnes physiques ou, le cas échéant, d’organisations, ayant ou non la personnalité juridique –, il faut admettre que certaines organisations, ayant pour fin sociale de défendre les droits de l’Homme ou ayant une compétence reconnue dans un domaine couvert par le Pacte, puissent introduire une communication alléguant une violation du Pacte, sans disposer d’un quelconque mandat de la part de victimes identifiées, c’est-à-dire agissant en leur nom propre plutôt qu’au nom de victimes directes dont ces organisations assumeraient la représentation.
Le Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, adopté le 6 octobre 1999, assouplit les conditions auxquelles les victimes de la ou des violations alléguées peuvent être représentées, en prévoyant à titre subsidiaire – c’est-à-dire là où les victimes directes sont dans l’impossibilité soit d’introduire une communication elles-mêmes, soit même de donner mandat à un représentant pour qu’il agisse en leur nom – une substitution de l’auteur de la communication aux victimes directes.
Une même solution est adoptée par le Comité des droits de l’Homme dans son Règlement de procédure. Dans son rapport de 1997, le Comité avait seulement estimé devoir recommander “que le droit de présenter une plainte soit aussi accordé aux particuliers ou aux groupes qui agissent au nom des victimes présumées”, tout en faisant observer que “cette formulation devait être interprétée comme s’appliquant uniquement aux particuliers et aux groupes qui, de l’avis du Comité, agissent après avoir informé la (les) victime(s) présumée(s) et obtenu son (leur) accord”.
Une solution médiane consisterait à admettre que les victimes directes des violations dénoncées pourraient être dans l’impossibilité d’agir elles-mêmes en vue d’introduire une communication, et pourraient même se trouver dans l’incapacité de consentir à une représentation. En présence d’une telle situation, une victime “indirecte” pourrait se substituer aux victimes directes, et introduire une communication alléguant une violation de leurs droits y compris sans avoir recueilli leur consentement à cet effet. En revanche, l’introduction d’une communication alléguant une violation des droits que reconnaît le Pacte dans le chef d’autres personnes que l’auteur de la communication demeurerait exclue tant que les victimes directes ne sont pas dans l’impossibilité de donner leur accord. En ce sens, les victimes “directes” demeurent en principe maîtres de la décision de se plaindre, ou non, de la violation dont elles sont victimes : bien que les conditions de la représentation se trouvent assouplies, toute forme d’actio popularis demeure exclue.
Mais cette solution médiane comporte un certain nombre d’incertitudes.
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Tout d’abord en ce qui concerne les conditions auxquelles l’auteur d’une communication alléguant l’atteinte portée aux droits d’autrui, lorsque la victime directe n’aura pas été en mesure de consentir à l’introduction d’une communication en son nom, devra satisfaire.
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Ensuite la notion même d’incapacité des victimes directes demeure imprécise. Il paraît certain que des situations de violence généralisée ou une impossibilité physique d’avoir accès aux victimes (par exemple en raison de la privation de liberté dont elles font l’objet sans possibilité de rentrer en contact avec elles) peuvent effectivement justifier que l’on se passe de leur consentement explicite.
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Plus délicate est en revanche la question de savoir si le consentement de la victime peut être exigé lorsque celle-ci a accepté de renoncer au droit que lui reconnaît le Pacte, par exemple moyennant une contrepartie financière, alors que les conditions qui ont conduit à l’atteinte qui a été portée à son droit subsistent. Dans le cadre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, c’est une situation de cette nature qui se présentera le plus souvent : peut-on se passer, par exemple, du consentement de travailleurs amenés à travailler dans des conditions qui mettent en danger leur santé, mais qui reçoivent une rémunération compensant, à leurs yeux, un tel risque ?
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Compte tenu des risques que comporte, dans des situations comme celles-là, l’exigence d’un consentement de l’individu à être représenté dans le cadre d’une communication individuelle, il semble indispensable que les conditions mises à l’introduction d’une communication alléguant la violation des droits d’autrui sans son consentement soient clarifiées.
Si ces conditions devaient s’avérer trop restrictives, notamment dans l’hypothèse où les victimes directes des violations alléguées seraient tentées de renoncer à l’introduction d’une communication individuelle compte tenu des contreparties qui leur seraient proposées, il faudrait mettre à l’examen la possibilité que des communications individuelles puissent être introduites par certaines organisations dans l’intérêt d’une application satisfaisante du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels par l’ensemble des Etats parties ayant accepté le Protocole facultatif. Elle pourrait être réservée à certaines organisations non gouvernementales jugées suffisamment représentatives, ou ayant une compétence reconnue dans les domaines couverts par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Cela rendrait également possible une sélection parmi les organisations, ce qui aurait l’avantage de préserver le Comité des droits économiques, sociaux et culturels du risque d’encombrement par des communications abusives ou insuffisamment documentées, les organisations ayant le souci, dans le cadre d’un tel mécanisme, de préserver leur réputation de sérieux et leur crédibilité. (Olivier de Schutter)
Mais certains font observer qu’un traitement satisfaisant des communications individuelles suppose un pouvoir d’enquête, (Emmanuel Decaux) ce qui soulève l’objection que le Comité des droits économiques, sociaux et culturels pourrait rencontrer des difficultés à effectuer des enquêtes sans l’accord des Etats : elles n’auraient pas de base légale. (Sergey Chumarev)
Notes :
1. Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique Tome III - 1835 - Calmann Lévy - 1888 p. 186 et 188
2. Alexis de Tocqueville, Idem Tome II p. 38
3. Alexis de Tocqueville, Ibid, Tome II p. 39
4. Alexis de Tocqueville, Ibid, Tome III p. 201