Fiche de conférence Atelier : Israël-Palestine : stratégie non-violente et rencontre internationale pour la résolution du conflit.

Paris, 2004

Proche-Orient : La violence n’est pas un Droit de l’Homme

Intervention de David Berrué, le 10 avril 2004. Tribune du MAN pour le lancement de la campagne pour une force internationale d’intervention Civile de Paix en Israél et Palestine. Cette campagne a été lancée en 2005.

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Quand la violence est nécessaire pour faire évoluer un rapport de force en sa faveur, elle le demeure pour qu’il s’y maintienne. La violence est nécessaire pour obtenir la sécurité des Israéliens ? Elle le restera pour la garantir.

Telle est donc la stratégie d’Ariel Sharon, voilà la reconnaissance locale et internationale qu’il promet à son peuple : d’être le visage de l’oppression. D’être perçu et reconnu comme l’auteur et le commanditaire de violences à l’encontre d’un autre peuple. Et ce, durablement. Et ce, sans hésiter à instrumentaliser l’ensemble de la communauté juive, quelle que soit son lieu de résidence, et qu’elle le veuille ou non. Voilà pour les perspectives d’avenir, voilà pour la future carte mondiale des communautarismes.

Pire, plus absurde encore : cette violence n’est même pas suffisante à garantir la sécurité des citoyens israéliens. Tout juste est-elle la promesse de violences renouvelables. La sécurité des citoyens israéliens est-elle garantie, à l’heure où l’Etat probablement le mieux sécurisé au monde, militairement parlant, n’a jamais été à ce point vulnérable – et en tous cas victime –, face à la menace tant imprévisible qu’imparable des attentats-suicides ?

L’actuel engrenage guerrier piloté par l’état-major israélien a pour but de « démanteler » les « réseaux terroristes » palestiniens. D’en tarir la source, d’en supprimer l’origine – des émissaires aux inspirateurs. Mais peut-on démanteler la colère et le désespoir de tout un peuple ? Démantèle-t-on le désir de vengeance en accentuant sa volonté de revanche ? Délégitimera-t-on le terrorisme, le coupera-t-on de sa légitimité populaire en lui renforçant son statut de seule issue, de seule manière d’agir, de seule manière digne de mourir ?

La critique est bien évidemment valable pour ceux des palestiniens qui font le choix de la lutte armée, et en particulier du terrorisme. Quand bien même leur stratégie ferait-elle basculer le rapport de force en faveur des palestiniens : sur quelle base ? Peut-on, doit-on gagner à tous les prix ? Au prix du droit à assassiner ? Au prix du sacrifice des enfants ? Au prix du martyr de la population civile ? Au prix de l’exécution sommaire des « collaborateurs » ? Au prix de la pérennité des haines et du droit perpétuel à la vengeance ? A cet égard, n’est-ce pas criminel par procuration que de justifier cette logique, qui plus est à distance, en prétendant « comprendre » le désespoir des palestiniens ?

La victoire de la violence ne sera jamais que la victoire de ceux qui ont intérêt à la violence, contre ceux qui la subissent. La victoire de ceux qui ne se préoccupe ni de la vie humaine, ni de sa dignité, contre ceux qui en font leur revendication ultime.

La violence n’est pas un droit de l’homme. Elle n’est pas plus le droit de l’homme israélien que le droit de l’homme palestinien. La violence est un non-droit. La violence au service d’une cause juste la délégitime. Au Proche-Orient, la violence tant militaire que structurelle de l’Etat d’Israël a réussi à rendre inintelligible, des palestiniens, le légitime désir des israéliens de vouloir vivre en sécurité. De la même manière, le choix de la terreur de la part d’un certain nombre d’organisations armées palestiniennes a rendu inaudible, par les israéliens, la légitime aspiration des palestiniens à vouloir non plus survivre mais vivre, enfin, libre et en paix. La violence n’est efficace qu’à une seule chose : elle discrédite ceux qui l’utilisent, quel que soit le bien-fondé de leurs motivations.

Pourtant, il faudra bien en venir à un effort d’écoute, de compréhension, puis d’acceptation des besoins légitimes des uns et des autres, par les uns et les autres. Un cadre de régulation du conflit israélo-palestinien qui ne le prévoirait pas, qu’il soit négocié ou imposé – de préférence par les Nations-Unies – serait vain.

Dans la perspective préalable d’une diminution des violences, les multiples appels au déploiement d’une force internationale d’interposition, sur le terrain, paraissent enfin recueillir un écho. Nous observons avec intérêt, dans ce contexte, la réalisation courageuse des « missions civiles de protection du peuple palestinien » qui tentent de dissuader de l’impunité et des exactions, au cœur même de la guerre, et font acte de protection du peuple palestinien et de son président légitime. Que des VIP et des personnalités comme José Bové y participent nous paraît salutaire. Ils sauvent l’honneur. Mais est-ce suffisant pour sauver les palestiniens ?

Ces actions d’étrangers, ces « internationaux » s’engagent clairement pour un camp, se font son porte-parole, multiplient les déclarations politiques, manifestent… Mais combien de temps pourront-ils tenir avant de s’en aller et de laisser les Palestiniens seuls ? A l’heure où Israël commence à refouler et à expulser ces internationaux, au motif qu’ils sont objectivement partisans : n’y a-t-il pas le risque d’avoir laisser croire aux palestiniens que cette présence militante pourrait les protéger durablement ?

Les objectifs de telles initiatives d’intervention « militante » nous paraissent hasardeux. S’il s’agit de protester, il est possible de le faire auprès des ambassades d’Israël, des USA, et en faisant du lobbying auprès de nos autorités. S’il est question de « protéger le peuple palestinien », quelques centaines de citoyens étrangers ne suffiront pas, évidemment.

Ce qui nous paraît préoccupant, malgré la spectaculaire démonstration des missions civiles actuellement en cours, c’est ce qui se passera en cas de victimes parmi ces volontaires internationaux. N’y a-t-il pas là le risque de préparer un contexte hostile à toute intervention civile, par la suite ? N’y a-t-il pas le risque de rendre encore plus difficile la mise en place de missions civiles d’interposition mieux préparées, avec du personnel formé, un mandat clair et précis, une véritable stratégie de gestion de la sécurité, un objectif de présence sur le long terme et une éventuelle acceptation par Israël de cette présence ?

Ces questions nous amènent à penser qu’il serait plus intéressant de promouvoir les initiatives israélo-palestiniennes de résistance pacifique, sans option partisane autre que celle du droit et de la nécessité de son application. Aussi il nous paraît préférable de concentrer les efforts de solidarité sur le respect du droit international et des droits humains.

Le caractère impartial des tentatives d’intervention dans le conflit israélo-palestinien nous semble absolument essentiel, et prioritaire. Impartial, non pas dans le sens de ne prendre parti pour ni l’un ni l’autre, mais dans le sens de ne pas prendre parti pour l’un sans tenir compte de l’autre. Impartial dans le sens d’un double parti pris, en somme, en faveur de la justice et du droit.

Etre partisan, d’accord, mais de la justice et du droit avant de l’être des Palestiniens ou des Israéliens. C’est à cette mobilisation que veut inviter le Mouvement pour une Alternative Non-violente. Nous pensons que seule cette stratégie peut permettre aux grains de sable de non-violence de bloquer l’actuel engrenage de violences israélo-palestiniennes. L’enjeu, à ce titre, nous semble être de mettre les résistances civiles opposées à la logique de guerre, en Israël comme en Palestine, au cœur des attentions et des efforts de la Communauté internationale.

Le MAN appelle le gouvernement français, l’Union européenne et l’ensemble des dynamiques de solidarité à :

  • Appuyer les résistances à la logique de guerre en Israël et Palestine.

Des acteurs de paix israéliens et palestiniens font la démonstration tous les jours qu’il est possible, au cœur du conflit, de se battre pour la paix et la justice sans les armes de la violence. C’est, à notre sens, la seule stratégie qui peut permettre de ne pas tuer définitivement l’espérance en une issue politique du conflit, tant peu de crises, à l’instar du conflit-israélo-palestinien, ont pu à se point démontrer l’incapacité totale de la violence à résoudre quoi que ce soit.

  • Reconnaître le rôle décisif des sociétés civiles.

Seules les sociétés civiles israéliennes et palestiniennes disposent des clés et des ressources nécessaires pour œuvrer à une évolution politique du conflit. Contrairement aux initiatives diplomatiques qui jusqu’ici se sont limitées à des négociations au sommet, nous pensons que c’est l’implication des sociétés civiles qui est déterminante. Nous faisons l’hypothèse, malgré la fatalité de la situation actuelle, que la volonté des citoyens israéliens et palestiniens de parvenir à la paix peut se révéler plus forte et mieux partagée que des velléités réciproques de s’éradiquer.

  • Réfléchir sur des outils, ré-inventer des moyens non-violents de sortir de la violence.

Si nous restons mobilisés, si nous demeurons combatifs, c’est aussi parce que nous voyons autour de nous et dans l’Histoire des expériences de luttes qui permettent de ne pas désespérer. Bien sûr, rien n’est transposable et les conditions ne sont jamais les mêmes d’une situation à une autre. Mais les expériences d’un Ibrahim Rugova, d’une Aung San Suu Kyi, d’un Sous-Commandant Marcos, d’un Nelson Mandela, d’une Rigoberta Menchu ne peuvent-elles vraiment rien apporter ? N’y a-t-il rien à retenir de leurs expériences ?

Ce qui s’est passé en Colombie avec le vote d’un « mandat pour la paix », consistant pour la population civile à se prononcer massivement pour le choix de la négociation comme moyen de parvenir à la paix, aurait-il un sens en Israël-Palestine ?

Toujours en Colombie, des populations déplacées se sont déclarés « Communautés de Paix », et ont fait acte de non-collaboration avec les acteurs armés du conflit, bénéficiant à ce titre de la présence d’un accompagnement international protecteur leur permettant de sécuriser leur espace d’action. Cette expérience est-elle envisageable à l’échelle de camps de réfugiés, de municipalités, de quartiers, ou de territoires en Palestine ou en Israël ?

La Communauté internationale ne pourrait-elle pas, alors, garantir un accompagnement protecteur, via la présence d’observateur internationaux aux acteurs de paix affichant clairement leur choix de la non-violence – et qui par cet engagement même risquent vite de devenir la cible de ceux dont la violence sert les desseins ?

Notes

  • David Berrué est le chargé de campagne du MAN (Mouvement pour une Alternative Non-violente).