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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche de conférence Atelier : Dialogue entre militaires et société civile.

Kligenthal, 25 juin 2007

Quel voisinage en Asie centrale ? Perspectives de coopération régionale transfrontalière sur fond du rapprochement historique franco-allemand.

Présenté par M. René Cagnat, expert vivant en Kirghizie, auteur de livres et articles de presse.

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Des tensions annonciatrices de crises, il y en a partout en Asie centrale, et notamment depuis que l’Union soviétique a disparu. Vous ne sentez peut-être pas ces menaces et là justement est le risque. Car la conscience de la réalité est le seul moyen d’éviter un enchaînement d’expériences atroces.

Eviter cet enchaînement fatal, c’est ce que je souhaite à l’Asie centrale. Mais il faut pour cela que ses dirigeants et fonctionnaires soient vigilants, conscients du danger, qu’ils soient à même d’anticiper la dérive dans telle ou telle situation et d’éviter ainsi de tomber dans le précipice. Si toutefois on y tombe, il est possible d’en sortir, comme le prouve la triste puis très belle histoire que je vais vous conter.

 

I. La conséquence d’une décision prise à la légère : le destin d’une famille alsacienne.

Le IIème Reich allemand naît à Versailles, dans la France occupée, en 1871. L’Alsace-Lorraine est annexée à l’Empire allemand ; dès lors, les Français n’ont plus qu’une obsession : la reconquête de ces provinces.

En 1879, Gabriel Edelmann, mon arrière grand-père du côté allemand, s’enfuit en France, où il se marie et a 3 fils, dont mon grand-père Félicien. Le frère cadet de Gabriel, resté à Dingsheim, a, quant à lui, un garçon et une fille, « la tante Maria ». Grâce à elle un contact est maintenu entre frères et cousins, et ce jusqu’à la guerre de 14 –18. Là commence la tragédie.

Des 4 cousins germains, 3 servent dans l’armée française, 1 dans l’armée allemande.

Ce dernier est gravement blessé en 1916 sur le front russe. Côté français, l’aîné meurt à la bataille de la Marne en 1914, le cadet est gravement blessé en 1915 et le plus jeune est tué à 17 ans en 1916 à Verdun.

Malgré les efforts désespérés de la tante Maria, les deux cousins Edelmann survivants ne se rencontreront jamais : un mur de haine s’était édifié entre eux.

Etant donné les pertes familiales survenues lors de la seconde Guerre mondiale, je suis aujourd’hui le seul homme survivant d’une famille totalement détruite.

Vous imaginez l’éducation que j’ai reçue à mon retour d’Afrique en 1954 : elle se résumait dans les formules suivantes : « On ne serre pas la main d’un Allemand » ; « Sois un homme : tu auras à te battre contre l’ennemi héréditaire ».

Pourtant un événement décisif se produisit en 1947, à l’occasion du 8 mai, date d’anniversaire de l’Armistice. Je n’avais même pas 5 ans, la maternelle à laquelle j’appartenais était chargée de fleurir le cimetière, en présence du maire. Un bouquet à la main devant les tombes toutes propres des militaires français, mon regard fut attiré vers celles anonymes – et dans un état déplorable – des Allemands. Ce sont ces tombes là, que je décidai d’aller fleurir… Au moment où je posai mon bouquet sur les tombes allemandes, une main me saisit et me ramèna vers les tombes françaises.

Tout ceci pour révéler dans quel gouffre nous sommes tombés en Europe à la fin des années 40. Psychologiquement, nous sommes alors bloqués, haineux, repliés sur nous-mêmes, sans espoir… Mais un miracle se produisit :

II. La construction de l’Europe et de l’amitié franco-allemande.

Dès l’après-guerre, une petite équipe franco-allemande travaille dans l’ombre : celle de Jean Monnet, Robert Schuman et Konrad Adenauer. Pour surmonter les erreurs du passé, ils veulent chasser l’égoïsme national, le repli sur les valeurs nationales. Ils ont l’idée de promouvoir des actions limitées mais concrètes induisant une solidarité franco-allemande et dirigées par une Haute Autorité supranationale, c’est-à-dire indépendante des Etats.

Le 18 Avril 1951, le Traité de Paris institue la CECA (1) - Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier -, conclue entre l’Allemagne, la Belgique, la France, la Hollande, le Luxembourg et l’Italie. Au départ la résistance à cette initiative a été terrible, en France comme en Allemagne. Mais très vite les patrons d’entreprises se sont rendus compte à quel point l’entreprise communautaire permettait de mieux lutter contre la concurrence déloyale et favorisait les économies d’échelle.

Puis, le 25 mars 1957, est signé, toujours entre les 6 Etats, le Traité de Rome, instituant la Communauté Economique Européenne (CEE) ou Marché Commun (2). La Commission européenne contrôlée par un Parlement européen prolongeait le caractère supranational de la CECA.

Le 27 mai 1952, le Traité de Paris met en place la CED (3) - Communauté Européenne de Défense - et prévoit qu’elle doit aboutir à une structure politique communautaire. Les Parlements des 5 Etats ratifient, mais l’Assemblée nationale française refuse… L’Union de l’Europe Occidentale (UEAO) qui remplace la CED en 1954 avec 10 Etats fondateurs, n’est qu’un pâle succédané de la CED. Cet échec grave explique encore aujourd’hui le point faible de l’entreprise européenne, à la fois géant économique et nain politique.

Cependant, porté par un idéal mais aussi par une rationalité économique, le Marché Commun progresse au milieu des crises les plus invraisemblables.

Le 22 janvier 1963, à l’instigation du Général de Gaulle et du Chancelier Adenauer, naît le couple franco-allemand à l’occasion du Traité d’amitié et de coopération franco-allemand, dit « Traité de l’Elysée ». Dès cette époque les deux peuples se sont rapprochés. Des deux côtés du Rhin, la jeunesse refuse massivement toute survivance d’un passé qu’elle souhaite révolu. La notion d’ennemi héréditaire est une invention pour maintenir deux peuples en état d’hostilité. En réalité la haine ne tient pas longtemps lorsque les frontières deviennent transparentes, lorsqu’elles s’ouvrent au commerce, aux échanges humains…

La disparition des frontières intérieures, voilà bien l’acquis principal de l’Europe.

Enfin, l’aspect le plus spectaculaire de l’amitié franco-allemande, en tant que moteur de l’Europe est la création en 1987 d’une Brigade franco-allemande, élargie en 1992, sous le nom d’Eurocorps, à d’autres participants : Belgique, Espagne et Luxembourg. Elle constitue le noyau d’une défense européenne.

Tel est donc le chemin que nous avons parcouru en 55 ans, de 1952 à 2007, de la CECA à l’UE : plus de frontière, une monnaie et une économie communes, une défense européenne en gestation au sein de l’OTAN…

Mais le plus important est que ce processus de construction européenne, qui surmonte toutes les crises, semble irréversible.

 

III. Facteurs de crise et risques de conflits en Asie centrale.

L’Asie centrale se présente comme une vaste et riche oasis, mais aussi, comme une Golconde aux ressources énergétiques et minières exceptionnelles. Ceci, de tout temps, a suscité les convoitises des empires voisins, acharnés à y intervenir.

Aujourd’hui, le risque d’intervention est encore augmenté du fait que l’Asie centrale est une zone en général faiblement peuplée à proximité relative de « fourmilières », telles que la Chine et la péninsule indienne par exemple.

Les attentats du 11 septembre 2001 ont exacerbé encore l’importance géopolitique de l’Asie centrale en déclenchant l’intervention d’un empire lointain.

Que ce soit pour des raisons stratégiques ou économiques : l’Asie centrale est la seule région au monde où toutes les puissances permanentes du Conseil de Sécurité sont implantées : les Etats-Unis en Kirghizie et en Afghanistan, la Chine au Xinjiang, la Russie en Kirghizie et au Tadjikistan, la France en Afghanistan et au Tadjikistan, la Grande-Bretagne en Afghanistan. Par ailleurs, presque toutes les puissances nucléaires sont présentes en Asie centrale. Tout ce propos pour démontrer à quel point les grandes puissances regardent vers l’Asie centrale et y interviennent en profitant des failles qu’elles peuvent y trouver telles que :

  • L’opposition historique fondamentale entre nomades et sédentaires.

  • La situation démographique préoccupante, notamment dans la cuvette du Ferghana.

  • La situation politique actuelle qui présente des risques souvent liés à la succession des Présidents au pouvoir.

  • L’imprégnation maffieuse de l’Asie centrale : elle trouve sa source dans l’énorme production de drogue qu’est actuellement celle de l’Afghanistan. Or, une forte production de stupéfiants dans un pays donné est incompatible avec l’existence d’un Etat « normal ».

IV. Nécessité et possibilité d’une union centre-asiatique.

L’Europe et l’Asie centrale ont en commun une histoire faite de divisions intestines et de guerres civiles. L’Europe est finalement parvenue à s’unir alors pourquoi pas l’Asie centrale ?

Cette union est d’autant plus fondamentale que l’Asie centrale va être confrontée, ou est déjà confrontée, à des menaces considérables. Quelles peuvent être les conséquences d’une attaque des Etats-Unis contre l’Iran, de l’apparition d’un pouvoir islamiste extrémiste au Pakistan (voire en Afghanistan), de l’accroissement du trafic de drogue, de la montée en puissance chinoise face aux ressources énergétiques, minérales du Turkestan occidental dont elle a tant besoin et qui sont à sa portée immédiate ?

Mais si l’Asie centrale est dans l’obligation de s’unir, il faut reconnaître qu’elle ne part pas de zéro :

  • Sauf bien évidemment l’Afghanistan, vous êtes tous membres de la Communauté des Etats Indépendants (CEI) et bien que cette dernière ne soit pas un modèle de dynamisme, elle a créé l’Organisation du traité de sécurité collective. Cette structure a eu le mérite d’engendrer la Force de réaction rapide ; cette force est d’autant moins négligeable qu’elle s’accompagne d’un bouclier anti-aérien communautaire bien tenu par la Russie. Tout ceci pour montrer que parmi les Centre-asiatiques, les militaires sont ceux qui, de nos jours travaillent le plus ensemble.

  • Face à l’action russe, la Chine a mis en place une structure appelée Organisation de Coopération de Shangaï (OCS), qui comporte outre la Chine et la Russie, tous les pays centre-asiatiques (à l’exception du Turkménistan).

Mais toutes ces organisations inspirées de l’extérieur ont surtout pour but de contrôler, au profit d’un empire ou de l’autre, les pays d’Asie centrale…

A quand donc, l’organisation purement centre-asiatique qui parlera d’une seule voix face à l’extérieur ?

Le président Kazakh Nazabev a indiqué, le 9 avril dernier, que toutes les conditions étaient réunies pour que les pays d’Asie centrale se rassemblent, puis il a énuméré ce qui pourrait rendre ce projet viable : l’absence de barrières linguistiques, la complémentarité des économies nationales, l’abondance des ressources naturelles. Le plan Nazarbaev envisage une « intégration évolutive » : après la création d’une zone de libres échanges, l’apparition d’une union douanière, puis d’un espace économique commun.

La première réponse favorable est venue du président Bakiev, le 26 avril, qui a indiqué que le « Kazakhstan et le Kirghizstan étaient prêts pour cette union et qu’ils devaient consolider celle-ci sans attendre que l’idée mûrisse dans les autres Etats d’Asie centrale ».

Par ailleurs, les excellentes relations de Nazarbaev avec le nouveau président turkmène pourraient paver la voie d’une union préliminaire entre les trois pays de tradition nomade (le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Turkménistan) en attendant la participation des pays sédentaires. Mais les craintes sont grandes un peu partout que l’initiative de Nazarbaev cache un expansionnisme kazakh.

On voit ici les limites d’un processus d’intégration inspiré par le haut, par les Etats. Il conviendrait en réalité de recourir à la « Méthode Monnet » qui privilégie le choix d’une intégration dans un secteur limité mais stratégique tout en le confiant à une autorité supranationale : ainsi les pressions venues des Etats ou des empires environnants s’exercent de façon moins importante.

Ce secteur limité mais stratégique en Asie centrale existe, il s’agit de celui du partage des eaux. Pourquoi ne pas nommer, au niveau centre asiatique, un « Maître des eaux » chargé de la répartition impartiale mais parfaitement quantifiable de cette eau et créer ainsi une organisation supranationale du partage des eaux dans la région ?

Cette formule aurait l’avantage :

  • D’unir, autour d’un objectif commun, les peuples turcophones et persanophones du Touran.

  • De rétablir un lien avec le Turkestan oriental en demandant à la Chine qu’elle accepte de confier au « Maître des eaux » la gestion du débit de l’Ili.

Notes

  • Auteur de la fiche : M. René Cagnat, expert vivant en Kirghizie, auteur de livres et articles de presse.

  • (1) : Le Traité de la CECA instaure un marché commun du charbon et de l’acier, supprime les droits de douane et les restrictions quantitatives entravant la libre circulation de ces marchandises ; il supprime également toutes les mesures discriminatoires, aides ou subventions, qui seraient accordées par les Etats signataires à leur production nationale.

  • (2) : La CEE poursuit l’oeuvre de la construction européenne entreprise par la CECA. Le but de la CEE est d’établir une union économique et monétaire parmi ses membres. Elle est basée sur quatre principes : la libre circulation des marchandises, la libre circulation des services, la libre circulation du capital et la libre circulation des personnes.

  • (3) : La CED est un projet d’organisation prévoyant la création d’une armée européenne avec des institutions supranationales. Le Traité instituant la CED est adopté par les gouvernements français, allemand, italien et du Benelux par le Traité de Paris en 1952. Toutefois le 30 août 1954, l’Assemblée nationale française refuse de ratifier le Traité.