Alia Al Jiboury, Paris, octobre 2006
Les tensions syro-américaines
Pourquoi la Syrie est-elle un acteur incontournable ?
Mots clefs : La démocratie, facteur de paix | Autorité politique | Gouvernement des Etats-Unis | Administration Bush 2 | Gouvernement syrien | Etats-Unis | Syrie
Les tensions américano-syriennes
Depuis 2003, les relations entre la Syrie et les Etats-Unis se sont détériorées. Longtemps considéré comme un allié, le gouvernement syrien avait même, à la suite des évènements du 11 Septembre 2001, fourni des renseignements sur Al Qaeda à l’administration américaine ce qui lui avait valu de ne pas être inclu dans « l’Axe du Mal » de Bush en 2002 (1). L’invasion de l’Irak en 2003, qui semble être la première application concrète du « Grand Projet du Moyen-Orient », a été suivie d’une politique offensive concertée de Washington contre le régime et ce malgré la succession au poste de Président de Bachar El Assad.
La Syrie est un pays stratégique dans la région car elle est le seul pays soutenant encore l’Iran via son aide au Hezbollah. De plus, elle est le dernier pays a vouloir encore revendiquer un statut de puissance régionale en jouant sur sa position au Liban et son implication dans le conflit israëlo-arabe. La Syrie est aujourd’hui avec l’Iran un Etat en ligne de mire de Washington dans la région.
Dans une première partie, nous reviendrons sur les répercussions de la Guerre en Irak (I), puis nous analyserons le poids de l’Affaire libanaise (II) et enfin nous nous pencherons sur les accusations de soutien au terrorisme et d’armes de destruction massive (III).
I. Les répercussions de la guerre en Irak de 2003
Après l’attaque de l’Irak en 2003 et la chute du régime de Saddam Hussein, la Syrie fut le premier pays voisin dans la région directement visé par l’administration néo-conservatrice américaine. Ce pays n’avait pourtant jamais été au centre des préoccupations de la politique américaine précédemment. En effet, la Syrie avait su s’aligner sur la coalition pendant la deuxième guerre du Golfe et cette position durant le conflit lui avait permis de pouvoir continuer à occuper et superviser la scène politique libanaise avec l’accord tacite des Américains. Dans les années 90, la Syrie avait joué un rôle de partenaire politique dans le processus de paix d’Oslo.
Mais à partir du 11 Septembre 2001, le visage du Moyen-orient changea et les Etats-Unis ont été déterminés à appliquer une politique d’un nouveau genre pour continuer à protéger leurs intérêts dans la région. C’est alors que débuta la fin des illusions pour la Syrie qui fut accusée de soutenir le terrorisme mais aussi qualifié de régime dictatorial militaire directement visé par le nouveau plan de démocratisation du Moyen-Orient dès 2002. Après l’effondrement du régime bassiste irakien, la Syrie sentit l’étau se resserrer autour d’elle. La transition de 2000 qui a vu arriver au pouvoir Bachar El Assad, le fils de l’ancien président, n’empêcha pas les accusations d’affluer. Les Américains souhaitaient ainsi mettre fin à la traditionnelle politique de « constructive engagement ». Lors de l’attaque israélienne contre le territoire syrien au camp d’Ayn-Al-Sahib en Octobre 2003, ils soutinrent le caractère défensif de cette acte et prouvèrent ainsi le durcissement de ton vis-à-vis de Damas. Jusqu’à présent la doctrine de « constructive engagement » prônée par le Département d’Etat consistait à récompenser les bons comportements politiques plutôt qu’à sanctionner les mauvais (2). C’est donc cette vision qui prédominait depuis les années 70 et qui avait valu à la Syrie d’obtenir la reconnaissance de sa présence au Liban grâce à son engagement dans la guerre du Golfe.
Mais au cours de l’année 2003, la tension ne cessa d’augmenter au fur et à mesures que les critiques anti-américaines émanaient de la « vieille garde syrienne ». Washington commença alors à émettre des accusations à l’égard de Damas concernant :
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le soutien au « terrorisme » en Irak , au Liban et en Palestine ;
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« le développement d’armes de destruction massive » ;
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« l’occupation du Liban ».
Chacune de ces accusations mettait en relief le rôle régional que jouait la Syrie car en effet aucune d’entre elles ne la concernaient de manière bilatérale. Elles avaient trait au destin du gouvernement irakien, au conflit israélo-arabe et au Liban. La réponse du gouvernement syrien fut mesurée, les effectifs au Liban furent réduits, les bureaux de la résistance minoritaire palestinienne furent clos et la Syrie demanda un désarmement total de la région (comprenant Israël). La réponse syrienne n’étant pas à la hauteur, le gouvernement américain décida de penser à d’éventuelles sanctions, mais au sein de l’administration Bush les camps divergeaient et le coercitif ne faisait par l’unanimité.
Pour faire admettre leurs exigences, les Américains discutèrent au Congrès pendant plusieurs mois de la possible adoption du : « Syria Accountability and Lebanese Restoration Act » qui proposait plusieurs types de sanctions. Les débats durèrent plusieurs mois, servirent d’instrument de pression sur Damas et prouvèrent un désaccord latent du côté américain.
Finalement, en décembre 2003, le « Syria Accountability Act » fut voté, adopté et ratifié par le Congrès et le Président G.W.Bush. Mais son application mis 6 mois à se faire et le Président G.W Bush choisit de n’appliquer que deux types de sanctions :
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un embargo sur les exportations américaines autres que la nourriture et les médicaments ;
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l’interdiction des avions syriens de décoller ou d’atterrir sur le territoire syrien.
II. L’affaire libanaise
Le Liban a toujours représenté pour la Syrie un moyen de jouer un rôle de puissance régionale en palliant ses faiblesses en ressources économiques. L’occupation militaire syrienne au Liban date du début de la guerre civile libanaise qui s’est étalée de 1975 à 1990. Cette guerre qui s’est caractérisée par des luttes de milices soutenues par des forces étrangères et des affrontements communautaires, a entraîné les gouvernants maronites en 1976 à réclamer du secours et à avaliser l’intervention syrienne. Les puissances de la région, comme l’Arabie Saoudite et l’Egypte, ont obtienu cette même année, de la part du Président libanais et du chef de l’OLP, la légitimation de la présence des troupes syriennes devenues « Force Arabe de dissuasion ».
Cette présence syrienne a été contestée par la population libanaise à de nombreuses reprises, notamment après la signature des accords de Taëf. Cependant la Syrie en participant à la force de coalition pendant la Guerre du Golfe de 1991 avait obtenu des Etats-Unis une tolérance officieuse permettant de prolonger sa présence. Un statu- quo s’était ainsi installé dans la région jusqu’à ce que la politique américaine au Moyen-Orient ait pris un nouveau tournant.
En Septembre 2004, l’affaire libanaise revint sur le devant de la scène, lorsque le gouvernement de Damas décida d’interférer sur les élections libanaises et de repousser le mandat du Président libanais de deux ans. Cette décision se prit alors que l’Europe et les Etats-Unis avaient mis en garde la Syrie contre toute intervention. Le Président syrien se retrouva face à la menace européenne de ne pas finaliser l’entrée du pays au sein du partenariat euro-méditerranéen et face à la menace d’une sanction internationale appelée vivement par les Etats-Unis. Finalement, le 2 septembre 2004 fut adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU, la résolution 1559, à l’initiative conjointe de la France et des États-Unis, par 9 voix sur 15. Cette résolution exigait le respect de la souveraineté et de l’indépendance politique du Liban, ainsi que le retrait de toutes les troupes étrangères de son sol, tout en organisant une élection présidentielle libre et équitable. Elle avait pour but d’empêcher l’aboutissement des manœuvres de la Syrie et de l’isoler de la scène internationale. L’année 2005 fut au Liban une succession d’attentats suspicieux dont les plus médiatisés furent ceux du :
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14 février 2005 : Rafic Hariri, l’ancien Premier Ministre libanais tombé depuis 2004 dans les rangs de l’opposition libanaise anti-syrienne, mais qui était très populaire. Il s’était retiré du gouvernement après la reconduction du Président libanais pour deux ans.
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2 juin : Le journaliste libanais anti-syrien Samir Kassir tué dans un attentat ;
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12 décembre : le journaliste Gebrane Tueni, assassiné alors qu’il était opposé à l’occupation syrienne.
L’assassinat d’Hariri entraîna directement des suspicions à l’encontre de Damas. Un rapport des Nations-Unies impliqua le gouvernement syrien dans l’assassinat de l’ex-premier ministre libanais. Acculé, le gouvernement syrien annonça, le 3 Mars 2005, le retrait progressif de ses troupes du Liban, se conformant ainsi aux exigences de la résolution 1559 sur la souveraineté du pays. Le retrait fut totalement achevé à la fin Avril 2005.
III. Le soutien au terrorisme et l’affaire des armes de destruction massive
Les accusations américaines de soutien au terrorisme de la part du régime syrien, les confrontèrent encore une fois au rôle régional de Damas, qui considèra la fin de son soutien à des groupes armés répertoriés comme terroristes par les Etats-Unis comme indissociable de la résolution du conflit israélo-arabe.
« La Syrie a toujours lié son comportement au conflit israélo-arabe et à sa résolution et ne sera prête à faire des concessions importantes que quand elle aura obtenu satisfaction. » (3)
Les États-Unis considèrent le Hezbollah (parti politique chiite avec une branche militaire implantée dans le sud du Liban) comme une organisation terroriste et reprochent depuis longtemps à la Syrie son soutien ouvert à ce groupe. Cette nomination de groupe terroriste ne fait d’ailleurs pas l’unanimité : l’Europe considère qu’elle n’en fait pas partie car le Hezbollah participe au gouvernement libanais. Dans une logique syrienne, le Hezbollah ne peut pas être abandonné car il constituerait un atout essentiel pour la restitution des Fermes de Chebaa à l’occasion d’une éventuelle négociation avec Israël. Même si le Hezbollah a fortement diminué ses actions militaires contre Israël depuis le retrait quasi-total de Tsahal du Sud Liban, la Syrie a encore prouvé son soutien au Hezbollah lors de la dernière guerre au Liban durant l’été 2006.
Le soutien de Damas aux organisations palestiniennes qui luttent contre Israël est aussi un problème indissociable du conflit israélo-arabe. Le Djihad islamique, le Front Populaire pour la libération de la Palestine, et le Hamas sont autant de groupes qui avaient des bases arrières en Syrie car ils sont considérées comme des organisations de résistance. Cependant, les menaces américaines ont abouti à la fermeture de leurs bureaux à Damas et à quelques expulsions.
Dès les premiers échecs des suites de la guerre en Irak en 2003, la Syrie s’est vue soupçonnée de soutenir le terrorisme local. En effet dans les premiers mois la frontière irakienne était une véritable passoire et les autorités syriennes n’arrivaient pas à la contrôler. De nombreux hommes venus de toute la région, mais aussi d’Europe et du Maghreb passèrent alors la frontière pour aller nourrir la rébellion irakienne. Le gouvernement syrien était ainsi accusé de ne rien faire pour empêcher des infiltrations de terroristes en Irak à partir de sa frontière. Dans une interview publiée par l’Intelligent Jeune Afrique N°2337, le Président syrien interrogé à ce propos se disait prêt à aider les Etats-Unis en Irak, mais ajoutait que le problème du terrorisme était un problème interne à l’Irak. Cette déclaration était en réalité une manière pour la Syrie de se déculpabiliser de ce phénomène tout en expliquant la difficulté de contrôler la frontière.
Concernant les armes de destruction massive, l’Irak a prouvé aux américains la difficulté d’évaluation de leur existence. Mais l’ambiguïté du discours de Bachar El Assad à ce sujet semblait correspondre à une manœuvre stratégique, en se légitimant face à la menace israélienne. Selon la Syrie, la recherche de développement de ce type d’armes ne pouvait s’arrêter tant qu’Israël était en mesure de les attaquer. Là encore, malgré les critiques américaines, la Syrie se plaçait dans un contexte régional et non bilatéral.
La Syrie reste aujourd’hui au centre des enjeux du conflit israélo-arabe, dans la région elle est la seule à pouvoir :
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donner des garanties de sécurité à Israël sur sa frontière nord ;
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parfaire, grâce à ses relations avec les organismes de lutte palestinienne, la représentativité des palestiniens dans les négociations avec Israël.
Un conflit armé avec la Syrie semble peu envisageable dans les prochains mois, étant donné la priorité accordée au règlement du dossier iranien et l’enlisement en Irak, mais également son implication dans les affaires israélo-arabes que les américains tentent de ne pas mêler au dossier irakien. Cependant les pressions américaines et le soutien financier à une éventuelle opposition semblent être l’option privilégiée.
Notes
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(1) : Discours de l’Etat sur l’Union du 29 Janvier 2002.
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(2) : B.Mikail « Du Wait and see à l’anticipation rhétorique : la redéfinition forcée de la politique syrienne », Revue Internationale et Stratégique, automne 2003.
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(3) : « Mutations au Proche Orient », Etudes Internatioanles, 2004, p. 114.