Gene Sharp, Boston, avril 2003
La force sans la violence
Comment résister victorieusement à l’oppression et accéder à la démocratie, par la force du peuple et par des méthodes qui ont fait leur preuve et sont devenues de véritables stratégies. Les chercheurs qui ont étudié les révolutions pacifiques du XX° siècle ont montré la puissance populaire dont est capable la lutte non violente.
Chapitre 1 : Développer une alternative réaliste à la guerre et autres violences
La violence dans la société et la politique, qu’elle se présente sous forme de guerre, de terrorisme, de dictature, d’oppression, d’usurpation ou de génocide est largement reconnue comme un problème grave.
Toutes les suggestions pour résoudre le problème de la violence, ou simplement certaines de ses formes, ont été vaines. Il est probable que ces suggestions ont échoué parce qu’elles s’appuyaient sur une compréhension erronée de la nature de la violence. Il est difficile, sinon impossible, de résoudre un problème si on ne le comprend pas.
Le but de cette réflexion est de proposer une autre manière d’appréhender la nature du problème de la violence généralisée dans la société et la sphère politique, afin de déterminer ce qu’il est nécessaire de faire pour en venir à bout.
Il nous faut donc analyser dans quelles conditions il sera possible de réduire nettement le recours à la force militaire ou à tout autre mode violent de gestion des conflits. Il nous faut examiner les raisons pour lesquelles la violence est si fréquemment considérée comme nécessaire pour mener à bien des causes, tant bonnes que mauvaises. Il nous faudra aussi déterminer les changements fondamentaux qui pourraient être réalisés pour nous éloigner de cet état d’esprit.
L’objectif de cette réflexion est simple mais peut-être fondamental pour résoudre le problème de la violence dans les conflits politiques et internationaux.
Il est important d’admettre que le conflit dans la société et la sphère politique est inévitable, voire fréquemment souhaitable. Certains conflits peuvent être résolus par des moyens modérés tels que la négociation, le dialogue et la conciliation : autant de méthodes qui impliquent d’accepter des compromis. Mais ces méthodes ne sont applicables que lorsque les enjeux en cause ne sont pas fondamentaux. Et même dans ces cas, il apparaît que la résolution d’un conflit par la négociation est plus souvent influencée par les relations de domination existant entre les différentes parties que par l’acceptation conjointe et raisonnée du compromis le plus juste.
Pourtant, dans de nombreux conflits, les enjeux en cause sont, ou du moins sont tenus pour, fondamentaux. Ce sont des « conflits aigus ». Ils ne sont pas adaptés à une forme de résolution qui suppose des compromis.
Dans les conflits aigus, au moins l’une des parties considère qu’il est nécessaire et juste de mener un combat violent contre la partie adverse. Les conflits aigus sont souvent menés dans le but de faire progresser la liberté, la justice, une religion ou une civilisation, ou encore de résister à une violence hostile. Ce type de violence peut être employé pour imposer une oppression, pratiquer des injustices, mettre en place une dictature, contester les principes moraux ou religieux d’une communauté, attenter à la dignité humaine ou encore menacer la survie d’un groupe humain.
Dans le cadre de tels conflits, l’une des parties estime qu’il serait catastrophique, compte tenu de ses principes, de ses convictions, de la société entière, et parfois pour sa survie même, de se soumettre, de capituler ou de perdre. Dans de telles situations, combattre aussi vigoureusement que possible paraît une nécessité.
Le besoin de moyens pour mener les conflits
Les guerres ainsi que d’autres formes de violence ont été employées dans des buts variés mais, dans le cadre de conflits aigus, la violence politique et internationale a été utilisée pour protéger et faire progresser des causes présentées comme bonnes et nobles. La violence est alors considérée comme la seule alternative possible à la soumission passive au mal absolu.
Dans la plupart des organisations politiques, la guerre et les autres violences sont utilisées comme la « sanction ultime ». C’est-à-dire que les différentes expressions de la violence sont envisagées comme le dernier recours, l’action la plus efficace qui puisse être menée, le moyen ultime d’exercer des pressions, de punir ou de dominer lorsque tous les moyens plus souples ont échoué ou semblent voués à l’échec. La violence est alors utilisée, du moins c’est ainsi que les choses sont souvent ressenties, pour promouvoir et défendre tout ce qui est considéré comme bon et valable.
Si on ne comprend pas ce rôle précis de la violence, il paraît impossible d’envisager une réduction du recours à la guerre et aux autres formes de violence dans les conflits aigus.
Il serait naïf de penser et d’agir, dans les conflits au cœur desquels se trouvent des enjeux fondamentaux, comme si une offre de négociation ou de dialogue était une réponse adaptée. Les opposants hostiles n’abandonneront très probablement jamais leurs objectifs ou leurs moyens sans combat. Il est alors déraisonnable d’espérer obtenir un accord grâce auquel chaque partie serait gagnante. Quant aux dictateurs brutaux et auteurs de génocide, ils ne méritent aucune forme de victoire.
Nous disposons de preuves, sur des dizaines d’années, montrant que la violence dans les conflits ne disparaît pas sous l’effet des protestations qu’elle fait naître. Dans le cadre de conflits aigus, la majorité des gens ne rejettent pas la guerre ou d’autres formes de violence au seul motif qu’ils croient, ou qu’on leur a fait croire, qu’une telle violence contrevient à des principes éthiques ou religieux. S’attendre au contraire est irréaliste.
Il y a presque 40 ans que le psychiatre Jerome D. Frank nous a rappelé que la paix, pour la plupart des gens, n’est pas la valeur la plus importante.
Les gens, les groupes humains et les gouvernements ne renonceront pas à la violence si cela signifie à leurs yeux perdre tout pouvoir et tout moyen dans une agression contre leurs croyances fondamentales et la nature même de leur société.
Pour faire en sorte que, dans les conflits aigus, la guerre ou d’autres formes de violence ne soient pas utilisées comme le mode d’action ultime permettant d’imposer ou de défendre ses principes, ses idéaux, sa société ou son existence même, il est nécessaire de proposer d’autres moyens d’action puissants. Il faut en effet un substitut pour mener un conflit efficacement avec des chances de réussite équivalentes, voire supérieures à celles offertes par le recours à la violence.
Cette alternative doit nécessairement être capable d’offrir une solution satisfaisante aux « cas les plus difficiles », ceux pour lesquels la violence a toujours paru une nécessité. Ces « cas extrêmes » sont notamment ceux des dictatures, invasions et occupations étrangères, usurpations internes, oppressions, tentatives de génocide, d’expulsions ou de meurtres de masse.
Mais il existe un indice montrant que ce type d’alternative à la violence est possible : le fait que même la force des dictatures dépend des sources de pouvoir dans la société, qui elles-mêmes dépendent de la coopération d’une multitude d’institutions et de gens – coopération qui peut se poursuivre ou s’interrompre, comme nous allons le voir plus en détail.
Il existe une autre technique de lutte
Un tel substitut à la lutte violente est envisageable. On oublie souvent que la guerre et les autres formes de violence n’ont pas toujours, ni universellement, été le recours employé dans la résolution des conflits aigus. Dans un grand nombre de cas, à toutes les époques et en tout lieu, une autre technique de lutte a parfois été employée. Celle-ci n’a pas consisté à « présenter l’autre joue », mais à s’obstiner et à résister puissamment à des opposants eux-mêmes puissants.
Tout au long de l’Histoire humaine, dans de nombreux conflits, il s’est trouvé des gens qui ont su se battre, non pas en utilisant la violence, mais en employant des moyens psychologiques, sociaux, économiques ou politiques, parfois même simultanément. Ce mode de combat a été employé non seulement lorsque les intérêts en jeu étaient assez limités et lorsque les personnes impliquées avaient une attitude relativement convenable mais à de nombreuses reprises lorsque l’enjeu de la lutte était fondamental et lorsque les opposants étaient cruels et capables des plus grandes violences : exécutions, passages à tabac, arrestations, emprisonnements et massacres massifs. En dépit de ces répressions, lorsque les résistants ont persisté dans leur mode de lutte nonviolente, ils sont parfois parvenus à triompher.
Cette technique s’appelle action ou lutte nonviolente. Elle est l’autre recours ultime possible : dans le cadre des conflits aigus, elle peut permettre d’éviter la guerre et les autres formes de violence.
Exemples de luttes nonviolentes
On trouve des exemples de lutte nonviolente dans des civilisations, des périodes de l’histoire et des contextes politiques très variés. On en trouve des illustrations en Occident aussi bien qu’en Orient. La lutte nonviolente a été utilisée dans des sociétés industrialisées ou non. Elle a été pratiquée au sein de démocraties constitutionnelles et à l’encontre d’empires, d’occupations étrangères ou de dictatures. La lutte nonviolente a été employée par de multiples groupes et au nom de myriades de causes, et même contre des objectifs réprouvés par le peuple. Elle a également pu être utilisée pour empêcher ou au contraire promouvoir le changement. Elle a parfois été utilisée conjointement avec une certaine violence.
Les enjeux défendus dans ces conflits ont eux aussi été très variés, revendiquant des intérêts fondamentaux ou plus secondaires : sociaux, économiques, ethniques, religieux, nationaux, humanitaires ou politiques.
Bien que les historiens aient généralement méprisé ce type de résistance, il s’agit à l’évidence d’un phénomène très ancien. Une grande partie de l’histoire de cette technique s’est perdue et ce qui en a survécu a généralement été négligé.
De nombreux exemples d’utilisation de l’action nonviolente ont très peu ou rien à voir avec des enjeux gouvernementaux. Il s’agit alors par exemple de conflits entre les ouvriers et la direction d’une entreprise ou dans le cadre d’actions menées pour imposer ou résister à des pressions de conformité sociale. L’action nonviolente a également été menée dans des conflits religieux et ethniques ainsi que dans toutes sortes d’autres contextes tels que des conflits entre des étudiants et des administrations universitaires. Lors de graves conflits entre la population civile et les gouvernements, il est aussi arrivé fréquemment qu’une des parties eût recours à la lutte nonviolente. Les exemples qui suivent en sont l’illustration.
Depuis la fin du XVIII° siècle et durant tout le XX° siècle, la technique de l’action nonviolente a été largement employée dans des conflits très divers : rébellions dans des colonies, conflits économiques et politiques internationaux, conflits religieux, résistance à l’esclavage. Cette technique a également été employée dans la lutte des ouvriers pour le droit à se syndiquer, dans la lutte des femmes pour leur émancipation, dans l’obtention du suffrage universel masculin et du droit de vote des femmes. Ce type de lutte a aussi été employé par certains pays pour conquérir leur indépendance nationale, pour obtenir des gains économiques, pour résister à un génocide, miner le pouvoir de dictatures, obtenir des droits civiques, mettre fin à une ségrégation, lutter contre des occupations étrangères et des coups d’État.
Les exemples de l’usage de cette technique au début du XX° siècle comprennent notamment les principaux événements de la Révolution russe en 1905. Dans de nombreux pays, le développement des syndicats a été très lié à l’usage de la grève et du boycott économique. En Chine, des boycotts des produits japonais furent organisés en 1908, 1915 et 1919. Les Allemands firent usage de l’action nonviolente contre le putsch de Kapp en 1920 et contre l’occupation franco-belge de la Ruhr en 1923. Dans les années 1920 et 1930, les nationalistes indiens firent usage de lutte nonviolente dans leur combat contre la domination britannique : ils étaient guidés par Mohandas K. Gandhi.
De 1940 à 1945, dans différents pays d’Europe, notamment en Norvége, au Danemark et aux Pays-Bas, la population se servit d’actions nonviolentes pour résister à l’invasion et à la domination nazies. La lutte nonviolente fut aussi employée à Berlin, en Bulgarie, au Danemark et ailleurs, pour sauver des Juifs.
Au printemps 1944, les dictateurs militaires du Salvador et du Guatemala furent contraints à la démission par de brèves luttes nonviolentes. Les luttes nonviolentes pour les droits civiques et contre la ségrégation raciale aux États-Unis ont permis, surtout dans les années 1950 et 1960, de modifier les lois et les vieilles pratiques politiques dans les États du Sud. En avril 1961, le refus de coopérer opposé à leurs supérieurs par le contingent de soldats français en Algérie, allié à des manifestations populaires en France et à la défiance par le gouvernement Debré-de Gaulle, permirent de tuer dans l’œuf le coup d’État d’Alger et d’empêcher qu’un coup d’État lié au premier ne soit organisé à Paris.
En 1968 et 1969, à la suite de l’invasion qui les soumettait au Pacte de Varsovie, les Tchèques et les Slovaques mirent en échec le contrôle soviétique de leur pays pendant huit mois en improvisant une forme de lutte nonviolente et en refusant de coopérer. Entre 1953 et 1960, des dissidents vivant dans des pays d’Europe de l’Est sous contrôle communiste, notamment en Allemagne de l’Est, en Pologne, en Hongrie et dans les pays baltes, ont employé à plusieurs reprises la lutte nonviolente pour conquérir des libertés. Le combat « Solidarnosc » (Solidarité), très stratégique, a commencé en 1980 en Pologne avec des grèves destinées à soutenir l’exigence du droit à se syndiquer librement. Il se termina en 1989 avec la fin du régime communiste polonais. La lutte nonviolente a aussi permis de mettre un terme aux dictatures communistes de Tchécoslovaquie et d’Allemagne de L’Est en 1989, d’Estonie, de Lituanie et de Lettonie en 1991.
La tentative de coup d’État à Moscou en 1991 par la frange « dure » du régime a été réduite à néant à force de noncoopération et de défiance. Les protestations nonviolentes et la résistance de masse ont été déterminantes dans la destruction du régime d’apartheid et de domination européenne en Afrique du Sud, particulièrement entre 1950 et 1990. La dictature du commandant Marcos aux Philippines a été anéantie par un soulèvement nonviolent en 1986.
En juillet et août 1988, les démocrates birmans ont dénoncé la dictature militaire dont leur pays était victime au moyen de marches et de résistance. Ils parvinrent à faire ainsi chuter trois gouvernements avant de succomber eux-mêmes, victimes d’un coup d’État militaire et de massacres massifs.
En 1989, des étudiants chinois dans plus de 300 villes (dont Pékin, place Tiananmen) organisèrent des protestations symboliques contre la corruption du gouvernement et l’oppression que subissait le peuple chinois, mais elles se terminèrent par de massives exécutions pratiquées par les militaires.
Au Kosovo, entre 1990 et 1999, la population albanaise mena une campagne de noncoopération contre l’autorité répressive des Serbes. Lorsque le gouvernement provisoire du Kosovo manqua de stratégie nonviolente pour gagner l’indépendance, l’Armée de libération du Kosovo entama une guérilla violente. Ceci causa des représailles extrêmes de la part des Serbes, qui se livrèrent même à des massacres massifs et à des opérations dites de « nettoyage ethnique ». Tout cela fut suivi de l’intervention de l’OTAN et de ses bombardements.
A partir de novembre 1996, les Serbes commencèrent à organiser chaque jour des manifestations et des protestations, à Belgrade autant que dans d’autres villes, contre la dictature du Président Milosevic. A la mi-janvier 1997, les Serbes rendirent ainsi possible la réparation d’une fraude électorale. A cette époque, cependant, il manquait aux démocrates serbes une stratégie qui leur aurait permis d’accompagner et de soutenir la lutte populaire : ils ne parvinrent pas à lancer une campagne visant à faire chuter le régime de Milosevic. Au début du mois d’octobre 2000, le mouvement Otpor (résistance) et d’autres démocrates se soulevèrent contre Milosevic dans le cadre d’une lutte nonviolente soigneusement organisée : c’est ainsi que le régime du dictateur chuta.
Au début de l’année 2001, le Président Estrada, qui avait été suspecté de corruption, fut déposé par les Philippins au moyen d’une campagne intitulée « Peuple puissance 2 ».
Mais pour mieux comprendre ces conflits et leurs résultats, il est important de comprendre la nature de cette technique de résistance.
Caractéristiques et méthodes de la lutte nonviolente
Dans ce type de lutte, plutôt que d’employer la violence, trois types d’attitudes ont été préférés. D’abord, des protestations symboliques ont été engagées telles que des marches, des manifestations silencieuses, des distributions de tracts ou l’adoption de couleurs vestimentaires spécifiques pour montrer le soutien ou la désapprobation à une cause.
Ensuite, les résistants pacifiques ont cessé de coopérer, et refusé toute nouvelle coopération avec leurs adversaires ou avec certaines pratiques. Ils ont donc pratiqué la noncoopération. Et ce type d’action a pu revêtir des formes politiques, sociales, autant qu’économiques. Par exemple, ces résistants ont exercé un boycott social de leurs opposants, en refusant de participer à des fêtes, d’assister à des rencontres ou de fréquenter les écoles dont ils savaient qu’elles étaient en faveur des opposants.
Ces résistants ont parfois pratiqué la noncoopération économique en refusant de fournir ou de transporter des produits ou des services ou en refusant d’acheter ou vendre des matériaux ou produits. Parfois, l’arrêt des relations économiques avec un pays considéré comme adverse a été pratiqué sur initiative gouvernementale. Il s’est agi dans tous ces cas de formes de boycott économique.
Les grèves au travail ont elles aussi revêtu diverses formes, telles que les interruptions brèves et symboliques de travail, une simple grève d’une usine particulière, des grèves généralisées ou la mise au point mort complet de l’activité économique d’une ville ou d’un pays.
La noncoopération politique a pu consister à boycotter des élections truquées, à rejeter la légitimité d’un régime, à ne pas obéir quand on n’est pas surveillé, à refuser toute coopération de la part des employés du gouvernement, et à s’opposer par la désobéissance civile aux lois jugées « iniques ».
Tertio, des interventions et perturbations actives dans le fonctionnement normal du système qu’ils dénonçaient ont été appliquées sous diverses formes psychologiques, sociales, économiques, physiques et politiques. Parmi les nombreuses méthodes d’intervention nonviolentes on trouve notamment l’occupation de bureaux, les sit-ins dans les rues, les grèves de la faim, la constitution d’institutions économiques alternatives, des invasions nonviolentes, des surcharges de travail aux services administratifs, des recherches d’emprisonnement et des gouvernements parallèles.
Les méthodes d’action nonviolente s’identifient et se classent selon le type d’action appliqué, non selon les buts recherchés ou les convictions des gens qui s’en servent. Il est très important de noter que cette technique de lutte a pu être employée par des gens aux convictions très diverses : son emploi ne requiert aucun engagement nonviolent religieux ou éthique, qui est un phénomène très différent. La plupart du temps en effet, les personnes prenant part ou menant ces luttes nonviolentes ont eu recours à cette méthode après avoir constaté que l’usage de la violence s’était révélé inutile et contre-productif. Les 198 méthodes d’action nonviolente répertoriées sont énumérées dans l’Appendice deux à ce document. Elles sont présentées et développées avec des exemples tirés de l’Histoire dans le livre The Politics of Nonviolent Action, deuxième partie : « The Methods of Nonviolent Action » de Gene Sharp (voir l’Appendice trois pour plus de renseignements).
Idées fausses
Un grand nombre d’idées fausses et de mauvaises interprétations ont longtemps gêné la compréhension de la lutte nonviolente :
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On croit généralement que la violence agit vite alors que la lutte nonviolente est réputée prendre beaucoup de temps. Ces deux croyances sont erronées.
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La lutte nonviolente est souvent perçue comme faible alors qu’elle peut être très puissante. Elle peut paralyser et même désintégrer un régime répressif.
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La lutte nonviolente ne requiert pas de chef charismatique.
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La lutte nonviolente s’observe dans toutes les civilisations humaines.
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La lutte nonviolente ne présuppose pas que ceux qui la pratiquent adhèrent à certaines croyances religieuses (ni à des croyances spécifiques), même s’il est arrivé que la lutte nonviolente ait été employée pour des raisons religieuses.
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La lutte nonviolente se distingue de la nonviolence définie comme principe philosophique ou éthique : il s’agit d’un phénomène tout à fait différent. Cette distinction doit être claire et ne doit pas être minimisée.
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Il est souvent considéré que la lutte nonviolente ne peut être efficace que si elle est utilisée contre des institutions démocratiques et humanitaires, mais cela est faux. Il est arrivé que la lutte nonviolente soit employée pour combattre des régimes politiques brutaux et dictatoriaux, y compris les régimes nazis et communistes.
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Certaines personnes et certains groupes tiennent également pour acquis que la lutte nonviolente n’est efficace que dans la mesure où elle parvient à « amadouer » les oppresseurs. Elle est au contraire coercitive et a même permis de détruire des dictatures extrêmement violentes.
Conditions du succès
Le choix d’utiliser ce type de combat n’est pas plus une garantie de succès que le choix de faire usage de la violence. Cette technique de lutte suppose, tout comme l’emploi de la violence, des conditions préalables pour être efficace. Le simple fait de s’abstenir de recourir à la violence et de prononcer le mot « nonviolent » ne suffit pas à atteindre l’objectif escompté.
Certaines actions nonviolentes parmi celles précédemment citées n’ont pas atteint leur but. Certaines n’ont remporté que des victoires limitées. Parfois aussi, la victoire n’a été que de courte durée parce que les gens n’ont su ni l’utiliser pour consolider et peut-être institutionnaliser leurs acquis, ni résister efficacement aux nouvelles menaces faites à leur liberté. Dans certains cas, la victoire a pu être acquise en une seule campagne et a permis des gains considérables mais de nouvelles batailles ont néanmoins été nécessaires pour réaliser pleinement les changements souhaités.
Dans certains cas, pourtant, des victoires décisives ont été emportées là où l’usage de la résistance violente n’aurait conduit nulle part. Afin de mieux appréhender ces victoires, il est nécessaire de comprendre la nature de cette technique de lutte.
Malgré le fait que le « fonctionnement » de la lutte nonviolente varie d’un exemple à l’autre, il est important d’en repérer deux aspects essentiels, observables dans certains conflits nonviolents, mais pas dans tous. Ces deux aspects sont (1) la capacité à défier l’agresseur et parfois même à retourner contre lui les effets de la répression, et (2) la capacité à saper et à rompre les sources du pouvoir de ceux contre lesquels on lutte.
Répression et jiu-jitsu politique
Evidemment, les dictateurs sont sensibles aux idées et aux actions qui entravent leur toute-puissance. De ce fait, les oppresseurs ont tendance à menacer et punir ceux-là même qui désobéissent, font la grève ou refusent de coopérer. Cependant la répression, voire les brutalités, ne conduisent pas toujours les gens à se soumettre et à coopérer, attitude qui permet au régime qui les opprime de continuer à exister.
Bien que cela ne se produise pas dans tous les cas, sous certaines conditions la répression la plus brutale peut susciter l’apparition d’une forme de lutte particulière appelée le « jiu-jitsu politique ».
Les difficultés que peut rencontrer le régime oppressif quand il doit faire face à l’action nonviolente sont, dès le début, liées au processus et à la dynamique particulière de cette technique. Celle-ci a en effet été conçue pour opérer contre un pouvoir qui a l’intention et les moyens d’utiliser la violence pour écraser toute rébellion. La lutte politique contre un pouvoir répressif et violent, menée au moyen d’actions nonviolentes, conduit rapidement à une situation particulière d’asymétrie de conflit. Or les résistants nonviolents peuvent précisément tirer parti de l’asymétrie de leur lutte nonviolente contre la violence de leurs adversaires, appliquant dès lors à leurs opposants politiques une technique comparable à celle du jiu-jitsu, art martial japonais. Le contraste évident entre les types d’action employés par les uns et les autres agira contre le pouvoir répressif et l’affaiblira. En maintenant cette forme nonviolente tout en continuant la lutte, les résistants renforceront leur propre position de pouvoir. C’est ce processus qu’on appelle le jiu-jitsu politique.
Le jiu-jitsu politique a pour effet de faire apparaître une désaffection croissante des soutiens aux agresseurs, soit parmi les membres des agresseurs eux-mêmes, soit dans la population concernée par les questions en jeu, soit dans des groupes tiers non directement liés au conflit, ou même parmi tous à la fois. Cette désaffection croissante au sein du régime répressif en place peut alors multiplier les luttes internes au sein même du régime ; elle peut également permettre l’accroissement du nombre de résistants et le développement de la résistance, et elle a enfin pour effet de transformer les groupes tiers en opposants à la répression et en soutien aux résistants.
Saper le pouvoir répressif
Le jiu-jitsu politique ne marche pas dans toutes les situations ou dans tous les cas de l’action nonviolente. L’autre manière principale d’employer la lutte nonviolente est de saper les sources du pouvoir, y compris dictatorial, contre lequel on est en lutte. Cette technique est efficace notamment dans le cadre de luttes visant à faire pression sur un gouvernement afin de le forcer à faire ou ne pas faire quelque chose, ou lorsque l’objectif de ces luttes est de renverser le régime en cause.
Le principe en est simple : les dictateurs ont tous besoin du concours des gens qu’ils gouvernent, sans lequel ils ne pourraient continuer à bénéficier des sources de pouvoir politique qui leur sont indispensables. Ces sources du pouvoir politique sont les suivantes :
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L’autorité, ou la légitimité ;
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Les ressources humaines : c’est-à-dire les personnes ou groupes qui obéissent aux dirigeants, coopèrent avec eux, ou les assistent dans l’exercice de leur pouvoir ;
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Les compétences et connaissances dont le régime a besoin et qui sont fournies par les personnes et groupes qui collaborent avec lui ;
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Des facteurs intangibles, psychologiques et idéologiques, qui peuvent conduire les gens à accepter un pouvoir dictatorial et à y coopérer ;
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Les ressources matérielles, le contrôle de ou l’accès à la propriété, les ressources naturelles, les ressources financières, le système économique, et les moyens de communication et de transport ; et
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Les sanctions et punitions, qu’il s’agisse de menaces ou de faits, visant à garantir la soumission et la coopération populaires, éléments essentiels au régime pour appliquer ses politiques et se maintenir.
Cependant, toutes ces sources n’existent qu’à la condition que le régime soit accepté par une population soumise, obéissante et qui coopère avec les institutions de cette société.
Dès lors, on comprend que la force et l’existence même d’un pouvoir politique dépendent toujours de la réalimentation de ses sources par la coopération d’une multitude d’institutions et de gens : or cette coopération peut perdurer mais aussi cesser. Dès lors, le pouvoir politique est toujours potentiellement fragile et dépend constamment de la société sur laquelle il s’exerce.
La soumission et la coopération, ingrédients nécessaires aux dictatures, ne sont jamais garanties, et chacune des sources peut faire l’objet de restrictions et même disparaître. Ainsi, l’action nonviolente peut cibler directement l’accès du gouvernement à ces diverses sources. Selon les situations, toutes les sources du pouvoir en place peuvent être affaiblies sinon anéanties.
Ce sont en effet la noncoopération et la défiance qui compromettent l’obéissance nécessaire à l’existence de tout pouvoir. Par exemple, le rejet de la légitimité des gouvernants donne à la population en général et aux aides du pouvoir une raison majeure de ne plus obéir. Or la désobéissance massive et l’attitude de défi entraînent d’énormes problèmes quant à l’application des lois. Des grèves massives peuvent paralyser l’économie. Le refus généralisé des fonctionnaires de coopérer administrativement avec le pouvoir peut contrecarrer toute initiative gouvernementale. Des mutineries de la part des forces armées et policières peuvent empêcher le régime en place de réprimer les résistants nonviolents, le gênant ainsi considérablement et compromettant sa survie.
Privé d’accès à ces diverses sources de pouvoir, le régime politique s’affaiblit et finalement, se dissout. Le régime meurt ainsi de « famine politique ».
Contrairement à ce qu’on croit généralement, les dictatures totalitaires dépendent elles aussi du soutien de la population et des sociétés qu’elles commandent. C’est ce que rappelait le politologue Karl W. Deutsch en 1953.
Quatre manières d’y arriver
Les luttes nonviolentes ont « fonctionné » selon quatre modalités principales. Ces différents modes d’action dépendent pour beaucoup de la situation particulière du conflit, des enjeux, de la structure sociale de la population résistante, de la nature du pouvoir auquel elle s’oppose, de la stratégie générale choisie (s’il y en a une), du mode de changement préconisé, des méthodes spécifiques employées et des compétences, de la discipline et de la ténacité des résistants. Les pressions exercées sur le pouvoir peuvent être, à divers degrés, d’ordre psychologique, social, économique et politique.
La lutte nonviolente peut également affecter la stabilité sociale ou politique du système ou modifier son fonctionnement. Ce type de lutte peut également entraver la poursuite des politiques spécifiques entamées par le pouvoir en place. Dans certains conflits, la noncoopération et la défiance des résistants peuvent compromettre la capacité des gouvernants à diriger le pays voire conduire le régime à la désintégration.
Selon les conflits, la lutte nonviolente se mène de manière très variable. Par exemple, la dynamique développée pour une grève locale des ouvriers menée en vue d’une augmentation de salaire se distinguera de celle choisie pour un conflit mené par une minorité dans le but de conquérir des droits, ou encore de celle choisie pour anéantir une dictature.
Lorsqu’une lutte nonviolente est fructueuse, son succès émane de l’un des quatre mécanismes suivants. Très rarement la lutte nonviolente a conduit le pouvoir en place à changer de politique de son plein gré et au nom de la justice, ce qui aurait été une sorte de conversion. Bien plus souvent, la noncoopération économique ou politique des résistants força les gouvernants à accepter des compromis, ce qu’on appelle l’accommodement. Parfois, la défiance et la noncoopération ont été si fortes et si habilement ciblées, et les sources du pouvoir du gouvernement tellement affaiblies, que les gouvernants n’ont pas eu d’autre choix que de capituler : il s’agit alors de coercition nonviolente. Dans quelques cas rares enfin, la défiance et la noncoopération ont été si massives et les sources de pouvoir du régime si bien anéanties, que le gouvernement chuta simplement : il s’agit là d’une désintégration.
Emplois d’une technique élaborée
La question de l’efficacité de la lutte nonviolente dans la recherche de solutions aux problèmes de violence dans la société et la politique dépend beaucoup de sa capacité à réduire le recours à la lutte armée dans les conflits extrêmes. La lutte nonviolente peut-elle être fiable au point d’être utilisée à la place de la violence dans les conflits graves ? Dans certains cas, la réponse de certaines personnes pourrait être clairement positive, mais dans d’autres elle pourrait être plus douteuse voire négative. Leur réponse dépend d’ailleurs le plus souvent du degré de compréhension qu’elles ont de la technique de lutte nonviolente et du degré de crédit qu’elles lui accordent en termes de capacité à offrir une alternative fiable à la violence dans les conflits graves.
On peut apprendre à rendre ce type de lutte plus efficace que dans les cas improvisés du passé. Cela peut se faire en augmentant nos connaissances sur les conditions nécessaires à son utilisation, en diffusant ce savoir et la compréhension de cette forme de lutte, et en augmentant la planification et la stratégie, générales et spécifiques, dans l’emploi de cette technique pour les conflits à venir.
L’élaboration d’une solution satisfaisante au problème de la violence et le développement de l’utilisation politique de la lutte nonviolente exigent toute notre attention sur le rôle présent et le potentiel futur de cette forme de lutte. C’est particulièrement important pour les conflits aigus, ceux pour lesquels la plupart des gens et des gouvernements considèrent que seule la lutte armée peut conduire à une issue. Deux questions se posent alors : dans quelle mesure pouvons-nous comprendre et améliorer ce type de lutte, et dans quelle mesure peut-il être employé en remplacement de l’usage de la violence ?
Le développement d’une utilisation politique de la lutte nonviolente se doit de prévoir des formes d’action alternatives à la violence, particulièrement dans les types de conflits suivants :
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Démantèlement des dictatures ;
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Blocage des coups d’État et empêchement de l’instauration de nouvelles dictatures ;
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Défense contre une agression et une occupation étrangères ;
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Préservation de l’existence et du mode de vie de populations locales ;
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Cessation des injustices sociales et économiques ;
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Développement, préservation et extension de pratiques démocratiques et des droits humains ; et
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Adoption additive de méthodes nonviolentes au sein de sociétés démocratiques.
Réduire le recours à la guerre et autres formes de violence
Pour ces objectifs généraux ou pour d’autres conflits spécifiques, des plans stratégiques ont besoin d’être développés pour permettre à l’option nonviolente d’être appliquée de manière efficace. Progressivement, cela permettra, conflit après conflit, de substituer la lutte nonviolente à la violence dans les conflits aigus.
Afin de relever ce défi, d’explorer et de développer les potentialités de l’action nonviolente dans les conflits aigus, il faut investir beaucoup en recherche, en analyse, en études stratégiques, en progrès politiques, en prévisions et aussi en action courageuse.
Il faut s’adjoindre les compétences d’historiens, de psychologues sociaux, de sociologues, de théoriciens politiques et sociaux, de politologues, de spécialistes en stratégie, et d’autres encore. Il est important non seulement de se pencher sur la lutte nonviolente mais aussi sur d’autres sujets, tels que les faiblesses et vulnérabilités des dictatures et d’autres régimes d’oppression.
Il est également important d’apprendre à développer et à diffuser la capacité à penser de manière stratégique et à planifier des stratégies pour de futures luttes nonviolentes.
De tels efforts impliquent d’aller au-delà et souvent contre des tendances fortement établies dans la société moderne et dans les forces nationales et internationales. Il en est ainsi de la centralisation du pouvoir, de la politique de militarisation des États, de l’hégémonie des méthodes traditionnelles pour résoudre les conflits, et d’autres facteurs qui ne facilitent pas la compréhension du potentiel et de la pertinence de la lutte nonviolente, ni bien sûr son adoption.
Cependant, il y a des raisons de penser que le choix d’employer soit la lutte nonviolente, soit la violence dans les conflits aigus a des conséquences lourdes sur la structure sociale et politique d’une société. En effet, le choix de la violence pour résoudre un conflit génère un système politique plus centralisé et potentiellement plus répressif tandis que le choix de la lutte nonviolente tend à produire un système politique plus décentralisé et plus investi par le peuple. La force militaire d’un pays peut être employée en son sein pour réprimer sa propre population alors que la lutte nonviolente est employée par la population pour obtenir et défendre des libertés en résistant à une répression centralisée.
Considérer de manière prudente et informée la pertinence et l’efficacité des moyens d’appliquer la pression et le pouvoir nonviolents permet d’envisager des manières de lutter peu explorées jusqu’ici. Cette approche, en réduisant notre dépendance vis-à-vis de la violence, recèle le pouvoir de changer fondamentalement la politique moderne et les relations internationales.
Dans quelle mesure parviendrons-nous à remplacer la lutte armée par des formes nonviolentes de combat, permettant de réduire le recours à la force militaire et à d’autres formes de violence? Ceci dépendra en grande partie de notre capacité à développer et appliquer ces méthodes efficaces et nonviolentes de gestion des conflits.
Vient alors la question de savoir si nous voulons maintenant tenter de travailler à améliorer cette technique de lutte, l’adopter et l’adapter aux conflits en cours, afin de défier, de remplacer, et d’enlever les expressions extrêmes de violence par une action puissante et efficace.
Chapitre 2 : Importance de la planification stratégique dans la lutte nonviolente
L’emploi de la stratégie est surtout connu dans le cadre de conflits militaires. Pendant des siècles, des officiers militaires ont mis en œuvre des stratégies d’action pour des campagnes militaires, et des penseurs renommés comme Sun Tzu, Clausewitz, et Liddell Hart ont analysé et perfectionné la stratégie militaire. Dans les guerres militaires conventionnelles ou les guérillas, l’utilisation d’une stratégie sophistiquée est considérée comme une des clés du succès.
Mais, tout comme une lutte militaire efficace requiert stratégie, planification et mise en œuvre recherchées, l’action nonviolente tire elle aussi son succès d’une parfaite organisation stratégique. L’élaboration et la mise en œuvre de stratégies subtiles peuvent en effet augmenter considérablement l’efficacité de la lutte nonviolente.
L’importance de la stratégie
Si l’on souhaite réussir quelque chose, les chances d’atteindre son objectif seront optimales si l’on utilise au mieux ses ressources et sa puissance disponibles. Cela suppose d’avoir une stratégie qui prenne en compte l’état présent (dans lequel l’objectif poursuivi n’est pas atteint) et qui vise l’état futur (dans lequel l’objectif est réalisé). La stratégie consiste à prévoir au plus près les étapes qui permettront le plus sûrement de passer de la situation présente à la situation future avec les changements souhaités.
Par exemple, si l’on souhaite voyager d’un endroit à un autre, il faut prévoir à l’avance comment le faire. Souhaite-t-on s’y rendre en marchant, en prenant le train, en voiture, en avion ? Même après avoir répondu à cette question, la planification du voyage n’est pas encore établie. Dispose-t-on de l’argent nécessaire pour payer le voyage et les autres dépenses ? Si le voyage est long, où va-t-on manger et dormir ? Faut-il des documents spécifiques, passeports, visas ? Et si oui, comment les obtenir ? Faut-il enfin que l’on prenne des dispositions pour pallier son absence durant ce voyage ?
Ce type de réflexion et de planification que les gens font pour des choses tout à fait ordinaires de la vie courante, représente exactement l’attitude que devraient adopter les représentants de mouvements politiques et sociaux. Malheureusement, pourtant, la planification stratégique retient rarement l’attention qu’elle mérite chez les représentants de ces mouvements.
Certains, en effet, croient naïvement qu’il suffit de déclarer leurs objectifs haut, fort et suffisamment longtemps pour que ceux-ci soient d’une manière ou d’une autre atteints. D’autres pensent que, s’ils restent fidèles à leurs idéaux et principes et témoignent d’eux dans l’adversité, ils font là le maximum possible en vue de la réalisation de leurs objectifs. Il est certes admirable d’affirmer ses convictions et d’y rester fidèle mais c’est une attitude qui en soi est entièrement inadaptée à un objectif de changement, pour sortir du statu quo et atteindre des buts bien définis.
Bien évidemment, il est beaucoup plus compliqué de changer une société, d’empêcher qu’une société change, de lutter contre une occupation étrangère ou de défendre une société contre une agression, que d’organiser un voyage. Les gens engagés dans une lutte politique sont pourtant trop rares à reconnaître l’importance capitale d’une organisation stratégique aussi précise que possible avant d’engager toute action.
Très souvent, dans les mouvements sociaux et politiques, les individus et groupes impliqués se rendent compte de la nécessité de prévoir leur manière d’agir. Mais ils font généralement cela sur un très court terme, de façon limitée et tactique. Ils ne tentent pas d’établir un plan d’action plus étendu, à visée plus durable et stratégique. Cela ne leur semble sans doute pas nécessaire. Il se peut aussi qu’ils soient parfois incapables de penser et d’analyser les choses en ces termes. Ou bien encore, ils se laissent distraire de leur objectif principal en se concentrant plutôt sur des aspects plus secondaires de la lutte, comme répondre aux attaques répétées de leurs opposants ou agir avec passion pour des actions de court terme. Il se peut aussi qu’ils ne consacrent pas de temps à élaborer une stratégie, ou à rechercher diverses stratégies alternatives qui pourraient les aider à mener à bien leur objectif.
Il faut aussi reconnaître que parfois, les gens n’élaborent aucune stratégie d’action parce qu’au fond d’eux-mêmes, ils ne croient pas que la victoire soit possible. Ils se voient comme de faibles victimes démunies face à des forces invincibles. Ainsi, le mieux qu’ils puissent faire, pensent-ils, est de dire, de témoigner, voire de mourir, en restant fidèles à leurs convictions. En conséquence, ils n’essaient même pas de penser et de planifier leur lutte en termes stratégiques dans le but d’atteindre leur objectif.
Ce qui découle d’une telle incapacité à s’organiser stratégiquement est que les chances de réussite en sont gravement réduites et parfois annihilées. La force des militants est alors gaspillée. Leurs actions deviennent inefficaces. Certains sacrifient leur vie pour rien et leur cause n’avance pas. L’incapacité à s’organiser stratégiquement risque alors de compromettre les chances de réussite de l’objectif poursuivi.
Sans établissement clair de la conduite stratégique à tenir :
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L’énergie des activistes peut être détournée vers des objectifs mineurs ou utilisée de manière inefficace ;
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Les occasions de faire avancer leur cause risquent de passer sous le nez des militants ;
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Le cours des événements sera laissé à l’initiative de l’oppresseur ;
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La faiblesse des résistants augmentera et entravera la réalisation de leur objectif ; et
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Les efforts mis en œuvre pour atteindre cet objectif auront très peu de chances d’être couronnés de succès.
Tout au contraire, l’établissement et l’adoption de stratégies intelligentes accroissent les chances de réussite. Mener une action intégrée dans un plan stratégique permet de concentrer ses forces et ses actions en direction du but visé. Elle peut se concentrer pour servir les objectifs que l’on vise ou bien pour aggraver les faiblesses de son ennemi. Le nombre de victimes et toute autre perte peuvent être considérablement réduits et les sacrifices consentis peuvent l’être de manière beaucoup plus efficace. Ainsi, les chances de succès d’une campagne d’action nonviolente sont multipliées.
Mise au point de stratégies intelligentes
Le choix ou la mise au point d’une stratégie intelligente exige :
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De déterminer précisément le contexte dans lequel la lutte doit être menée ;
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D’identifier la nature de la différence entre la situation présente et celle qu’on cherche à atteindre ;
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D’évaluer les obstacles qui peuvent gêner la réalisation de l’objectif et les facteurs qui peuvent la faciliter ;
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D’estimer les forces et les faiblesses de son opposant, du groupe de résistants auquel on appartient, et des tierces parties qui seraient susceptibles d’aider ou de gêner la lutte ;
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D’évaluer les avantages et les limites des différents types d’actions envisageables ;
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De choisir un plan réalisable parmi les options existantes ou en élaborer un entièrement nouveau ;
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De mettre au point un plan d’action général qui détaille les actions à mener à plus petite échelle et les méthodes d’action spécifiques à utiliser dans le but de servir l’objectif principal (par exemple, quelles actions localisées ou de courte durée doivent être organisées en vue de servir la stratégie définie à un plan plus général).
Niveaux de planification et d’action
Lorsqu’on développe un plan d’action stratégique, il faut avoir présent à l’esprit qu’il existe différents niveaux de planification et d’action. Au niveau le plus élevé se trouve la stratégie globale. Ensuite se trouve la stratégie elle-même, suivie de la tactique et des méthodes.
La stratégie globale correspond aux idées générales qui permettent de coordonner et diriger toutes les ressources disponibles et nécessaires (économiques, humaines, morales, politiques, organisationnelles, etc.) d’une nation ou d’un autre groupe en vue d’atteindre les objectifs.
La stratégie globale s’appuie sur des considérations concernant la justesse de la cause défendue, les influences susceptibles de s’exercer sur la situation, le choix de la technique d’action qui devra être employée (par exemple la lutte nonviolente, la politique traditionnelle, la guérilla ou la guerre conventionnelle), la manière d’atteindre les objectifs recherchés et les conséquences à long terme de la lutte menée.
La stratégie globale définit le cadre dans lequel s’inséreront les stratégies locales du combat. A ce niveau de planification, il est aussi nécessaire de distribuer les tâches générales à accomplir à des groupes de personnes précis et de leur fournir les ressources qui leur permettront de combattre. De même, il faut aussi se questionner sur la manière dont le combat se rapport à la réussite des objectifs visés.
La stratégie, à l’intérieur de la stratégie globale, consiste à déterminer la meilleure manière d’atteindre les objectifs visés lors d’un conflit (qu’il soit violent ou nonviolent). La stratégie consiste à se demander s’il faut combattre, quand, comment, et de quelle manière le faire avec le maximum d’efficacité pour atteindre certains buts. La stratégie permet de déterminer la distribution, l’adaptation et l’utilisation des moyens dont on dispose en vue d’atteindre les objectifs poursuivis.
La stratégie peut aussi s’efforcer de créer une situation si favorable que la victoire soit acquise sans lutte ouverte. Lorsqu’elle s’applique à la lutte elle-même, la stratégie consiste à prévoir la manière dont la bataille va se dérouler et comment les différents éléments en jeu doivent s’organiser afin d’atteindre victorieusement les buts visés.
La stratégie oblige à prévoir les résultats probables des actions menées, le développement d’un large plan d’actions, le choix précis du déploiement des groupes sur telle ou telle action locale, et la prévision de ressources nécessaires à la réussite d’une opération menée selon telle ou telle technique. La stratégie prévoit enfin de faire bon usage de la victoire.
La stratégie opère à l’intérieur de la stratégie globale. Tactiques et méthodes sont, elles, employées pour servir la stratégie. Pour être le plus efficace possible les tactiques et méthodes doivent être sélectionnées et employées dans le but de servir la stratégie choisie et de permettre le succès de la lutte.
Mettre au point une stratégie dans le cadre d’une lutte nonviolente suppose de prendre en compte les éléments suivants : ses propres objectifs, ressources et forces, le rôle réel ou possible des tierces parties, les divers moyens d’action possibles de l’adversaire, ses propres moyens d’action tant offensifs que défensifs, les éléments nécessaires au succès de cette lutte nonviolente, sa dynamique d’action, et sa capacité à créer du changement.
Une tactique est un plan d’action à court terme, fondé sur l’idée d’utiliser au mieux les moyens de lutte disponibles dans le but d’obtenir un succès limité mais partie prenante de la stratégie définie à plus grande échelle. Une tactique ne se soucie donc que d’une action à portée limitée mais qui s’insère dans le plan stratégique, tout comme la stratégie elle-même s’insère au cœur de la stratégie globale. Ainsi, toute tactique singulière ne peut se comprendre qu’en appréhendant la stratégie supérieure d’une bataille ou d’une campagne.
Les tactiques permettent de définir comment des méthodes d’action particulières doivent s’appliquer et comment des groupes de combattants doivent agir dans une situation particulière. Les tactiques s’emploient sur des périodes de temps plus courtes, des zones plus réduites (zones géographiques, institutionnelles, etc.), avec un nombre plus restreint de personnes et des objectifs plus modestes que les stratégies.
La méthode désigne quant à elle les moyens d’action spécifique employés dans le cadre de la technique de lutte nonviolente. Parmi ceux-ci figurent des dizaines de formes d’actions distinctes, telles que les différents modes de grèves, boycotts, noncoopérations politiques, et autres (voir l’Appendice deux pour consulter la liste des 198 méthodes d’action nonviolente qui ont été utilisées au cours de l’Histoire).
Le développement d’un plan stratégique efficace et responsable en vue d’une forme de lutte nonviolente, dépend de la qualité de la formulation et de la sélection de la stratégie générale, des stratégies, tactiques et méthodes.
Quelques éléments-clés de la stratégie nonviolente
Il n’existe pas de stratégie-type pour la lutte nonviolente, qui permettrait de s’adapter à toutes les situations. En effet, la technique de l’action nonviolente rend possible le développement de diverses stratégies permettant d’affronter plusieurs types de situations conflictuelles. Par ailleurs, la lutte nonviolente nécessite souvent d’être intégrée à l’intérieur d’une stratégie générale employant d’autres moyens d’action.
Ceci ne signifie pas que la lutte nonviolente est compatible avec tout autre mode d’action. Par exemple, l’emploi de la violence dans le cadre d’une lutte nonviolente détruit différents processus par lesquels fonctionne la lutte nonviolente, et de ce fait contribue, au mieux à la rendre inefficace, et au pire à l’anéantir ou à conduire à la défaite.
Il est par contre évident que des méthodes d’action comme les enquêtes, les campagnes de sensibilisation, l’information et l’éducation du public, les appels à des personnes chez l’adversaire, les négociations ou tout autre outil d’action, peuvent être employés conjointement et utilement avec la lutte nonviolente. Ces moyens d’agir sont fréquemment employés parallèlement à des boycotts économiques ou des grèves du travail par exemple.
Il y a un principe simple qui se révèle essentiel pour les campagnes de lutte nonviolente : il consiste à concevoir son plan de lutte de sorte que le succès ne soit dû qu’à soi-même et à son propre camp. Tel était le message de Charles Stewart Parnell aux paysans irlandais alors que ceux-ci étaient engagés dans une grève du paiement de leurs loyers en 1879-1880 : « Ne comptez que sur vous-mêmes, » et sur personne d’autre.
Lorsqu’une lutte nonviolente difficile est prévue puis engagée, il est évidemment bon de rechercher un appui limité et nonviolent de la part des autres, mais la victoire ne doit dépendre que de son propre groupe. De cette manière, si aucune aide extérieure n’est prodiguée et si la lutte a été stratégiquement bien préparée, il reste une chance de succès. Si au contraire la lutte s’est par trop appuyée sur une aide extérieure qui vient à manquer alors la lutte est perdue. D’une manière générale, un soutien extérieur solide surviendra plus sûrement si la lutte, forte mais nonviolente, est menée par une population oppressée agissant comme si l’échec ou le succès de l’opération ne dépendaient que d’elle.
La mise au point de stratégies et de tactiques intelligentes en vue de mener des actions nonviolentes requiert une compréhension fine de la dynamique et des mécanismes à l’œuvre dans toute lutte nonviolente ; ceci est détaillé dans le livre The Politics of Nonviolent Action (voir Appendice trois pour plus d’informations). Il est important de sélectionner avec attention les plans et les actions qui seront utiles et de rejeter ceux qui nuiront au contraire à l’efficacité de la lutte.
Il faudra également prêter attention à des facteurs annexes tels que les aspects psychologiques, le moral, les éléments géographiques et physiques, l’organisation chronologique, les effectifs dont on dispose, leur force, le lien entre le but poursuivi et les forces à disposition, ainsi que le choix de méthodes d’action spécifiques susceptibles d’aider à atteindre les objectifs fixés par la stratégie et la tactique.
L’importance de la prévision stratégique ne saurait toutefois être exagérée. Elle ne garantit pas l’atteinte des objectifs de la lutte, mais elle est cruciale pour rendre plus efficaces des mouvements politiques et sociaux.
Chapitre 3 : Etapes de la planification stratégique des luttes nonviolentes contre des régimes d’oppression
La lutte nonviolente est une technique de conduite des conflits employant des modes de protestation, de noncoopération, et d’intervention perturbatrice de type social, psychologique, économique, et politique.
Il s’agit d’une technique qui s’appuie donc sur l’emploi social, économique et politique de l’obstination humaine, c’est-à-dire la détermination et la capacité à être en désaccord, à refuser de coopérer, à défier et à perturber. En d’autres termes, dans le cadre de ce type de lutte, les gens peuvent refuser de faire ce qu’on leur demande ou au contraire faire ce qui leur est interdit.
Pour exister, tous les gouvernements dépendent de la coopération et de l’obéissance de ceux qu’ils gouvernent. Lorsque les gens décident de restreindre ou de retirer leur coopération à ce pouvoir, les gouvernements se retrouvent privés de toute base sur laquelle appuyer leur domination.
La lutte nonviolente a été employée dans différents types de conflits à travers l’Histoire, pour résister à l’oppression, venir à bout de dictatures, s’opposer à une occupation étrangère, défendre des minorités haïes, et étendre les libertés.
Par le passé, de telles luttes ont été souvent organisées de manière intuitive, par un heureux concours de circonstances, dans l’improvisation, et par des gens qui agissaient sans identifier leurs objectifs de manière claire ou sans comprendre ce qui était nécessaire pour les atteindre.
Certaines de ces luttes se sont faites autour d’une planification tactique à court terme, mais très peu ont été organisées par des projets de stratégie globale permettant le développement et la conduite du combat sur un plan supérieur.
A présent, les groupes s’engageant dans la lutte nonviolente n’ont plus besoin de réinventer seuls leur technique d’action. Par une compréhension plus précise de cette technique, le partage des connaissances acquises dans ce domaine, et l’emploi de la planification stratégique ou à long terme, la lutte nonviolente devient de plus en plus efficace.
Eléments pour la planification stratégique
Voici quelques uns des aspects qui doivent retenir l’attention lorsqu’on organise une lutte nonviolente :
Phase I : Evaluation initiale et analyse
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Examiner les enjeux du point de vue des deux parties.
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Préparer une analyse des systèmes culturels, politiques et socio-économiques observables dans la société ou le pays, ainsi que la distribution de la population.
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Préparer une estimation stratégique, c’est-à-dire identifier les forces et faiblesses de chacune des parties présentes dans le conflit. Ceci suppose d’identifier les sources de pouvoir pour chacune des parties en opposition, ainsi que l’identification des institutions qui les soutiennent. Il faut également analyser les ressources disponibles ou contrôlées par chacune des parties, observer dans quelle mesure ces deux parties dépendent l’une de l’autre en matière de besoins particuliers, et évaluer la force de combat relative des deux camps.
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Identifier les sources de pouvoir du camp adverse qui seraient susceptibles d’être visées, voire anéanties.
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Identifier et examiner le rôle potentiel que pourraient jouer des parties tierces, extérieures au conflit, y compris la population « nonengagée » au sens large.
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Identifier les autres facteurs externes qui peuvent affecter le cours des choses : la géographie, le temps, le climat, l’infrastructure, etc.
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Identifier d’autres formes de pressions qui pourraient permettre au groupe résistant d’atteindre les objectifs qu’il s’est fixés.
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Considérer tous les facteurs ci-dessus cités et voir si les conditions actuelles permettent ou non de mener une lutte nonviolente dans un laps de temps déterminé. Déterminer aussi, parmi les conditions constatées, lesquelles sont « définitives », lesquelles sont variables et lesquelles dépendent directement de l’action des résistants ou de leurs adversaires.
Phase II : Mise au point d’une stratégie
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Définir une stratégie globale pour l’ensemble de la lutte. Identifier les objectifs de la lutte en termes clairs et spécifiques. Prévoir de manière générale l’attitude à adopter pour que la lutte nonviolente conduise à ses objectifs. Ceci correspond à la conception large et à long terme de la lutte, permettant de coordonner et de diriger toutes les ressources adéquates disponibles du groupe résistant.
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L’objectif principal de la lutte peut-il être atteint grâce à une seule campagne d’action ? Si oui, définir la manière d’agir. Sinon, il faudra alors diviser la lutte en étapes prévoyant des campagnes d’action limitées s’attachant à atteindre des objectifs secondaires mais importants.
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Etablir des stratégies permettant de mener des campagnes isolées visant des objectifs plus limités à atteindre tout au long de la lutte. C’est à ce stade que le plan général prévu pour la stratégie globale se détaille afin de définir qui, quoi, où, quand et comment programmer une campagne particulière à l’intérieur du conflit.
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Choisir des tactiques spécifiques et des méthodes d’action individuelles qui permettront de soutenir la stratégie globale pour laquelle on a opté. Il est très important de choisir attentivement ces tactiques et méthodes à l’intérieur d’un plan stratégique élaboré et seulement après avoir défini une stratégie globale. Les méthodes nonviolentes qui peuvent être retenues comprennent la protestation et la persuasion, la noncoopération et l’intervention. Certaines fonctionneront mieux que d’autres selon les situations et surtout selon la stratégie globale choisie, l’objectif général à atteindre, l’estimation stratégique et le résultat escompté de la campagne. Certaines méthodes permettront mieux que d’autres de réduire, voire d’éliminer les sources de pouvoir du régime visé.
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S’assurer que le plan stratégique adopté est cohérent dans ses objectifs, moyens de pressions qui seront exercées, et méthodes/tactiques choisies.
Phase III : Création des capacités
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S’assurer que la population est en mesure de mettre en œuvre les stratégies choisies pour la lutte. Si ce n’est pas le cas, définir les efforts qui devront être fournis pour renforcer les capacités de la population. Ou si nécessaire, changer les stratégies.
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Renforcer les organisations et institutions qui ne sont pas sous le contrôle du pouvoir auquel on s’oppose, particulièrement si la stratégie globale qu’on a définie requiert l’utilisation de ces organes indépendants pour la noncoopération et la défiance dans le cadre de la lutte.
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Prévoir l’aide de tierces parties sans dépendre d’elles.
Phase IV : La lutte elle-même
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Concentrer les forces des résistants sur les points faibles du pouvoir visé, afin de remporter des victoires définies par la stratégie globale, la stratégie et les méthodes choisies : il s’agit notamment d’atteindre la réduction voire la destruction, des sources de pouvoir du régime en place.
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S’assurer que le plan stratégique s’applique de manière disciplinée et sans violence, ce qui affaiblirait le camp résistant.
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S’assurer que les activités de lutte renforcent la capacité des résistants.
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S’assurer que les résistants ont accès aux ressources critiques.
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Maintenir l’adversaire dans une situation difficile.
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Défier la répression menée par l’adversaire mais en s’en tenant toujours aux formes de lutte choisies.
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Agir plutôt que réagir. Avoir de l’initiative et de l’élévation. La lutte doit être conduite selon les termes que le camp résistant a choisis, et non selon ceux déterminés par l’adversaire.
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Réévaluer constamment la conduite du conflit en fonction du plan stratégique.
Phase V: Conclusion du conflit
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Succès, échec ou résultats mitigés ?
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Etablir un bilan post-conflit et en tirer des prévisions pour l’avenir.
Ce qui précède ne constitue qu’un extrait des remarques fondamentales pour la conduite d’une lutte nonviolente.
Notes
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Publication à Boston, MA : The Albert Einstein Institution, avril 2003 pour l’édition originale en anglais ; L’Harmattan, Paris 2009, pour l’édition en français.
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Le lecteur de cette fiche se reportera utilement à notre dossier des « Résistances civiles de masse » www.irenees.net/fr/dossiers/dossier-199.html