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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, France, septembre 2008

A propos du conflit entre la Géorgie et la Russie

Derrière ce conflit localisé se cachent d’autres enjeux encore plus essentiels, dont le règlement du dossier nucléaire iranien, difficilement solvable sans les Russes.

Mots clefs : La responsabilité des autorités politiques à l'égard de la paix | Géopolitique et paix | Union Européenne | OTAN | Communauté Internationale | Agir à l'échelle internationale pour préserver la paix | Interventions militaires de l’ONU | Géorgie | Russie

Les réflexions à chaud qui suivent viennent d’un militaire qui ne connaît pas spécialement cette région, qui a lu la presse et ne dispose pas d’autre source d’information, ce qui le pousse à la prudence. Face à des enjeux redoutables, il ne veut surtout pas se livrer à des rodomontades aussi faciles qu’irresponsables. Il attend en revanche des experts la contradiction ou des réponses à ses questions.

Son premier réflexe a été d’aller aux sources historiques du conflit. Pourquoi l’Ossétie est-elle coupée en deux ? Qui en furent les premiers habitants ? Depuis quand le nord et le sud sont-ils respectivement russes et géorgiens? Bien évidemment, la réalité est complexe. Au commencement, il semble que les Ossètes, descendants des Scythes, Sarmates et Alains, soient arrivés dans le Caucase après avoir été chassés du Don par les Mongols. Ils seraient devenus chrétiens sous l’influence des Géorgiens. Dans le Caucase, ils auraient formé trois entités territoriales distinctes : Digor, Tualläg et Iron. Digor, à l’Ouest, aurait été sous l’influence des Kabardes, qui introduisirent l’islam. Tualläg, au Sud, qui correspond à l’actuelle Ossétie du Sud, aurait fait partie de la communauté historique géorgienne de Samachablo (intéressant !). Iron, au Nord, sur le territoire de l’actuelle Ossétie du Nord, serait tombée sous la domination impériale russe en 1767.

L’Ossétie du sud a été annexée à la Russie en même temps que la Géorgie en 1801. La population compte maintenant environ deux tiers d’Ossètes et un tiers de Géorgiens, après que nombre de ces derniers soient partis lors des affrontements de 1991. Il semble que l’origine du conflit vienne, lors de la chute de l’Empire soviétique, de la suppression par la Géorgie de l’autonomie dont jouissaient les Ossètes. Cela justifie-t-il un conflit d’une telle violence ? Pourquoi une telle haine entre des communautés aux cultures assez voisines, qui ont longtemps vécu en paix ?

Par ailleurs, on apprend que la Géorgie a pris l’initiative début août de lancer une opération militaire en Ossétie du sud, apparaissant comme l’agresseur initial. Mais on sait très peu de choses sur les provocations probables des Ossètes (tirs d’artillerie ?), sans doute avec le soutien des Russes, voire leur incitation. Quoi qu’il en soit, cette intervention initiale apparaît malencontreuse et il aurait sans doute mieux valu que la Géorgie proteste vigoureusement devant la Communauté internationale et établisse des preuves solides des incidents et des agressions ossètes contre les Géorgiens habitant dans cette région, si c’est avéré.

Il est évident que la riposte des Russes, violente et rapide, sans doute planifiée, était disproportionnée, unilatérale, et hors du droit international, sans mandat des Nations Unies, et pas dans le cadre de la légitime défense de la Russie.

Les Ossètes du Sud ont-ils par ailleurs le droit à l’indépendance, au même titre que les Albanais du Kosovo ? Quelle différence peut-on faire entre les deux situations ? En tout état de cause, dans le cas du Kosovo, l’auto-proclamation de l’indépendance, reconnue par la majorité de la Communauté internationale, est venue après un long processus de dialogue et une recommandation du représentant spécial des Nations Unies. Les Serbes paient aussi sans doute indirectement les violences passées, inadmissibles, qui les ont fait apparaître à juste titre comme les « méchants ».

Derrière tout cela bien sûr, il y a la réaction de la Russie face à ce qu’elle considère comme une ingérence de l’OTAN dans sa zone d’influence, après que l’Ukraine se soit rapprochée de cette même OTAN et de l’UE, après l’indépendance du Kosovo, l’installation des radars et des missiles anti-missiles balistiques en Pologne et en République Tchèque, alors qu’il est difficile de faire croire qu’ils sont menaçants pour la Russie.

Que pouvaient faire alors les Nations Unies, les USA et l’Union européenne, mis devant le fait accompli ? On a parlé d’un nouveau Munich. Il ne faut pas exagérer.

Une Europe puissance unie politiquement, qui n’aurait pas au préalable donné aux Russes des signes favorables, aurait peut-être pu dissuader ces derniers de se lancer dans cette aventure, même si on constate que l’hyper puissance américaine, déjà bien occupée sur d’autres théâtres, n’en a pas été capable. En tout état de cause, la réaction de l’Union européenne a été unie, réaliste, ferme et proportionnée, compte tenu de la situation actuelle.

Sur cet exemple, dans la confrontation des volontés, dans la « partie d’échecs stratégique », les Russes ont été en position de force, militaire et économique face à une Europe dépendante des approvisionnements en gaz. Ils ont gagné leur pari militaire à court terme et surtout montré au Monde qu’il fallait encore compter avec eux, qu’ils demeuraient une grande puissance. C’est cher payé par les morts civils et militaires en Russie, Ossétie et en Géorgie. Mais les Russes auront-ils raison sur le long terme ? Dans l’histoire, les démocraties occidentales se sont montré toujours lentes à réagir, mais sur la durée ce sont toujours elles qui ont triomphé. Sur la question de l’approvisionnement en énergie, et des échanges économiques globaux, les Russes, au delà des effets d’annonce, ont certainement autant besoin de l’Europe que cette dernière a besoin d’eux. Derrière ce conflit localisé se cachent d’autres enjeux encore plus essentiels, dont le règlement du dossier nucléaire iranien, difficilement solvable sans les Russes. Il faut donc se montrer fermes sur les principes et raison garder.

Mais par ailleurs, la Communauté internationale peut-elle répondre à toutes les crises dans le monde : Palestine, Liban, Darfour, Congo, Afghanistan, Irak, Caucase, etc. ? Celle-ci n’en a tout simplement, du moins pour l’instant, pas les moyens. Se pose aussi la toujours douloureuse question des pertes humaines parmi les forces mandatées, même si celles-ci sont professionnelles. Les opinions publiques à juste titre s’en émeuvent et sont susceptibles de remettre en cause les engagements. Il faut bien leur en expliquer les raisons et en quoi elles sont concernées. Quels peuvent être alors les critères de choix des interventions de l’ONU, qui ne devraient pas être ceux de la pression médiatique, de l’émotion, ou d’ intérêts économiques inavoués ?

De ce bien triste exemple, il faut retenir que l’utilisation de la violence armée ne peut se faire qu’en dernier recours, de manière proportionnée, avec un mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies, qu’il faut certes réformer pour qu’il soit plus représentatif et efficace, ou en cas d’agression militaire extérieure caractérisée. Les populations civiles doivent être épargnées, ainsi que leurs biens, ce qui n’a manifestement pas été le cas, des deux côtés, du moins au vu des reportages télévisés.

Notes

  • Cette fiche est extraite de la rubrique « Lettre du mois » du site web de l’Alliance internationale des militaires pour la paix et dans la sécurité (www.world-military.net).

  • Tous les textes et autres illustrations contenus dans www.world-military.net sont sous licence Creative Commons 2.0 France License : paternité, pas d’utilisation commerciale, pas de modification.