Fiche d’analyse Dossier : De nouvelles dynamiques pour pratiquer la paix : étude transversale des fiches d’expérience d’Irénées.

, Paris, juillet 2009

Sorties de crise : conditions, acteurs et enjeux

La sortie de crise est un moment particulièrement sensible dans le cycle de vie d’un conflit. Mettre fin à l’escalade de la violence, trouver un consensus entre les parties adverses, envisager une reconstruction matérielle, politique et sociale efficace : toutes ces étapes menant à la paix doivent être soigneusement préparées pour ne pas se solder par l’échec d’une reprise des combats.

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Depuis la fin de la Guerre Froide, de nouveaux types de conflits, plus confus car souvent internes, sont apparus. Il a alors fallu adapter les outils de pacification et enrichir les processus de paix pour obtenir de meilleurs résultats. Signe de cette mutation, l’Organisation des Nations Unies a vu son rôle évoluer et ses compétences acroître pour pouvoir notamment pacifier les régions meurtries par des guerres civiles.

Aujourd’hui, les processus de paix sont devenus de grandes opérations comportant plusieurs volets et impliquant une grande variété d’acteurs de la paix sur différents chantiers. Cet article a pour but de décrypter les processus de sortie de crise et de résolution des conflits, de mettre en lumière l’évolution des stratégies de pacification, et de présenter la multiplicité des personnes impliquées, ainsi que l’influence des acteurs internationaux (ONU, Etats-Unis, Union européenne) qui sont responsables sur place du rétablissement de la paix.

Une stratégie de pacification doit suivre différentes étapes, qui constitueront les principales parties de cet article. Le premier objectif d’une stratégie de pacification réside dans l’arrêt des violences. Nous verrons donc dans quelles conditions les parties adverses se mettent d’accord sur la signature d’un cessez-le-feu. Le deuxième volet des processus de pacification consiste à stabiliser le conflit. La trêve doit être officialisée par des accords de paix qui marquent le début de la reconstruction du territoire. Enfin, le maintien de la paix, une des phases les plus fragiles, implique de nos jours une stratégie multidimensionnelle portant sur de nombreux chantiers de reconstruction.

I. Les conditions préalables à la paix

Plusieurs cas de figures peuvent amener les parties en conflit à chercher un consensus portant sur l’arrêt des hostilités : nécessité pour l’une ou toutes les parties de trouver un accord, pressions populaires ou internationales si fortes qu’elles obligent les camps en confrontation à négocier une paix ou encore les évolutions géopolitiques mondiales et l’intervention de grandes puissances.

A. Différentes approches de résolution des conflits

Le choix de la force ou du dialogue, qui implique souvent le recours à un acteur tiers, détermine la stratégie de règlement du conflit, présentant chacune des points forts et des faiblesses.

1. La voie de la négociation

Pour mettre fin à un conflit, une solution non violente et choisie par les deux parties est préférable pour assurer un maintien de la paix durable. Basée sur le dialogue et la négociation, cette stratégie « gagnant-gagnant » permet d’avoir à l’issue du conflit ni vainqueur ni vaincu, et donc de limiter les sentiments de revanche pouvant déboucher sur une reprise des violences. Elle est considérée par les acteurs de la paix comme la stratégie de pacification la plus durable et la plus efficace.

Pour pouvoir la mettre en œuvre, il faut au préalable que les parties en confrontation soient toutes d’accord sur le principe de l’arrêt des combats. Cette volonté peut répondre à différentes situations :

  • Retour à la raison des belligérants ;

  • Difficultés budgétaires liées à la logistique de guerre (armes et soldes des forces armées sont de véritables gouffres financiers) ;

  • Ou encore égalité des forces en présence.

Ce dernier cas est illustré par le règlement du conflit au Salvador. La guerre civile et idéologique, débutée en 1980 et opposant les guérilléros partisans du bloc soviétique à l’armée soutenue par le bloc occidental, semblait ne jamais vouloir s’arrêter. Le financement et l’approvisionnement en armes de chacune des factions par les Etats-Unis et l’URSS aboutissait à une impasse militaire. La mise en lumière des brutalités de l’armée au niveau international a précipité la négociation des Accords de paix de Chapultepec en 1992, rendue possible par la volonté des deux parties de trouver une issue au conflit. (« Une convergence d’intérêts internes et externes pour le changement au Salvador »).

La négociation est donc une bonne stratégie pour désamorcer la violence, mais elle exige une convergence d’intérêts qui n’existe pas toujours. C’est donc bien là le point sensible de cette stratégie, car il arrive parfois que certains des protagonistes du conflit refusent toute concession, comme en Colombie où la tentative de dialogue a aboutit sur une recrudescence de la violence.

En 1998, le président Pastrana est élu sur un programme de paix dans un pays où la guerre civile avec les FARCS touche particulièrement les populations. Son approche prévoit de mettre un terme aux affrontements par la voie de la négociation, mais aussi la mise en œuvre de réformes sociales, offrant d’autres débouchés que la narco culture aux paysans et la lutte contre la corruption au sein de l’Etat. Malgré cette politique de la main tendue, le refus des FARCS à tout compromis débouche sur l’échec de leur démilitarisation. La Colombie va alors connaître les violences les plus fortes du conflit, ce qui amènera le président à annoncer la fin du cessez-le-feu en 2002. ( Le plan de paix pour la Colombie du président Pastrana à la fin du XXe siècle : de l’espoir à l’échec)

2. Le choix de la force

Il semble donc que la paix armée représente parfois la seule option pour arriver à faire plier l’adversaire. Pour le président Uribe, élu en 2002, seule une attitude ferme de l’Etat peut mettre un terme à ce conflit qui empoisonne le pays depuis plus de 50 ans. Soutenu par les Etats-Unis, Uribe va augmenter d’un tiers ses forces de sécurité pour mettre à mal les rebelles FARCS. La population, rassurée par la politique sécuritaire de l’Etat, soutient le président, les investissements étrangers ont fortement augmentés, tout comme le PIB, et le harcèlement permanent des rebelles a conduit à une réduction très sensible de leurs effectifs. (La stratégie du président Uribe pour la paix en Colombie : répression des groupes hors-la-loi, renforcement de l’autorité politique et monopole de la violence de la part de l’Etat)

L’emploi de la force dans la résolution d’un conflit n’est pourtant pas la solution la plus constructive. A long terme, les rancœurs refont surface et peuvent déboucher sur une reprise des affrontements. Cette efficacité modérée résulte en partie du manque de stratégie de pacification des rapports sociaux. Les populations gardent en elles les germes de la violence, érigée au rang de solution privilégiée dans la résolution des conflits.

La fin d’un conflit peut donc s’obtenir soit par le choix d’une stratégie musclée, soit par une volonté de négociation venant des deux parties. Lorsque ce dernier cas de figure se réalise, les adversaires sont très souvent influencés par des groupes de pression. Cette influence peut venir de l’intérieur, à la suite d’une aspiration populaire, ou de l’extérieur, via l’influence de grandes puissances ou d’organisations internationales.

B. Pressions internes et externes en faveur de la paix

1. La démocratisation comme préalable à la paix

Certains processus de pacification peuvent naître de l’aspiration des populations civiles à un retour à une situation normalisée, ce qui peut faire pencher les acteurs du conflit en faveur de négociations aboutissant à une paix.

En Amérique centrale, secouée par des guerres civiles trouvant leurs racines dans la Guerre Froide, les populations lassées des violences ont choisis dans plusieurs pays et à peu près à la même période des dirigeants favorables à la pacification de la région. La société civile a ainsi impulsé grâce au vote ou à son influence le remplacement des gouvernements militaires discrédités par les exactions et la violence dont ils ont fait preuve, par des régimes favorables la démocratisation. (« L‘Amérique centrale des années 1980 : des guerres civiles à la signature des accords de paix »).

Les pays de la région vont alors peu à peu suivre l’exemple du Costa Rica, où un régime démocratique est instauré depuis 1948. Ainsi, au Guatemala, le Général Rios Montt, pourtant arrivé au pouvoir par un coup d’Etat en 1982, entame pour satisfaire la population une procédure de réformes institutionnelles qui vont dans le sens de la démocratie et vont peu à peu substituer le pouvoir politique au pouvoir militaire. Le Salvador suit le même courant grâce à l’élection en 1984 d’un des leaders de la société civile, qui échappe aux logiques des affrontements pour porter la voix du peuple. Les élites dirigeantes du Honduras vont aussi répondre aux aspirations civiles en démocratisant le régime. Même le Nicaragua dirigé par Daniel Ortega depuis son coup d’Etat de 1979, doit trouver une légitimité démocratique et populaire. Le pays organise en 1984 des élections considérées comme frauduleuses par les Etats-Unis, mais qui permettront à son dirigeant de renforcer son autorité. Le processus démocratique va donc porter au pouvoir cinq dirigeants favorables à la démocratisation et au retour à la paix de la région. (« Le remplacement des gouvernements autoritaires et militaires par des régimes démocratiques en Amérique centrale à la fin du XXe siècle »).

La pression populaire va aboutir à un renforcement du politique au détriment des forces armées, point de départ de la mise en œuvre d’une stratégie régionale de pacification. Ainsi, l’histoire de l’Amérique centrale prouve que des réformes démocratiques peuvent être un préalable à une stratégie de paix.

2. La Communauté internationale, une force d’influence

La pression de la Communauté internationale, via les Nations Unies, les grandes puissances ou l’opinion publique, peut s’avérer être un vecteur de changement et de pacification efficace.

En Afrique du Sud, le passage d’une société d’apartheid, excluant la population noire majoritaire des processus politiques, à une transition démocratique a été fortement influencé par l’opinion internationale.

Depuis les années 1960, la société sud-africaine passe d’une économie agricole à une société industrielle, supposant la concentration d’une main d’œuvre près des zones industrielles, en l’occurrence les townships. Ce rassemblement favorise la prise de conscience noire et le début d’une résistance relayée par les médias internationaux. La population blanche ne vivant pas en Afrique du Sud va alors s’indigner du régime de ségrégation raciale et faire pression sur le gouvernement sud-africain. L’isolement diplomatique autant que la mise au ban du pays dans les grandes compétitions sportives va alors faire réagir sa population blanche. Le Président du début des années 1990, De Klerk, va alors mener une politique pragmatique de réconciliation nationale avec le soutien de Nelson Mandela, représentant de la communauté noire, qui aboutira à son élection en 1994. La Communauté internationale et l’opinion publique, en dénonçant l’exclusion des noirs, a donc joué un rôle important dans la transition démocratique du pays. (Vecteurs de transformations en Afrique du Sud)

C. Le retrait des ingérences étrangères

Durant la Guerre Froide, la bataille politique et idéologique qui opposait les Etats-Unis et l’URSS s’est déroulée par le biais de pays interposés. Dans chaque pays, un financement militaire était apporté aux forces d’opposition du régime. On peut citer l’appui des Américains aux Talibans durant l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS, ou encore le soutien communiste aux forces rebelles d’Amérique centrale, les guérilléros. Cette stratégie coûteuse de renversements des gouvernements acquis à la cause de l’adversaire, utilisée dans un sens comme dans l’autre, va aboutir à la déstabilisation politique de plusieurs pays, voir de région entière comme en Amérique centrale, considérée par les Etats-Unis comme leur « l’arrière-cour ».

Ce type de conflits favorisés par l’intervention de puissances étrangères existe encore de nos jours, bien que cette ingérence réponde aujourd’hui plus souvent à la préservation d’intérêt stratégique ou économique. On peut citer à cet égard l’approvisionnement d’armes chinoises au Soudan, la Chine étant le premier partenaire commercial du pays, le soutien de la France aux dictateurs africains préservant les intérêts du pays de la liberté, dont Omar Bongo, ex-président du Gabon, aura bénéficié pendant plus de 40 ans jusqu’à sa mort en juin 2009, ou encore le soutien iranien au Hezbollah libanais. Cette pratique d’ingérence, qui met au premier plan les intérêts du pays qui finance les groupes armés ou les dirigeants autoritaires, doit s’arrêter au plus vite pour que des régions meurtries puissent retrouver la stabilité nécessaire à tout développement économique.

L’arrêt des financements soviétiques et américains avec l’effondrement de l’URSS en 1991 ont permis le déblocage de nombreux conflits sensibles. Le règlement du conflit entre l’Ethiopie et l’Erythrée illustre le sacrifice des populations locales aux intérêts des superpuissances. Indépendants depuis 1950, l’Ethiopie annexe en 1962 son petit voisin avec le soutien des Etats-Unis. La guerre civile et les protestations qui s’ensuivent aboutiront en 1974 à un putsch militaire sous influence soviétique. Cependant, il faudra attendre la fin de la Guerre Froide pour que l’Ethiopie, qui n’a pas les moyens d’assurer l’occupation sans financement militaire, laisse l’Erythrée retrouve sa souveraineté. (« Une paix gagnée par le retrait du financement militaire »).

L’ingérence des grandes puissances dans les affaires politiques d’autres pays peut ainsi favoriser l’émergence de conflits, autant que leur retrait peut amener les parties adverses à trouver des compromis sur une pacification de leurs rapports.

Pour arriver à trouver une issue à un conflit de manière non violente, il faut que les parties en opposition montrent toutes deux leur détermination à trouver un accord. Sans la convergence de leurs intérêts, peu de stratégie de pacification peuvent aboutir, comme l’a démontré le semi-échec de l’ONU en Bosnie-Herzégovine. Une fois la volonté des deux adversaires à trouver une issue au conflit, un processus fort complexe se met alors en place, le plus souvent parrainé par un acteur tiers jouant le rôle de médiateur.

II. Stabilisation du conflit et signature d’accords de paix

La résolution d’un conflit se déroule en plusieurs étapes. Le premier objectif, la stabilisation du conflit, consiste en l’arrêt des hostilités et des violences, officialisé par la signature d’accords de paix.

Ce processus, visant à démilitariser les parties, fait intervenir un certain nombre de protagoniste. Ces acteurs tiers peuvent être représentés par les pays limitrophes du conflit, de grandes puissances, ou encore par l’ONU, qui s’est de plus en plus engagée tout au long de son histoire dans des opérations de maintien de la paix.

A. Un processus multi acteurs : l’exemple de l’Amérique centrale

L’exemple de la pacification de l’Amérique centrale durant la fin du XXe siècle, qui s’est réalisé sur la base d’une coopération régionale, illustre le nombre croissant d’intermédiaires nécessaires pour instaurer une paix. Les nombreux conflits des années 60 et 70 opposaient les élites conservatrices au pouvoir, soutenues par les Etats-Unis, contre la montée en puissance de forces rebelles financées par l’URSS. (Les relations et les tensions entre l’Amérique centrale et les Etats-Unis à la fin du XXe siècle concernant la paix)

L’arrivée au pouvoir de cinq dirigeants favorables à l’arrêt des guerres civiles meurtrières, va enclencher, sous l’impulsion du président du Costa Rica Oscar Arias, un processus de paix, dans un contexte de polarisation extrême de la société, divisée en deux modèles idéologiques, de militarisation du politique et de violences répétées de l’armée.

Pour mettre en place une stratégie efficace de pacification, les dirigeants centraméricains choisissent une approche régionale qui aborde de manière transversale les causes de la violence. Le 24 et 25 mai 1986, les cinq présidents d’Amérique centrale, signent en commun la déclaration d’Esquipulas I, qui va lancer le début du processus de paix. Celui-ci se base sur un processus simultanée, condamnant les forces d’opposition armées, mais reconnaissant la légitimité de tous les gouvernements centraméricains, même celui du Nicaragua, considéré comme une menace par les Etats-Unis.

Cette stratégie régionalisée s’appuie sur le remplacement de gouvernements militarisés par des Etats de droit, le remplacement des affrontements armés par un débat politique, la mise en place d’un cessez-le-feu, ainsi qu’une pacification des rapports sociaux mis à mal durant ces années de guerre civile. Le bon déroulement du processus est contrôlé par une Commission nationale de réconciliation.

Un an plus tard, le 7 août 1987, les accords de paix d’Esquipulas II, marquent le véritable début de la longue marche vers la paix. Bien qu’il ait été avant régional, ce processus de paix a concerné une zone géographique bien plus étendue que la seule Amérique centrale. (« Oser la paix en Amérique centrale des années 1980-1990 : le courage politique des nouvelles autorités démocratiques »).

B. Les médiations extérieures

Pour favoriser le dialogue entre deux parties adverses, l’appel à un médiateur neutre est souvent une stratégie payante. Ce dernier peut alors les aider à trouver un terrain d’entente et faciliter la mise en place du processus de démilitarisation. Ainsi, les pays frontaliers du conflit, qui voient leur sécurité menacée par l’instabilité de la région voisine, sont souvent parties prenante des opérations de pacification.

En Amérique centrale, des acteurs étrangers ont pris part à la stratégie de résolution du conflit. Le groupe Contadora, regroupant le Venezuela, la Colombie, le Panama et le Mexique, est crée en 1983 afin d’enrayer la crise centre-américaine. Il n’a pas eu les résultats escomptés mais constitue la première étape de la création du Mercosur. De l’autre côté, l’administration américaine tente en vain, de faire appliquer sa propre stratégie de sortie de crise. Après avoir prôné l’approche de la paix « par les réformes » sous l’administration Carter ( 1977-1981), l’administration Reagan qui lui succède (1981-1989) privilégie quant à elle l’approche par la force pour lutter contre la percée du communisme dans la région. Elle va donc s’opposer au plan de pacification centraméricain en affirmant la nécessité d’une transition démocratique progressive, exception faite du régime nicaraguayen qui lui doit être destitué au plus vite. (« Le plan Arias opposé au plan Reagan pour la pacification de l’Amérique centrale à la fin du XXe siècle »).

Les puissances étrangères, qui peuvent parrainer de façon efficace les opérations de retour à la paix, peuvent aussi constituer un frein à la pacification lorsqu’il ne protège que leurs intérêts.

Il est quand même préférable que des pays frontaliers ou ayant une histoire commune soient intégrés dans les processus de sortie de crise en tant que médiateurs. Ils peuvent alors abriter le lieu, neutre, où se tiendront les pourparlers, loin des violences et des stratégies partisanes. Au Burundi, l’assassinat du président en 1993 provoque une guerre civile meurtrière entre les Hutus et les Tutsis, marquée par les génocides et les épurations ethniques. Pour résoudre cette crise, l’Union africaine nomme trois médiateurs chargés de rétablir le dialogue entre les deux communautés. Les négociations de paix se déroulent en Tanzanie, pays limitrophe du Burundi. La ville d’Aruscha est choisie car elle est devenue depuis la signature des accords de paix du Rwanda le symbole de la paix en Afrique et abrite le Tribunal Pénal International pour le Rwanda. (Négociations de paix sur le Burundi à Aruscha)

Même si les tensions entre ethnies se poursuivent depuis, cet exemple démontre l’implication d’une organisation régionale, l’Union africaine, dans la recherche d’une solution de paix. Les processus de pacification impliquent bien plus d’acteurs que le conflit lui-même. Cela s’explique par la pertinence du rôle de médiateur qui permet de trouver une sortie de crise acceptable pour toutes les parties du conflit, mais qui pose aussi les bases de la construction future pour une paix durable. Cette médiation est aujourd’hui de plus en plus assurée par l’Organisation des Nations Unies dont les opérations de maintien de la paix s’orientent vers une plus grande implication dans les conflits internes.

C. L’ONU, garante de la paix ?

L’Organisation des Nations Unies a pour vocation d’assurer la paix et la sécurité internationales. Pour gérer les principales crises du monde, la Charte de l’ONU prévoit un certain nombre de mécanismes politiques et opérationnels. Pour réaliser sa politique de pacification, l’ONU intervient dans trois champs d’intervention distincts : la prévention des conflits, le maintien de la paix et la consolidation de la paix.

Avant la fin de la Guerre Froide, le schéma d’une sortie de crise selon l’ONU se limitait à un cessez-le-feu, contrôlé par un déploiement d’observateurs. Mais depuis la fin du XXe siècle, les rapports de pouvoirs géopolitiques ont changés. Consciente de ces mutations, l’ONU a développé des outils en adéquation avec les nouveaux besoins d’une sortie de crise.

L’ONU peut décider de mettre en œuvre différents types d’interventions : déployer des forces d’interposition entre les parties, son rôle initial, mais elle peut aussi mener des actions coercitives d’imposition de la paix, comme en Somalie, au Rwanda ou en ex-Yougoslavie. Au vu de l’impossibilité du pays à mener un processus de paix par lui-même, l’ONU est intervenue en Bosnie en 1995 pour mettre un terme aux massacres inter ethniques. Les pressions politiques en vue de la signature d’accords de paix, le déploiement de plus de 30 000 casques bleus et la division du pays en deux entités ont permis l’arrêt des hostilités et la reprise de l’économie. (L’intervention étrangère en ex-Yougoslavie, un préalable indispensable du retour à la paix)

Enfin, elle assure aussi un suivi de la paix, en accompagnant les processus de sortie de crise dans leurs différents aspects. Ces missions de consolidation de la paix englobent des tâches et des compétences de plus en plus variées.

III. La consolidation de la paix : des processus de plus en plus complexes

Une fois les accords de paix signés, le retour à une situation normalisée n’est pas acquis pour autant. Les missions de consolidation de la paix tentent d’interdire le retour vers des affrontements armés via différentes missions de reconstruction et de pacification des rapports sociaux. Elles consistent en la reconstruction des infrastructures civiles, la reconstruction de l’Etat et de sa légitimité, ainsi que la réhabilitation du secteur économique. Cependant, cette phase de la sortie de crise ne peut être engagée qu’à la suite de la mise en application d’un accord de paix.

A. L’élargissement des compétences militaires

Pour mener une reconstruction complète d’un territoire, il faut mettre en place une combinaison associant compétences civiles et militaires afin de pouvoir être opérationnel sur tous les chantiers. Cette phase nécessite la présence d’une multitude de professionnels de la paix, qui vont des forces armées d’interposition aux ONG, en passant par les hommes politiques et autres organisations internationales (Fond monétaire internationale, Banque mondiale). Ces acteurs vont travailler en collaboration avec les populations civiles, mais aussi avec les autorités locales, le gouvernement de transition, etc.

L’enchevêtrement de ces acteurs et de leurs dispositifs pose la question de la coordination des efforts vers des buts qui ne sont pas toujours communs. C’est pour répondre à ce problème que sont apparues les actions civilo-militaires, dont le principal objectif est de combiner les missions militaires (respect du cessez-le-feu, maintien de l’ordre) et civiles (reconstruction d’infrastructures civiles dans les domaines culturel, économiques et social) afin de contribuer efficacement à la remise à pied du pays. Ainsi, les troupes de l’armée française au Kosovo ont mené des missions de sécurisation, mais ont aussi participés à l’effort de reconstruction en réhabilitant le lycée agricole de Pristina. (Les aspects civiles et militaires de la gestion contemporaine des conflits : l’exemple de l’action française au Kosovo)

Les actions civilo-militaires sont particulièrement importantes dans la phase initiale de reconstruction, quand les acteurs civils ne sont pas encore en mesure d’exercer normalement leurs fonctions. Au fur et à mesure du rétablissement de la paix, les forces armées passent alors progressivement le relais aux organismes civils. La consolidation de la paix via des actions humanitaires par des forces armées étrangères permet en outre de développer la bonne image de la force intervenante par la population.

Ainsi, la phase de reconstruction est devenue un véritable enjeu du maintien de la paix. La reprise des hostilités étant plus probable dans des pays où l’état et l’économie sont défaillants, l’enjeu est donc de rétablir une situation normalisée avant de quitter le territoire.

B. La reconstruction d’un pays, une opération multidimensionnelle

Le retour à cette situation normalisée s’effectue par l’entreprise de trois principaux chantiers que sont la reconstruction de l’Etat, le développement économique et la pacification des relations sociales.

La reconstruction de l’Etat est la première des priorités dans la phase de consolidation de la paix. En effet, dans le cas de guerre civile, réhabiliter un Etat fort et légitime permet de transformer les revendications de lutte armée en débat politique. De plus, ce dernier est souvent le premier fournisseur de services de base, tel que l’éducation ou la santé. Sa défaillance nuit donc d’abord aux populations.

Reconstituer la classe politique, l’ancienne étant souvent éclaboussée par leur implication dans le conflit, est une tâche complexe. Il faut prendre en compte le contexte du pays et les souhaits de la population, sans compter sur les influences étrangères. En Afghanistan, pays divisé en plusieurs ethnies et clans, l’enjeu du partage du pouvoir après le départ des Talibans résidait dans le choix d’une représentation équitable et dans l’apaisement des chefs de guerre via leur politisation. C’est ainsi que le nouveau gouvernement d’Hamid Karzaï comprend des représentants de l’aristocratie tribale pachtoune, mais aussi des chefs de guerre et des chefs religieux, intégrés à des degrés divers à l’appareil étatique. (« La concurrence des forces politiques au sommet de l’Etat en Afghanistan »).

Un processus démocratique doit remplacer progressivement la mise en place d’un gouvernement de transition, sous peine de déboucher sur une contestation populaire lié au manque de représentation sociale. En Ouzbékistan, le président Karimov, après avoir négocié l’indépendance du pays en 1989, a mené une politique toujours plus autoritaire, ce qui a provoqué de nombreuses manifestations de contestations populaires et a privé de légitimité son gouvernement aux yeux de la communauté internationale. (« Le contrat fondateur et sa rupture en Ouzbékistan »). Le processus démocratique permet aussi de faire revenir la confiance des populations dans les institutions et hommes politiques. Au Libéria, la méfiance à l’égard des politiciens est telle que la jeune génération s’est massivement tournée vers le footballer Georges Weah pour qu’il se présente aux présidentielles. Cela illustre le désenchantement des populations concernant les processus électoraux. (« Le Libéria, les jeunes à la recherche d’un président de la République »).

Le développement économique du pays en situation de sortie de crise est aussi l’une des priorités de la reconstruction. Il faut en effet impulser rapidement une reprise des activités économiques afin de générer des recettes permettant à la population de voir son niveau de vie s’améliorer et de réinsérer les combattants démobilisés dans des activités non guerrières}}. Enfin, un processus de réconciliation nationale est nécessaire afin de pacifier les rapports sociaux et de faire revenir le dialogue entre les groupes en confrontation. Ce volet de la reconstruction est souvent attribué aux ONG.

Ainsi, la reconstruction d’un pays nécessite de nombreux acteurs de la paix : forces armées, entreprises privées, ONG, etc. Cette multitude d’intervenants et leur manque de coordination peuvent quelques fois déboucher sur des situations chaotiques et des pratiques discutables.

C. Les limites de l’aide internationale

L’intervention internationale dans la résolution d’un conflit peut parfois avoir des effets pervers à plus long terme. En Bosnie-Herzégovine, la mauvaise conduite des processus de paix et le manque de coordination des différentes organisations ont mené le pays à une trop grande dépendance à l’aide internationale. Son économie, tirée artificiellement vers le haut à cause des aides financières, dépend en partie de la consommation des acteurs de la paix. L’assistance d’une classe politique devenue passive empêche l’émergence d’un état souverain et le peu d’initiatives citoyennes n’a pas suffi à réconcilier la population. L’enjeu d’une opération de maintien de la paix est donc de renforcer les capacités locales sans pour autant les remplacer. (Les effets pervers de l’intervention internationale : la dépendance de la Bosnie-Herzégovine)

L’aide internationale à la reconstruction peut aussi être vécue comme une forme d’ingérence étrangère par des populations souvent méfiantes à la sortie d’un conflit. Le phénomène des « dividendes de paix » n’arrange en rien cette désagréable impression : le marché de la reconstruction reste des plus lucratifs pour des entreprises venant souvent des mêmes pays que ceux impliqués dans l’aide internationale. Il existe donc un lien entre l’implication d’un Etat dans une opération de consolidation de la paix et la présence de ses entreprises nationales sur le territoire dévasté par le conflit. Tirer des bénéfices économiques et politiques d’une intervention militaire reste de fait l’une des principales polémiques qui divisent les acteurs de la paix. (« Les dimensions économiques et politiques de l’action humanitaire : les limites de la démarche française en ex-Yougoslavie »).

Conclusion

Une sortie de crise est conditionné par plusieurs facteurs : défaite de l’une des parties, intérêts communs pour trouver un consensus, influences et pressions d’acteurs tiers ou encore intervention militaire étrangère. La signature d’un accord de paix, processus souvent chapeauté par d’autres pays ou par l’ONU, officialise le cessez-le-feu, mais définit aussi la mise en application d’une stratégie de reconstruction.

La pacification d’un territoire est donc aujourd’hui un processus complexe et multifonctionnel qui implique non seulement l’arrêt des violences, mais aussi la reconstruction des infrastructures (politiques, matérielles) ainsi que l’apaisement des rapports sociaux.

La consolidation de la paix englobe des tâches et des compétences variées comme l’acheminement de l’aide humanitaire, la sécurisation de la zone, un suivi relatif aux droits de l’Homme, la reconstruction de l’appareil étatique, de l’économie ou encore celle de la société.

Pour mettre en place ces nombreux chantiers, on assiste à une multiplication d’acteurs de la paix et à un élargissement des compétences militaires, qui s’orientent de plus en plus vers l’aide aux populations civiles.

Notes

  • Ouvrages :

    • De Boeck et Larcier, Promouvoir la paix, 2004, Université de paix, Bruxelles.

    • Paul Haéri, De la guerre à la paix, Pacification et stabilisation post-conflit, Stratégies et doctrines, 2008, Edition Economica, Paris.

    • Michel Liégeois, Maintien de la paix et diplomatie coercitive, l’organisation des Nations Unies à l’épreuve des conflits de l’après-guerre froide, 2003, Etablissements Emile Bruylant.

    • Jean-Luc Maret, La fabrication de la paix, nouveaux conflits, nouveaux acteurs, nouvelles méthodes, 2001, Ellipses édition, Paris.

    • Olivier Paye, Nouvel ordre mondial et maintien de la paix, l’ONU et la sécurité internationale, 1992, Bruxelles, GRIP.

  • Revues :

    • « Conduite et sortir de crise » : ‘L’ONU et la gestion des crises internationales’ de Camille Larène et ‘Médiation et sortie de crise : la nouvelle approche de l’ONU’ de Vincent Pasquini dans Agir, N°32, novembre 2007.

    • Sortie de conflit et obstacles à la paix, Champs de Mars n° 17, 2005.

  • Fiches Irenees :

    • Les effets pervers de l’intervention internationale : la dépendance en Bosnie-Herzégovine.

    • Oser la paix dans l’Amérique centrale des années 1980-1990 : le courage politique des nouvelles autorités démocratiques.

    • Les relations et les tensions entre l’Amérique centrale et les Etats-Unis à la fin du XXe siècle concernant la paix.

    • L’Amérique centrale des années 1980 : des guerres civiles à la signature des accords de paix.

    • Le « plan Arias » opposé au « plan Reagan » pour la pacification de l’Amérique centrale à la fin du XXe siècle.

    • Le contrat fondateur et sa rupture en Ouzbékistan.

    • Libéria, les jeunes à la recherche d’un président de la République.

    • Vecteurs de transformations en Afrique du Sud.

    • La concurrence des forces politiques au sommet de l’Etat en Afghanistan.

    • L’intervention étrangère en ex-Yougoslavie, un préalable indispensable au retour à la paix.

    • Négociations de paix sur le Burundi à Aruscha.

    • Les aspects civils et militaires de la gestion contemporaine des conflits : l’exemple de l’action française au Kosovo.

    • Le remplacement des gouvernements autoritaires et militaires par des régimes démocratiques en Amérique centrale à la fin du XXe siècle.

    • Guatemala 1960-1996, el dificil camino para pasar del conflicto armado a la firma de los acuerdos de Paz.

    • Le plan de paix pour la Colombie du président Pastrana à la fin du XXe siècle : de l’espoir à l’échec.

    • Les dimensions politiques et économiques de l’action humanitaire : les limites de la démarche française en ex-Yougoslavie.

    • Une convergence d’intérêts internes et externes pour le changement au Salvador.

    • Une paix gagnée par le retrait du financement militaire.

    • La méthode du président Uribe pour la paix en Colombie : répression des groupes hors-la-loi, renforcement de l’autorité politique et monopole de la violence de la part de l’Etat.