Analysis file Dossier : L’Amérique Latine, des sociétés en pleine recomposition: quelques enjeux pour la construction de paix

Paris, 2007

L’économie du pétrole au Venezuela

Impact sur la construction de la paix sociale et politique.

Keywords: | | | | | | Venezuela

Introduction

L’exploitation du pétrole au Venezuela a commencé en 1922, sous la présidence du général Juan Vicente GOMEZ de la République Bolivarienne du Venezuela. Elle constitue un facteur déterminant de toute l’histoire contemporaine de ce pays, tant au niveau économique, social que politique.

Depuis sa sécession en 1830 avec la République de Grande Colombie, le Venezuela a connu plusieurs phases d’instabilité qui ont lourdement pesé sur son économie. Marqué par une série de dictatures, de révolutions et de contre-révolutions, le pays n’a connu une réelle stabilité qu’à partir des années 1960, plus précisément avec l’élection de Romulo Bétancourt en 1958.

C’est en effet à partir de ce moment là que le Venezuela fut considéré comme l’une des démocraties modèles de l’Amérique Latine. Or, la démocratie comme Etat de droit et de liberté est généralement favorable à l’économie et à la croissance. On pourrait donc penser que la situation économique et sociale de ce pays serait parmi les plus avantageuses, surtout quand on dispose du pétrole comme c’est le cas du Vénézuéla. Mais la réalité est toute autre dans ce pays.

Principale source de revenu national, le pétrole vénézuélien a toujours été l’arme de paix sociale et de stabilité politique. De 1958 à 1998 la démocratie vénézuélienne reposait en fait sur une gestion du pétrole pouvant permettre aux autorités politiques de maintenir les différentes couches sociales sous leur coupole. Une telle dynamique, loin de conduire à un climat porteur de paix et de satisfaction sociale, a plutôt généré des tensions et des mécontentements.

C’est ainsi que l’endettement croissant du pays qui n’était qu’une conséquence logique de cette gestion aléatoire et surtout des « investissements somptuaires » (1), que faisaient les différentes autorités politiques du pays, ont fini par rompre au tournant des années 1990 l’apparent équilibre que traduisait cette « démocratie négociée au prix du pétrole ».

Retrouvant son identité en un nouveau messie, le peuple va largement choisir en décembre 1998 Hugo Chavez comme Président de la République. C’est ce tournant de la vie politique, économique et sociale du peuple vénézuélien qui nous intéresse dans ce présent travail.

En effet, l’actualité du Venezuela depuis l’accession de Hugo Chavez à la présidence ne se décline pas sans référence à cette ressource qu’est le pétrole. Et si l’enthousiasme qui a accompagné les deux ou trois premières années de son gouvernement peut se justifier, elle est et demeure une composante majeure de la gestion de ce pétrole. De plus, les profondes crises qui ont secoué le pays ne sont pas sans liens étroits avec cette même ressource. Par ailleurs, s’il est un axe de politique extérieure et de diplomatie que développe aujourd’hui le gouvernement de Chavez, cet axe repose bien évidemment sur ce même pétrole qui apparaît ainsi comme une clé de lecture des situations politique, économique et sociale du peuple vénézuélien.

C’est dire par là que la problématique de l’économie du pétrole est un des enjeux majeurs de l’Amérique Latine actuelle. Car non seulement le pétrole vénézuélien a des incidences sur la vie socio politique et économique du pays, mais encore sur toute la région. C’est justement ces incidences que nous voudrions mettre en évidence dans notre présent travail.

Notre objectif ici est donc de montrer comment le pétrole contribue pour une grande part à la santé économique de Venezuela. C’est d’abord au niveau interne et surtout sur le quotidien de la vie des Vénézuéliens que nous voudrions voir si la gestion du pétrole depuis l’avènement de Chavez au gouvernement a profité ou non au peuple. Il s’agira pour nous de confronter la politique économique du pétrole mise en place par ce gouvernement à la réalité concrète et quotidienne du peuple.

Pour faire face efficacement à cette tâche, une connaissance de la situation économique d’ensemble de ce pays nous paraît importante pour mieux apprécier ce qui se vit sur le terrain. Ainsi nous nous proposons de mettre le lecteur en contact avec la société vénézuélienne actuelle dans ses réalités économique, sociale et politique.

Nous développerons une approche comparative en décrivant le contexte politico économique d’avant Chavez pour mieux analyser la situation actuelle que vivent les Vénézuéliens. Ici nous parlerons essentiellement des diverses politiques économiques et sociales mises en place et de leur impact sur la réalité concrète et quotidienne des vénézuéliens.

Approche comparative du contexte politico-économique avant et depuis l’arrivée de Chavez au pouvoir.

Dans cette première partie nous ferons une étude comparative pour mieux apprécier la situation économique et politique du Venezuela, en lien avec la gestion du pétrole. L’acteur principal qui nous servira de repère dans cette analyse est l’actuel Président Hugo Chavez.

A. Le Venezuela d’avant Chavez

1. La politique de redistribution de la rente pétrolière.

S’il n’était qu’une chose à savoir sur le Venezuela, ce serait que la production de pétrole y est la principale industrie. Découverte au début du XXème siècle, cette ressource rare fera connaître le Venezuela qui deviendra dans le concert des nations un pays très envié. En effet, le Venezuela est aujourd’hui l’un des principaux pays exportateurs du pétrole dans le monde.

Dans les années 70, et surtout suite aux différents chocs pétroliers, le pétrole commence à avoir des répercutions notables sur les différentes structures sociales, économiques et politiques du pays. En effet, en 1973 et 1979, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), dont fait partie le Venezuela, décident de quadrupler leurs prix à l’exportation en très peu de temps. Ce sont les deux chocs pétroliers. Les revenus affluent donc en abondance dans le pays et le gouvernement doit alors faire face à la nécessité d’une réorganisation du système.

C’est ainsi qu’entre 1974 et 1976, l’industrie pétrolière vénézuélienne, jusque-là contrôlée par quelques transnationales telles que Exxon, Mobil, Shell et Chevron, est nationalisée. Dans ce cadre, l’entreprise « Petroleos de Venezuela S.A » (PDVSA) est créée en 1975, sous la première présidence de Carlos Andrès Perez. La République du Venezuela devient dès lors le seul et unique actionnaire de PDVSA et contrôle de ce fait, le raffinage, la production, la commercialisation, la distribution et l’exportation de toute l’industrie pétrolière. La politique pétrolière se retrouve donc fixée par le Président de la République et appliquée par le Ministre de l’Energie et des Mines, représentant légal de la République du Venezuela auprès de PDVSA.

Dès lors, les nouveaux gains financiers fruits de l’exploitation du pétrole, créent un espoir de forte croissance au niveau des autorités, mais également au niveau de la population. En effet, Monsieur Carlos Andrès Pérez, président à l’époque du « boom pétrolier », promet de « semer le pétrole » auprès des populations nécessiteuses, sous la forme de services publiques (amélioration de la santé, de l’éducation, des infrastructures, etc.). L’objectif fixé a été d’une certaine manière atteint, mais le résultat fut de courte durée. Car très vite, l’illusion que les recettes pétrolières amélioreraient réellement les conditions de vie des Vénézueliens est devenue un fait tangible pour tous. Voyons donc comment tout cela s’est concrètement traduit dans la réalité quotidienne du peuple.

2. L’impact de cette politique sur l’économie et la population

Avec la mise en place d’une politique patrimonialiste, qui se définit comme la mise en service des ressources au bénéfice d’un groupe déterminé (ici le pétrole pour la population) la population vénézuélienne attend beaucoup de la part des autorités gouvernementales qui contrôlent désormais le pétrole. Mais la prééminence relativement soudaine du pétrole est difficile à gérer pour les autorités et cela a des répercutions plus ou moins directes dans deux domaines importants: l’économique et le social.

En terme économique, on assiste au développement de ce que les spécialistes en la matière qualifient de « maladie hollandaise » (2). Les symptômes ne sont autres que la hausse des revenus dans un unique secteur de l’économie (ici l’industrie pétrolière), au détriment des autres secteurs. Or cette hausse de revenus n’a fait qu’accroître la demande de produits importés, la production nationale ne pouvant plus satisfaire la demande nationale de biens commercialisables, tels que les produits industriels et agricoles.

Au niveau de l’agriculture par exemple, les autorités vénézuéliennes ont peu à peu abandonné la production locale (café, cacao, coton, sucre, élevage, etc.) créant ainsi une carence dans ce secteur et par conséquent, se sont retrouvées dans l’obligation d’importer des produits vivriers. Des estimations chiffrées montrent ainsi à plus d’un tiers la part de la production agricole dans le PIB des années 1920 ; à un dixième du PIB dans les années 50 et à 6 % dans la production actuelle. Ce qui signifie que le est toujours d’actualité.

Or, la conséquence logique d’une telle situation est l’augmentation des prix à la consommation et une inflation générale des salaires. Le 18 février 1983, c’est le « Vendredi noir ». En réponse à une baisse des prix du pétrole sur le marché international et à une fuite massive de devises, la monnaie - le bolivar - est dévaluée. Le modèle rentier agonise.

Et, lorsque les prix du pétrole commencent à chuter de nouveau à la fin des années 80, la crise sociale devient inévitable. C’est la conséquence d’une logique macro économique. En effet habitué à réinvestir en masse les bénéfices des revenus pétroliers depuis les années 1970, dans le but d’améliorer les conditions de vie des Vénézuéliens, le gouvernement a du mal à réduire ses dépenses publiques lorsque la crise apparaît. Aussi, très rapidement, les dépenses gouvernementales finissent par dépasser le montant des nouvelles recettes et l’Etat s’endette peu à peu. Pour ne citer ne serait-ce qu’un exemple, sur environ deux décennies (de 1982 à 1998), les prix du brut passent de 15,93 $ le baril en 1982 (en dollars de 1973) à 3,19 $ le baril en 1998 (3).

Afin d’éviter une chute totale de son économie et sous la pression des institutions internationales et des grands financiers, un véritable plan d’ajustement structurel est adopté par l’Etat vénézuelien. Mais ces mesures d’austérités économiques (un moment inspirées par l’école de Chicago) ne sont pas au goût du peuple et ce sont de vastes couches de la population qui, réduites à une misère endémique, se dressèrent contre l’Etat pour manifester leur désapprobation. (Cf. les pillages et la rébellion populaire à Caracas en février 1989).

En effet, jusqu’alors accoutumée à percevoir toutes sortes de services de la part des autorités politiques, la population n’accepte pas de voir sa situation se dégrader même si les problèmes qui découlent de la crise pétrolière sont de plus en plus visibles : on voit tout d’abord apparaître une baisse générale des revenus pétroliers par habitant (47 % de 1963 à 1997), alors que la population double en peu de temps (12 millions en 1975 à 24 millions en 2000). La redistribution de la richesse est donc moindre et la pauvreté augmente. Aussi, d’énormes problèmes d’inégalités se manifestent.

Par ailleurs, du fait de l’abandon du secteur agricole au profit de l’industrie pétrolière au moment du « boom pétrolier », le Venezuela se retrouve très vite confronté au problème de l’exode rural, qui vide peu à peu les campagnes. En effet, nombreux sont ceux qui quittent les campagnes pour venir s’installer dans les villes et former ce que l’on appelle les « barrios », sorte de bidonvilles où la pauvreté est à son maximum.

Désormais, une grande partie de la population se retrouve privée de moyens pour satisfaire ses besoins première nécessité : se nourrir, se vêtir, se soigner, se loger et s’instruire devient le privilège de quelques-uns. Ainsi l’objectif de tous est de fuir la pauvreté et la misère croissantes des campagnes pour améliorer leur situation économique et sociale. Mais c’est plutôt la dégradation qui s’ensuit chaque fois.

3. Les vices du système et la poussée de Chavez.

En réalité, la politique de redistribution des richesses du pétrole (ou de restitution, selon les sources), mise en place par le gouvernement vénézuélien, a permis à ce dernier de piloter en très peu de temps les différents groupes sociaux et d’acheter leur soutien. Le système du clientélisme s’est ainsi développé au Venezuela et ce, dès les années 1960.

De plus, depuis la chute du dictateur Marcos Pérez Jiménez en 1958, le système politique vénézuélien s’est développé sur base du pacte de Punto Fijo (1958) où les principaux partis, Acción Democratica (AD, social-démocrate), COPEI (social-chrétien) et l’Unión Republicana Democrática, se sont alliés pour partager le pouvoir et écarter tous les acteurs d’opposition de la gauche (socialistes et communistes compris).

Si le pacte fut rompu officiellement en avril 1960, « la culture du dialogue et de consensus entre les élites des partis principaux se maintint jusqu’en 1999 », précise Ysrrael Camero (3).

Au départ, la population vénézuélienne a cependant été captivée par ce système, puisqu’elle croyait posséder un « Etat magique ». L’anthropologue Fernando Cornil a tenté de comprendre ce phénomène et le décrit en ces en termes : « En fabriquant d’époustouflants projets de développement qu’engendrent des fantasmes collectifs de progrès, l’Etat captive aussi bien son public que ses acteurs. Tel un ‘sorcier magnanime’, l’Etat tient ses sujets en leur induisant une condition ou un état de réceptivité à ses illusions – un Etat magique. » (5)

En réalité, la population vénézuélienne a rapidement été contrainte de rentrer dans la logique de relations de dépendance vis-à-vis de ses autorités politiques, alors que ces dernières savaient que pour obtenir un soutien de la part de sa population, elles pouvaient utiliser la restitution de l’argent du pétrole. Ce jeu de positionnement entre autorités politiques et groupes sociaux est donc devenu la véritable logique des relations politiques vénézuéliennes, et la population s’est ainsi retrouvée dans une situation d’aliénation puisqu’elle n’avait pas d’autres alternatives que de soutenir l’Etat. Or, lorsque la chute des prix du pétrole a commencé à se faire sentir, la crise économique s’est transformée en crise politique dont les émeutes anti-FMI et les massacres de 1989 en sont les signes.

C’est dans ce contexte que des militaires (avec à leur tête Hugo Chavez), auxquels il répugnait d’être contraint à réprimer le désordre, ont tenté à deux reprises de prendre le pouvoir par la force en 1992. Ces derniers ont mis en crise le gouvernement tout en renforçant les aspirations réformatrices et contestataires.

Le nouveau Président Caldera s’est mis à faire à la population de nombreuses promesses « contre le libéralisme, pour la justice sociale, contre la corruption politique » mais durant cette période, la population eut le sentiment que ces promesses n’étaient pas tenues et que le gouvernement agissait dans le sens contraire.

Avec le temps, le système a commencé à dégénérer en un modèle de plus en plus corrompu, entraînant la paupérisation de la population en général. Les niveaux croissants d’inégalités, les crises économiques périodiques et la corruption de plus en plus évidentes ont fini par donner naissance à un système politique plus instable que jamais.

En effet, les partis politiques traditionnels n’ont pas su répondre aux attentes de la population. Ils ont cru pouvoir continuer à contrôler la situation par le biais du clientélisme tout en gérant l’Etat de façon patrimoniale. Mais l’aggravation des conditions économiques de la majorité de la population et le sentiment d’être expolié des richesses nationales par une élite pétrolière corrompue a empêché les partis politiques traditionnels qui se partageaient le pouvoir de continuer à être les agents de redistribution de la rente pétrolière.

C’est alors que « l’idée d’un changement fondamental et urgent du système s’est répandue auprès d’une classe moyenne en processus d’appauvrissement et d’une couche pauvre qui commençait à connaître des conditions de misère. La conviction que l’économie se dégradait sans aucune solution en vue, que les institutions politiques étaient habitées par la corruption, que les autorités politiques n’étaient plus capables de gouverner, qu’il fallait réformer le système d’élections afin d’établir une véritable représentativité de la société civile, que la majorité de la population vénézuélienne s’appauvrissait de plus en plus alors qu’elle vivait sur une mer de pétrole, que le Venezuela allait droit dans le mur… a favorisé fortement le souhait de voir venir un changement politique fort. » (6)

C’est dans cette lignée là qu’en 1998, la majorité de la population décide d’élire le lieutenant-colonel Hugo Chavez à la Présidence en décembre 1998. En effet, après avoir purgé deux ans en prison pour ces tentatives de coup d’Etat en 1992, Hugo Chavez Frias constitua le Parti révolutionnaire bolivarien (par référence à Simon Bolivar) et s’imposa à travers les élections en balayant les deux partis traditionnels : l’Action démocratique (AD) et la COPEI (parti social-chrétien).

Sa principale perspective n’était alors autre qu’une reconstruction fondamentale de toute la sphère politique du pays. Cette élection représente donc l’apogée d’une crise, ainsi qu’un tournant important au Venezuela.

B. Le Venezuela depuis l’arrivée de Chavez au pouvoir

1. L’instauration de la Révolution bolivarienne

Soutenu au départ par une vaste proportion de la classe politique et de la classe moyenne, Hugo Chavez (chef du parti Mouvement pour la Cinquième République, créé après les deux tentatives de coup d Etat de 1992) est élu Président de la République du Venezuela en décembre 1998, avec 56 % des voix en sa faveur. Annoncé au cours de sa campagne, Hugo Chavez affiche rapidement son intention de restaurer le système politique et de modifier les structures socio-économiques du pays. C’est le début de la Révolution bolivarienne au Venezuela.

La « révolution bolivarienne » de Chavez, qui rend hommage à Simon Bolivar, principal libérateur de l’Amérique latine colonisée, repose sur un certain nombre d’idées clés qu’il est important de signaler car elles expliquent la suite des évènements. En effet, cette révolution, si l’on peut prétendre pouvoir la définir, est conçue comme un processus « civico-militaire ».

Le contenu social de la révolution à mener n’est pas nouveau ; c’est le thème classique de la lutte des classes sociales des marxistes et guérilleros : rendre aux pauvres ce qui leur appartient et abolir tous les privilèges accordés aux plus riches. En revanche, le rôle assigné par Chavez aux forces armées est en un sens novateur. Il propose un modèle « civico-militaire », dans lequel les forces armées sont institutionnellement et activement associées à la mise en œuvre du processus d’égalisation sociale qui doit être opéré.

« Le Venezuela connaissait surtout une crise morale, éthique, à cause du manque de sensibilité sociale de ses dirigeants. Or la démocratie, ce n’est pas seulement l’égalité politique. C’est aussi, voire surtout, l’égalité sociale, économique et culturelle. Tels sont les objectifs de la révolution bolivarienne. Je veux être le président des pauvres. Mais il nous faut tirer la leçon des échecs d’autres révolutions qui, tout en affirmant rechercher ces buts, les ont soit trahis, soit poursuivis mais en liquidant au passage la démocratie » (7), déclare Chavez au lendemain de son élection.

C’est en ce sens, qu’il décide d’instaurer très rapidement une nouvelle Constitution. Il y stipule la souveraineté nationale sur les ressources naturelles et notamment sur le pétrole, le rôle central de l’Etat dans l’économie, et introduit le mécanisme du référendum révocatoire et de la démocratie participative. C’est la Constitution bolivarienne.

Cette dernière, unique pour ne pas avoir été approuvée par un Congrès mais par des millions de personnes, consigne les droits de travailleurs, des enfants, l’interdiction de privatiser le pétrole, l’obligation pour l’Etat d’en finir avec la grande propriété foncière, d’appuyer les pêcheurs artisanaux et d’élire les syndicats par la base, les droits des peuples indigènes, le droit à une information véridique…

Profitant du vide créé par la phase de transition institutionnelle, Chavez nomme directement des personnes de sa confiance, des inconditionnels de la révolution, aux postes clés, les équivalents de notre Conseil d’Etat, Conseil Constitutionnel, Ministère Public, Cour des comptes et Inspection des Finances et à la tête de la grande entreprise pétrolière sur laquelle repose toute l’économie du pays.

Chavez et son gouvernement détiennent ainsi le pouvoir dans beaucoup de secteurs. Seuls échappent à leur contrôle la centrale syndicale et les moyens de communication privés. Chavez a donc le vent en poupe, sa popularité augmente, jusqu’à atteindre presque 80 %, fin 1999. Il instaure son style et son message: figure messianique, héritier de Bolivar, il incarne la rédemption du pays ; lien personnel et presque charnel avec la population (son modèle dans ce domaine est Castro); confrontation permanente de l’ennemi politique, étendu maintenant, au-delà des partis et des syndicats, à l’Eglise et surtout aux moyens de communication ; politisation de tout l’espace social.

Grâce à sa popularité croissante et à la montée des prix du pétrole dès les années 1999, Hugo Chavez va entreprendre plusieurs réformes et notamment dans les secteurs sociaux et économiques. Les premiers qu’ils tentent de récompenser ne sont autres que les pauvres de son pays…

2. La loi sur les hydrocarbures et ses conséquences au niveau national

La politique économique de Hugo Chavez ne peut se mettre en place et se concrétiser sans qu’il n’ait la maîtrise du nerf de la richesse du pays à savoir l’exploitation du pétrole. C’est ainsi qu’en novembre 2001, l’administration Chavez adopte les premières réformes économiques d’envergure, avec les 49 décrets-lois.

Trois sont particulièrement emblématiques :

  • La loi sur les hydrocarbures, base légale de la réforme pétrolière du régime actuel ; l

  • La loi des terres qui trace le cadre juridique dans lequel se développe aujourd’hui la réforme agraire ;

  • La loi de la pêche qui protège la pêche artisanale face à la pêche industrielle.

La première de ces lois est donc une réforme pétrolière. Elle est entrée en vigueur le 1er janvier 2003.

L’industrie pétrolière a été formellement nationalisée au Venezuela en 1976. Depuis, la PDVSA (Petroleos de Venezuela S.A), compagnie de holding qui contrôle cette industrie, est, en chiffre d’affaire, la plus grande société de toute l’Amérique Latine.

Avant Chavez, la compagnie était dirigée comme un Etat privé dans l’Etat, par une direction extrêmement privilégiée, depuis longtemps hostile, non seulement à l’OPEP (dont le Venezuela est l’un des membres fondateurs), mais aussi à toute idée de développement national ou social. Ainsi, sous le contrôle de ses présidents successifs, la PDVSA a délibérément maximisé ses investissements étrangers (achetant par exemple des raffineries en Europe et aux USA, ainsi qu’une vaste chaîne de stations d’essence en Amérique du Nord), et utilisé les coûts de transport de ses filiales pour diminuer les royalties qu’elle devait normalement payer à l’Etat vénézuélien. Ceci a d’ailleurs provoqué la chute des royalties, passant de 71 cents pour un dollar de rapport brut en 1981 à 39 cents pour un dollar en 2000.

Ce siphonage n’a cependant pas suffit aux patrons de la PDVSA ; ils ont en effet encouragé les compagnies pétrolières étrangères à revenir dans le pays, essayer de réduire les quotas de l’OPEP et tenter d’ouvrir la porte à de futures privatisations.

C’est pour mettre fin à cette situation que Chavez tenta dès le début de son mandat et par le biais de la nouvelle loi sur les hydrocarbures, de réduire le pouvoir d’action des compagnies étrangères. Pour bien s’assurer des recettes pétrolières, le gouvernement de Chavez doubla les royalties fixes, qui devaient être payées à l’Etat pour chaque baril de pétrole extrait sur le sol vénézuélien et imposa pour la première fois une certaine transparence comptable et fiscale sur les obscures opérations de la PDVSA. Plus récemment encore, il décida d’augmenter l’impôt aux entreprises à 50 % et annonça avec l’approbation de la loi de renta en 2001, que l’impôt devrait désormais être payé rétroactivement.

Très mécontente lorsque les implications de la nouvelle législation entrèrent en vigueur, la direction de la PDVSA entra en hostilité avec le gouvernement et déclencha la première grève générale le 10 décembre 2001, en coopération avec l’association entreprenariale Fedecameras et la bureaucratie syndicale de la CTV. En réponse à cette action dont il sortit victorieux, Chavez limogea deux mois plus tard les principaux dirigeants de la PDVSA - ce qui déclencha la décision de coup d’Etat contre lui en avril 2002.

L’extension du pouvoir de nuisance de la PDVSA devint évidente après le putsch, lorsque Chavez, bien que rétabli dans ses fonctions, fut forcé de réintégrer les dirigeants limogés, qui ne se gênèrent pas pour recommencer aussitôt à comploter contre lui. Ainsi, l’apogée de ces manoeuvres vint avec le gigantesque assaut de décembre 2002, dont le centre nerveux était le blocage de l’industrie pétrolière, fomenté par l’un des dirigeants de PDVSA, Juan Fernàndez.

Au niveau social il s’agissait en réalité plus d’un lock-out que d’une grève. En effet, les sections informatiques sous contrôle des directeurs et des techniciens, étaient impossibles d’accès. La conséquence en était évidente : aucune possibilité d’exploitation pétrolière n’était envisageable. Les 63 jours de lock-out patronal ont ainsi fait chuter l’activité économique du pays de 9,5 % en 2003, et causé près de 10 milliards de dollars de pertes, augmentant par conséquent le chômage et la pauvreté. C’est là une des expressions de l’importance du pétrole sur la vie quotidienne des Vénézuéliens.

Cette situation de crise quoique difficile pour le gouvernement Chavez finira par lui être favorable. Certes, les effets de la crise ont réduit la popularité de Chavez, mais lorsque son gouvernement a repris le contrôle de la situation et pris en main la commande de la principale entreprise du pays à la sortie de la crise, ce fut comme un retournement de situation.

La montée du prix du baril contribuerait désormais à l’amélioration de la situation sociale du peuple par la gestion de la rente pétrolière. C’est ainsi que plus de 3,7 milliards ont été dirigés vers le financement d’infrastructures et de « missions » destinées aux catégories défavorisées.

Les « missions » sont en effet, un ensemble de programmes sociaux : alphabétisation, éducations secondaire et universitaire, santé gratuite et de proximité, insertion socioprofessionnelle, formation au coopératisme, redistribution des terres agricoles, etc. La réalisation de ces programmes a remporté un franc succès grâce à la mobilisation et la participation de la population. « Rendre le pétrole au peuple! », tel était l’objectif principal du gouvernement bolivarien.

De manière concrète, bien qu’ayant tâtonné depuis plusieurs années, précisément à partir de 2001, le gouvernement Chavez dispose aujourd’hui de statistiques encourageantes au niveau social et économique. Dans ce pays où 80 % de la population est pauvre, Chavez a su porter l’attention de son équipe sur la situation difficile de cette masse populaire. Selon les mots de Christian Parenti dans un article paru sur le site Risal, le 17 Novembre 2005, les résultats de cette politique sont manifestes : « des millions de personnes ont appris à lire, des millions reçoivent des soins médicaux auxquels ils n’avaient pas accès auparavant, et 35 à 40 % de la population fait ses achats dans des supermarchés subsidiés et détenus par le gouvernement. Les inscriptions dans les écoles primaires ont augmenté d’un million d’élèves car les écoles offrent désormais des repas gratuits aux enfants. Le gouvernement a créé différentes banques destinées à promouvoir des petites entreprises et des coopératives ; il a réaffecté une partie de l’armée à des travaux publics, et construit de nouveaux métros dans le pays. Pour encourager la production agricole dans un pays qui importe plus de 80 % de sa consommation alimentaire, Chavez a créé un programme de réforme agraire visant à récompenser les agricultures qui augmentent leur productivité… ».

Toujours au niveau des acquis sociaux du gouvernement Chavez on relève notamment une baisse de mortalité infantile de 21,4 en 1998 à 17,5 en 2002 et à ce jour, selon les informations du ministère de la santé vénézuélienne, cette baisse s’est encore creusée et on est à 12,47. Selon les mêmes sources, la coopération sanitaire avec Cuba a transformé de manière radicale la situation sanitaire des plus pauvres du pays. Ainsi la mise sur pied d’un réseau de traitement gratuit du VIH SIDA a permis en 1999 à plus de 335 nouveaux patients de bénéficier d’un soin meilleur sans coût financier. Ce nombre est passé en 2002 à plus de 7566 cas et on en est aujourd’hui à plus de 12 500 cas qui sont gratuitement soignés. En plus de ces avancées, on note aujourd’hui la disparition quasi-totale de la dengue qui autrefois faisait des ravages dans tout le pays. Enfin les réformes agraire et urbaine permettent d’envisager la possibilité d’une diversification de l’économie surtout pour dans le domaine de l’agriculture.

Grâce à cela, les résultats en termes d’amélioration des conditions de vie comme au niveau électoral sont concluants pour Chavez. Parmi les quelque six millions de personnes qui votèrent pour le « no » à sa révocation, le 15 août 2004, lors du référendum révocatoire de son mandat convoqué par l’opposition, on retrouve certainement plus d’1,2 millions de personnes qui ont profité des programmes d’alphabétisation, les quelques 120.000 familles qui ont bénéficié de la réforme agraire, les millions de Vénézuéliens qui profitent du nouveau réseau de médecine gratuite de proximité, les milliers d’étudiants exclus du système universitaire qui se sont inscrits gratuitement à la nouvelle « Université bolivarienne », les milliers de membres de coopératives qui ont bénéficié de formations et de micro-crédits, les « sans papiers » vénézuéliens et étrangers qui ont vu leur situation se régulariser…

On voit donc que Chavez est fortement soutenu au niveau national, mais qu’en est-il à l’international?

3. Le pétrole et la politique extérieure vénézuélienne.

L’utilisation du pétrole comme arme diplomatique n’est pas une nouveauté dans la politique vénézuélienne. Mais avec le gouvernement de Chavez, cette stratégie a été poussée à l’extrême. C’est une diplomatie pétrolière presque exclusive qu’a déployée le président Hugo Chavez depuis son accès au pouvoir : Argentine, Brésil, Chine, Espagne, Inde, Iran, Libye, Nigeria, Qatar, Russie, Uruguay : la liste est longue des pays avec lesquels il a signé des accords-cadres de coopération reposant sur l’or noir qui devient ainsi un instrument essentiel des relations extérieures du Venezuela.

a. Au niveau régional

Tout d’abord au niveau régional, dans la véritable cascade d’initiatives qui partent de Caracas, il y a les accords signés avec le Brésil et l’Argentine et qui comprennent la création d’une entreprise pétrolière régionale, Petroamérica, dans laquelle le Venezuela est le vrai moteur.

D’autre part, lors du Sommet énergétique des Caraïbes qui s’est déroulé au Venezuela en juin 2005, quinze pays ont décidé de s’associer pour fonder Petrocaribe, entité qui prétend aller plus loin et devenir « une organisation de coordination et de gestion de la production, du transport et de la fourniture de pétrole dans l’arc caribéen », a signalé Chavez lors de cet événement. Il s’agit en réalité d‘une alliance régionale dont la colonne vertébrale est le pétrole, et qui comprend un fonds de coopération et d’investissements dans lequel le Venezuela a placé 50 millions de dollars.

L’entreprise publique vénézuélienne PDVSA a en effet créé une filiale, PDV-Caraibe, qui transportera le brut aux destinataires dans ses propres bateaux et qui ne recouvrera que les coûts du fret, sans bénéfices et avec un financement souple de 15 ans. Encore mieux : en plus de réduire le coût du pétrole, la partie de la vente payée normalement au comptant et qui sur le marché international est acquittée dans les 30 jours, bénéficiera d’un délai de paiement de trois mois et pourra même être acquittée avec des biens et services des pays qui font partie de l’alliance.

Toujours dans la même lignée, Caracas a proposé au Sommet du MERCOSUR un nouvel « anneau énergétique » sud-américain comprenant la construction d’un gazoduc des puits gaziers du nord-ouest vénézuélien jusqu’au Rio de la Plata. A la mi-juillet, dans le cadre du XVIe Conseil présidentiel andin, à Lima, il a établi un nouvel « accord stratégique » entre les entités pétrolières publiques des pays de la Communauté andine des nations (CAN - Bolivie, Equateur, Colombie, Pérou et Venezuela) qui suppose la création de Petroandina.

Enfin il y a le projet de la transnationale sud-américaine Pétrosur, qui serait une entreprise pétrolière commune pour une plus grande intégration politique, énergétique et culturelle sud-américaine. La transnationale démarrerait avec des investissements conjoints sur trois projets :

  • L’exploration gazifière et pétrolière en Argentine ;

  • La construction d’une raffinerie dans le Nord du Brésil pour traiter du pétrole vénézuélien ;

  • L’exploration pétrolière dans le bassin de l’Orénoque.

Plusieurs projets essentiellement latino-américains partent donc aujourd’hui du Venezuela et reposent sur le pétrole comme moteur d’intégration. On voit donc que la priorité du Venezuela est de développer la coopération Sud américaine, mais cela n’est pas anodin. Car, l’objectif du Venezuela est de réduire sa dépendance vis-à-vis de son pire ennemi: les Etats-Unis.

b. La relation du Venezuela avec les Etats-Unis et son nouveau partenariat avec la Chine

Le différend Etats-Unis-Venezuela est parvenu à un point dramatique. Bien que le Venezuela soit depuis longtemps l’un des quatre principaux fournisseurs des Etats-Unis en pétrole brut, les relations entre les deux pays sont de plus en plus tendues depuis le coup d’Etat manqué contre le président populiste Hugo Chavez en avril 2002, coup d’Etat tacitement soutenu par Bush.

En effet, depuis son accession au pouvoir en 1998, Chavez est fortement critiqué par les Etats-Unis qui voient d’un mauvais oeil l’arrivée d’un homme fort au pouvoir au Venezuela, à tendance socialiste. Ils auraient ainsi soutenu l’opposition lors de ce coup d’Etat, afin d’éliminer définitivement Chavez de la scène politique.

Sorti vaincu de la bataille, le gouvernement de Washington peut difficilement se permettre d’affronter de nouveau le gouvernement Chavez puisqu’il reçoit entre 11 % et 15 % de ses importations de pétrole. En effet, cette situation fait que Washington ne peut tout simplement pas risquer une crise pétrolière.

Chavez a d’ailleurs fait remarquer que le Venezuela « a suffisamment d’alliés sur le continent pour commencer une guerre de cent ans contre les Etats-Unis s’ils tentaient de nouveau quelque chose contre lui », et que « les citoyens américains devraient alors renoncer à l’idée de recevoir du pétrole vénézuélien ».

Par ailleurs, en décembre 2004, le président Chavez a signé un nouvel accord bilatéral avec la Chine. Ce dernier était intéressé par cet accord parce que, selon ses mots, « c’est ce dont le monde avait besoin pour en finir avec l’unilatéralisme ». Le gouvernement a ainsi augmenté ses réserves stratégiques pour la Chine en contrepartie d’investissements chinois dans le secteur agricole vénézuélien et du développement de quinze champs pétroliers actuellement hors d’activité.

Cet accord n’a pas été perçu d’un bon oeil pour les stratèges de Washington qui ont de plus en plus de mal à trouver, ou à conserver, des ressources pétrolières stables du fait des attaques d’Al Qaida en Arabie Saoudite, des sabotages continuels d’insurgés en Irak et en Colombie contre les pipelines, et de l’instabilité sociale au Nigeria. Chavez contraint ainsi Washington à observer avec soin ce qui se passe vers le sud.

Que l’insaisissable leader vénézuélien fasse un téméraire pari dans sa relation avec Washington qui pourrait mener à sa perte ou bien qu’il soit en train de manoeuvrer subtilement pour les meilleurs intérêts de son pays, c’est une question dont nous connaîtrons peut-être à court terme la réponse. Cependant Chavez devrait être bien conscient que tout embargo pourrait déclencher une intervention militaire des Etats-Unis…

Notes

  • Auteurs de la fiche : Emilie GRENIER Zacharie KPOSSOU.