Fiche d’analyse Dossier : Guerre ou paix : un choix et un devoir pour sortir de la panne démocratique. Coopérations contre politiques de puissance.

, Paris, mai 2009

Russie, Chine Inde et Iran : le choix de la paix

La frontière entre la paix et la guerre est aujourd’hui, une fois de plus, très fragile et les états nationaux sont encore les acteurs clés de l’histoire. La paix et la guerre dépendent aujourd’hui de leurs choix.

Mots clefs : Géopolitique et paix | Liberté d'opinion et d'expression | Actions contre la prolifération des armes | Relations internationales et paix | Action contre l'utilisation militaire de l'énergie nucléaire | Gouvernement indien | Gouvernement chinois | Gouvernement russe | Agir à l'échelle internationale pour préserver la paix | Proposer un nouveau projet de société | Passer de la logique de gestion de conflits par la violence à la logique de la négociation politique | Russie | Inde | Iran

Introduction

La Russie, la Chine, l’Inde et l’Iran ont dans leurs mains la possibilité de choisir le camp de la paix et de la coopération ou celui de la guerre et de la puissance. Quoi qu’il en soit, il est certain que nous serons spectateurs d’« accélérateurs de l’histoire » sans précédents.

Comme le souligne Laurent Cohen-Tanugi, nous sommes entrés dans un monde bien plus incertain que celui de la seconde moitié du XXème siècle. Dans l’univers de la guerre froide, le « monde libre » et le totalitarisme communiste s’y affrontaient ouvertement et les autres civilisations n’étaient pas susceptibles de constituer une menace pour « l’Occident démocratique ». Dans le monde d’aujourd’hui, et très clairement depuis le 11 septembre 2001, nul n’est officiellement l’ennemi de personne et la puissance se dissémine.

Le décollage économique de la Chine, de l’Inde et de la Russie, entre autres, annonce la sortie de l’état de pauvreté pour des millions d’être humains. Le monde émergent est désormais le moteur de la croissance mondiale. Ce formidable essor économique va modifier les équilibres de la planète. Les implications géopolitiques sont considérables. Ici se place le premier défi pour la paix dans le monde d’aujourd’hui.

Depuis le 11 septembre 2001, l’énergie est plus que jamais au centre de la stratégie des grandes puissances consommatrices et productrices. Très clairement la lutte contre le terrorisme mais également la compétition énergétique avec Pékin et la rivalité avec Moscou sont au cœur du renforcement de la présence militaire américaine au Moyen-Orient et en Asie centrale.

L’accès aux ressources énergétiques est devenu l’enjeu des stratégies entre les grandes puissances, un motif d’expansion territoriale pour les pays consommateurs et une arme à la fois économique et politique aux mains des pays producteurs. Les récurrentes et très récentes « guerres du gaz » lancées par la Russie vers ses anciennes républiques en sont une preuve.

Quel principe directeur ordonne le nouveau cours des relations internationales ? Laurent Cohen-Tanugi nous offre des éléments de réponse très intéressants.

Entre la thèse de Francis Fukuyama de la fin de l’Histoire et celle d’Huntington du choc des civilisations, c’est plutôt la deuxième qui semble se réaliser. Mais les jeux ne sont pas encore faits.

Le lieu de confluence entre Fukuyama et Huntington est la mondialisation. La confrontation Est/Ouest comme principe organisateur du monde de l’après-guerre n’a pas eu d’autre successeur que la mondialisation elle-même. Voilà un autre enjeu majeur pour la paix : contrôler la mondialisation, l’humaniser ou la repenser.

Sur le terrain on enregistre la volonté de la Russie de Poutine de restaurer le prestige et la puissance d’autrefois. Comment interpréter sinon les récents épisodes en Géorgie ?

La Chine, quant à elle, demeure une puissance rivale des Etats-Unis et elle se prépare à partager avec eux le leadership stratégique mondial.

La réémergence donc de l’Iran, de la Russie et de la Chine comme puissances internationales va conditionner le cours de l’histoire.

Les risques qui pèsent aujourd’hui sur la paix, rappel Cohen-Tanugi, sont donc d’abord géopolitiques et s’articulent autour de trois axes :

  • 1. La reconquête par la Chine de son rang de puissance mondiale ;

  • 2. La stagnation du monde arabo-musalman et surtout les rivalités internes à l’Islam pour la domination du Moyen-Orient ;

  • 3. La compétition entre puissances, anciennes et nouvelles pour le contrôle des ressources énergétiques.

I. Le choix iranien : les armes ou la paix

L’Iran est au centre des préoccupations de la communauté internationale en raison de sa détermination à se doter d’une capacité nucléaire militaire.

Le programme nucléaire iranien a été lancé par le Shah d’Iran dans les années 1950 avec l’aide des États-Unis, puis de l’Europe. Après la révolution iranienne en 1979, le programme a été temporairement arrêté. Il a été ensuite rapidement remis en route, mais avec l’assistance de la Russie. Le programme actuel met en œuvre plusieurs sites de recherche, une mine d’uranium, un réacteur nucléaire et plusieurs installations de transformation de l’uranium qui incluent une usine d’enrichissement de l’uranium. Depuis les années 1950, le gouvernement iranien assure que le seul but du programme est de développer la capacité de produire de l’énergie nucléaire afin de générer de l’électricité.

Et, ce qui pose le plus problèmes, depuis 1987, rappelle François Heinsbourg, tient au fait que le programme est mené clandestinement en violation du traité de non-prolifération.

Ce dossier est devenu politique à deux niveaux : local et international. Les politiciens iraniens l’utilisent comme une partie de leur arsenal populiste, et il y a une spéculation de la part des étrangers quant à l’utilisation possible de l’énergie nucléaire. Le traité de non-prolifération nucléaire engage l’Iran à ne pas fabriquer d’armes nucléaires et à ne pas essayer de s’en procurer; cependant, l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) considère que la récente non-coopération iranienne rend impossible la conduite d’inspections afin de s’assurer que la technologie n’est pas détournée pour un usage militaire.

L’intransigeance iranienne a fini par entraîner, le 31 juillet 2006, le vote d’une résolution de l’ONU ouvrant la voie à des sanctions économiques.

Selon Laurent Cohen-Tanugi la question iranienne recouvre au moins quatre enjeux essentiels pour la sécurité du monde que l’acquisition d’une capacité nucléaire mettrait gravement en péril.

  • Le premier concerne la concentration de la majeure partie des réserves énergétiques mondiales au Moyen-Orient et en Asie centrale (l’Iran détient entre 10 et 15 % des réserves pétrolières et gazières de la planète), ce qui fait de cette Région un enjeux pour les grandes puissances. L’area est aujourd’hui parmi les plus nucléarisées au monde (Inde, Pakistan, Israël, Russie, Chine…). Un Iran qui utiliserait le chantage nucléaire des approvisionnements est un risque inacceptable pour l’Occident, la Russie mais aussi la Chine.

  • Le deuxième aspect tient au fait que l’Iran aspire à un rôle de puissance régionale. Depuis l’élimination des Etats-Unis de la domination sunnite en Irak et la fragilisation des régimes arabes modérés par les mouvements islamistes, l’Iran a des moins en moins de rivaux dans le monde arabo-musulman. François Heinsbourg paraphrase Karl Marx en ce sens : « un changement de quantité débouche sur une transformation qualitative ». La course aux armements serait donc inévitable.

  • Le troisième enjeu est lié au fait que l’accession de l’Iran à l’arme nucléaire signerait en même temps la mort du traité de non-prolifération, pilier de l’ordre international de l’après-guerre. L’acquisition de la bombe nucléaire par l’Iran inciterait l’Arabie saoudite, l’Egypte et certains Etats du Golfe plus la Turquie à chercher à se doter eux aussi d’une capacité nucléaire.

  • Enfin, un Iran nucléaire serait vécu comme une menace existentielle pour Israël ce qui pourrait entraîner des ripostes militaires incontrôlables.

François Heinsbourg est très clair dans ces propos : la paix et la guerre nucléaires dans le monde dépendent de l’avenir des ambitions nucléaires iraniennes. Si l’Iran acquiert des armes nucléaires, la possession de la bombe deviendra la règle au Moyen-Orient et à l’échelle de la planète avec en perspective un conflit atomique. À l’inverse, si l’Iran s’abstient de franchir le seuil nucléaire, il y aura une chance d’échapper à la prolifération nucléaire et la coopération pourrait prendre la place de la confrontation.

François Heinsbourg et Laurent Cohen-Tanugi concordent donc sur le fait que la nucléarisation de l’Iran comporterait des conséquences beaucoup plus dramatiques que l’ascension d’autres pays à l’arme nucléaire.

Selon Francois Heinsbourg, elle peut encore décider de se mettre en règle en suspendant les travaux liés à l’enrichissement de l’uranium. Les années qui viennent seront placées sous le signe d’un choix binaire entre l’acceptation de la logique de prolifération au Moyen-Orient et dans le monde ou le recours aux armes pour l’empêcher, si la voie diplomatique ne conduit pas à des résultats concrets.

L’Iran a la chance de jouer un rôle majeur en se présentant comme puissance stabilisatrice au niveau régional sans forcément devoir nier sa vocation de puissance contestataire du système international. Cette « stratégie positive » pourrait être facilitée par l’instabilité engendrée par l’intervention militaire en Irak et en Afghanistan.

L’influence iranienne en Irak s’accroît. Si les Etats-Unis ont besoin de l’Iran pour sortir de la crise irakienne, l’Iran aussi y voit une chance importante. Au final, les responsables iraniens et américains partagent le même intérêt à stabiliser l’Irak. Téhéran craint en effet une contagion de l’instabilité irakienne sur son territoire et Washington souhaite éviter une aggravation de l’insécurité.

A cela s’ajoute le fait que l’Iran se pose également en médiateur dans les conflits interchiites. Depuis les attentats du 11 septembre, les ultra-orthodoxes sunnites sont identifiés comme les ennemis de l’Occident tandis que se réveille l’intérêt pour les « musulmans oubliés » que sont les chiites arabes. Les néoconsérvateurs américains ont ainsi parié sur eux en Irak où ils forment 60 % de la population. Depuis 2003, les affrontements entre sunnites et chiites confirment la crainte de voir la région tomber sous la domination d’un « arc chiite ». Contrairement au sunnisme, le chiisme affirme que la direction de la communauté des croyants revient aux descendants d’Ali. La révolution opérée par l’ayatollah Khomeyni consiste à transférer au clergé les pouvoirs temporels et spirituels. Tandis que, de leur côté, les sunnites n’acceptent aucune médiation institutionnelle entre Dieu et les croyants. L’Arabie Saoudite prévoit une variante orthodoxe du sunnisme, ici la monarchie monopolise le pouvoir temporel, confiant les religieux dans un simple rôle de conseil.

Concernant l’Afghanistan l’idée d’impliquer l’Iran dans les efforts de stabilisation gagne du terrain, apparaissant comme un moyen pour la nouvelle administration américaine d’ouvrir le dialogue avec Téhéran sur un sujet moins litigieux que le programme nucléaire. C’est le chef des opérations américaines en Afghanistan et en Irak, le général David Petraeus, qui a suggéré le premier que l’Iran et les Etats-Unis avaient “des intérêts communs” en Afghanistan. “Les Iraniens ne veulent pas voir l’Afghanistan tomber aux mains de forces sunnites extrémistes, comme les talibans, et ils ne souhaitent pas non plus voir empirer le problème de la drogue”, a-t-il expliqué.

La toute récente invitation américaine d’une participation iranienne à la conférence sur l’Afghanistan peut être donc interprété comme une tentative de relancer le « dialogue » irano-américain autour d’un centre d’intérêt en commun, ce qui pourrait être une transition parfaite pour des négociations sur la crise nucléaire iranienne dont le véritable enjeu est le rôle régional de l’Iran.

Il est évident qu’aucune stabilisation de la région n’est possible sans l’Iran.

La concrétisation d’un dialogue global entre Washington et Téhéran est crucial pour la paix et la sécurité mondiale. On pourrait envisager ainsi que l’Iran suite à sa renonciation explicite et contrôlable de l’acquisition de l’arme nucléaire pourrait obtenir en échange des avantages importants de la part de la communauté internationale.

II. La Chine et la Russie : des acteurs incontournables

A. Le retour de la Russie sur la scène internationale

Le retour de la Russie sur la scène internationale présente beaucoup d’enjeux. L’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine en 2000 a inauguré une reprise autoritaire de la politique, de l’économie et de la société par le Kremlin.

Cette nouvelle politique s’accompagne en effet d’une réaffirmation agressive des ambitions de puissance russes à l’égard de sa périphérie et des grands dossiers. La volonté russe de regagner une part de l’influence perdue, notamment en direction de la Biélorussie, de l’Ukraine, de la Moldavie et de laGéorgie est désormais inscrite dans le panorama.

Les instruments de cette reconquête sont à la fois économiques et politiques. La volonté est claire : préserver les intérêts en jouant toutes les cartes à disposition : pression régionale, gesticulation militaire, force énergétique et financière « jeu de la balance » avec d’autres puissances et notamment la Chine.

La politique actuelle de Vladimir Poutine semble prendre un chemin plutôt pessimiste. En effet Moscou affirme sa « vocation eurasiatique » en se rapprochant de Pékin, de Téhéran et des dictatures d’Asie centrale plutôt que de l’Occident démocratique.

À l’opposé, l’interdépendance économique et politique de la Russie avec l’Union Européenne, son déclin démographique important et la pression de la Chine à l’Est et de l’islam au sud de ses frontières peuvent conduire à terme la Russie à se rapprocher de l’Europe sous forme d’un partenariat stratégique ambitieux bénéfique pour la paix et la stabilité internationale.

B. La Chine

La Chine, à la différence de l’Iran et de la Russie, n’est en confrontation ouverte avec aucun pays occidental ; elle accompagne en outre sa montée en puissance économique d’une politique d’intégration au système international et d’un effort d’apaisement de ses contentieux historiques avec l’Inde notamment. Mais, comme le rappelle Laurent Cohen-Tanugi, du fait de sa démographie, de son potentiel économique et de ses prolongements militaires, la Chine est le seul Etat au monde susceptible de contester la suprématie planétaire des Etats-Unis et de modifier ainsi en profondeur la situation stratégique mondiale.

La question de l’efficacité du système est aujourd’hui posée en Chine, face au défi de la nécessité d’ajustements économiques, ainsi qu’aux contraintes issues des événements du Tibet et de leur gestion non transparente. L’environnement économique international se dégradant, notamment aux Etats-Unis, la Chine se retrouve à devoir lutter contre la corruption qui menace les performances du système mais aussi à proposer des solutions contre les inégalités insupportables qui réduisent la crédibilité du système. Il est clair en effet, que la légitimité du parti communiste repose toujours sur le sentiment partagé dans la population d’un bon gouvernement.

La Chine est par ailleurs confrontée aux évolutions d’une société civile internationale de plus en plus vigilante, sur la question des droits de l’homme, sur la question de la qualité, de la pollution et du déséquilibre des échanges.

C. Les relations entre la Chine et la Russie

La Chine et la Russie semblent converger sur de nombreux aspects des grands dossiers des relations internationales. Depuis la fin de la guerre froide, leurs relations sont marquées par une renaissance sans précédent. Les politiques étrangères et les intérêts stratégiques de Pékin et Moscou ont connu une nette convergence ces dernières années.

Pour Jean-Pierre CABESTAN, Sébastien COLIN et Michael MEIDAN il est de vitale importance de regarder de près les relations entre ces deux acteurs pour anticiper d’éventuelles menaces ou, au contraire, pour favoriser une collaboration utile à la paix.

Les indices d’approfondissement des relations politiques entre la Russie et la Chine sont multiples. Une approche commune se dessine sur les questions de souveraineté (par exemple par rapport à la Tchétchénie et à Taïwan), sur les problèmes de droits de l’homme (la volonté commune d’affirmer le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures) et de la politique en Asie centrale.

Les facteurs stratégiques sont également centraux, notamment dans la volonté d’affirmer l’existence d’un monde multipolaire dans lequel « l’hypérpuissance » américaine serait rééquilibrée par d’autres puissances. Cette convergence stratégique influence de fait les politiques chinoise et russe sur les grands dossiers internationaux comme la question nucléaire nord-coréenne et iranienne, la crise au Moyen-Orient et en Afrique, la défense antimissile en Europe et en Asie, la crise du Kosovo.

Les révolutions de couleur ont contribué à mettre en relief la communauté d’intérêt entre Moscou et Pékin. Après l’effondrement de l’URSS, la Chine s’est inquiétée de voir les nouvelles républiques centrasiatiques nouer des liens avec l’OTAN, y voyant un risque d’extension de l’influence des Etats-Unis. Pour la Chine, il s’agit d’une véritable offensive des forces externes afin de contrôler la sécurité régionale. Il représente également un danger idéologique, lié à l’objectif américain de favoriser les changements de régime. Après les attentats du 11 septembre, selon de nombreux analystes chinois, les Etats-Unis ont cherché à obtenir une supériorité stratégique en Asie centrale au moyen d’une pénétration militaire et idéologique.

{{Les « révolutions de couleur » qui se sont produites en Géorgie, en Ukraine et au Kighizstan, seraient le résultat d’une tentative de déstabilisation correspondant à l’objectif des Etats-Unis de renforcer leur zone d’influence.

À partir de 2005, Moscou et Pékin se sont efforcés de réduire leurs divergences afin de mieux faire front commun contre « l’unilatéralisme américain ». Avec la création de l’OCS (l’Organisation de Coopération de Shangai), Russes et Chinois ont voulu construire une organisation capable de stigmatiser la domination des Etats-Unis des relations internationales.

Concernant le désarmement et le contrôle des armes de destruction massive, sur le principe, la Russie et la Chine sont toutes deux favorables à la poursuite du désarmement. Seule crainte à terme, la possibilité que la Chine revendique d’être reconnue comme « superpuissance » à raison de son arsenal stratégique.

La coopération dans le domaine de la défense antimissile en Europe et en Asie est rendue explicite par le soutien de la Russie à la Chine par rapport à son inquiétude concernant la coopération nippo-américaine sur l’installation de systèmes antimissile en Asie. La même convergence de vue entre les deux pays a été affirmée dans la crainte de la Russie concernant le déploiement des défenses antimissile américaines en Europe.

La Chine et la Russie partagent les mêmes soucis quant à l’évolution de la situation militaire, politique et économique de la Corée du nord et notamment en affichant une opposition ferme à une nucléarisation de la péninsule coréenne.

La coopération sino-russe-iranienne s’articule autour de l’énergie sous toutes ses formes : les hydrocarbures mais aussi l’énergie nucléaire. La rhétorique chinoise sur le dossier nucléaire est proche de la rhétorique russe : opposition aux sanctions et au recours à des moyens militaires et préférence à la voie des négociations.

La Chine et la Russie se soutiennent enfin mutuellement sur les enjeux du séparatisme. La Russie considère que l’ordre international serait menacé en ce qui concerne l’inviolabilité des frontières des Etats. Dans le cas du Kosovo, le respect de l’intégrité territoriale des Etats et de leur souveraineté contre les séparatismes est mis en cause.

D. Le troisième acteur clé : l’Inde

De particulier intérêt est la construction du soi-disant « Triangle Russie-Chine-Inde ». Les attentas du 11 septembre ont donné une impulsion importante à cette idée. De fait, la lutte contre le terrorisme constitue aujourd’hui le « ciment » du triangle. La Russie partage avec l’Inde et la Chine la préoccupation des risques attachés aux groupes islamistes sur leur territoire et dans leur voisinage immédiat.

III. L’espoir de l’Inde : puissance de paix

Les ambitions de l’Inde se manifestent davantage sur un plan régional que sur un plan mondial bien que les influences positives et pacifiques que l’Inde pourrait avoir dans les relations internationales mondiales ne sont pas négligeables.

Son régime démocratique, l’ouverture graduée de son économie, son ton de croissance prometteur, le dynamisme de ses entreprises, les ambitions en matière de défense font de l’Inde, un pôle de stabilité dans le monde.

À cette fin l’Inde mène une diplomatie positive tous azimuts et ce, en cherchant à normaliser ses relations avec la Chine, devenue son premier partenaire commercial en 2007 derrière l’Union Européenne, en maintenant ses liens avec Moscou, dans le domaine de la défense et de la technologie, en organisant en 2008 un premier sommet Inde-Afrique.

L’objectif que ce pays s’est fixé est stupéfiant dans sa portée : transformer un pays en voie de développement de plus d’1 milliard d’habitants en une nation développée et en un leader mondial à l’horizon de l’an 2020 et réaliser tout cela en demeurant une démocratie en pénurie de ressources et de dégradation de l’environnement.

Si l’Inde échoue, il existe un risque sérieux que le monde devienne l’otage d’un chaos politique, de guerres pour des ressources qui s’épuisent et d’un environnement de plus en plus pollué.

Au contraire si l’Inde réussit elle aura prouvé que la démocratie multi-ethnique et multi-confessionnelle n’est pas un luxe réservé aux sociétés riches. C’est pour cette raison que Mira Kamdar, affirme à raison que « le pari de l’Inde c’est l’enjeu de ce siècle ».

Comment développer l’égalité ? C’est toute la question. Le défi de l’Inde est en effet un défi que personne n’a réussi à relever dans le monde. Une démocratie libérale peut-elle forger une économie globale de marché qui préserve durablement l’environnement et réduise les inégalités ? Les Etats-Unis, par exemple, n’y sont pas parvenus. La prospérité de l’Amérique dépend de la surconsommation des richesses globales : avec à peine 6 % de la population mondiale, le Etats-Unis consomment 30 % des ressources terrestres. Les statistiques officielles établissent que dans les années 1990 un enfant sur quatre et un petit Noir américain sur deux grandissaient en dessous du « seuil de pauvreté » aux États-Unis, contre 6 % des enfants en France, en Allemagne et en Italie, et 3 % dans les pays scandinaves. Le pourcentage d’Américains en-dessous du seuil de pauvreté atteint 13.3 % en 2005, selon l’office de recensement des EU dans une publication d’août 2006. Comme les années précédentes, les États du vieux sud sont proportionnellement les plus touchés avec des pourcentages compris entre 15 et 21 %, le Nouveau Mexique, le Texas, l’Alabama, la Louisiane et le Mississipi étant les plus affectés avec des taux de 17 à 21 %.

A. L’Inde et la Chine

Avec les progrès rapides de la Chine d’un côté et les nouvelles menaces terroristes de l’autre, l’une des questions vraiment essentielles et urgentes est de vérifier si les démocraties libérales peuvent donner à tous les citoyens y compris aux plus pauvres, la liberté de valoriser leur potentiel humain.

Ce qui est positif, c’est que l’Inde et la Chine se rendent compte qu’elles ne peuvent pas imiter aveuglement le modèle américain.

L’Inde avec sa société ouverte, son économie dynamique et avec son souhait de démocratiser les institutions de l’ordre mondial et de créer de la richesse d’une manière globale et durable devient, affirme Mira Kamdar, « un irrésistible paradigme alternatif ».

Mira Kamdar évoque également l’Inde qui se bat pour apporter les bénéfices du XXIe siècle aux huit cents millions d’Indiens qui vivent avec moins de deux dollars par jour. Alors que l’élite urbaine et les propriétaires terriens profitent pleinement du boom économique, des millions de paysans luttent encore pour leur survie. Plus de 60 % de la population de Bombay habite soit dans la rue soit dans des bidonvilles.

Ensemble, l’Inde et la Chine peuvent réorganiser l’ordre du monde. L’économie indienne est après celle de la Chine la deuxième au monde en termes de croissance, avec un taux de 8 % en 2006 et l’ambition de le porter à 9 % en 2011.

La Chine, la Russie et l’Inde savent qu’il s’agit d’un moment historique car nous observons de façon très claire que « l’avenir » gravite autour du continent asiatique. Le XXI siècle sera le siècle de l’Asie, ce qui imposera un rééquilibrage des alliances et des forces.

B. L’Inde et le monde multipolaire

Le partenariat stratégique entre les Etats-Unis et l’Inde, le commerce qui se développe rapidement entre les deux pays, ainsi que la visibilité et l’influence politique accrues d’une communauté indo-américaine, peuvent donner l’impression d’une Inde tournée exclusivement vers les Etats-Unis.

Au contraire, rappel Mira Kamdar, l’Inde est de plus en plus et surtout le leader parmi les pays en voie de développement et elle adhère toujours aux objectifs du mouvement des non-alignés. De plus, elle entretient des relations commerciales et des rapports de coopération en pleine progression avec le Japon, la Corée du sud, Singapour, l’Australie et les pays de l’Asie du Sud-est. Comment oublier, dans le contexte des relations russo-américaines, qui se détériorent actuellement, la revitalisation des liens entre l’Inde et la Russie. Il est désormais un fait connu que la Russie et les Etats-Unis rivalisent de plus en plus pour fournir à l’Inde des armes et de la technologie nucléaire. Enfin l’Inde a tissé des liens puissants avec la Chine avec laquelle, d’une certaine façon, elle rivalise dangereusement et de plus en plus.

L’Inde est d’ores et déjà la quatrième économie mondiale et devrait devenir en 2034 la nation la plus peuplée de la planète, c’est une puissance nucléaire reconnue, elle entretient une armée professionnelle permanente d’environ un million d’hommes.

C. La voie indienne : une puissance douce.

Il est indéniable que comme démocratie et comme société ouverte aussi bien que comme leader du tiers-monde, l’Inde bénéficie d’une grande autorité morale. Son influence au sein de la communauté internationale n’a cessé de grandir en raison du rôle important qu’elle joue en insistant sur les instituions qui régulent l’ordre international, qu’il s’agisse d’une nouvelle configuration du conseil de sécurité des Nations unies, des négociations commerciales sous les auspices de l’Organisation mondiale du commerce ou de son engagement pour un monde multipolaire.

L’Inde est une démocratie dynamique dotée de la population la plus jeune du globe. Elle n’est pas seulement un marché rempli de multinationales, mais aussi une source d’innovations technologiques susceptibles de transformer un pays en voie de développement en leader mondial.

Les problèmes qui inquiètent aujourd’hui l’Occident - réchauffement climatique, fractures sociales ou crises énergétiques -, sont pour l’Inde les principaux défis auxquelles elle doit faire face pour maîtriser son développement économique, politique et social.

L’Inde puissance douce mais aussi l’Inde puissance aux ambitions planétaires : comment concilier ces deux visions, ces deux différentes stratégies d’existence ? De la réussite d’une Inde comme puissance économique, démocratique, culturelle, et militairement responsable dépend notre futur. Ce Pays « embrasse aujourd’hui les promesses et les périls de ce moment critique de l’histoire de l’humanité… L’Inde touche déjà nos vie de bien plus de façons dont la plupart d’entre nous n’en ont conscience. Très concrètement nous vivons déjà sur la planète Inde ».

Conclusion

L’après guerre froide avait été marqué, en Occident, par l’utopie de la fin de l’histoire, rappelle Laurent Cohen-Tanugi. Le capitalisme et la démocratie devaient être les grands vainqueurs. Le triomphe du modèle américain, les perspectives d’une démocratisation de la Russie et de la Chine, le processus de paix d’Oslo…

Le 11 septembre 2001 nous a montré un tout autre scénario.

Nous sommes aujourd’hui confrontés à «l’ éveil formidable du géant chinois », tandis que les effets de la montée en puissance de l’Inde et de la Russie commencent aujourd’hui à peser sur les relations internationales.

L’offensive démocratique occidentale au Moyen-Orient a provoqué des échecs remarquables. L’Irak est le cas le plus éclatant. La non-reconnaissance du résultat électoral en Palestine par la communauté internationale en est un autre.

L’Iran est le pays clé. La communauté internationale et l’Iran se jouent beaucoup dans l’amélioration ou pas de leurs relations. L’isolement international de l’Iran risque d’aggraver l’instabilité régionale en fragilisant la sécurité des approvisionnements énergétiques des pays européens et asiatiques. D’un autre côté, l’Iran, avec son obstination vis-à-vis du dossier nucléaire peut compromettre ses ambitions politiques de se transformer en pays émergent.

Les chances d’éviter la guerre dépendent de l’esprit de responsabilité des grandes puissances, de leur capacité collective à modérer les nationalismes et le retour des ambitions, de contenir les rivalités religieuses, ethniques, territoriales, d’apaiser les tensions entre islam.

Les auteurs convergent dans leurs analyses : l’entrée de l’Iran parmi les puissances nucléaires engendrerait une nouvelle course aux armements. Mais l’en empêcher avec les armes aurait des conséquences encore plus catastrophiques.

L’Europe communautaire a été construite sur deux piliers fondamentaux : la paix et le dépassement des nationalismes et des souverainismes. Bien que les principes de la gouvernance par le droit, du pacifisme, semblent reculer de plus en plus, l’Europe peut et doit jouer un rôle clé dans cette phase délicate de l’histoire de l’humanité. Pour réaliser ce projet il faut qu’elle se donne les moyens diplomatiques, militaires et intellectuels pour devenir un acteur global crédible. Le risque est là : se laisser dépasser par les événements sans pouvoir apporter aucune réponse ou solution alternative, et disparaître.

Notes

Analyse basée sur les ouvrages suivants :

  • Mira Kamdar, Planet India, l’ascension turbulente d’un géant démocratique, Actes Sud (pour la traduction française), 2008.

  • Jean-Pierre CABESTAN, Sébastien COLIN, Isabelle FACON, Michael MEIDAN, « La Chine et la Russie entre convergences et méfiance », éditions UNICOMM, 2008, Paris.

  • François Heisbourg, « Iran, le choix des armes ? », éditions Stock, Paris, 2007.

  • Laurent Cohen-Tanugi, « Guerre ou paix », éditions grasset et fasquelle, paris, 2007.