Xavier Guigue, Bruxelles, février 2005
Conflit et politique de développement : les acteurs locaux, passage obligé
Devant les conséquences des guerres, les politiques de coopération sont à repenser pour appuyer les dynamiques de dialogue et de reconstruction.
Dans un article publié le 14/12/2004, Jean Michel Severino, directeur de l’Agence française de développement, évalue à un milliard le nombre d’êtres humains vivant dans les zones de conflit ; à cela s’ajoute la fuite des capitaux, les pertes commerciales, les conséquences sur les pays voisins, les trafics de drogue, le risque d’actions terrotistes… De ce fait, il juge que « le développement du monde ne peut plus être pensé sans un effort pour le pacifier » .
Aujourd’hui la réponse la plus commune est « la reconstruction post conflit. Cette action est fondamentale pour réduire la prévalence des guerres, puisque aujourd’hui encore la moitié des pays qui sortent d’un conflit y retournent en moins d’une décennie. La communauté internationale doit rassembler ses ressources à temps pour démobiliser et réinsérer les groupes armés, faciliter le retour des réfugiés, reconstruire les infrastructures (transports, énergie, télécommunication), bâtir un appareil d’Etat garantissant les services de base (sécurité, santé, éducation, justice) et relancer la machine économique (appui au système financier, microcrédit…) … dans les Balkans, en Sierra Leone, au Timor, au Cambodge, etc. il y a là des réussites porteuses d’espoir. Toutes soulignent l’intérêt d’interventions multiformes : politiques et diplomatiques (pour une solution négociée), militaire (maintien de la paix), financière (réduction de la dette, reconstruction), commerciales (accords préférentiels), etc.
Pendant les guerres elles-mêmes, l’aide internationale doit aussi être présente. Lorsque les combats s’installent dans le temps, l’action humanitaire rejoint certaines préoccupations de développement : il ne s’agit plus seulement de nourrir et de soigner, mais aussi d’assurer des services publics, de stimuler la production agricole, de promouvoir des projets communautaires, etc. Pour gérer ces situations tout comme les phases de transition, les partenariats entre organismes d’urgence et institutions de développement sont appelés à se multiplier.
Enfin, la prévention des conflits devrait représenter, très logiquement pour la communauté internationale, la phase d’investissement maximal, car c’est la plus rentable. »
Mais « Comment voir venir les crises ? » JM Severino s’interroge et énumère un certain nombre de critères : faible croissance, faible revenu, ressources naturelles importantes, fortes croissances démographiques, migrations incontrôlées, fractionnement ethnique aux quels il ajoute des questions d’économie politique touchant à la mise en œuvre des politiques d’ajustement structurel, de réforme de filière, de régime foncier… à propos de la situation en Côte d’Ivoire.
Parmi ces critères, voire à l’amont de ces critères, figure aussi la déstructuration ou la faiblesse du tissus organisé d’une société dans un espace géographique donné. Sans collectivité capable de s’organiser, représentation, négociation, médiation… sont arbitraires, avec toutes les conséquences qui peuvent en découler : décision autoritaire, solution militaire, terreur…
Aussi, dans les trois cas, qu’il s’agisse de prévention, d’intervention au cours d’un conflit ou de reconstruction, ce qui permet l’émergence d’une solution politique durable passe par l’existence de mouvements organisés des sociétés en conflits capables de dialogue et porteuses de perspectives démocratiques, mouvements qui demandent à d’être connus, reconnus et soutenus dans bien des cas. C’est un des enjeux majeurs des politiques de coopération, des choix en matière d’action humanitaire et des actions de solidarité des mouvements de citoyens.
Notes
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Source : « L’aide de l’après-guerre », Jean Michel Severino Le Monde 14/12/2004.