Xavier Guigue, Bruxelles, janvier 2005
L’histoire exemplaire d’Aristides de Sousa Mendes qui sauva des milliers de personnes du nazisme
Agir pour la paix et la justice en période troublée exige courage et détermination, ce dont ont besoin les porteurs de dynamique local de paix.
« Aristides de Sousa Mendes, Consul du Portugal à Bordeaux, s’enferma et n’adressa pas la parole à ses proches pendant trois jours. Et puis il a ouvert la porte de la chancellerie, et a dit à haute voix: « Désormais, je donnerai des visas à tout le monde, il n’y a plus de nationalité, de race, de religion. » Commença alors ce 16 Juin 1940, « la plus grande action de sauvetage menée par une seule personne pendant l’Holocauste », selon Yehuda Bauer, trente mille personnes dont dix mille juifs, purent en effet, échapper à la barbarie nazie, grâce à Aristides de Sousa Mendes. »
Quelques jours auparavant Aristides de Sousa Mendes avait offert l’hospitalité à Rabbi Jacob Kruger, un rabbin anversois, et à sa famille, sans même les connaître. Et c’est la conversation avec le Rabbin qui allait tout faire basculer. « je vais essayer de vous faire partir avec votre famille », avait dit Sousa Mendes. « Ce n’est pas seulement moi qu’il faut aider, mais tous mes frères qui risquent la mort », répondit Rabbi Jacob Kruger ».
Une fois sa décision prise, Aristides signa les passeports qui arrivaient par poignées …les bureaux du consul étaient bourrés de réfugiés…La réserve de formulaires épuisés, on utilisa des feuilles blanches, puis des petits bouts de papier qui portaient le sceau consulaire et la signature de Sousa Mendes. Celui-ci signa les documents jours après jours de huit heures à trois heures du matin.
A Lisbonne les autorités s’inquiètèrent. Salazar alors Premier ministre et ministre des affaires étrangères, avait donné l’ordre aux consulats de ne pas délivrer de visa aux personnes arrivant des pays de l’Est envahis par les allemands, aux « suspects d’activités politiques contre le nazisme et aux juifs. Il faut éviter l’entrée au Portugal des gens indignes ». Sousa Mendes, lui, s’appuya sur la Constitution de son pays, qui nie toute dicrimination.« S’il me faut désobéir, ajoute le consul, je préfère que ce soit à un ordre des hommes qu’à un ordre de Dieu ».
Ramené sous la contrainte au Portugal, il continua au cours du son voyage à signer des visas. A Bayonne où le vice-consul, légaliste, respectait les ordres du gouvernement, il rétorqua « Je suis encore votre supérieur », et repris la signature de nouveaux visas. Il donnait des visas, debout, dans les escaliers et même dans la rue », raconta une voisine de l’époque…
Sousa Mendes y sacrifia sa carrière, condamné par le gouvernement Salazar pour avoir « déshonoré le Portugal devant les autorités espagnoles et les forces allemandes d’occupation » et avoir osé « mettre ses impératifs de conscience au-delà de ses obligations de fonctionnaires ». »
L’histoire d’Aristides Sousa Mendes est exemplaire. Exemplaire dans ce qu’elle montre comme chemin à suivre, exemplaire aussi parce qu’elle illustre le cheminement qui rend possible l’engagement de son auteur :
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Savoir dépasser le constat de l’étouffante réalité présente :
Aujourd’hui, en temps « de paix » , dans un pays respectant les libertés, même s’il y a encore beaucoup de progrès à faire, il n’est pas toujours facile d’agir en citoyen. En période de guerre, c’est encore plus difficile. Chacun subit les évènements et l’inaction est justifiée par la terrible argumentation « ma is, c’est la guerre ! » .
Il s’agit là d’un constat irréfutable, ce constat identique au « c’est comme ça ! » qui cloue sur place toutes les velléités de changement. Il faut toute une intelligence et tout un courage pour déconstruire ce discours et affirmer que c’est bien parce que c’est comme ça qu’il faut faire quelque-chose pour améliorer la situation, la contourner ou la changer. Aristides Sousa Mendes aurait pu se satisfaire de la dureté des circonstances pour ne pas agir, il a fait le contraire. C’est ce même choix que font les porteurs de dynamiques de paix dans les zones de conflit.
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Avoir la force d’agir en s’appuyant sur ses propres valeurs :
Ce courage est à puiser au fond de nos valeurs, valeurs qui se construisent, s’entretiennent et qui nous montrent ce qui est interdit, ce qui est fondamentalement interdit, autour de cette conscience impérative du respect de la dignité humaine. C’est ce en quoi on croit au plus profond de nous qui va nous donner la force d’agir. Et cela se prépare, cela se cultive : face à telle situation, quelles sont mes convictions ? Et qu’est-ce que je dois faire ? Aristides Sousa Mendes a pris trois jours pour construire sa détermination, pour faire le choix de sa conscience. Ceux qui s’engagent sur les voies du dialogue quand la haine de l’autre est le point de référence ont la même démarche. Ils sont à contre courant mais savent au fond d’eux-mêmes la valeur de ce qui les guide : ce respect auquel tout homme a droit.
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Aller jusqu’aux limites du possible :
L’action d’Aristides Sousa Mendes est « limitée » à ce qu’il a la possibilité de faire, mais il le fait en allant jusqu’aux limites du possible, repoussant pour cela ses propres limites physiques. En d’autre terme, il accepte ce qui ne dépend pas de lui pour changer tout ce qui en dépend. Et il la sagesse de savoir distinguer entre les deux. C’est ce difficile équilibre que vivent les personnes qui s’engagent à combattre de l’intérieur les horreurs de la guerre…
Notes
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Source : José Alain Fralon, Alexandre Flucher-Monteiro « Le Monde » du 31 Octobre 1997