Gaël Bordet, Sénégal, Proche Orient, Paris, 2002
Aux sources de la paix : le Jourdain au coeur du contentieux israélo-arabe
Les enjeux du « nouvel ordre hydraulique proche-oriental » pour favoriser la paix en Palestine.
Le Proche Orient est un volcan, triste paradoxe lorsqu’il devient question de partager l’eau …
Le hasard et les conditions naturelles ont voulu que cette région connaisse une hydrographie capricieuse, qui ne permet pas d’envisager l’avenir sereinement. L’eau va se raréfier, c’est une certitude, car non seulement les ressources sont naturellement mal réparties, les besoins s’intensifient, mais de surcroît, les aquifères s’épuisent, la qualité des eaux de surface et des nappes phréatiques se dégrade, et les hommes ne savent ou ne veulent s’organiser pour protéger et partager leur patrimoine hydrique. Pourtant l’eau s’est patiemment invitée dans tous les esprits : elle a jailli des textes religieux pour envelopper les us et coutumes.
I. Le bassin du Jourdain : première approche
Afin de délimiter l’espace géographique du Jourdain et de rendre compte des relations inter-étatiques qui y prennent place, il est nécessaire de replacer le fleuve dans un espace hydrographique élargi, comme nous y invite la théorie du « bassin intégré » (voir fiche intitulée : L’eau et le droit). Cette théorie est une construction juridique qui s’inspire non seulement d’une réalité géographique – le fleuve n’est pas un élément détaché de son environnement – mais tient également compte de l’évolution des conditions techniques – notamment concernant la navigation – et répond, enfin, à de nouvelles nécessités économiques. Le bassin hydrographique regroupe dans une même entité juridique et économique une aire de drainage élargie comprenant le cours d’eau principal, de statut international, ses diffluences et ses affluents, ainsi que les eaux souterraines et autres lacs.
A l’exception de l’Irak, et à l’inclusion de la Jordanie, le bassin du Jourdain recouvre la même aire géographique que celle du « Croissant Fertile », sorte de demi-lune écrasée sur laquelle courent de vastes plaines irriguées : l’eau lui donne une âme…
En réalité, ces étendues cultivées alternent avec de longues bandes désertiques et arides. Il est, dès lors, naturel que le tissu économique de cet espace géographique se structure autour d’une agriculture extensive, gourmande d’eau. Cette situation tend progressivement à devenir problématique du fait d’un processus de détérioration de la qualité des nappes phréatiques – rares et mal réparties – qui, sous l’effet conjugué de la surexploitation et d’une pluviométrie insuffisante, sont à brève échéance menacées d’épuisement.
Economiquement, si nous faisons abstraction d’Israël, il s’agit d’une région industriellement faible, dont la croissance dépend encore pour une large part des revenus du secteur primaire, plus précisément de l’agriculture et de l’agrumiculture. C’est dire si la pénurie d’eau est préoccupante, d’autant que les Etats arabes du bassin ne paraissent pas en mesure à court, voire à moyen terme, de mettre en place les instruments d’une réelle transition économique, sans un renforcement de la coopération israélo-arabe : le virage a en effet été manqué dans les années 80 lorsque les pétro-monarchies du Golfe arabo-persique ont abusivement dispensé les surplus de la manne pétrolière toute entière absorbée dans des projets souvent grandioses, utopiques et mal appropriés….
Au-delà des enjeux humains, que portent les futures orientations économiques et les moyens qui seront mis en œuvre à cet effet dans le bassin du Jourdain, les choix retenus auront des incidences certaines aussi bien concernant les mesures de préservation de l’eau, que s’agissant des usages économiques qui seront faits de cette ressource. Et, a contrario, la maîtrise de l’eau peut devenir dans un futur proche l’un des facteurs essentiels de l’équilibre structurel durable de cette région. Il est donc indispensable de garder en mémoire cet arrière fond économique et géographique pour comprendre certains des enjeux relatifs au partage des ressources hydriques.
II. Hydrographie du bassin du Jourdain
Le Jourdain, s’il n’a rien à envier aux autres fleuves de la région, le Nil, le Tigre, ou l’Euphrate, pour le fabuleux, le mythique et le religieux qui forment son lit, est toutefois de dimension bien modeste : c’est un ruisseau comparé à tous ces serpents alanguis.
Quelle est la place de la coopération hydraulique dans le processus de régularisation politique régionale ?
La question du partage des eaux du Jourdain contribue-t-elle à rassembler les partenaires de la paix, ou ne serait-elle pas plutôt un facteur aggravant, favorisant alors un immobilisme fatal lorsque nous prenons connaissance des distorsions sociales et économiques dont souffrent certaines populations du bassin, notamment les Palestiniens du territoire de Gaza ?
Voici autant de questions qui suscitent inquiétudes et donnent lieu aux extrapolations les plus diverses.
Dans ce contexte, l’utilisation et l’aménagement des ressources sont un enjeu de première importance, et le Jourdain, fleuve aux dimensions et aux propriétés pourtant réduites – cours non navigable, difficilement aménageable, aux débits changeants et faibles, eaux fortement salées et polluées – fait ainsi l’objet de toutes les attentions. Une rapide présentation de son hydrographie suffit à montrer la place centrale qu’il tient dans les relations entre Israël et ses voisins arabes.
Le Jourdain, cours d’eau long de 360 km, naît de la réunion, sur le territoire israélien, de trois rivières qui viennent des pentes du Jabal el-Cheikh (mont Hermon).
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a) La première rivière, le Hasbani dont le débit annuel est de 140 millions de mètres cubes, prend naissance au Liban, pays qu’elle parcourt sur 21 km. Le cours supérieur du Hasbani est un torrent capricieux qui connaît de grandes variations saisonnières, tandis que le cours inférieur est plus régulier.
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b) Le deuxième grand affluent du Jourdain, le Banias, est actuellement placé sous le contrôle d’Israël. Longue d’une trentaine de kilomètres, cette rivière dont le débit annuel est équivalent à celui du Hasbani, prend sa source en Syrie sur les hauteurs du Golan, puis s’étire en Israël sur environ douze kilomètres avant de se jeter dans le haut Jourdain.
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c) Le troisième affluent du Jourdain, le Nahr Leddan, ou plus communément le Dan, se forme sur le territoire israélien lorsque se rejoignent les eaux provenant de plusieurs sources importantes dont un certain nombre se situent elles aussi sur les hauteurs du Golan. Son cours, relativement restreint (une douzaine de kilomètres), est cependant très stable et son débit annuel est supérieur à ceux des deux autres affluents du haut Jourdain puisqu’il dépasse les 250 millions de mètres cubes.
Ces trois cours d’eau se rejoignent environ six kilomètres en amont de l’ancien lac Houleh, aujourd’hui assaini et drainé, et forment alors les deux bras du Haut Jourdain dont le débit annuel moyen est de 640 millions de mètres cubes à la sortie de la vallée de Houleh. Le fleuve coule sur une quinzaine de kilomètres avant d’atteindre le lac de Tibériade – parfois appelé mer de Galilée ou lac de Kinneret – où son débit est descendu à 550 millions de mètres cubes. Le Jourdain « traverse » ensuite le lac de Tibériade, long de vingt kilomètres, et son cours s’alimente à quelques sources souterraines, restes d’anciennes mers salées qui lui apportent 230 millions de mètres cubes supplémentaires. Malgré cela, à la sortie du lac le débit du fleuve tombe à 500 millions de mètres cubes tant l’évaporation est intense. De surcroît, 60 millions de mètres cubes sont dérivés vers des canaux d’irrigation de la plaine de Bissan, ce qui fait que le Jourdain n’a plus qu’un débit réduit à 440 millions de mètres cubes lorsque 10 km en aval du lac de Tibériade il parvient au confluent du Yarmouk, son principal affluent, qui prenant sa source dans le Djebel druze en Syrie avant de devenir jordanien 50 km plus loin à Maqarin, a un débit de 538 millions de mètres cubes à Naharayim quand il gagne le Jourdain, lequel suit alors pendant 50 km la « frontière » entre la Cisjordanie et la Jordanie jusqu’à ce qu’il se jette dans la mer Morte, située à 400 mètres sous le niveau de la mer. A hauteur du pont Allenby, près de Jéricho, le débit du Jourdain est de 1 milliard 250 millions de mètres cubes, ce qui est dérisoire comparé aux débits du Nil (74 milliards de mètres cubes) et de l’Euphrate (32 milliards de mètres cubes). Au final, sur les 1.880 millions de mètres cubes qui représentent son débit annuel moyen, 1.488 millions (soit 77 %) proviennent de l’extérieur des frontières d’Israël telles que fixées avant 1967.
III. Histoire d’eau
A. Les plans de partage de l’eau (*)
La proclamation de l’Etat d’Israël en 1948 annonce plus de quarante années d’instabilité permanente entrecoupées d’affrontements armés avec les Etats arabes voisins. Alors qu’aucun règlement politique n’est envisageable, paradoxalement, tous les acteurs régionaux et internationaux tentent durant les années de cet état de guerre de parvenir, en vain, à un consensus technique autour du partage des eaux du Jourdain au travers de plans d’aménagement (pas moins d’une vingtaine) le plus généralement incohérents, partiaux et déséquilibrés.
Une analyse détaillée de la question de l’eau dans le bassin du Jourdain, nous montrerait comment dès les années 20 et la période mandataire britannique s’est progressivement installée une tension profonde entre les différents riverains, à la suite d’événements parfois conflictuels, mais le plus souvent insignifiants, du moins en apparence, comme l’attribution d’une concession ou la réalisation d’un aménagement hydraulique de faible ampleur. Juxtaposés les uns aux autres, ces incidents ont fini par faire émerger un contexte politique particulier : désormais eau et terre ne font qu’un. En 1955 le rejet du plan Johnston (du nom de l’émissaire dépêché par le président américain Eisenhower et destiné à mettre un terme à l’escalade de la violence suscitée notamment par les positionnements et planifications non concertées des riverains du Jourdain), révèle la nature réelle de l’enjeu et permet à l’ensemble des acteurs de prendre conscience d’une erreur fondamentale : derrière les désaccords sur les termes du partage, l’échec s’explique par l’oubli de l’hypothèse politique primordiale, à savoir la non reconnaissance d’Israël par les Etats arabes. Ainsi, les réticences réciproques n’ayant pas été levées, les Israéliens ne voulurent pas abandonner une partie de leur souveraineté à une quelconque autorité régionale. Cette question de la création d’une « commission de bassin » est toujours d’actualité et se heurte aux mêmes difficultés …
Le « projet Johnston » demeurera néanmoins jusqu’à aujourd’hui une « référence morale », sorte d’accord tacite de bonne conduite.
B. Juin 1967 : une guerre pour l’eau ?
Ce n’est certes pas un hasard si la carte des lieux occupés par Israël depuis ses conquêtes de 1967 – ou qui l’étaient jusqu’à une date très récente – recoupe celle des espaces hydrographiques stratégiques, c’est-à-dire le Liban sud, le Golan, et la Cisjordanie. Cependant, il n’y a jamais eu dans cette région de « guerre menée pour l’eau », tout au plus une lutte d’influence ponctuée de brefs mais violents accrochages militaires comme en mai et juin 1965. Pourtant, bien que sérieux, ces événements ne furent pas directement à l’origine de la guerre de juin 1967 et ont tout au plus contribué à resserrer les liens quelque peu distendus entre l’Egypte et la Syrie qui se livraient depuis plusieurs années une lutte d’influence au sein de la Ligue des Etats arabes ; « l’union sacrée » autour de la patrie (watan) arabe a offert aux voisins d’Israël une occasion unique dans un contexte fragilisé pour en découdre avec l’Etat hébreu : le motif fréquemment avancé pour expliquer le déclenchement de la guerre des Six jours fut le blocus du détroit de Tiran par l’Egypte. Au cours des affrontements, Tsahal s’empara des sources du Banias, conquit les hauteurs du Golan ainsi que les rives orientales du lac de Tibériade et du Jourdain, envahit la Cisjordanie, vint à contrôler Jérusalem Est, et se rendit maître de la rive occidentale du Jourdain depuis sa source jusqu’à la mer Morte. Si la guerre de juin 1967 ne fut pas une guerre pour l’eau, ce fut en revanche une guerre menée pour la sauvegarde et le contrôle d’un territoire - et par conséquent de ses ressources - et pour la sécurisation de frontières encore fragiles : « l’hydrostratégie » s’inscrit ainsi dans un contexte plus large, et ne prend tout son sens que dans une perspective défensive.
C. Sécurisation territoriale et préservation des ressources hydriques : les remous du « processus de paix »
A la Conférence de paix de Madrid en 1991, en l’absence d’une représentation officielle de l’OLP – indésirable aux yeux des Israéliens – l’Etat hébreu impose son approche économique de la question de l’eau et obtient ainsi une première victoire avec la mise en place de cinq « groupes multilatéraux de travail » (1). L’eau est alors instrumentalisée et nous assistons au développement d’une « diplomatie de l’eau », avec le discours et les extrémités sémantiques qui l’accompagnent : « la guerre de l’eau », « l’or bleu », « les eaux de la discorde », « l’hydropolitique », « l’hydrostratégie » … Le politique a rattrapé le débat technique avec l’avènement des négociations de paix. Syriens et Libanais ne s’y sont pas trompés, eux qui ont refusé de prendre part à ces groupes de travail tant que les résolutions 242 et 338 du Conseil de Sécurité des Nations Unies exigeant un retrait israélien des territoires occupés resteraient lettres mortes.
La Déclaration de Principe (17 articles) sur les arrangements intérimaires d’autonomie (ou accords dits d’Oslo entre MM.Arafat, Rabin et Pérès) signée le 13 septembre 1993 modifie sensiblement le rapport de forces, en initiant un double mouvement – consensualisme et gradualisme – pour le règlement du statut final des territoires palestiniens, mais surtout en intronisant l’OLP comme « acteur politique », ce qui incitera progressivement Israël à radicaliser ses positionnements : il est prévu l’institution d’un Conseil palestinien élu, de même qu’une Autorité palestinienne pour l’administration de l’eau, après qu’un Accord d’intérim sera entré en vigueur, comme le mentionne l’article VII. Quant à l’annexe III, son premier point déclare une « coopération dans le domaine de l’eau, comprenant notamment un programme de développement des ressources en eau préparé par des experts des deux parties (…) et comprendra des propositions d’études et de projets sur les Droits de chacune des parties en cette matière, ainsi que l’utilisation équitable des ressources en eaux communes pour application au cours de la période intérimaire et après ».
Avec les Accords d’Oslo et ceux qui suivront, le règlement du partage des ressources hydriques est continûment reporté à l’étape ultime et décisive – elle même sans cesse repoussée – des discussions de paix, au même titre que les questions jugées « importantes », telles que le statut final des territoires palestiniens, le droit au retour des réfugiés ou encore le statut de Jérusalem. Et pourtant, les Israéliens tentent depuis lors de dépouiller la question du partage des eaux de son caractère politique, puisque dans leur stratégie, le politique ne saurait concerner que les territoires, les frontières et les lieux symboliques. Il n’est pas anodin de constater qu’en contrepoint de cette attitude israélienne, l’Autorité Palestinienne tente de sensibiliser la communauté internationale à sa volonté de construction étatique : à cet effet, la maîtrise des ressources naturelles, dont l’eau, ne saurait être désolidarisée de la question politique…
Les accords dits d’Oslo II signés le 28 septembre 1995 (2), maintiennent le statu quo s’agissant des ressources en eau puisque la zone C, qui comprend la majeure partie des aquifères de Judée Samarie et les rives du Jourdain, reste totalement sous contrôle israélien… Pourtant, l’Annexe B de l’accord, précise « qu’Israël reconnaît les droits à l’eau des Palestiniens en Cisjordanie » (art.40) et dessine les grandes lignes d’un partage plus équitable des ressources souterraines (3), allant même jusqu’à préciser que les réserves d’eau de l’aquifère oriental qui ne sont pas encore exploitées (4) deviendront la propriété exclusive des Palestiniens lorsqu’un Etat verra le jour. La disparition tragique de Yitzhak Rabin, assassiné le 4 novembre 1995, et les suites politiques de cet événement viendront mettre un terme aux coopérations envisagées avec l’Autorité palestinienne pour l’eau. A ce jour, c’est toujours la loi israélienne sur l’eau de 1959 qui s’applique sur les Territoires palestiniens et aucun transfert de souveraineté n’a été décidé concernant la gestion des ressources. Pour preuve de l’importance stratégique de l’eau, dès 1967, non seulement les données sont considérées par Israël comme des informations d’intérêt national et aussitôt classées « secret défense », mais encore, dans les territoires de Cisjordanie toujours sous « tutelle » israélienne, la direction des services responsables de la gestion de l’eau est confiée à des officiers de l’armée israélienne et relève ainsi du ministère israélien de la défense. En 2002, les ressources en eau sont insuffisantes pour satisfaire les besoins des deux populations palestinienne et israélienne. Israël absorbe près de 86 % de l’ensemble des ressources, les Palestiniens dans les Territoires Occupés 8 à 12 % et les colons juifs 2 à 5 % (5). Pour ce qui est de la consommation annuelle par habitant, les Israéliens consomment 500 m3 d’eau, les Palestiniens 107 à 156 m3 et les colons de 640 à 1480 m3. Cet état de fait résulte aussi bien des empêchements légaux qu’Israël a imposés aux Palestiniens dans les Territoires occupés que de l’application discriminatoire des lois et règlements (6). Au final, l’Etat d’Israël a le contrôle des discussions sur le partage des eaux, et souffle le chaud et le froid pour maintenir à distance les Palestiniens, voire les isoler politiquement et économiquement de leurs alliés traditionnels.
IV. La paix flottante : le temps des incertitudes et des espoirs
A. Les aquifères de Judée-Samarie : le goutte à goutte, ou l’impossible partage (**)
En 2002, sur les 650 millions de mètres cubes annuellement exploitables, Israël en extrait environ 415 millions pour son compte (cet usage remonte à plus d’un demi-siècle) tandis que les Palestiniens exploitent 110 millions de mètres cubes annuels et que les forages effectués après 1967 (malgré les mesures restrictives du commissaire israélien pour l’eau dès 1965) permettent aux Israéliens de puiser entre 50 et 65 millions de mètres cubes par an, destinés à alimenter les installations israéliennes en Cisjordanie. Or, cette exploitation a soulevé un contentieux juridique car selon la quatrième Convention de Genève, l’utilisation des ressources naturelles par un pays occupant pour des usages civils est interdite (art.55).
Désireux de revenir aux dispositions du Plan Johnston de 1955 comme l’envisageaient les accords d’Oslo II, les Palestiniens revendiquent un droit de propriété exclusive sur les aquifères, puisqu’ils se situent selon eux à l’intérieur des frontières de la Ligne Verte, ce qui ne saurait convenir à Israël qui désire obtenir la garantie d’une propriété exclusive de l’aquifère de Yarkon-Taninim (dont dépendent trois millions de ses ressortissants actuellement) et craint que cette requête soit compromise en cas de retour massif de Palestiniens en Cisjordanie du fait des besoins en eau que cela occasionnerait.
B. Les vasques communicantes : coopération israélo-jordanienne dans la vallée du Jourdain (***)
Loin d’être la préoccupation première des Israéliens, le développement d’une gestion autonome par la Palestine de ses ressources est au contraire neutralisé afin de garantir une souveraineté israélienne sur l’approvisionnement en eau du pays. L’emprise israélienne s’exerce de différentes manières : au travers d’une coopération accrue avec la Jordanie, et d’un contrôle renforcé sur les ressources des Territoires palestiniens.
Au mois de novembre 1993, Israël et le Royaume Hachémite de Jordanie ont jeté les bases d’une coopération multidimensionnelle, en annonçant la signature d’un traité de paix. L’une des mesures les plus encourageantes de ce traité entré en vigueur le 26 octobre 1994, consiste dans l’accord de principe portant sur le partage des eaux du Jourdain (Annexe II du traité (7)). Nous avons pu vérifier à cette occasion que, paradoxalement, l’aggravation croissante de la pénurie est l’un des meilleurs gages de réussite des efforts répétés dont font preuve les parties et les partenaires internationaux pour s’entendre sur les modalités d’une coopération.
La stratégie d’Israël dans la vallée du Jourdain repose sur plusieurs objectifs qui se rapportent tous à une coopération étroite avec la Jordanie :
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Projets conjoints de retenues d’eau ;
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Mesures appropriées pour préserver la qualité des eaux du Yarmouk et du Jourdain ;
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Recherche de sources d’eau complémentaires pour le Royaume Hachémite.
Ainsi, la Jordanie est-elle liée à Israël pour son développement futur, devant nécessairement, du moins à court terme, modérer son soutien aux Palestiniens et l’Etat hébreu est parvenu à constituer un axe de coopération sans avoir dû renoncer à sa souveraineté (comme cela aurait été le cas dans le cadre d’une Commission de bassin). Il se retrouve en l’espèce en position de « riverain d’amont » – donc dominant –, ce à double titre : maître d’œuvre et grand ordonnateur dans la vallée du Jourdain, l’Etat d’Israël dispose en outre de moyens de pression importants qu’il n’hésitera pas à faire valoir, lorsque nous savons qu’il utilise déjà 98% de ses ressources propres qui avoisinent les 1650 millions de mètres cubes et que environ 40 % de ses installations hydrauliques sont situées au-delà des frontières antérieures à juin 1967…
C. Le Yarmouk, source de litiges (****)
Si la Jordanie voit ses propres intérêts entrer d’une certaine mesure en contradiction avec ceux des Territoires palestiniens, le traité de coopération contracté avec Israël n’a pas arrangé ses relations avec la Syrie.
Le projet de construction d’un barrage syro-jordanien sur le Yarmouk représente une pomme de discorde. Depuis l’occupation du Golan par Israël, qui a par la même occasion étendu sa souveraineté sur le bas Yarmouk, les Syriens tentent de se ré-approprier la maîtrise du cours de la rivière en creusant des puits profonds destinés à contrôler le débit en amont et à offrir de vastes zones de retenues, mais également en construisant un chapelet de 28 barrages sur les affluents du Yarmouk, dont beaucoup sont déjà opérationnels. Cette politique de conquête de l’eau risque de se concilier difficilement avec les intérêts divergents d’Israël : le Yarmouk occupe en effet une position stratégique vitale dans l’alimentation de l’Etat hébreu puisqu’il rejoint le Jourdain dont il est l’un des principaux affluents. Cet aménagement des affluents syriens du Yarmouk représente également un souci pour la Jordanie qui voit se réduire d’autant ses capacités hydriques et qui, si le plan syrien est poursuivi, ne disposera plus que de 200 millions de mètres cubes annuels au lieu des 450 prévus par le plan Johnston. C’est donc dans ce contexte difficile que le projet syro-jordanien de construction d’un grand barrage a été étudié sur le fleuve transfrontalier à hauteur de Maqaren.
D. Le Golan, dernière forteresse d’eau.
Le cas du Golan ne devrait pas faire exception aux avancées du règlement politique, même si pour toutes sortes de raisons, cela sera sans doute plus difficile qu’ailleurs : d’abord nous sommes là aux sources du Jourdain, ensuite, le Golan contribue pour 22 % à l’approvisionnement en eau d’Israël et alimente le lac de Tibériade qui est le principal réservoir de l’Etat hébreu, enfin, le plateau a fait l’objet d’une politique de peuplement intense de la part des Israéliens ce qui représente aujourd’hui une difficulté supplémentaire en vue d’un retrait.
Si l’évacuation par Israël est si difficile à obtenir, c’est également qu’il y a un désaccord sur la nature des frontières : les Israéliens désirent revenir aux frontières de 1923, telles qu’elles avaient été dessinées par les autorités mandataires et qui intégraient le lac de Tibériade sur le territoire de la Palestine, et donc dans l’actuel Etat israélien (les Syriens n’avaient pas accès aux eaux du lac). Les Syriens quant à eux, souhaitent que les frontières retenues soient tracées à partir de celles de la ligne de cessez-le-feu du 4 juin 1967, qui leur donnent accès aux berges du lac. Simplement, ces frontières sont de simples tracés imaginaires tant qu’Israël occupe le Golan, territoire annexé par l’Etat hébreu en 1981. En 2002, la frontière est toujours celle matérialisée par la ligne de cessez-le-feu tracée en 1974.
E. Le Litani, rivière apaisée…
Le Litani est une rivière libanaise qui revêt une importance majeure dans le système hydrographique régional. Son débit naturel est de 700 à 900 millions de mètres cubes par an, mais connaît de grandes variations, et notamment sur son cours inférieur où le débit se réduit brusquement de 100 millions de mètres cubes. Si pour les géologues, ces variations sont dues à la nature du terrain traversé par le fleuve, des roches calcaires, qui permettraient une forte infiltration et serviraient alors de réserve souterraine aux sources résurgentes du Hasbani et du Dan, deux des trois cours d’eau qui forment le haut Jourdain, les Libanais soupçonnent l’Etat hébreu d’avoir dérivé souterrainement les eaux de leur rivière…
Dès l’avènement du Foyer National Juif, et déjà avant, dans les germes de celui-ci, les dirigeants sionistes avaient exprimé le souhait que les frontières du futur Etat juif s’étendissent au-delà du lit du Litani, afin de bénéficier de l’approvisionnement en eau en provenance du mont Hermon, ce qui eût permis de contrôler les sources du Jourdain : les autorités mandataires en décidèrent autrement. Le souhait était pourtant devenu réalité le 6 juin 1982 lorsque les Israéliens pénétrèrent au Liban et établirent une « zone de sécurité » dans le sud, dont les limites étaient marquées par le cours du Litani, multipliant depuis lors les mesures restrictives à l’encontre des agriculteurs et générant de ce fait une crise agricole profonde. Devenu, dans le doigt de la Galilée, une écharde qui menaçait d’infecter le corps national, le Liban sud fut évacué précipitamment en mai de l’année 2000, remettant ainsi en cause l’importance vitale des eaux de cette région dans l’économie israélienne, et replaçant en perspective le poids de « l’hydrostratégie » : désormais, la conquête et la domination se feront vraisemblablement par d’autres biais, au nom de la « sécurité territoriale de l’Etat et de ses populations ». Sans doute les Israéliens se réapproprieront-ils un jour les eaux de leur petit voisin du nord en « colonisateurs techniques », usant du savoir faire de pointe de leurs ingénieurs hydrologues…
En tout état de cause, le Litani devra se voir attribuer un statut plus précis lorsque prendra forme le « nouvel ordre hydraulique proche-oriental » qui se fait tellement espérer.
Notes
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(1) : Ces groupes peuvent être classés en deux catégories : ceux qui distinguent entre les questions dites « techniques » (eau et environnement) ou « économiques » et celles « politiques » (réfugiés et contrôle des armements). Le problème des frontières relève quant à lui d’un traitement exclusivement politique du processus de paix, à travers les négociations bilatérales : eau et territoires sont désormais dissociés dans les négociations, du moins formellement. Or, cette dissociation ne favorise pas l’interaction entre Israéliens et Arabes car si les premiers cherchent, en attendant que les Palestiniens et les Syriens « fassent les preuves de leur bonne volonté », à conserver la maîtrise de leur sécurité hydrique en contrôlant les sources et le cours du Jourdain (justifiant en cela le maintien de leurs positions sur le plateau du Golan et sur les rives cisjordaniennes du fleuve), les seconds revendiquent une souveraineté totale sur ces mêmes territoires – et sur leurs ressources hydriques.
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(2) : Qui organisent la période transitoire de cinq années devant précéder la proclamation d’un Etat palestinien, prévoient la constitution de 3 zones à autonomie graduelle : tandis que l’Autorité Palestinienne est autonome en zone A et qu’elle exerce une autonomie partielle sur la zone B, la zone C reste sous responsabilité israélienne.
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(3) : Les Palestiniens disposaient officiellement de 70 à 80 millions de mètres cubes d’eau supplémentaires, ainsi que 28,5 millions de mètres cubes destinés à couvrir les besoins domestiques (10 millions à Gaza et 18,6 millions en Cisjordanie) dont 9,5 millions fournis par Israël.
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(4) : Entre 60 et 150 millions de mètres cubes annuels selon les estimations.
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(5) : Les chiffres reposent sur une consommation d’eau de 1650 Mm3 par Israël, 160-234 Mm3 par les Palestiniens et 41-96 par les colons juifs.
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(6) : Jeffrey D. Dillman, « Le pillage de l’eau dans les Territoires Occupés », Revue d’Etudes Palestiniennes, n°35, Printemps 1990, p.37-40.
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(7) : Laquelle prévoit la création d’un Comité commun de décision chargé de tracer les lignes directrices de la coopération et de veiller au respect des termes de l’accord de 1994, tandis que l’article I précise le quota d’eau qui revient à chacun des contractants.
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(*) : Voir fiche intitulée : Le partage impossible des eaux du Jourdain. Plans et contre plans, le film d’un échec.
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(**) : Voir fiche intitulée : Le conflit d’usages entre Israéliens et Palestiniens pour le partage des aquifères transfrontaliers de Judée-Samarie.
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(***) : Voir fiche intitulée : Les projets hydrauliques d’Israël dans la vallée du Jourdain : une coopération avec la Jordanie qui exclut les Palestiniens.
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(****) : Se reporter à la fiche intitulée : Le contentieux israélo-arabe pour l’aménagement des eaux du Yarmouk.