Jean-Marie Muller, Paris, octobre 2001
La non-violence dans l’Intervention Civile de Paix
Le principe de non-violence est la garantie concrète pour éviter à l’Intervention Civile de Paix ce qui est reproché aux interventions armées.
Pour mémoire, rappelons que le 22 février 1996, lors d’un entretien télévisé, le président de la République a opéré une véritable révolution copernicienne de la structure même de la doctrine de défense de la France. « Aujourd’hui, a-t-il affirmé, un pays comme la France qui veut être protégé dans un monde difficile, constate d’abord que nous ne sommes plus menacés par un envahisseur, par des hordes d’envahisseurs qui viendraient d’ailleurs. » Précisant son propos le lendemain, dans un discours prononcé à l’École Militaire, Jacques Chirac déclare : « Nos frontières sont en paix. » Dès lors que la France ne connaît plus de menace militaire directe sur ses frontières, la fonction des armées est essentiellement de prévenir les conflits locaux qui surviennent hors du territoire national et, le cas échéant, d’intervenir pour tenter de les maîtriser. « L’architecture de nos forces, affirme le président de la République, doit désormais s’articuler autour des fonctions opérationnelles prioritaires que sont la prévention des crises et des conflits et la projection de puissance. »
Mais, en ce qui concerne les modalités des interventions, il n’envisage que la projection de forces militaires : « Nous devons être capables, précise-t-il, de déployer sur un théâtre éloigné du territoire métropolitain jusqu’à 30 000 hommes relevables, et simultanément d’engager sur un autre théâtre l’effectif d’une brigade. » (Discours du 23 février 1996)
Pour l’essentiel, Jacques Chirac s’en tient à une conception militarisée de la prévention. Il précise simplement : « Un certain nombre de missions de soutien devront être déléguées, ou confiées à du personnel civil dont le nombre sera naturellement accru. » (Discours du 23 février 1996). Ainsi les interventions civiles se trouvent réduites à des missions de soutien à une intervention militaire.
La pensée stratégique semble donc enfermée dans la logique du « tout militaire », comme s’il allait de soi que seule la contre-violence peut être efficace pour lutter contre la violence et rétablir la justice. Il nous faut bien reconnaître que la culture de nos sociétés est dominée par l’idéologie de la violence nécessaire, légitime et honorable. Pareille idéologie refuse toute pertinence à la notion de non-violence. Aussi l’opinion la plus répandue laisse entendre que la non-violence est un idéalisme qui s’enracine dans une morale de conviction et qui est incapable de fonder une morale de responsabilité.
Lâcheté, violence et non-violence
L’un des malentendus les plus fréquents est de confondre la non-violence avec le pacifisme. Les mots « pacifisme » et « pacifiste » ont dans notre langue et dans notre culture une connotation essentiellement péjorative. Le pacifiste est réputé vouloir la paix « à tout prix », fut-ce au prix de la justice. C’est pourquoi il est accusé de préférer n’importe quelle paix à n’importe quelle guerre et, donc, d’être prêt à se soumettre à l’oppression plutôt qu’à se battre pour la liberté. L’idéologie dominante jette donc l’anathème sur les pacifistes en les accusant d’être traîtres et parjures. Or il est vrai que la paix peut être honteuse et que le refus de la guerre peut être lâche. En refusant absolument la guerre, la logique du pacifisme le conduit à faire de la paix un absolu et même le premier des absolus. Or, ce n’est pas la paix qui est le plus important, mais la justice qui permet la liberté et la dignité. Si le choix n’était qu’entre la paix dans l’injustice et la guerre pour la justice, alors mieux vaudrait certainement choisir la guerre.
Mais précisément, la non-violence vise à nous faire sortir de ce dilemme qui ne nous laisse le choix qu’entre deux maux. Gandhi affirmait que si le choix n’était qu’entre la violence et la lâcheté, il conseillerait de choisir la violence. Mais il ajoutait aussitôt que la non-violence était supérieure à la violence. Ce que Gandhi a montré, non seulement en parlant, mais surtout en agissant, c’est que l’homme n’avait pas le choix entre la violence et la lâcheté, mais entre la violence, la lâcheté et la non-violence. L’hypothèse de travail que nous devrions tous accepter sans trop de difficulté c’est d’énoncer le postulat suivant : si la non-violence est possible, elle est préférable. Et si la non-violence est préférable, il faut alors en étudier les possibilités. C’est pourquoi la question qui veut être posée lors de ce colloque est de savoir s’il n’existerait pas des formes d’intervention civile non-violente qui permettraient de faire face aux crises et aux conflits locaux qui surviennent sur tel ou tel territoire, et cela sans préjuger de la légitimité et de la possibilité des formes d’intervention armée.
La « faisabilité » de l’intervention civile
Notre démarche veut être pragmatique : nous ne saurions affirmer a priori qu’il existe, quelle que soit la situation, une forme d’intervention civile susceptible d’apporter une solution non-violente aux conflits qui surgissent ici ou là.
Notre hypothèse de travail est tout autre : il s’agit, à partir de l’analyse de chaque situation concrète, d’étudier les possibilités d’intervenir, sur les lieux mêmes des crises, des conflits et des affrontements, par d’autres moyens que les armes, afin de prévenir, réduire et, autant que possible, faire cesser la violence, créant ainsi les conditions d’une solution politique du conflit. En d’autres termes, il s’agit d’étudier la « faisabilité » de formes d’intervention civile non-violente. Au demeurant, tout le monde s’accorde pour reconnaître que l’intervention militaire n’est pas toujours possible et que, lorsqu’elle paraît possible, elle n’est de toute façon pas suffisante. Plus que cela, de nombreux observateurs, et parmi eux plusieurs militaires, ont souligné que les opérations de maintien ou de reconstruction de la paix nécessitent l’intervention de civils qui puissent accomplir des missions de paix visant à reconstituer le tissu conjonctif de la société déchiré par la guerre et à reconstruire l’État de droit. Pourtant, la communauté internationale et les États n’ont actuellement à leur disposition, pour intervenir, que des corps armés. Dans nos sociétés, les militaires semblent les seuls à être disponibles, préparés et organisés afin pour constituer rapidement des unités d’action capables d’intervenir sur un territoire extérieur.
Depuis de longues années déjà, les volontaires d’organisations non gouvernementales - je pense tout particulièrement aux Brigades de Paix Internationales - sont présents sur les lieux de conflits régionaux et s’efforcent, à la mesure de leurs moyens extrêmement limités, d’apporter leur contribution au rétablissement de la paix par la mise en oeuvre de méthodes d’action non-violentes d’interposition, de médiation et d’éducation. Ces différentes expérimentations sont riches d’enseignement et montrent la faisabilité de l’intervention civile sur le lieu des conflits, alors même que les combats n’ont pas encore cessé.
Les organisations inter-gouvernementales elles-mêmes - qu’il s’agisse de l’ONU ou de l’OSCE - ont organisé des interventions civiles pour enquêter sur la situation des Droits de l’Homme dans les zones de conflit et pour tenter de faire en sorte qu’ils soient mieux respectés. Mais force est de reconnaître que ces interventions civiles de paix n’ont pas été en mesure de déployer les moyens nécessaires à leurs missions. Nos sociétés restent très mal organisées pour faire face à ces nouvelles tâches. C’est l’un des enseignements majeurs de la gestion des derniers conflits régionaux que les États et la communauté internationale ne disposent pas des moyens institutionnels qui leur permettraient d’assumer les missions civiles de maintien et de reconstruction de la paix dont l’importance peut être décisive. Pour pallier à ce manque, il est urgent que les décideurs politiques et les citoyens fassent montre d’une volonté suffisamment forte pour consentir les investissements nécessaires à la mise en oeuvre de tels moyens.
Nous pouvons proposer la définition suivante de la stratégie de l’intervention civile : une intervention non armée, sur le terrain d’un conflit local, de missions extérieures, mandatées par une organisation intergouvernementale, gouvernementale ou non gouvernementale, venant accomplir des actions d’observation, d’information, d’interposition, de médiation et de coopération en vue de prévenir ou faire cesser la violence, de veiller au respect des droits de l’Homme, de promouvoir les valeurs de la démocratie et de la citoyenneté et de créer les conditions d’une solution politique du conflit qui reconnaisse et garantisse les droits fondamentaux de chacune des parties en présence et leur permette de définir les règles d’une coexistence pacifique.
La paix ne peut être « importée » de l’étranger
Aucune ingérence politique n’imposera de l’extérieur la paix à des communautés en conflit. Ni les buts à atteindre pour favoriser la paix, ni les moyens mis en oeuvre pour y parvenir ne peuvent être « importés » de l’étranger. Ils doivent être définis sur le terrain, en coopération étroite avec les réseaux de citoyens du pays concerné. En définitive, une paix durable ne peut être rétablie que de l’intérieur, par l’action de membres de ces communautés. Une intervention civile a précisément pour but de faciliter et de favoriser cette action en créant un espace public, un espace politique dans lequel elle puisse se développer. L’un des principes sur lesquels l’intervention civile doit être fondée, c’est que seuls les acteurs du conflit sont en mesure de lui apporter une solution durable. La méthode de l’intervention civile doit se démarquer clairement de la logique de victimisation des personnes auprès desquelles elle intervient. Cette logique tend à considérer ces personnes comme des individus sans responsabilité dans leur passé, leur présent et leur avenir; elle en fait des assistés privés d’autonomie. Dans cette perspective, une intervention civile n’est pas une simple assistance des populations civiles locales, mais un accompagnement qui permet une coopération avec elles.
Une intervention civile non-violente s’apparente directement à l’organisation sur le terrain d’un conflit local d’une diplomatie de proximité. Le plus souvent, lorsque la communauté internationale veut entreprendre une médiation entre deux parties en conflit, elle dépêche sur le terrain deux ou trois diplomates. C’est un peu comme si pour aller faire la guerre on envoyait deux ou trois généraux. Une intervention civile non-violente peut être considérée comme une mission de médiation qui dépêcherait des centaines, voire des milliers de diplomates sur le terrain où se déroule le conflit.
Le refus de la neutralité
Les missions d’une intervention civile ne sauraient prétendre faire preuve de « neutralité », du moins si l’on donne à ce mot, selon son étymologie latine (ne, ni et uter, l’un des deux), le sens de « ni l’un ni l’autre, aucun des deux ». Ainsi, en cas de conflit international, un pays neutre est celui qui ne prend parti pour aucun des deux camps adverses, qui n’accorde son soutien et n’apporte son aide à aucun d’entre eux et reste en dehors du conflit. Or, précisément, les membres d’une mission de paix qui vise sinon à la réconciliation, du moins à la conciliation des deux parties engagées dans un conflit, n’ont pas pour mandat de ne prendre parti pour « aucun des deux » adversaires, mais de prendre parti pour « tous les deux ». Ils s’engagent aux côtés de l’un et de l’autre : ils s’engagent deux fois, ils prennent deux fois parti. Mais ce double parti pris n’est jamais inconditionnel : il est chaque fois un parti pris de discernement et d’équité. En ce sens, on peut dire que les membres d’une intervention civile ne sont pas neutres, mais « équitables » : ils s’efforcent de donner à chacun selon son dû. C’est ainsi qu’ils peuvent gagner la confiance des deux adversaires et favoriser le dialogue entre eux.
L’équité n’implique pas qu’on renvoie dos à dos les adversaires. Dans une situation de conflit, il est rare que les responsabilités soient également partagées. George Willoughby, un responsable des Brigades de Paix Internationales, affirme que les tierces parties doivent être « non partisanes envers les mouvements politiques, mais partisanes envers la justice, la non-violence et la liberté de tous » (1). Ainsi, dans la mesure même où un mouvement est engagé en faveur de la justice, de la non-violence et de la liberté, il convient, dans la même mesure, d’être partisan en sa faveur.
Définie comme une stratégie, l’intervention civile se présente comme une alternative à l’intervention militaire. Si l’on considère telle ou telle modalité tactique d’intervention civile, elle peut être mise en oeuvre dans le cadre d’une stratégie globale qui comporte une composante militaire et une composante civile. Dans les circonstances actuelles, par la force des choses, c’est le plus souvent dans la deuxième hypothèse que nous aurons à nous situer.
Une réelle autonomie de décision et d’action
Pourtant, il nous faut veiller à ne pas affirmer trop vite et trop fort que, dans une même zone de conflit, il est possible de faire prévaloir une heureuse complémentarité opérationnelle entre une intervention armée et une intervention civile non-violente. En réalité, l’intervention armée et l’intervention non-violente fonctionnent selon des principes stratégiques tellement différents qu’il n’est guère possible de les mettre en œuvre en même temps dans un même espace. Tout porte à penser qu’elles s’avéreraient largement incompatibles. Toute action armée ne peut que venir parasiter le bon déroulement d’une intervention civile. Les interventions civiles ont leur stratégie propre qui implique une réelle autonomie de décision et d’action.
Pour la clarté du débat, il me semble essentiel de préciser que l’intervention civile non-violente telle que nous tentons de la concevoir diffère radicalement de ce que le ministère de la défense appelle une « action civilo-militaire »(« ACM »). Je reprendrai la définition des actions civilo-militaires donnée ce matin par Mme Alexandra Novosselof : « des actions civiles qui s’insèrent dans un dispositif militaire et qui sont menées au bénéfice des forces armées ». A l’évidence, et je pense que nous en conviendrons tous, une action civile non-violente ne correspond nullement à cette définition.
Faire face aux risques
Il est dans la nature même d’une intervention non-violente dans une situation de conflit armé ouvert de faire courir des risques majeurs à ceux qui y participent. C’est un principe stratégique que les risques encourus par le fait d’opter délibérément pour la non-violence fait partie intégrante de l’action non-violente. Celle-ci ne peut atteindre toute son efficacité que dans la mesure où ceux qui la mettent en oeuvre acceptent d’assumer les risques qui lui sont inhérents. Leur vulnérabilité même face aux dangers est l’un des facteurs de l’efficacité de leur engagement. En quelque sorte, les membres d’une intervention civile se livrent eux-mêmes comme des otages aux mains des belligérants en venant s’interposer entre eux au sein des populations civiles. Ce sera l’un des éléments essentiels de la formation qui devra être proposée aux volontaires de les préparer à affronter les risques auxquels ils seront confrontés sur le terrain. Ils devront, pour cela, par des exercices appropriés, apprendre à connaître leurs émotions et à gérer leurs peurs.
Il faut ici, quelle que soit la difficulté de l’exercice, oser regarder en face le fait qu’une intervention civile non-violente comporte effectivement un risque de mort. Mais une intervention militaire ne comporte-t-elle pas également un pareil risque ? Et si nous admettons qu’il vaut la peine de courir ce risque dans une action armée, dès lors qu’il s’agit réellement de faire prévaloir la justice, pourquoi n’admettrions-nous pas qu’il ne vaut pas la peine de le courir dans une action non-violente ? Certes, il s’agit, dans un cas comme dans l’autre, de faire droit aux exigences requises par le principe de précaution et par celui de prudence. Il s’agit de discerner au mieux quels sont les risques qui sont sensés et quels sont ceux qui sont insensés. Il est certainement des risques qu’il faut savoir ne pas prendre. Mais il restera toujours que la probabilité de mourir dans une mission de paix est non nul. Nous ne saurions souscrire au principe du « zéro mort ». Or c’est précisément ce principe qui nous est généralement opposé lorsque nous dialoguons avec les représentants des pouvoirs publics. On voudrait refuser à des citoyens le droit d’encourir le risque de mourir dans une action non-violente. Ou, plus précisément, on veut bien qu’ils prennent ce risque, mais alors qu’ils n’engagent que leur propre responsabilité qu’ils ne viennent pas demander à l’État de les couvrir !… Et bien, non, nous n’acceptons pas cette défausse de l’État et nous entendons continuer à lui demander de prendre lui-même ses responsabilités dans la préparation et dans l’organisation des missions d’intervention civile non-violente.
Dans ces conditions, faut-il envisager que, sur le terrain, les membres d’une intervention civile puissent bénéficier d’une protection militaire ? D’un point de vue strictement théorique, les volontaires d’une mission civile de paix n’ont pas pour principe de mener des actions non-violentes en s’abritant derrière une protection militaire. Pour autant, dans les faits, on ne saurait exclure que dans des situations d’extrême dangerosité, les membres d’une mission civile doivent accepter d’être mis en sécurité par une intervention militaire. En outre, il se peut que leurs activités se déroulent dans une région où la présence d’une force militaire leur assure de fait une certaine protection.
Aux côtés des populations locales
Ici encore, une précision s’impose : présenter l’intervention civile non-violente comme l’interposition de personnes agitant des drapeaux blancs et venant prendre position entre deux rangées de combattants qui s’affrontent avec des armes, ce serait s’en tenir à une caricature. Si on imagine ainsi des femmes et des hommes désarmés venant s’offrir aux tirs d’armées et de milices sans scrupules, on est fatalement conduit à conclure qu’une telle intervention est vouée à l’échec. En réalité, le lieu privilégié où l’intervention civile se développe n’est pas tant le champ de bataille où s’affrontent les belligérants, que la société civile où vivent les populations locales.
Il reste que les membres d’une intervention civile, par le fait même qu’ils sont désarmés, se trouvent « sans défense » face à la menace toujours présente des acteurs armés. D’un point de vue purement théorique, la capacité de violence d’acteurs armés face à des personnes désarmées est techniquement sans limites. Mais la mise en oeuvre de la violence ne dépend pas seulement de facteurs techniques. Il arrive souvent que des facteurs humains, psychologiques, sociaux et politiques imposent aux décideurs des limites dont ils ne peuvent pas s’affranchir facilement. Une violence sans limites est « aveugle », dans tous les sens de l’expression. Elle constitue une fuite en avant ne correspondant à aucun objectif politique rationnel. Elle risque d’entraîner des conséquences qui ont un coût politique, diplomatique et économique tel qu’il est de l’intérêt des décideurs d’y renoncer. Il existe donc des situations où, techniquement possible, elle n’est pas politiquement la plus probable. On peut alors préconiser une intervention civile, en faisant le pari qu’elle pourra dissuader les dirigeants adverses de s’engager dans une politique de répression aveugle qui les amènerait dans une impasse.
Ainsi, le plus souvent, l’intervention civile non-violente doit être perçue et conçue comme une intervention auprès des populations civiles dont l’implication directe dans les affrontements peut être très différente d’une situation à l’autre. Dans de nombreux conflits, la volonté de paix des populations est plus grande que celle des dirigeants. Il arrive souvent que ceux-ci se soient érigés en chefs de guerre, en prenant en otage les membres de leur propre communauté. Il s’agit d’entreprendre auprès des populations civiles un travail de pacification en désarmant les esprits et les mentalités et en instaurant des « mesures de confiance » qui visent à créer les conditions d’une coexistence pacifique entre les communautés adverses. Si le soutien des populations aux dirigeants et aux combattants vient à manquer, ceux-ci devront finir par en tenir compte. Le prolongement de la guerre deviendrait une fuite en avant qui ne correspondrait plus à aucun objectif politique rationnel. Ils devraient alors comprendre que leur intérêt même leur demande de préférer la négociation à la poursuite de la guerre.
Le fait d’« afficher » clairement le caractère non-violent de l’intervention constitue un atout important pour bénéficier du concours des populations locales : il peut désamorcer d’éventuelles réactions de méfiance et de rejet de la part des populations civiles vis à vis d’une ingérence « étrangère » ; il peut surtout créer un climat de confiance qui facilite grandement leur collaboration. Plus précisément, le fait d’annoncer ouvertement que les forces engagées dans la mission d’intervention civile n’auront recours qu’à des méthodes non-violentes peut faciliter la mise en oeuvre d’une médiation entre les parties engagées dans le conflit.
L’urgence d’un programme de formation
Le premier objectif à atteindre est d’organiser un programme de formation à la résolution non-violente des conflits qui permette à des volontaires de se préparer dans les meilleures conditions à participer à des missions civiles de paix. Depuis plusieurs années, dans plusieurs pays d’Europe, de nombreuses expériences ont eu lieu en ce domaine. Le plus souvent, elles ont été organisées dans le cadre d’associations militantes et, de ce fait, elles ont souffert d’un manque important de ressources humaines et matérielles. Il convient désormais d’envisager une formation qui bénéficie du concours d’organisations institutionnelles. L’un des dysfonctionnements majeurs de notre société, c’est précisément qu’elle se donne tous les moyens nécessaires pour permettre aux citoyennes et aux citoyens de se préparer à mettre en œuvre la violence, et qu’elle ne se donne pratiquement aucun moyen pour leur permettre de se préparer à mettre en œuvre la non-violence. Quand on mesure tous les investissements qui sont faits pour mettre en œuvre les moyens de l’action militaire et tous les investissements qui ne sont pas faits pour mettre en œuvre les moyens de l’action non-violente, on mesure ce qu’il est possible de faire en ce dernier domaine.
Le Comité Français pour l’Intervention Civile de Paix s’est donné pour tâche principale d’organiser des sessions de formation à la résolution non-violente des conflits pour celles et ceux qui se portent volontaires pour des missions civiles. Les deux sessions que nous avons déjà organisées n’ont été financées que par des fonds privés. L’une des revendications que nous voulons faire émerger à l’occasion de ce colloque c’est d’obtenir des fonds publics pour l’organisation des sessions à venir. Il devrait être d’autant plus possible d’obtenir satisfaction que le coût d’un programme de formation à l’intervention civile est immensément modéré par rapport à d’autres investissements de défense. Espérons que les représentants du peuple qui ont l’habitude de siéger dans ces murs sauront comprendre le bien-fondé de cette revendication et qu’ils auront à cœur de la satisfaire. Je les en remercie à l’avance.
Notes
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(1) : Cité par Lisa Schirch, Keeping the peace, Exploring civilian alternatives in conflict prevention, Uppsala, Life & Peace Institute, 1995, p. 51-52.
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Propos issus des Actes du Colloques, Intervention civile de paix, Assemblée Nationale, 2001.