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L’organisation de l’accueil des Argentins

Mots clefs : Initiatives de solidarité envers des populations démunies | Citoyens argentins | Organisations citoyennes et leaders pour la paix | Défenseurs des droits de l'Homme | Accompagner des exilés politiques | France

L’accueil des Argentins n’a pas fait l’objet immédiat d’une organisation structurée, mais été plutôt le résultat d’initiatives isolées de différents acteurs, si l’on excepte celles produites par la coopération entre la Cimade et France Terre d’Asile. Les Argentins ont pu en outre bénéficier des structures déjà mises en place pour les Chiliens. Une partie importante d’entre eux n’étant pas passée par les réseaux de solidarité existants, préférant s’adresser à des personnes qu’ils connaissaient déjà en France ou dans un autre pays européen, ceci n’a pas facilité non plus la structuration des réseaux d’accueil. Les organisations qui se sont spécifiquement occupées de l’accueil des Argentins peuvent être regroupées en trois types principaux : les organisations caritatives, les institutions, et les initiatives individuelles.

Les organisations caritatives

  • La Cimade a animé l’un des principaux réseaux de solidarité ayant œuvré pour les Argentins. Cette association œcuménique a été créée en 1939 pour venir en aide aux personnes déplacées et regroupées dans les camps du sud de la France. Historiquement liée aux mouvements de jeunesse protestants, la Cimade a ensuite travaillé en collaboration avec d’autres organismes, catholiques, orthodoxes et laïcs, au service des réfugiés et des étrangers en France. Elle a joué un rôle important dans les modalités concrètes d’accueil grâce à son centre d’accueil situé à Massy (appelé Centre International Cimade), au sein duquel ont été hébergés des Argentins aux côtés de Chiliens et d’Uruguayens précédemment arrivés. Les réfugiés y étaient pris en charge durant six mois (sur financement étatique). Cette prise en charge incluait l’hébergement, l’alimentation, les cours de français, la scolarité pour les enfants, la sécurité sociale et l’aide à l’insertion.

  • Elle a travaillé en collaboration avec l’association France Terre d’Asile, créée en 1971. Celle-ci se chargeait d’aller chercher les Argentins à l’aéroport et de les conduire, en général, soit au centre de Massy, soit à Fontenay-sous-Bois près de Vincennes. Cette association était née d’un projet avorté, celui de fonder un comité de vigilance composé de personnalités de toutes sensibilités politiques et philosophiques afin de dénoncer les atteintes au droit d’asile (notamment les menaces d’expulsions d’étrangers de France). Ce projet ne verra jamais vraiment le jour et sera remplacé par la création de l’association France Terre d’Asile. Celle-ci se fixe deux objectifs :

  • Faire de la France une terre d’asile.

  • Promouvoir une politique d’accueil des réfugiés dans un cadre de solidarité avec les victimes, France Terre d’Asile n’accueillant pas elle-même les réfugiés mais aidant à développer le droit à l’hébergement.

Elle se veut une association de promotion du droit d’asile et de défense des réfugiés quelle que soit leur origine ou le motif pour lequel ils cherchent asile. L’un de ses combats majeurs est de lier droit d’asile et protection des droits de l’Homme. Elle crée à ce titre en 1976 la Commission de sauvegarde du droit d’asile à laquelle participe notamment la Ligue des droits de l’Homme. Son action prend forme à la suite du coup d’Etat chilien, puisqu’elle met en œuvre, dès septembre 1973, une large coordination pour l’accueil des réfugiés chiliens et élabore une proposition de mise en place d’un dispositif d’accueil en centres provisoires d’hébergement (CPH) pour familles. Les CPH pour réfugiés accueillent rapidement plus de 6 000 personnes en provenance du Chili et, à partir de 1974, d’autres personnes d’Amérique latine, dont des Argentins.

Les institutions et les individuels

  • L’Etat français n’a pas élaboré de politique spécifique pour les Argentins, car après le coup d’Etat au Chili, il avait accepté de garantir à tout réfugié le droit à l’hébergement. Comme déjà évoqué, c’est France Terre d’Asile qui a incité l’Etat à agir. Après l’arrivée de nombreux réfugiés chiliens par avion entre le 4 et le 8 novembre 1973, des agréments ont été donnés au cas par cas pour des centres d’hébergement qui leur étaient destinés. Depuis 1973, France Terre d’Asile est chargée d’assurer la coordination du Dispositif National d’Accueil (DNA) par convention signée avec le Ministère de l’Emploi et de la Solidarité. Elle tient le secrétariat de la Commission nationale d’admission (CNA) et organise l’acheminement des demandeurs d’asile et des réfugiés du premier lieu d’accueil vers le centre de transit, le CADA ou le CPH.

L’association s’efforce ensuite d’élargir le droit à être logé dans des centres d’hébergement aux réfugiés d’autres pays d’Amérique latine. A l’époque, trois centres seulement accueillent des réfugiés d’Amérique latine : Fontenay, Bobigny et Massy (centre géré par la Cimade). En 1974, l’association obtient l’autorisation, à titre provisoire et expérimental, d’accueillir des demandeurs d’asile de toutes origines dans des centres de la région parisienne dont l’hébergement est pris en charge par l’Etat au titre de l’aide sociale. Le décret du 15 juin 1976 modifie l’article 185 du code de la famille sur les bénéficiaires de la prise en charge sur fonds d’Etat au titre de l’action sociale. Il confirme l’extension de l’aide à tous les réfugiés, qui devient un droit. Les réfugiés sont devenus une catégorie particulière de bénéficiaires de l’aide sociale. Un nouveau centre pour tous les réfugiés est créé à Ris-Orangis.

Déjà signalé, le rôle actif des mairies a été décisif dans l’accueil des Argentins. Comme déjà évoqué, la mairie de Fontenay-sous-Bois a été l’une des communes les plus entreprenantes pour son accueil et l’aide fournie. Elle a facilité la création de classes spéciales à destination d’enfants réfugiés dans les écoles. Une telle mesure a incontestablement aidé à intégrer ces enfants ne parlant pas le français. D’autres mairies comme celle de Bondy ont beaucoup aidé dans la recherche d’emplois.

Par ailleurs, de nombreuses personnes n’ont pas hésité à héberger chez elles des Argentins, ou bien à leur procurer des ressources provisoires pour leur permettre de se faire rapidement une place au sein de la société française. Le cas de la famille Gómez peut servir d’illustration sur ce point. Installé dans la ville de Bougival, un groupe d’une dizaine d’exilés argentins a trouvé une aide cruciale chez la famille Gómez, famille d’origine espagnole installée en France après la Guerre civile espagnole. Dès leur arrivée à Bougival, la famille Gómez les a aidés matériellement mais aussi psychologiquement, les invitant à dîner ou même à passer les fêtes de Noël chez elle. Cet exemple exprime clairement la solidarité qui pouvait exister entre des personnes ayant connu des histoires d’exil différentes et qui, au fond d’elles-mêmes, retrouvaient un sens, une identité commune. La solidarité avec les Républicains espagnols a été, dans un certain nombre de cas, une réalité bien tangible.

Evaluer le résultat de l’action des réseaux associatifs d’accueil n’est pas simple. Il est intéressant de noter que selon les statistiques de l’INSEE, alors que la population argentine en France a augmenté de 1634 personnes, entre 1973 et 1983, l’aide s’est concentrée sur un nombre moins important. En effet le centre d’hébergement de Massy, géré par la Cimade a recueilli en tout environ 150 réfugiés argentins de 1975 à 1985, et France Terre d’Asile, pour sa part, a porté assistance à 200 ou 300 exilés pendant cette période. En outre, si seuls 921 Argentins ont reçu le statut de réfugié de 1975 à 1983 (statistiques de l’OFPRA), neuf candidats sur dix ont vu leur demande acceptée. Beaucoup d’exilés n’ont donc pas souhaité avoir recours au statut, même s’il semble que son obtention n’était pas compliquée, préférant à obtenir des cartes de séjours par d’autres moyens : certains exilés ont bénéficié de visas d’étudiants ; d’autres avaient déjà la nationalité d’un pays européen ou des origines européennes qui ont facilité leur installation en France ; d’aucuns ont tout simplement séjourné en France avec des visas touristiques. Au regard des différents entretiens réalisés, nous avons pu noter qu’une partie significative des Argentins n’a eu que peu ou pas de contacts avec un réseau de solidarité, bénéficiant surtout de l’aide de proches, de camarades, de réseaux personnels ou d’actions individuelles hors réseaux.

L’aide pratique des réseaux semble donc avoir été relativement marginale, peut-être parce que son émiettement et sa complexité, tout comme la dispersion des réfugiés sur le territoire, avaient rendu son accès difficile. En revanche, il semble que les réseaux militants français, engagés en faveur de la cause argentine, aient joué un rôle beaucoup plus significatif dans un autre domaine, celui de la sensibilisation de l’opinion publique et des décideurs politiques aux violations de droits que commettait la Junte.