Analysis file Dossier : La paix tibétaine : « La paix naît d’abord en nous ». Un apport à la paix du monde

, Paris, January 2004

Quelle autonomie possible pour le Tibet ?

Le Dalaï Lama propose aux autorités chinoise de renoncer à l’indépendance du Tibet en échange d’une autonomie réelle. Mais quels pouvoirs les Tibétains sont-ils prêts à abandonner et quel type d’autonomie la Chine pourrait-elle un jour accepter ?

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En 1952, trois ans après la création de la République populaire de Chine, le gouvernement chinois promulgua le « Programme de la pratique de l’autonomie des régions des minorités ethniques », programme garantissant aux minorités « vivant en groupes compacts » le droit de gérer leur propres affaires. Depuis la promulgation de cette législation, cinq régions autonomes ont été formées en Chine :

  • La région autonome du Tibet ;

  • Le Xinjiang, région autonome Ouïgour ;

  • Le Guangxi, région autonome Zhuang ;

  • Le Ningxia, région autonome de la minorité ethnique Hui ;

  • La Mongolie intérieure.

Bien que ces provinces soient qualifiées d’autonomes, elles jouissent en réalité de moins d’autonomie que les provinces chinoises ordinaires ; et si dans le meilleur des cas on leur laisse quelques libertés dans les méthodes d’application des politiques édictées par le gouvernement central, ces provinces dites autonomes n’ont aucun pouvoir législatif propre.

Cinq ans après l’entrée des troupes chinoises au Tibet, en avril 1956, le Dalaï Lama fut désigné président du Comité de préparation de la création de la région autonome du Tibet. Mais lorsqu’il fuit en Inde en 1959, le gouvernement central décida de dissoudre le gouvernement local et de reprendre totalement les rennes. En 1965, la région autonome du Tibet est officiellement créée, dernière unité administrative de ce niveau a être mise en place pendant la période de réorganisation du territoire chinois, entre 1955 et 1965. Cette province tibétaine englobe les provinces tibétaines de l’Ü et du Tsang (communément regroupées sous le nom de Ü-Tsang), tandis que les provinces du Kham et de l’Amdo sont intégrées à d’autres provinces chinoises, le Qinghai, le Sichuan et le Yunnan, sous le statut de préfectures et comtés autonomes. Bien que la région autonome du Tibet ne représente qu’une partie seulement du territoire tibétain, c’est sur ses droits et pouvoirs au sein de l’Etat chinois que nous allons nous pencher.

I. Droits et pouvoirs de la région autonome du Tibet

En 1988, un pamphlet chinois intitulé « Le Tibet, cent questions et réponses » définissait ainsi les prérogatives du gouvernement local de la région autonome du Tibet :

  • Exécution des lois et de la politique de l’Etat « en fonction des conditions réelles de la région » ;

  • Promulgation « des règlements autonomes et des règlements spécifiques sur l’exercice de l’autonomie », toujours en tenant compte des particularités locales. Ces règlements entrent en application après approbation par le Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale ;

  • Autonomie financière : la région autonome du Tibet « prend en toute indépendance les dispositions nécessaires à son développement économique » ;

  • Administration indépendante de l’éducation, des sciences, de la culture, de la santé publique et des sports ; protection et mise en valeur du patrimoine culturel, et développement de la culture tibétaine ;

  • Organisation « sous l’autorité du Conseil des affaires d’Etat » des « forces de sécurité publique pour maintenir l’ordre au Tibet » ;

  • Les autorités de la région autonome du Tibet, dans l’exercice de leurs fonctions, emploient « la langue ou les langues et les écriture qui y sont communément en usage » : ces langues sont actuellement la chinoise et la tibétaine ;

  • « la Constitution de la Chine stipule que » le président – ou le vice-président - du Comité permanent de l’Assemblée populaire, et le président du gouvernement de la région autonome, doivent être des « citoyens de la communauté ethnique qui exerce l’autonomie de cette région » (les passages du pamphlet chinois Le Tibet, cent questions et réponses cités ici sont issus de l’ouvrage Le Tibet est-il chinois ?).

Bien que ces droits soient garantis par un ensemble de lois, dans la réalité leur application est toute autre. Si les Tibétains ont effectivement le droit de former des assemblées locales pour gérer leurs affaires propres, ces assemblées n’ont pas de grands pouvoirs, restant soumises aux « Quatre Principes Fondamentaux » définis par le Parti en 1979 :

  • La suprématie de la voie socialiste sur toute autre voie ;

  • La suprématie du système marxiste-léniniste-maoïste ;

  • La toute puissance du Parti communiste et la dictature du peuple.

A cette soumission obligatoire aux dogmes du Parti s’ajoute une représentativité tronquée des Tibétains dans les instances politiques chinoises.

II. Représentativité des Tibétains dans les différentes instances politiques

La Constitution chinoise de 1982 décrète que le gouverneur de chaque région autonome doit être issus de l’ethnie la plus représenté dans cette région, soit Tibétain au Tibet, Ouïgour au Xinjiang, Hui au Ningxia etc. Et le même principe doit a priori être appliqué dans chacune des préfectures et chacun des comtés autonome de Chine. Un observateur non averti pensera ce principe respecté : dans la grande majorité des régions, préfectures et comtés autonome, c’est effectivement un représentant de l’ethnie principale qui tient le plus haut rang. Mais le pouvoir réel n’est pas entre les mains de l’homme politique occupant la place la plus élevée. Il est entre les mains du membre du Parti le plus gradé dans la zone administrative concernée, et ce membre du Parti est toujours Han. Ainsi, au Tibet, la réalité du pouvoir échappe-t-elle aux Tibétains.

Pour ce qui est des autres instances politiques, la loi électorale de 1953, qui fut amendée en 1979, établit la représentativité de chaque minorité ethnique dans toutes les assemblées populaires régionales et à l’Assemblée populaire nationale. Au Tibet, les cadres administratifs Tibétains sont effectivement plus nombreux que les cadres administratifs Hans, mais n’ayant aucun pouvoir de décision, ils ne peuvent influer sur les politiques appliquées au Tibet. Cette absence de représentativité réelle des Tibétains dans les instances politiques décisionnaires de la région autonomie du Tibet nous prouve donc l’absence d’autonomie de fait de cette province.

III. Quelle autonomie possible pour le Tibet ?

« Nous acceptons de parler de tout, sauf d’indépendance ». C’est en réponse à ce verdict sans appel que le Dalaï Lama décida de renoncer à ses revendications indépendantistes pour favoriser la recherche d’une solution pacifique à la question tibétaine et proposer, dans son discours du 15 juin 1988 au Parlement européen de Strasbourg, de faire du Tibet « une entité politique démocratique et autonome fondée sur un Droit agréé par le peuple, visant le bien commun et la protection de l’ensemble, en association avec la République populaire de Chine ».

La proposition de Strasbourg énonce ensuite les responsabilités qu’endosseraient chacun des deux gouvernements : « Le gouvernement de la République populaire de Chine pourrait conserver la responsabilité de la politique étrangère au Tibet » tandis que « le gouvernement du Tibet serait basé sur une constitution ou loi fondamentale [qui] pourvoirait une forme de gouvernement démocratique chargé d’assurer l’égalité économique, la justice sociale et la protection de l’environnement. Ceci signifie que le gouvernement du Tibet aura le droit de décider de toutes les affaires concernant le Tibet et les Tibétains ». Enfin, le Tibet devrait être démilitarisé, en permettant toutefois à la Chine de maintenir un nombre restreint d’installations militaires sur les hauts plateaux, à but uniquement défensif.

Cette proposition du Dalaï Lama est le fruit d’une réflexion poussée sur les différentes formes d’autonomie existantes et sur les solutions possibles pour l’avenir du Tibet. Un document du Tibet Justice Center (TJC) intitulé « Options For Tibet’s Future Political Status : Self-Governance Through An Autonomous Arrangement », recense les différents statuts d’autonomie politique et, basé sur plusieurs exemples de gouvernements autonomes, approche le partage des responsabilités entre le gouvernement central et le gouvernement autonome. Nous allons reprendre ce document pour analyser les différentes options qui pourrait idéalement être offertes au Tibet.

Il existe plusieurs statuts d’autonomie politique :

  • Province ou région autonome ;

  • Etat autonome au sein d’une fédération ;

  • Ou encore Etat associé (sorte de protectorat).

Le document du « Tibet justice Center » définit ainsi les caractéristiques de chacun de ces statuts :

  • Province ou région autonome : « Les provinces autonomes sont créées par un Etat plus large qui autorise ainsi un gouvernement autonome à contrôler ses affaires locales (…). Le degré d’autonomie dans un tel accord peut être plus ou moins important, selon la distribution des pouvoirs gouvernementaux (…). En général, les provinces autonomes n’ont pas le droit d’obtenir leur indépendance sans l’approbation de l’Etat central, et les citoyens d’une province autonome n’exercent que peu de contrôle sur le gouvernement central ». Le Tibet appartient aujourd’hui à ce statut.

  • Fédération : « Dans une fédération, deux ou plusieurs parties décident par un accord d’établir un gouvernement central ou fédéral et plusieurs gouvernements provinciaux ou autonomes. Les pouvoirs sont partagés entre le gouvernement central et les gouvernements autonomes. Le gouvernement fédéral a en principe plus de pouvoir en ce qui concerne les affaires communes à tous les citoyens membres de la fédération, tels que les affaires étrangères, la défense et la protection de l’environnement ; tandis que les gouvernements autonomes ont plus de pouvoir sur les affaires locales telles que l’éducation, les affaires culturelles et les services sociaux (…). Les Etats-Unis sont l’exemple de fédération le plus connu ».

  • Etat associé : « Dans une relation d’Etat associés, un peuple autonome ou une plus petite entité est rattachée à un Etat plus grand et jouit d’une autonomie importante, participant peu aux affaires du plus grand Etat. En général, l’Etat le plus petit n’a pas d’influence sur le grand Etat. En principe, chacune des parties peu décider de rompre unilatéralement le lien qui les uni. Ce type d’arrangement est en général basé sur un bénéfice mutuel ».

Mais malgré l’existence de ces différents statuts, l’autonomie est un concept vague qui dépend entièrement du partage des pouvoirs entre le gouvernement central ou fédéral et le/les gouvernements autonomes. Les pouvoirs doivent être partagés entre ces différents gouvernements d’une manière équilibrée et les responsabilités de chacun être dûment mentionnées dans l’accord. Ces pouvoirs s’étendent sur les domaines suivants :

  • Affaires culturelles ;

  • Education ;

  • Langue officielle ;

  • Symboles nationaux ;

  • Services sociaux et de santé ;

  • Economie ;

  • Imposition et taxes ;

  • Ressources naturelles ;

  • Politique environnementale ;

  • Transports ;

  • Postes et télécommunications ;

  • Sécurité intérieure ;

  • Système judiciaire ;

  • Monnaie et politiques monétaires ;

  • Politique étrangère ;

  • Politiques de défense ;

  • Douanes, contrôle aux frontières et immigration ;

Le TJC s’est basé sur plusieurs systèmes d’autonomie, comme par exemple le Lichtenstein, dont le statut d’Etat associé le rattache à la Suisse ou encore le Québec, province autonome francophone du Canada, pour analyser le partage de la gestion de ces différents domaines entre les gouvernements centraux et autonomes. L’étude de ces systèmes montre que le degré d’autonomie d’un gouvernement au sein d’un ensemble ou d’un Etat plus large dépend du partage des responsabilités.

Dans sa proposition de Strasbourg, le Dalaï Lama propose un partage des pouvoirs qui octroierait le contrôle des affaires internes à un gouvernement autonome tibétain et qui laisseraient les chinois jouir du contrôle de toute politique extérieure. Cependant, cette proposition ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté tibétaine en exil. Bien que les autorités chinoises se refusent encore à envisager un quelconque changement politique, il est important que la communauté tibétaine dans son ensemble se pose la question de l’autonomie ou de l’indépendance, et des concessions qu’elle est prête à faire pour un jour retrouver la paix.