Fiche d’analyse Dossier : L’Amérique Latine, des sociétés en pleine recomposition: quelques enjeux pour la construction de paix

Emilie Bousquier

Dans une situation de fragilisation du pouvoir de Fidel Castro, la question de l’avenir politique pour Cuba se pose : quel régime politique pour l’après Castro ?

Mots clefs : La responsabilité des autorités politiques à l'égard de la paix | Démilitarisation du pouvoir | Caraïbes | Cuba

I. Raúl Castro : l’héritier direct du régime castriste

« La majorité des Cubains n’a jamais connu d’autre rapport au pouvoir que ce paternalisme autoritaire qui repose sur un mélange de fascination et de crainte » (1). Mais qui lui succèdera ?

Pour Ben Corbett, « le prochain président devra être un gouverneur économique, un homme qui saura prendre les bonnes décisions et qui se consacrera à la transformation de Cuba en un empire des Caraïbes, tout en continuant à construire un réseau mondial de soutien avec les autres nations » (2). Cependant, aujourd’hui, la ligne de succession semble claire, la constitution cubaine prévoit qu’en cas de maladie ou de mort, Castro serait remplacé par le premier vice-président, poste occupé par son frère cadet, Raúl Castro, numéro deux du régime. Il lui succèderait en tant que gouverneur. En plus d’être vice-président, il est également ministre de la Défense, donc chef des forces armées et de la police (l’un des piliers du régime) mais il est loin d’avoir la popularité, le charisme et la légitimité de son frère et il a été condamné pendant presque 50 ans à « jouer les faire-valoir de Fidel » (3). De ce fait, si Fidel devait abandonner ses fonctions politiques, et donc le pouvoir, ce serait sans doute Raúl Castro qui lui succéderait dans un premier temps. Mais tous les experts s’accordent à dire « qu’il est peu probable que cela se passe du vivant de Fidel Castro (…) car il est plus probable que Fidel veuille tenir les rênes du pouvoir jusqu’à sa mort, et personne ne sait encore ce qu’il adviendra de Cuba par la suite » (4).

Bien que Raúl soit considéré comme un pur et dur du régime, fidèle à la ligne du parti, qui s’est jusqu’à présent opposé à toute réforme économique et politique, Cuba devrait se voir fortement ébranlé par la disparition de Fidel Castro. Mais la chute du régime pourrait peut-être être évitée par un transfert du pouvoir aux militaires, c’est-à-dire à Raúl Castro. Cependant, ni le pays ni le reste de la communauté internationale ne reconnaîtront longtemps les militaires comme dirigeants légitimes du pays.

Ainsi, le scénario le plus probable serait donc une répartition des pouvoirs qui laisserait Raúl Castro à la tête de l’armée et le poste de chef d’État vacant. Il serait donc obligé de composer avec un gouvernement collectif dans lequel il resterait aux commandes de l’armée et du parti communiste avec un civil comme président de la République.

II. Les autres personnalités probables

Bon nombres d’auteurs, de journalistes et d’experts s’accordent à dire que la présence de Raúl Castro se limiterait au maintien de l’ordre au sein de l’armée pendant la période de passation, à la supervision du gouvernement ainsi qu’à la garantie du bon fonctionnement du système. Mais pour l’heure, l’on peut dire que Ricardo Alarcón, pourrait jouer un rôle important et s’est mis publiquement sur les rangs. Président de l’Assemblée nationale du pouvoir populaire, numéro trois du régime, « Alarcón est souvent présenté par la presse américaine comme un possible successeur de Castro. (…) Son influence vient surtout de ses talents de diplomate et de la confiance que lui témoigne Castro » (5). Dans les années soixante, Alarcón a passé douze années à New York en tant qu’ambassadeur aux États-Unis, « il est donc considéré comme le plus éminent et le plus apte à renouer avec les États-Unis » (6).

Mais d’autres personnalités sont plus ou moins préparées à prendre la place de Castro. On retrouve également Felipe Pérez Roque, Ministre des affaires étrangères, homme jeune et important, diplomate. Cependant, celui qui semble se placer devant lui est Carlos Lage Dávila, premier secrétaire du Conseil des Ministres. Il est le cerveau de l’économie cubaine, « économiste brillant et jeune penseur moderne, ses décisions pertinentes sont largement à l’origine de l’opulence relative de l’île et des succès économiques enregistrés depuis la Période spéciale » (7). Entre lui et Pérez, c’est Carlos Lage que la population préfère même si ce dernier est plutôt négligé par Castro. Il serait sûrement « capable de trouver un bon équilibre entre la puissance de l’économie cubaine au sein de la communauté internationale et le bien-être de la population » (8).

D’autres croient que les ennemis de Castro pourraient tenter de renverser le gouvernement affaibli économiquement. Il se pourrait aussi que les exilés cubains de la première génération tentent le coup d’État dont ils rêvent depuis toujours. Tout cela reste cependant hypothétique, bien que certains scénarios paraissent plus probables que d’autres.

« Mais à trop vouloir maintenir intacte son pouvoir autocratique, Fidel Castro prend le risque de semer le chaos après sa disparition » (9).

III. Quel régime politique pour Cuba ?

Certains observateurs croient encore possible que Castro soit en mesure de conduire les changements de manière pacifique, que de nombreux Cubains lui font encore confiance et pensent que ses politiques ont pour objectifs d’éviter le chaos qui s’est produit en Union soviétique. Pour eux, la transition souhaitable devrait être dirigée et contrôlée par le gouvernement actuel et par Fidel Castro lui-même. Mais le langage des dirigeants est différent. Il est possible selon eux de réformer l’économie sans éliminer le socialisme, autrement dit, sans modifier le système politique. D’autres observateurs estiment que le gouvernement cubain ne veut pas de transition et que la mort de Castro pourrait alors signifier le début du chaos car la transition aurait été mal préparée. L’on craint dans ce cas qu’un passage trop rapide vers le capitalisme et la démocratie n’entraîne des règlements de compte et ne dégénère en guerre civile.

Cependant, le régime de Castro laissera en héritage une multitude de problèmes économiques, démographiques, sociaux et politiques non résolus ; autant de mauvais présages pour le gouvernement lui succédant. Mais, malgré cela, il est possible de dégager trois types de régimes susceptibles de caractériser la période post-castriste. 

  • Tout d’abord, un régime communiste mené par des dirigeants de lignée dure, centristes et/ou réformistes. Un tel régime représenterait plus ou moins « une continuité avec l’ordre post-totalitaire actuel ; mais aujourd’hui personne n’est capable d’assumer les réformes nécessaires pour faire avancer l’économie et la placer dans une perspective de croissance durable » (10). Cependant, un régime comme celui-ci aurait besoin, dans un premier temps, de l’appui des forces armées révolutionnaires qui prendraient très probablement le pouvoir.

  • Un autre scenario possible serait celui d’un régime dirigé par les forces armées, sous le contrôle de Raúl Castro ; mais ils se retrouveraient « face à leurs propres difficultés – l’éloignement international, la corruption et la division au sein de ses propres files -, qui entraînerait une incapacité de tracer les bases d’une économie viable et effective et un mal-être croissant » (11).

  • Enfin, un régime de transition démocratique composé de dissidents, d’activistes des droits de l’homme et autres opposants actuels au gouvernement de Castro. Mais un régime de ce type pourrait rencontrer des problèmes et « se retrouver les pieds et poings liés dans un processus démocratique en tentant d’aborder les problèmes persistants de Cuba alors que l’histoire, et particulièrement Fidel Castro ont laissé l’île très peu préparée à la démocratie » (12). Bien que l’avenir démocratique de Cuba puisse se révéler être facultatif, les intérêts nationaux et les valeurs démocratiques américaines l’obligeront à adopter une politique active afin d’accélérer la transition démocratique de l’île.

Malheureusement, au vu des circonstances actuelles, même la disparition de Castro ne pourrait garantir une transition vers des mécanismes démocratiques.

Notes

(1) : Olivier Languepin, Cuba. La faillite d’une utopie, Paris, Gallimard, 1999, p. 238.

(2) : Ben Corbett, Cuba, tout changera demain, Alvik Editions, 2003, p. 325.

(3) : Olivier Languepin, Cuba. La faillite d’une utopie, Paris, Gallimard, 1999, p. 249.

(4) : « Quo vadis, Cuba ?  », article paru sur le site d’Arte, www.arte-tv.fr.

(5) : Olivier Languepin, Cuba. La faillite d’une utopie, Paris, Gallimard, 1999, p. 244.

(6) : « Cuba et les États-Unis » , article de Jean-Pierre Derisbourg paru dans la revue de politique étrangère de l’IFRI, www.ifri.org.

(7) : Ben Corbett, Cuba, tout changera demain, Alvik Editions, 2003, p. 325.

(8) : Cité in ibid., p. 326.

(9) : Olivier Languepin, Cuba. La faillite d’une utopie, Paris, Gallimard, 1999, p. 269.

(10) : Edward Gonzalez, “Despues de Castro : regímenes alternativos y política de Estados Unidos”, article paru sur le site de l’Université de Miami, www.ctp.iccas.miami.edu.

(11) : Idem.

(12) : Idem.