Cyril Musila, Burundi, Paris, 2000
Le Burundi, vers la paix à reculons
L’état des négociations de paix inter-burundaises à Arusha depuis 1996 jusqu’en 2000.
Mots clefs : Ethnicisme et paix | Politique et paix. Exercer nos droits et nos responsabilités. | Construction et utilisation de l'identité culturelle | Acteurs Politiques. Des autorités politiques et militaires. | Rechercher la paix. Agir pour la paix dans une situation de guerre. | Négocier pour rechercher la paix | Signer un Accord de Paix | Région des Grands lacs | Burundi
Jusqu’en 1996, les négociations inter burundaises entamées depuis 1995 réunissaient les deux plus grands partis protagonistes au Burundi :
-
Le parti SAHWANYA-FRODEBU (Front pour la Démocratie au Burundi, majoritairement tutsi) d’une part ;
-
Le parti UPRONA (Union pour le Progrès National, majoritairement hutu) de l’autre.
Le choix de ces deux principaux adversaires était guidé par l’idée que la présence des deux seuls principaux concurrents aux élections de juin 1993 représentés à l’Assemblée Nationale suffisait pour négocier la paix et mettre fin aux violences politico-ethniques. Les trois tentatives de négociations qui avaient eu lieu en Tanzanie, dans les villes de Mwanza en 1995 (Mwanza I et Mwanza II) et d’Arusha en 1996 avaient échoué. Car loin de s’arrêter, les violences s’étaient amplifiées.
Pour ne pas arranger les choses, le coup d’Etat militaire qui ramena Pierre Buyoya au pouvoir le 25 juillet 1996 marqua l’arrêt total des négociations déjà pénibles. Suite à ce coup de force, les pays de la sous-région voisins du Burundi imposèrent un embargo économique en vue de pousser le major Pierre Buyoya à remettre le pouvoir au FRODEBU et à ses alliés, vainqueurs des élections de 1993. Néanmoins, la communauté internationale avait poussé vers la reprise des négociations. Il fallait envisager cette fois l’inclusion de tous les acteurs politiques et militaires burundais, sans exclusive. Le médiateur Julius Nyerere fut alors chargé de convoquer toutes les parties en conflit. Les résistances du gouvernement de Pierre Buyoya obligèrent d’attendre deux années de pourparlers et de pressions afin qu’il accepte de rencontrer ses adversaires politiques.
Ainsi en 1998, une nouvelle ère de négociations de paix interburundaises venait de commencer. Jusqu’en l’an 2000, quatre sessions réunissant tous les acteurs ont eu lieu à Arusha.
I. Arusha 1 (15-21 juin 1998)
La première session plénière se tint du 15 au 21 juin 1998. Y étaient convoquées toutes les tendances politiques burundaises allant des plus grandes aux plus petites formations. Cependant toutes ne répondirent pas à l’appel.
Parmi les présents, on comptait le gouvernement, l’Assemblée Nationale et les partis FRODEBU, UPRONA, CNDD, PARENA, PL, PIT, PSD, ABASA, INKINZO, AV-INTWARI, PRP, PP, RPB, PALIPEHUTU, FROLINA et ANADDE. Au total, 18 délégations officielles étaient présentes. En plus, 4 membres de la « société civile » burundaise y étaient présents en tant qu’observateurs : un représentant du monde des affaires, une représentante des femmes, un représentant des jeunes et un représentant de l’ex-syndicat allié à l’UPRONA, l’Union des Travailleurs du Burundi (UTB). S’y est également ajoutée une délégation officieuse de militaires et d’agents de sécurité burundais, en nombre indéterminé, venus officiellement pour assurer la sécurité des personnalités présentes aux négociations. A tout ce monde de délégués-fantômes, on ajoute ceux qu’on a qualifié de « touristes » et « hommes d’affaires ». N’appartenant à aucune délégation, ces Burundais ont été aperçus à Arusha dans les couloirs des salles de conférences. Les « touristes » ne participaient dans aucune commission, les « hommes d’affaires », eux, on les remarquait par les cargaisons de marchandises qu’ils ramenaient d’Arusha. Il y a eu également des envoyés spéciaux de l’ONU, de l’OUA, de l’UE, des Etats-Unis, du Canada et de plusieurs organisations non-gouvernementales internaltionales telle que l’International Crisis Group (ICG).
Ont refusé de participer à ces négociations, le parti RADDES et une partie de l’UPRONA, qualifiée d’extrémiste. Ces deux groupes, tous tutsi, refusent de négocier avec des partis qu’ils qualifient de « génocidaires », c’est-à-dire les partis politiques à dominance hutu.
Mais la kyrielle de partis a continué à participer aux négociations, certaines des délégations ont mandaté leurs chefs, d’autres des simples délégués. Ce qui ne signifiait pas le même pouvoir de représentation. Ainsi le gouvernement délégua son ministre chargé du processus de paix, l’Assemblée nationale envoya un député et le parti UPRONA désigna un simple membre. Cette situation porta des difficultés lors des négociations. Car, alors que les présidents des partis pouvaient décider et engager leur parti respectif, ces trois délégués - dont les parties représentaient par ailleurs des forces majeures – ne pouvaient guère engager leurs mandants. Ce qui les obligeait, lors des décisions à prendre, soit à reporter leur avis pour consulter leurs chefs, soit à s’abstenir de s’engager publiquement.
Les thèmes abordés par cette première session furent les suivants :
-
La nature du conflit burundais, les problèmes de génocide et d’exclusion et leurs solutions ;
-
La démocratie et la bonne gouvernance ;
-
La paix et la sécurité pour tous ;
-
La reconstruction et le développement ;
-
Les garanties pour la mise en œuvre de l’accord découlant des négociations de paix.
En termes de résultats, les négociateurs publièrent une « Déclaration sur la fin des hostilités » dans laquelle ils demandaient aux belligérants de mette fin aux hostilités au plus tard le 20 juillet 1998 dans le but de favoriser le déroulement des négociations. Le communiqué suscita de profondes divergences et des polémiques annonciatrices des impasses qui allaient suivre. En effet, certaines délégations, en particulier celle du gouvernement, signèrent le document en l’assortissant des « réserves ». Les principaux belligérants, à savoir l’armée et le CNDD-FDD, ont affirmé pour leur part ne pas être engagés par cette Déclaration. Ces divisions traduisaient l’incapacité de certains délégués à engager leur partie et le manque de consensus sur la nécessité d’un tel appel à la cessation des hostilités. Ce qui explique la non observation de la trêve souhaitée par certains politiciens et la continuation de la guerre civile et de ses violences.
II. Arusha 2 (20 juillet – 31 juillet 1998)
Durant cette session, en dépit de la guerre qui continuait, les chefs de délégations se réunirent. Il s’étaient attelés à l’analyse pour adoption du projet de « Règlement d’Ordre Intérieur » soumis par la Médiation. Ils ne parvinrent point à s’entendre sur tout le texte. Ce qui les obligea à reporter son adoption à la session suivante d’octobre. Quant aux débats, ils furent consacrés aux exposés faits par les chefs de délégations sur la « nature du conflit burundais, les problèmes de génocide et de l’exclusion et leurs solutions ». La nature explosive et la complexité du sujet conduit la médiation à assortir les exposés des consignes stricts : bien que les exposés fussent longs et circonstanciés – chaque délégation cherchant à marquer le terrain - il était interdit de manifester des signes d’approbation ou de désapprobation ostentatoires ou d’engager des discussions autour des exposés.
III. Arusha 3 (12 – 22 octobre 1998)
Cette session commença par un blocage. Les délégations du gouvernement, de l’UPRONA et de leurs partis satellites exigeaient la levée préalable de l’embargo imposé au Burundi avant toute négociation, conformément à une déclaration signée le 10 octobre à Bujumbura, la capitale du Burundi, par quelques partis invités aux négociations d’Arusha. Une telle initiative divisa certains partis. Signée par des représentants légaux des partis politiques agréés ou leurs suppléants et concernant les partis dont les présidents vivent en exil (FRODEBU, PP, PL, RPB, PRP et ABASSA), cette déclaration a été interprétée par ces derniers comme une manipulation du pouvoir en vue des les écarter de la direction de leurs partis. Ce fut particulièrement le cas au sein du FRODEBU, dont le représentant légal suppléant dirigeait en même temps la délégation de l’Assemblée Nationale.
Cette session fut plus intense que les deux premières, les débats abordèrent avec franchise les thèmes de la démocratie et de la bonne gouvernance d’une part et ceux de la paix et de la sécurité pour tous d’autre part. Elle fut également consacrée aux consultations des chefs des différentes délégations sur la désignation des présidents et vice-présidents des cinq Commissions :
-
1 - La nature du conflit burundais, les problèmes de génocide et d’exclusion et leurs solutions ;
-
2 - La démocratie et la bonne gouvernance ;
-
3 - La paix et la sécurité pour tous ;
-
4 - La reconstruction et le développement ;
-
5 - Les garanties pour la mise en œuvre de l’accord découlant des négociations de paix sur le Burundi.
Aucune de ces commissions n’a eu pour président ou vice-président un Burundais. Les pays d’origine de ces présidents et vice-présidents ont été le Mozambique, le Liberia, l’Afrique du Sud, la Suisse, l’Italie, l’Autriche, le Canada et la Tanzanie.
Le règlement d’ordre intérieur a fixé que les travaux des commissions devaient se passer à huis-clos, sans participation d’observateurs nationaux ou internationaux ni de journalistes.
Parallèlement aux séances plénières, le Médiateur a demandé aux différents chefs de délégations de désigner leurs délégués au sein des commissions. La désignation de ces délégations était proportionnelle à l’importance politique de l’organisation ou du parti politique concerné : 12 délégués chacun pour le gouvernement et le FRODEBU, 8 délégués chacun pour l’Assemblée Nationale, l’UPRONA et le CNDD, 4 délégués chacun pour les autres partis. A partir de 1999, le gouvernement et le FRODEBU ont vu le nombre de leurs délégués réduits au nombre de huit, pour des raisons de contrainte budgétaire.
Les divergences sont très tôt apparues entre les différentes délégations au sujet du calendrier des négociations. Les oppositions les plus tranchées concernaient le FRODEBU et l’UPRONA. A l’issue des travaux chaque délégation devait apporter des propositions concrètes sur les sujets inscrits à l’agenda de chacune des commissions. Plusieurs délégations s’exécutèrent alors que d’autres refusèrent. L’UPRONA refusa d’envoyer sa contribution dans la première Commission, se réservant le droit de critiquer ultérieurement celles des autres. Dans la deuxième Commission, c’est la délégation gouvernementale qui ne présenta rien. Quant au CNDD, il envoya des « protocoles d’accord », chose qui n’avait pas été demandé.
La société civile présente à Arusha, ayant eu le statut d’observateur, n’a pas participé aux travaux des commissions. Car les chefs des délégations estimaient qu’il n’existe pas de société civile réellement indépendante des partis politiques. Ceci du fait que les Burundais n’ont pas été habitués à s’organiser en dehors des structures du parti UPRONA : un syndicat unique, une seule organisation de femmes, une organisation unique de la jeunesse, etc. De sorte que lorsque la liberté d’association a été décrétée en novembre 1992, les associations qui sont nées se sont placées sous le giron des partis politiques. Ainsi l’Association des Femmes Démocrates (AFED) s’est liée au parti FRODEBU, la Société Jeunesse pour la Défense des Minorités (SOJEDEM), très présente dans les violences urbaines et des « journées ville morte » était liée au Parti pour la Réconciliation du Peuple (PRP). Quant aux différentes églises et à la Ligue de défense des droits de l’homme ITEKA, moins suspectes de compromissions avec les partis politiques, elles n’ont pas participé aux travaux d’Arusha. L’association de femmes, elle, eurent aussi un statut d’observateur au même niveau que la société civile.
Les résultats de toutes ces tractations aboutirent au rejet du texte final de la première commission et à désaccords sur celui de la seconde commission. Mais dans l’ensemble, le dialogue semblait s’installer, bien que de façon timide.
IV. Arusha 4 (9 – 22 janvier 1999)
Des exposés sans débats ont abordé les questions de rapatriement des réfugiés et des déplacés, celles de la reconstruction et du développement. Lors de cette session, un Sommet de chefs d’Etat de la sous-région auteur du décret sur l’embargo économique sur le Burundi (31 juillet 1996) se réunit à Arusha pour examiner la demande burundaise de la levée de l’embargo. Celui-ci fut levé. Dans sa réponse, le major Pierre Buyoya s’engagea solennellement à conclure les négociations d’Arusha avant la fin de l’année 1999. Concernant les travaux en commission, un accord partiel fut trouvé dans la première alors que la deuxième finit dans l’impasse en ignorant d’insérer parmi les « communautés » burundaises le peuple Twa. C’est lors de la session de mai 1999 qu’un élément significatif intervint dans la composition des délégations burundaises : la création d’un cartel de partis et d’organisations politiques formant les « Forces de Changement Démocratique » dit « G7 », réunissant le FRODEBU, le CNDD, le RPB, le PP, le PL, le FROLINA et le PALIPEHUTU. L’argument de ce regroupement était de faciliter et d’accélérer les négociations. Mais on reprocha à ce cartel d’être un groupe de partis ethnistes et extrémistes hutu. Aussitôt, un autre groupe dit « G8 » se constitua, en réunissant le PARENA, le PRP, l’ABASA, l’ANADDE, le PSD, INKINZO, l’AV-INTWARI et le PIT. Les trois autres partis furent appelés « G3 » : le gouvernement, l’Assemblée Nationale et l’UPRONA. Le « G7 » et le « G8 » produisirent chacun un document de synthèse sur la Transition. Ce qui ne fit que raidir les points de vue, mais, paradoxalement, cette recomposition clarifia le paysage politique et facilita les travaux de négociations en juillet.
En termes de résultats et d’avancées de ces négociations, on note le fait que débats publics et contradictoires aient eu lieu sur des questions au cœur des violences : la question des forces de défense et de sécurité ainsi que la justice a été débattue et négociée alors que le gouvernement et la classe politique tutsi refusaient de discuter de la réforme de la justice, de l’armée, de la gendarmerie et de la police aux mains des tutsi. De même, la reconnaissance des déséquilibres politico-ethniques au sein des hautes institutions de l’Etat contrôlées par les tutsi a été posée. Mais les négociations d’Arusha ont introduit des divisions profondes au sein de certains partis et organisations politiques entre les « extrémistes » refusant toute concession et les « modérés » ouverts aux concessions : l’UPRONA, le FRODEBU, le CNDD avec son aile militaire, les FDD engagées dans la rébellion, le PALIPEHUTU, le PRP, le PL et l’ABASA avec des « putschs internes ». Ces divisions, fragilisant les partis politiques, ont eu des conséquences sur les négociations dans la mesure où la représentativité et les positions de ces partis sont continuellement contestées ou remises en cause.