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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Porto Alegre, 2003

Le Forum social mondial : un rendez-vous planétaire pour une autre mondialisation

L’idée d’un Forum social mondial (FSM) est née d’un mouvement de résistance face aux principes du néo-libéralisme et de la certitude qu’une mondialisation plus « humaine » était non seulement possible mais indispensable en vue de la construction d’une société plus juste, plus égalitaire et davantage centrée sur les droits de l’homme. Couronné d’un succès planétaire à trois reprises (2001, 2002, 2003) le FSM doit, à l’aube de la rencontre de 2004, confirmer sa légitimité de principe en se positionnant comme véritable alternative à la mondialisation libérale, au moyen de propositions nouvelles et de solutions concrètes.

Mots clefs : Dialogue social pour construire la paix | Initiatives pour le respect des personnes et contre les discriminations économiques | Mouvement pour une autre mondialisation | Forum Social Mondial | Brésil | Inde

Le Forum social mondial trouve ses origines dans la contestation de la proposition par l’OCDE (Organisation de Coopération et Développement économique), d’un accord multilatéral d’investissement qui devait être imposé aux pays les plus riches avant d’être proposé aux autres pays du monde. Cet accord accordait tous les droits d’investissements dans les pays du Tiers-Monde sans aucune obligation envers ces derniers. De nombreuses contestations ont suivi cette proposition d’accord, et progressivement des manifestations s’élevèrent contre une mondialisation uniquement centrée sur le capital. Parmi elles, celle de Seattle contre l’OMC (Organisation mondiale du Commerce) et celle de Washington contre le FMI et la Banque mondiale.

De plus, il convient de préciser que depuis le début des années 1970 (1971) se tient chaque année un forum (organisation privée) comprenant les représentants des mille plus grandes entreprises du monde (Microsoft, General Motors, Nike…). Ce forum, appelé le Forum économique mondial qui se tenait à Davos (en Suisse) et actuellement déplacé à New York, est l’un des acteurs majeurs « dans la définition et la mise en place d’un agenda global de libéralisation de l’économie et des règles du commerce mondial ». C’est dans ce contexte qu’émerge l’idée du Forum social mondial.

I. Présentation du Forum social mondial (FSM)

  • A. L’esprit du mouvement

Ce mouvement a pour ambition de se positionner en véritable alternative face au néo-libéralisme. Selon lui, une autre mondialisation est possible. Celle-ci serait centrée sur l’homme, respectueuse des cultures et de l’environnement, basée sur la coopération, la justice sociale et la solidarité.

Bien sûr, l’idée n’est pas nouvelle (rencontre anti-Davos) mais le but de ce mouvement va beaucoup plus loin : organiser une rencontre permettant de réunir des acteurs sociaux très divers (associations de tout genre, ONG, syndicats…), rencontre fondée sur le social pour se dresser contre le Forum économique mondial.

  • B. Aux origines du FSM

Cette idée est née de l’initiative de deux Brésiliens, Oded Grajew (président d’une fondation pour les droits des enfants, dirigeant de l’institut Ethos des entreprises et de la responsabilité sociale, ainsi que de l’association brésilienne des entrepreneurs pour la citoyenneté (Cives), membre du parti des travailleurs) et Francisco Whitaker (à l’époque secrétaire de la commission justice et paix de la conférence nationale des évêques brésiliens et ancien député du parti des travailleurs : le pt) à l’assemblée législative de l’État de Sao Paulo.

Ils la présentèrent à Bernard Cassen, directeur du monde diplomatique et président d’ATTAC France, afin de voir comment celle-ci serait perçue hors du Brésil. Bernard Cassen s’engagea à donner l’appui de son journal ainsi que celui d’organisations opposées à la domination du capital, dans l’éventualité où Oded Grajew et Francisco Whitaker réussiraient à organiser ce Forum au Brésil.

De retour au pays, Grajew et Whitaker se mirent à la recherche d’associations pour les aider dans l’organisation d’un tel défi. Le 28 février 2000, se tînt la réunion de Sao Paulo où huit organisations signèrent un accord de coopération pour organiser le Forum social mondial. Une délégation se rendit à Porto Alegre pour voir si les gouvernements fédérés et municipaux seraient prêts à soutenir le forum. Ceux-ci furent d’accord. En juin, une autre délégation se rendit au sommet de Genève (sommet alternatif au sommet social de l’ONU (Copenhague + 5)) où elle pu présenter sa proposition à de nombreuses organisations opposées au néo-libéralisme.

  • C. Des choix à la fois stratégiques et symboliques

    • Le choix du lieu

Le choix du Brésil pour la tenue du forum vient de Bernard Cassen. Pour lui, l’effet symbolique exigeait qu’il se tînt dans un pays du Tiers-Monde (rupture géographique et symbolique) et le Brésil offrait les meilleures conditions (puissance de ses mouvements populaires et des appuis politiques et logistiques). De plus, Porto Alegre, capitale de l’État de Rio Grande do Sul, a été le lieu d’une expérience intéressante : le budget participatif. Ce dernier consiste dans la mise en place de structures de décisions parallèles au conseil municipal, permettant aux habitants qui le désirent de décider vraiment pour leur ville. Selon Raul Pont (maire de Porto Alegre en 2000), le budget participatif est la pièce maîtresse d’une série de mesures visant à créer des structures de participation et de délibération pour la gestion publique du budget et des politiques sectorielles.

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    • Le choix du nom et de la date

Le deuxième point important réside dans le choix du nom et des dates du forum, un choix destiné à montrer l’opposition de ce forum au Forum économique mondial de Davos (à l’époque).

S’agissant du nom, Bernard Cassen nous explique que « pour s’opposer à Davos, tout en tirant parti de son existence et de sa notoriété », il était important de trouver une appellation quasiment identique. Celle-ci devait montrer que ce forum allait se baser sur la société et non sur l’économie.

Quant aux dates arrêtées – les mêmes que celles du Forum économique mondial (en janvier) - elles ont également une portée symbolique : « proposer une alternative, sans indécision, ni échappatoire possible » (compte tenu de l’éloignement des deux sites le choix devenait inéluctable face à l’impossibilité d’aller aux deux).

  • D. Une première rencontre décisive

C’est ainsi que la première édition du Forum social mondial a été organisée du 25 au 30 janvier 2001. Ce forum a rassemblé plus de 20 000 personnes, preuve du succès de cette première rencontre.

À partir de ce constat, le comité d’organisation a proposé non seulement de renouveler cette rencontre annuelle mais aussi d’organiser des forums sociaux régionaux. À partir de là, un comité international a été créé. De plus, il a été décidé d’instaurer une charte des principes afin de cadrer les futurs forums.

II. Évolution du phénomène et quelques remarques

  • A. Un succès confirmé en 2002 et 2003

Les FSM de 2002 et 2003 se sont également tenus à Porto Alegre et aux mêmes dates que le Forum de Davos, réunissant de plus en plus de participants, d’associations et de pays représentés :

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    • La rencontre de 2002

La deuxième rencontre à Porto Alegre (précédée de forums régionaux (Gênes, premier forum social européen, Mali…) a eu lieu du 31 janvier au 5 février 2002 avec la participation de plus de 50 000 personnes. Cette rencontre s’est réaffirmée en tant qu’espace de dialogue démocratique, ouvert aux associations opposées au néo-libéralisme et engagées dans la construction d’une société plus juste, plus égalitaire et centrée sur les droits de l’homme.

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    • La rencontre de 2003

Le troisième forum à Porto Alegre s’est tenu du 23 au 28 janvier 2003 et a compté sur la participation de plus de 100 000 participants dont 21 000 délégués représentants 4 600 associations de 156 pays. Les participants à ce forum ont décidé d’exprimer par eu-mêmes ce qui leur tenaient à cœur, à savoir qu’ils ne peuvent accepter qu’une minorité de leaders autoproclamés décident seuls ce qui est important pour le monde. Il est indispensable que d’autres lieux permettent aux organisations sociales représentant les pauvres et les perdants de proposer leur ordre du jour pour les priorités de la terre.

  • B. Les perspectives du forum de 2004

    • La nécessité de faire des propositions concrètes

En 2004, le Forum social mondial se tiendra en Inde et à des dates différentes de celles du Forum économique mondial. Il s’éloigne ainsi de l’idée d’opposition au Forum économique mondial car désormais le Forum social mondial n’a plus besoin de s’opposer pour exister.

Ces trois événements ont constitué un lieu d’échanges, de dialogue, d’élaboration de propositions et de constitution de rassemblement de toutes les organisations opposées à la mondialisation libérale. Cependant chacune de ces démarches n’engage que les organismes qui veulent s’y impliquer et non pas l’ensemble de celles présentes au Forum. Le Forum social mondial ne prend donc pas de position en tant que tel. Il n’y a pas de communiqué final de ses réunions ni de textes propres au Forum social mondial autres que la charte et les textes principaux. Il en va de même pour les forums régionaux. D’ailleurs après 2002, le comité d’organisation brésilien a rédigé une note précisant que « nul n’est autorisé à exprimer au nom du forum des positions censées être celles de tous les participants ». Pourtant, se positionner comme alternative, faire des propositions nouvelles, proposer des solutions concrètes renforcerait sans nul doute le FSM dans son parcours.

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    • Une intervention mal perçue de Lula au Forum de Davos

Une autre remarque faite à la suite du troisième Forum social mondial concerne le gouvernement Lula. En effet, certains ont mal perçu l’intervention de Lula au Forum de Davos tentant d’établir un dialogue entre les deux forums. Il avait affirmé devant les journalistes, conduire le dialogue entre les deux forums comme une « négociation syndicale ». Certains lui ont reproché de vouloir « redorer le blason d’un cercle de pouvoir sans légitimité et qui commençait à pâlir devant le rayonnement du Forum social mondial ». Il ne faut pas oublier que les projets de Lula sont largement inspirés des revendications et des idées des mouvements sociaux brésiliens. Selon Thierry Bresillon, « l’élection de Lula à la présidence du Brésil, était davantage qu’une circonstance agréable à de nombreux participants au Forum social mondial ».

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    • Le problème de la représentativité du FSM

La dernière remarque tient à la question de la représentativité du Forum social mondial. La décision de placer le Forum de 2004 non à Porto Alegre mais en Inde, prise au Forum de Porto Alegre 2003 a remis à l’ordre du jour un débat pertinent : celui de la difficulté d’accessibilité des représentants de certains pays d’Afrique à une rencontre qui se tient sur un autre continent. Selon Roberto Savio (membre du conseil) cette décision « se veut une réponse directe au constat de sous représentation de certains pays aux activités du FSM ». En effet, s’il se veut mondial, le FSM ressemble davantage à un événement continental attirant principalement des représentants des Amériques, et dans une moindre mesure de l’Europe de l’Ouest.

III. Conclusion

Comme nous l’avons vu le Forum social mondial devient peu à peu le rendez-vous planétaire le plus important à l’heure actuelle en faveur d’une autre mondialisation. En effet, les trois FSM de Porto Alegre ont eu lieu aux mêmes dates que le Forum de Davos. Toutefois le fait que le Forum Social Mondial de 2004 se réunisse en Inde et à des dates différentes de celui de Davos, ouvre de nouvelles perspectives. En effet, cela pourrait non seulement améliorer le problème de la représentativité (meilleur accès pour les pays d’Asie) mais aussi éloigner l’implication des partis politiques qui gênent certains. Enfin la volonté d’être un mouvement indépendant implique que s’opposer ne suffit plus, il faut maintenant avancer en termes de propositions.