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, Paris, 2003

Les actions internationales de la communauté de Sant’Egidio pour la résolution des conflits

Sant’Egidio, un exemple d’action international d’une ONG confesionnelle pour la résolution de conflits

Keywords: Use of religion for war, use of religion for peace | Peace according to Christianity | | | | | | | | | | | | | | | | Italy | Mozambique | Lebanon | Algeria | Burundi | Rwanda | Albania | Guatemala | Iraq

La communauté Sant’Egidio

La communauté Sant’Egidio est née en 1968, dans le sillage du Concile de Vatican II, réuni de 1962 à 1965 par le Pape Jean XXIII, et dans le souffle imprévisible et révolutionnaire de mai 1968 qui a couru en France, et en Europe en général. Andréa Riccardi, italien, alors lycéen d’un bon lycée romain, fils de banquier, lit assidûment la Bible, et veut "vivre l’Evangile dans la ville". Il veut faire amitié avec les plus démunis, persuadé que "tout n’est pas politique mais qu’il existe une dimension personnelle, une dimension de cœur "; l’Evangile est en effet pour les pauvres, quelles que soient les pauvretés. Pour cela, pas besoin de s’expatrier, pas besoin de partir dans les pays pauvres. A leurs portes, ils entendent des cris. De fil en aiguille, à bicyclette, à plusieurs, ils rendent visite aux personnes des borgates, les baraques de la banlieue pauvre de Rome. Et puisque le projet qu’ils animent porte des fruits, ils seront bientôt rejoints par de nombreux lycéens et étudiants heureux de servir les plus démunis. Ainsi commence à se former un embryon de la communauté. Au XVIème siècle, St Ignace de Loyola préconisait, ou plutôt souhaitait "la contemplation dans l’action", et il semble que Sant’Egidio s’en soit inspirer.

A. Riccardi et ses amis établissent leur quartier général dans un ancien carmel de la place Sant’Egidio (Saint Gilles), dans l’ex-quartier populaire – devenu plutôt bourgeois et "branché", du Trastevere. C’est là que se côtoient depuis les deux types d’acteurs avec qui Sant’Egidio est lié : les pauvres – l’ancienne église des carmélites a été transformée en salle de banquet pour les pauvres à Noël- et les diplomates – de nombreux conciliabules ont eu lieu à cet endroit fréquenté aussi récemment par le Congolais Laurent-Désiré Kabila, le rwandais Paul Kagame, l’ougandais Museweni, le brazzavillois Denis Sassou Nguesso, l’ex-secrétaire d’Etat américaine Madeleine Albright et l’ancien ministre des affaires étrangères français Hubert Védrine, le kosovar Ibrahim Rugova, l’ex-président soviétique Mikhaïl Gorbatchev, etc.

En plus du service auprès des plus pauvres, Sant’Egidio s’est retrouvée à faire de la médiation dans des conflits internationaux, inter-ethniques, etc. Ses membres ont rédigé la plate-forme de Rome sur la paix en Algérie, ont contribué à l’ouverture de négociations entre la guérilla et le pouvoir au Guatemala, etc.

Reconnue par le Pape Jean Paul II association publique de laïcs de l’Eglise en 1986, elle reçut en février 2001 le prix Félix Houphouet-Boigny pour la recherche de la paix. A. Riccardi, quant à lui, a reçu par l’UNESCO la médaille de Gandhi pour son engagement dans la culture de la paix.

Les Valeurs de Sant’Egidio

Sant’egidio est animé de valeurs telles que

  • la religion chrétienne : "Le Livre, l’Evangile, la prière, la paix, la fraternité, …" qui sont des thèmes redondants dans l’histoire de la Communauté. A l’origine catholique, la communauté de Sant’Egidio se veut d’être aujourd’hui chrétienne.

    La lecture de la Bible et La prière unifient et réunissent les bénévoles de la communauté quotidiennement dans de nombreuses villes. La prière se retrouve aussi dans les réunions diplomatiques, mais cette fois-ci, non plus uniquement pour la religion chrétienne, mais pour toutes les religions. L’impact que peut entraîner ce respect des religions tout en l’associant à l’importance de la prière est analysé dans les méthodes de Sant’Egidio pour la médiation de paix.

  • L’autre : Sant’Egidio a aussi comme leitmotiv la "volonté de rencontrer et de découvrir l’autre dans Rome, la Ville, le Monde ". Par l’autre, Andrea Riccardi entend les pauvres, ceux que l’on ne nous montre jamais. Cette solidarité avec les pauvres se retrouve aussi dans le dialogue, fondement de la communauté.

Cette notion de dialogue se retrouve dans les différentes activités de la communauté : le dialogue social, fondement de la rencontre avec un autre, le dialogue au niveau diplomatique : avant de connaître l’autre, il faut être ouvert au dialogue, et ainsi repousser certaines idées. Enfin, le dernier type de dialogue est le dialogue inter religieux, leitmotiv de la diplomatie de Sant’Egidio, ainsi que du Vatican, d’où découle aussi l’œcuménisme. Comment Sant’Egidio pourrait-elle discuter avec d’autres chefs religieux si elle n’accordait pas une importance très grande à l’œcuménisme ?

Domaines d’actions

Les activités de Sant’Egidio se situent dans trois domaines différents, non pas opposés, mais d’attraits médiatiques inégaux.

La prière

chaque communauté se réunit de façon hebdomadaire pour des veillées de prière. Même si cette activité n’est pas la plus importante comparée aux autres actions de Sant’Egidio, elle est cependant celle qui réunit tous les membres de la communauté.

Le social

La principale activité de Sant’Egidio, 80% de ses activités, se situe dans le domaine social. Cette première activité de la communauté a commencé avec l’aide aux enfants abandonnés dans les banlieues de Rome.

L’aide alimentaire est aussi très importante : la mensa, via Dandolo, ‘soupe populaire’ qui sert chaque jour 1 800 repas gratuits, et permet aux exclus de la capitale romaine, SDF ou immigrés souvent sans papiers, de pouvoir également suivre des cours, d’emprunter des livres et de bénéficier d’une aide administrative et de boîtes postales.

L’activité sociale de Sant’Egidio se retrouve aussi dans la création de foyers de personnes âgées, d’accompagnement des personnes âgées pour leur permettre de rester à leur domicile, d’aide aux malades du SIDA, d’un soutien aux handicapés et malades mentaux, d’alphabétisation des populations immigrées, etc.

La diplomatie et la médiation de paix

Comment parler de Sant’Egidio sans parler de la médiation de paix. C’est en effet ‘grâce’ à celle-ci que les media se sont intéressés à cette communauté, en particulier suite à l’accord de paix signé en 1992 au Mozambique mettant ainsi fin à un conflit violent de plusieurs années.

Mais les actions tournées vers la recherche de la paix ne commencent et ne s’arrêtent pas là : Sant’Egidio a aussi joué un rôle dans de nombreuses actions diplomatiques à travers le monde dont:

  • 1982 - Liban : levée du siège du village de Deir El Khamar, par les Druzes, et accord sur la protection des chrétiens dans le Chouf.

  • 1987 – Albanie : accord pour des élections sous contrôle international

  • 1992 –Mozambique : 4 octobre : après deux ans de tractations et de médiations menées par Sant’Egidio, signature d’un accord de paix par tous les belligérants, dont les deux principaux mouvements de guérilla, la RENAMO –soutenue par le Zimbabwe, et le FRELIMO – soutenu par le Kremlin.

  • 1995 – Algérie : 13 janvier : signature d’un « contrat national » , à l’initiative de Sant’Egidio, par huit partis d’opposition algériens, réunis pour la première fois, dont le FLN, le Mouvement la démocratie en Algérie de Ben Bella, le FIS, le FFS et le Parti des travailleurs.

  • 1996-1998 – Kosovo : négociations avec le pouvoir serbe pour la réouverture des écoles et des facultés

  • 1996 – Guatemala : signature des accords de paix à Rome entre les différents belligérants, après la médiation de Sant’Egidio

  • 1997-2000 –Burundi : participation aux négociations de paix d’Arusha

  • 1999 - Congo : Sant’Egidio pressentie pour l’organisation du « dialogue national »

  • Irak : sauvetage de 800 réfugiés chaldéens, chrétiens, irakiens et kurdes

  • Rwanda : accords de paix signés entre les belligérants Hutus et Tutsis, à l’initiative de Sant’Egidio, sous le parrainage de Nelson Mandela et Bill Clinton

Ces médiations de paix seront regardées de façon plus précise dans le chapitre suivant.

L’international

En effet, il faut distinguer les actions internationales diplomatiques, visant à la résolution des conflits dans une région précise, des actions à l’international. De quoi s’agit-il précisément ?

Tout d’abord, des actions faites en lien avec d’autres associations internationales, ONG : ainsi, en 1998, Sant’Egidio a pris l’initiative d’une pétition demandant un moratoire universel de la peine de mort, pétition en adhésion avec Amnesty International et M2000 (organisation américaine en faveur des droits de l’Homme).

Ensuite viennent les actions internationales, basées principalement sur le dialogue inter-religieux : il s’agit là des réunions d’Assise (voir ci-dessous) ou bien de réunions moins liées au Vatican ; ainsi, preuve de sa crédibilité internationale, trois semaines à peine après les attentats du 11 septembre, Sant’Egidio a organisé à Rome un sommet islamo-chrétien auquel participaient des personnalités telles que Carlo Maria Martini, archevêque de Milan, Yusuf al-Qaradawi, directeur du centre de recherches sur la Sunna au Qatar, Michael Fitzgerald, secrétaire du conseil pontifical pour le dialogue inter religieux, ou le métropolite syrien orthodoxe d’Alep en Syrie. Une initiative qui fera dire à Aït Ahmed : « c’est le contraire de la guerre du Golfe : l’Occident n’agit pas cette fois-ci contre un pays arabe, mais se met à son service » .

La médiation de la paix

Le personnel

Le personnel chargé de la diplomatie comprend environ quinze personnes : Andrea Riccardi : professeur d’histoire est le porte-parole de la communauté ; Marco Impagliazzo s’occupe des pays arabes et dirige le programme Jubilé à la RAI ; Mario Giro est permanent à la Confédération Internationale des Syndicats Libres (CISL) (démocrates chrétiens) ; Roberto Morozzo Della Rocca gère les questions dans la région des Balkans, comme Don Vincenzo Paglia, un des plus anciens prêtres de la communauté, nommé évêque en mars 2000 ; Don Vittorio Ianari est spécialiste de l’Islam et du monde arabe (de l’Algérie et du Soudan notamment) ; Don Matteo Zuppi, le curé de Santa Maria del Trastevere traite les questions africaines ; Mme Valeria Martano est responsable des programmes en Turquie et en Asie ; Don Ambrogio Spreafico gère les questions israéliennes et les relations avec le judaïsme ; Alberto Quatrucci et Claudio Betti s’occupent de l’Organisation des rencontres interreligieuses annuelles pour la paix ; Gianni La Bella est chargée de la recherche de financement et de subventions ; Mario Marazziti est journaliste pour la télévision italienne, et son épouse est affectée aux relations publiques.

Les rencontres œcuméniques d’Assise

Principe

Le principe fondateur de la rencontre d’Assise est de « lancer le défi de la réconciliation dans la diversité et la coexistence, dans l’acceptation de l’autre. » . Certains, opposés, trouvent que cette démarche est contraire au principe d’évangélisation, mais elle a déjà montré qu’elle favorisait le dégel des mentalités.

Les rencontres inter religieuses internationales sont organisées chaque année par Sant’Egidio sur l’initiative du Pape. La première s’est tenue à Assise en 1986 ; la deuxième et la troisième à Rome ; la quatrième a eu lieu à Varsovie à l’occasion du cinquantième anniversaire de la seconde guerre mondiale, et avait pour titre « War never again »  ; les trois suivantes se sont déroulées à Paris, Malte et Bruxelles. Cette dernière traitait de l’unité européenne et de son rapport avec les pays du Sud, et celle de Malte a donné lieu à la rédaction, par les chrétiens, les juifs et les musulmans, d’un appel à la paix pour la Terre sainte. De 1993 à 1995, les rencontres ont eu lieu à nouveau en Italie : Milan, Assise et Florence. Une réunion particulière s’est tenue en 1995 à Jérusalem, dans la cité-sainte sur le thème « Ensemble à Jérusalem : juifs, chrétiens et musulmans » . Puis le siège des rencontres a regagné l’Italie : à Rome en 1996, et à Padoue et Venise en 1997.

En 1998, la ville de Bucarest a été choisie. C’était la première rencontre en pays orthodoxe. Sant’Egidio a invité le patriarche à venir assister à la liturgie latine dans la cathédrale : après avoir été reçu avec froideur, il a finalement été applaudi par les fidèles qui sont allés ensuite participer à leur tour à la liturgie orthodoxe.

Les deux années suivantes, ce sont Rome et Lisbonne qui ont accueilli ces confrontations œcuméniques. Le quinzième anniversaire de ces rencontres s’est fêté à Barcelone, et c’est le 24 janvier 2002 que les participants reviendront à Assise.

Ces rencontres ont donné naissance à une dynamique inter religieuse : ainsi, à Maputo, au Mozambique, des leaders de diverses religions se sont retrouvés pour la prière en souvenir de la signature de la paix.

Selon A. Riccardi, les œuvres de paix se situent à tous les niveaux : il y va de la responsabilité de tous de faire en sorte que la paix soit conservée. Les initiatives de paix manquent et il faut multiplier les rencontres comme celles-ci pour pouvoir organiser la communauté internationale.

Préparation d’un terrain

Les rencontres d’Assise ont notamment permis aux représentants de religions différentes de lier des amitiés entre eux. De nombreux leaders sont d’ailleurs prêts à sortir du cadre étroit de leur pays, et ces rencontres leur en donnent l’occasion : ainsi, en 1989, la rencontre de Varsovie s’est terminée par une visite des camps d’Auschwitz et les responsables musulmans présents, qui considéraient plutôt la Shoah comme une invention de la propagande sioniste, ont été très marqués. De même, ces réunions présentent une opportunité de discussion entre les Catholiques et les Orthodoxes sur des questions délicates comme celle des catholiques d’Orient.

Ces rencontres génèrent des liens et des réflexions qui sont autant de pierres apportées aux efforts de paix présents et futurs. Elles favorisent l’établissement de liens et unissent les efforts vers une compréhension mutuelle.

L’action internationale

Les différentes actions menées à Rome, telles que les soupes populaires, ont conduit Sant’Egidio à s’intéresser au cas des immigrés de Rome qui réclamaient assistance, notamment à travers des programmes d’alphabétisation. Ces étrangers ont sensibilisé la communauté sur la situation de leurs compatriotes et ont créé dans vingt-quatre pays africains des communautés qui partagent désormais la spiritualité de Sant’Egidio. C’est ce qui conduit M. Impagliazzato, membre de la communauté chargé des pays arabes, à dire : « nous ne sommes pas allés en Afrique : c’est celle-ci qui est venue nous chercher à Rome » .

Les membres de Sant’Egidio se défendent d’être des professionnels de la paix. La résolution des conflits ne représente qu’un cinquième de leur activité, ce n’est pas leur spécialité. Mais c’est le réseau qu’ils forment avec leurs « amis » qui les amènent à se pencher sur les questions internationales : c’est dans ce sens que A. Riccardi, le fondateur de la communauté, explique qu’il n’y a pas de mur entre l’intérieur et l’extérieur pour Sant’Egidio et que l’organisation fonctionne « comme un réseau, selon un ordre désordonné » avec le même esprit d’assemblée et une recherche du consensus.

L’action au Mozambique constitue le premier engagement diplomatique de Sant’Egidio : l’accord signé le 4 octobre 1992 par les belligérants découle d’efforts débutés dès les années 80 dans le domaine humanitaire. C’est en prenant conscience que l’aide au développement restait paralysée par la guerre civile que l’idée est venue à la communauté de faciliter une réconciliation des parties. La première des mesures entreprises a été d’organiser une rencontre entre le Pape Jean-Paul II et le Samora Machel, le président du FRELIMO, parti unique marxiste-léniniste, dans le but de rétablir la liberté religieuse. Cette action a réussi et a permis à Sant’Egidio de se faire mieux connaître du gouvernement mozambicain. C’est grâce à leur connaissance de la situation et à leur nouvelle place dans la sphère politique, que les membres de la communauté ont eu la possibilité d’agir pour la réconciliation des belligérants : le FRELIMO et la RENAMO.

Cette présence sur place de la communauté représente un premier principe d’action de Sant’Egidio. Elle lui permet de bénéficier d’une véritable connaissance du terrain et de ses priorités et d’être reconnu comme un acteur loyal et attaché à la cause du pays. Les rencontres œcuméniques, d’ailleurs, permettent aussi d’améliorer cette connaissance du terrain et de multiplier les contacts dans les régions.

Plusieurs autres préceptes et méthodes ont été suivis par Sant’Egidio tout au long de la médiation, même s’ils se défendent d’être des médiateurs de métier et que, selon les propres mots d’Andrea Riccardi, « Sant’Egidio est une cuisine »  : Pour lui, « chaque situation de conflit, surtout armé, a son histoire particulière et ne peut se résoudre d’une formule abstraite. C’est aux racines historiques et aux caractéristiques du conflit qu’il faut prêter beaucoup d’attention » .

Principes et methodes de mediation

Travailler à la reconnaissance mutuelle des belligérants.

Au Mozambique, le FRELIMO était le parti unique et la RENAMO n’était qu’un mouvement de guerilla. Il fallait, d’une part, transformer le mouvement en organisation politique capable de participer à des discussions de paix et faire en sorte qu’il reconnaisse l’Etat et, d’autre part, aider le FRELIMO à comprendre la guérilla et à traiter avec elle : c’est donc d’abord une position de « pédagogue » que la communauté a adoptée pour préparer le dialogue. Le rôle de Sant’Egidio consistait à créer un climat de confiance entre les deux, notamment en les poussant à reconnaître qu’ils étaient les fils du même pays et en se préoccupant plus de ce qui les unissait que de ce qui les divisait. Il fallait créer « un cadre commun avec lequel penser et réaliser la paix » .

Alfonso Dlakhama, le président de la RENAMO, était pourtant connu par la communauté internationale pour l’horreur de ses actions et ne paraissait donc pas prêt à régler politiquement le conflit. En Algérie aussi, cette démarche a posé des difficultés car les divergences identitaires étaient profondes entre « éradicateurs » , accusés d’être « du parti de la France » , et islamistes, traités de fils de l’Iran ou de l’Afghanistan » , entre les francophones et les arabophones et entre les traditionalistes et les modernes. De même au Burundi et au Rwanda, les Tutsis ne reconnaissent plus les Hutus comme des citoyens à part entière.

Construction d’un futur commun.

Pour A.Riccardi,c’est aussi l’espoir d’un avenir commun qui contribue à pacifier les conflits. En Albanie, dit-il, « il n’existe pas une idée de destin commun sauf un certain orgueil ethnique. La méfiance se manifeste surtout à l’égard de tout ce qui est collectif et de l’Etat qui a confisqué beaucoup de vies dans le récent passé communiste » . Pour lui, ce doit être un Etat efficace qui oriente l’orgueil national albanais vers la construction d’un avenir national. Cet avenir passe parfois par l’affirmation d’une culture commune, rôle qu’a pu jouer l’Université de Pristina dont la gestion a été progressivement concédée aux Albanais par les Serbes. D’importantes négociations ont été menées par Sant’Egidio auprès de Milosevic jusqu’à ce que ce début d’autogestion albanaise, voulue par Rugova, soit accepté en 1998.

Patience et durée.

Contrairement à la diplomatie officielle qui subit la pression des médias, de l’opinion publique, et se doit d’obtenir des résultats, la communauté de Sant’Egidio peut s’engager dans le long terme même si elle n’est pas assurée de parvenir à rétablir la paix. Pour le Mozambique, onze sessions de rencontre, étalées sur vingt-sept mois au Trastevere, ont été nécessaires avant d’aboutir à la signature de l’accord de paix.

Ne pas agir en solitaire.

Pour M. Giro, il n’est pas question d’agir à la place de la diplomatie officielle : celle-ci doit rester impliquée, et la communauté cherche plutôt à « l’empêcher de s’en désintéresser » car c’est « le seul moyen de l’influencer » . Pour A. Riccardi, même si « nul n’a le monopole de ce terrain délicat de la paix » et que « les professionnels ne sont pas les mieux placés dans une situation donnée » , la participation des diplomates et des Etats restent essentielle dans les processus de paix car « il n’y a pas d’anarchie de la paix » . Ainsi, au Mozambique, Sant’Egidio s’est assuré du soutien moral du Vatican et de l’appui financier et diplomatique du gouvernement italien. Parmi les principaux soutiens de Sant’Egidio, on peut compter le cardinal Etchegaray,

Apporter des garanties.

La signature des accords a demandé du temps puisqu’il fallait pour cela parvenir à une maturité politique, un climat de confiance et un ensemble de garanties pour les deux parties. Ces garanties doivent être assurées par des acteurs officiels : les Etats.

Ce souci de ne pas travailler en solitaire se retrouve dans l’utilisation que la communauté fait de son réseau : ses moindres ressources et contacts sont mis à profit pour la cause poursuivie. Ainsi, dans le cas du Mozambique, elle a organisé de nombreuses discussions entre le secrétaire général du Parti communiste italien, Enrico Berlinguer, et l’archevêque de Beira, Mgr Jaime Gonçalves, dans le but de montrer au leader du PCI comment le FRELIMO, communiste aussi, traitait l’Eglise au Mozambique.

Il y a un moment propice à la négociation.

Au Mozambique, le rôle de médiateur qu’a joué Sant’Egidio s’est imposée à un moment où la situation y était favorable : en effet, les membres de la communauté ont commencé à faciliter les négociations lorsqu’ils ont senti que, dans les deux camps, les causes profondes du conflit persistaient tandis que la confiance en une solution militaire s’épuisait progressivement.

Crédibilité

Leur réputation

Sant’Egidio bénéficie d’une grande notoriété depuis la réussite de sa médiation au Mozambique. Comme le souligne M. Marco Impagliazzato, membre chargé plus particulièrement des pays arabes, « après ce succès, beaucoup de guérillas, de mouvements d’opposition des pays africains ont cherché » l’aide de Sant’Egidio.

Leur caractère confessionnel

Le cadre religieux a une grande importance dans les conflits. Les différentes confessions prennent souvent leurs différences comme prétexte pour alimenter les hostilités. Pour A.Riccardi, le nationalisme albanais pouvait être perçu comme une religion lui aussi, « avec les mêmes dérives intégristes et fondamentalistes » et une mission quasi-religieuse qui cherchait à créer un homme nouveau.

La doctrine de l’Eglise joue un rôle dans la réconciliation que cherche à faciliter Sant’Egidio entre les belligérants. Cette réconciliation, qui se fait « au nom d’un amour plus grand » pour les chrétiens, trouve un écho et peut se traduire du côté laïc en constituant « un cadre dans lequel le conflit reste politique et ne devient jamais armé » .

Leurs armes

La communauté dispose de peu de moyens pour parvenir aux fins pacifiques qu’elle se fixe. Au niveau du financement par exemple, elle est obligée de rechercher des fonds à chaque nouveau projet et, au niveau des membres attachés à la diplomatie, l’effectif est réduit et reste bénévole (comme 99% des membres de la communauté entière) afin de ne pas institutionnaliser le mouvement.

Cette faiblesse, Sant’Egidio cherche à l’utiliser comme une force. En effet, grâce à cette position elle peut inspirer confiance par son désintéressement et sa sincérité. De plus, sa présence sur place en fait un acteur attaché au pays et extrêmement bien renseigné sur la situation politique, économique, sociale et culturelle.

Parmi les armes les plus efficaces, on compte un carnet d’adresse enrichi en trente années d’existence et un savoir-faire, mûri lui aussi depuis les débuts de la communauté.

Les limites de Sant’Egidio dans la médiation de paix

Limites internes

Les liens avec le Vatican

Dans son entretien avec Dominique Chivot, Andrea Riccardi parle à plusieurs reprise du Pape et de son lien avec la communauté. Certaines des actions de Sant’Egidio ont été fortement inspirées, voire commandées, par Jean-Paul II. Ainsi, c’est « selon le désir » du Pape que Mgr Vicenzo Paglia, assistant de la communauté, se rend en Albanie pour s’entretenir avec le président sur la législation de la liberté religieuse. De même, Jean-Paul II a demandé à Sant’Egidio d’organiser une visite papale à Belgrade. Pourtant dans un autre entretien, A.Riccardi dit que « le Vatican ne nous demande pas d’agir, mais Rome, centre du catholicisme, est une communauté d’impulsions et de stimulations » . Ce mélange entre la diplomatie vaticane et celle de Sant’Egidio peut à terme poser des limites à l’action de la communauté du Trastevere. Dans le conflit algérien, le gouvernement de Zeroual n’a pas voulu venir aux rencontres avec le FIS, le FLN, le FFS et le parti des travailleurs et on peut se demander si le manque de transparence dans ces relations Vatican-Sant’Egidio ne faisait pas partie des causes de ce refus du dialogue.

La succession

Lors de sa conférence à l’Institut catholique de Paris, Andrea Riccardi a exprimé clairement qu’il ne se souciait pas de l’avenir de la communauté. Les membres chargés de la diplomatie sont les fondateurs de la communauté et seront certainement progressivement remplacés dans quelques années. On peut donc s’interroger sur le devenir de l’action de Sant’Egidio : même si ce groupe se caractérise par une unité dans la logique de ses militants, les nouvelles générations ont de nouvelles idées et peuvent remettre en question l’organisation pour l’institutionnaliser, la professionnaliser ou la spécialiser dans un des domaines qu’elle englobe. Pour l’heure, les membres de Sant’Egidio ne cherchent pas à être présents partout et restent bénévoles.

Limites externes

Situations impossibles à résoudre pour eux

A une question qui lui était posée concernant une possibilité d’intervention de la communauté dans le conflit israélo-palestinien, Andrea Riccardi a répondu que les membres de Sant’Egidio ne s’impliqueraient pas dans une médiation, d’une part, parce qu’on ne le leur avait pas demandé, d’autre part, parce la situation était bien trop complexe pour eux et qu’ils ne peuvent donc pas prendre d’initiatives pertinentes. Il est en effet des cas que Sant’Egidio refuse de traiter quand il ne se sent pas de taille à le faire. C’est le cas des régions où l’Etat a disparu au profit de pouvoirs obscurs ou d’oligarchies comme en Colombie ou en Guinée-Bissau. Pour Sant’Egidio, l’Etat est l’interlocuteur par excellence : « c’est le sens de la loi, un espace de dialogue circonscrit, identifié et responsable de ses engagements » .

Conclusion

Il semble donc que la vocation première de Sant’Egidio, l’amitié avec les pauvres , lui permette ainsi de mener des actions diplomatiques de médiation de paix. Les valeurs caractéristiques de la communauté, esprit de communauté, la tradition chrétienne et la piété, se retrouvent partout dans le monde au travers de ses différentes actions, aussi bien sociales que diplomatiques. Cependant, de nombreuses incertitudes demeurent quant à cette diplomatie parallèle que conduit Sant’Egidio.

Nous avons vu que Sant’Egidio pouvait avoir plusieurs rôles dans la résolution des conflits, et que ses méthodes et principes de résolution des conflits se retrouvaient dans beaucoup de tentatives de médiation de paix faites par la communauté. Cependant, il faut remarquer que ces méthodes ne sont pas clairement identifiables, tout comme l’est Sant’Egidio.

En effet, on parle parfois de « diplomatie compassionnelle » en ce qui concerne cette communauté. Cependant, ne s’agirait-il pas là de se baser uniquement sur l’un des ’moyens’ d’accès à la médiation de paix dans un conflit, et cela au travers de la présence sociale sur le terrain de la communauté ? Alors, qu’advient-il de ces relations avec le Vatican, le monde religieux en général et non pas uniquement catholique, et les différents gouvernements, dont le gouvernement italien ?

L’emprise de Sant’Egidio sur le Vatican, ou de celui-ci sur Sant’Egidio, n’est pas à négliger : cette confusion pourrait, par la suite et malgré une volonté d’œcuménisme, porter préjudice à la communauté dans ses relations pour la paix dans les conflits, en particulier dans les pays où la religion musulmane demeure très forte.

De plus, l’émergence de nouveaux mouvements religieux – les Focolari par exemple- pourraient, par la suite, se retrouver sur les même terrains de médiation que Sant’Egidio. Certes, la résolution de la paix n’est pas uniquement à la disposition des diplomates. Cependant, cette émancipation de l’attrait vers la médiation de paix et résolution des conflits par des communautés religieuses chrétiennes serait elle aussi en alignement avec la position diplomatique pontificale ? Le prochain pape aura, tout comme Jean Paul II l’a fait jusqu’à présent, un discours de paix dont les ‘résultats’ seront positifs.

Quant à l’avenir de Sant’Egidio, plusieurs incertitudes existent : certes, la volonté « d’être avec les autres, mais pas tous les autres » , opposée à l’universalité de l’action de paix – qu’Andréa Riccardi appelle « folie chrétienne » devrait demeurer. Mais qu’en est-il des actions internationales en faveur de la paix : A. Riccardi disait que, si l’action au Mozambique était à refaire, il « n’était pas sûr d’y participer car le but de la communauté n’est pas d’être médiateur »  - d’où son discours selon lequel il ne pense pas que Sant’Egidio interviendra en Israël. Alors, la complexité grandissante des conflits internationaux serait-elle à l’origine d’un retour de la communauté à son action sociale uniquement ? De plus, le renouveau des membres de la communauté, moins basés sur la génération 68 et Vatican II, pourrait voir aussi l’émergence de nouvelles idées.

Notes

Sources consultées :

  • BARSACQ, St., RANCE, Ch., Les diplomates de Dieu, Figaro Magazine, 12 janvier 2002

  • Conférence Andréa Riccardi, Institut Catholique de Paris, 03 décembre 2001

  • Conférence du 3 décembre 2001 à l’Institut catholique de Paris

  • Entretien d’Andrea Riccardi dans le Figaro Magazine du Samedi 12 janvier 2002

  • GIRO, M., Sant’Egidio’s diplomacy of friendship, www.santegidio.org

  • le Figaro Magazine du Samedi 12 janvier 2002

  • LEYMARIE, PH., Une communauté religieuse dans la médiation des conflits – Les bâtisseurs de paix de Sant’Egidio, Le Monde diplomatique, septembre 2000

  • MARRET J.L., La fabrication de la paix: nouveaux conflits : nouveaux acteurs, nouvelles méthodes, coll. de la Fondation pour la Recherche Stratégique , Ed. Ellipses, 2001 Paris

  • Riccardi A., Sant’Egidio, l’Evangile au-delà des frontières, Bayard 2001

  • Une communauté religieuse dans la médiation des conflits : les bâtisseurs de paix de Sant’Egidio, Philippe Leymarie, Le Monde diplomatique, septembre 2000.