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Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche d’analyse Dossier : Du désarmement à la sécurité collective

Florent Frasson-Quenoz, Grenoble, France, avril 2006

La conversion des industries d’armement : enjeux et réalités

Présentation de l’évolution de la notion de conversion des industries d’armement depuis le milieu des années 1990.

Mots clefs : Conversion de l'économie de guerre à l'économie de paix | Reconvertir les armements

Les faits sont sans appel, depuis l’intervention de la coalition internationale en Afghanistan, la conversion du secteur de l’armement n’est plus ni une priorité ni même à l’ordre du jour.

Cette constatation interpelle l’observateur. Les nobles objectifs de la conversion, et du désarmement dans une perspective plus fine, se seraient-ils évanouis en l’espace de quelques années seulement ?

En 2001, dés les premiers mois qui suivirent les événements du 11 septembre 2001 on pouvait lire dans les publications de l’UNIDIR : « nous assistons aujourd’hui, pour la première fois depuis 10 ans, à une stagnation du désarmement et de la reconversion, voire à une inversion des activités dans ce domaine »(1). Il est surprenant, au premier abord, de pouvoir émettre un tel constat. Le monde occidental c’est soumis pendant dix années à une conversion qui a eu des conséquences catastrophique dans certain cas et pourtant les résultats semblent être nuls. L’idéologie de la conversion semble avoir perdue tout son poids en quelque années. Nous sommes donc en droit de nous interroger sur la réalité de la conversion des entreprises pendant cette période.

Pour comprendre, nous allons rapidement évoquer les quatre grandes expériences de conversion qu’a connu le monde occidental depuis la fin de la guerre froide afin de comprendre comment, au premier soubresaut, la production d’arme a-t-elle pu repartir à la hausse.

D’abord nous allons nous pencher sur le cas des Etats-Unis d’Amérique. Juste avant la fin de la guerre froide, ce pays a entamé une des plus grande phase d’investissement dans l’armement de son histoire. C’est d’ailleurs très probablement cette hausse, combinée à la mauvaise santé économique de l’URSS, qui est à l’origine de la fin de la guerre froide. Après la disparition de l’ennemi, de tels investissements n’étaient plus justifiés et il était donc naturel, pour tout les acteurs, de prévoir une transformation de l’économie aux nouvelles conditions du marché. Fidèles à leur philosophie les USA ont mis sur pied une méthodologie « clef en main » pour assurer la conversion des industries d’armement vers une industrie civile (2). Cette méthode était caractérisée par le peu d’intervention de l’Etat fédéral dans le processus une fois balisé. En laissant les grandes entreprises et leurs sous-traitants assurer eux-mêmes leur reconversion, et malgré quelques exemples intéressant de réussite (3), le « laissez-faire » prôné n’a pas permis d’aboutir à des résultats effectifs, surtout dans les grandes entreprises. Il n’y pas eu conversion mais destruction des entreprises non viables de l’industrie d’armement.

En Russie, malgré la volonté affichée par le gouvernement russe de répondre au défi de la conversion, le degré de désorganisation atteint à la suite de l’effondrement du système soviétique n’a pas permis d’accompagner le tout puissant Complexe Militaro-Industriel (CMI) vers une conversion réussie. Seul face à des défi inconnus ailleurs dans le monde le CMI russe va se contracter jusqu’à trouvé lui même dans certaines niches, notamment celle de l’exportation, une réponse au moins de substitution à la réduction de son activité (4).

Pour la Russie comme pour les USA la première préoccupation était, plus que la conversion, la réduction de l’arsenal nucléaire. La Russie elle ne pouvait plus entretenir ses stocks et les USA ne souhaitaient pas voir les russes obligés de conservé leurs armements par manque de moyens pour les faire disparaître. En conséquence, on aura pu confondre volonté de réduction des capacités nucléaires (quasi unilatérale) avec volonté de convertir les industries d’armement en industries civiles.

En Europe, la méthode fût sensiblement différente puisque le choix de l’accompagnement des entreprises a été fait. Du niveau local (5), aux grandes entreprises nationales de l’armement l’Europe a intégré tout les niveaux de l’activité économique à sa réflexion sur l’aide à la conversion (6). En choisissant la voie de la convergence des politiques de défense (7) les pays européens ont mis en place une double politique, une de conversion et une de renforcement(8). Cette double tendance nous fera préférer le terme de restructuration à celui de conversion, même si des exemples de conversion véritable existent.

En Chine, enfin, la conversion fût marquée par la nature autoritaire du régime. En effet, il est difficile de parler de conversion sur les mêmes bases que celles de l’Europe, des USA ou de la Russie. La conversion c’est faite plus tôt, dés le milieu des années 1980, et dans des domaines très variés, allant de la production basique à la haute technologie. La coordination de l’action gouvernementale c’est elle aussi mise en place très vite puisque est crée en 1989 un groupe de liaison de l’industrie militaire à l’usage civil avec pour but de guider et de coordonner l’action. Pourtant ces intentions louables vont, elles aussi, conduire à la création de problématiques économiques et politiques qui conduiront le pouvoir à reprendre la main en diminuant les budgets et en interdisant toutes activités commerciales au sein de l’armée (9).

Mais nous pouvons encore citer un certain nombre de facteurs ayant conduit à la nouvelle augmentation des budgets de défense et donc de l’activité des industries de défense.

Les gouvernements ont vite constaté que la diminution des budgets entraînait la perte des savoirs faire et de la vitalité de la recherche dans le secteur et qu’il fallait donc maintenir des niveaux de budget permettant une activité de veille ou plus prosaïquement une simple activité des troupes.

La transformation de la scène internationale vers plus d’instabilité est également un des facteurs important, rappelons ici qu’avec la décennie des indépendances (1960) la décennie 90 est celle qui a vu le plus grand nombre de création d’Etats.

Enfin, l’arrivé au pouvoir des républicains aux Etats-Unis d’Amérique, Etat dont les dépenses militaires représentent la moitié des dépenses militaires de la planète, a été une des principales raison de l’augmentation du totale des dépenses militaires sur la planète.

On comprend donc mieux pourquoi cette conversion des industries d’armement a pu être si vite remise en cause au début des années 2000. En fait de conversion il y a eu une contraction, une restructuration, de l’industrie d’armement pour faire face aux nouveaux impératifs du marché. Au fil de la lecture des fiches nous comprendrons bien que l’euphorie qui a prévalue au début des années 1990 a laissé la place à la réalité de la scène internationale. Très vite les gouvernants ont compris que la « fin de l’histoire » n’était qu’un effet d’annonce et qu’il fallait préserver les capacités productives pour répondre aux défis sécuritaires de demain.

La réalité devra-t-elle obligatoirement recouvrir les enjeux véritables de la conversion des industries d’armement sous une épaisse couche de peur ?

Si nous pouvons tous comprendre le mécanisme qui a repoussé le débat sur la conversion des industries d’armement à la périphérie de notre réflexion sécuritaire nous comprenons tous aussi que cette conversion n’en est pas moins indispensable à l’humanité. Il faut continuer de rechercher les moyens de diminuer ou d’éliminer de notre réflexion la paix négative (assurée par les armes entre deux périodes de guerre) pour reprendre notre réflexion à partir de la paix positive. Si il est une leçon a tirée de l’échec de la première tentative à l’échelle mondiale de désarmement et de conversion des industries d’armement de l’histoire de l’humanité c’est que ce ne sont pas les armes qui produisent le sentiment d’insécurité et la nécessité de se protéger mais plutôt la peur de l’avenir et le manque de connaissance de l’autre. En conclusion rappelons que pour faire la guerre il n’est pas besoin d’une industrie d’armement, l’industrie civile peut produire elle aussi des technologies duales dont le potentiel de destruction peut lui aussi être massif. Les machettes et les couteaux du Rwanda en témoignent.

Notes

  • 1. Bonn International Center for Conversion, Tribune libre : Bilan des événements intervenus dans le domaine du désarmement et de la conversion, in Forum du Désarmement : L’Education à la paix n°3, UNIDIR, 2001, p67.

  • 2. Arnaud Blin, Fiche : Petit manuel de conversion pour entreprise, Conversion n°1, juin 1996.

  • 3. Arnaud Blin, Fiche : Projet CALSTART ou comment des avions de combat se sont transformés en voiture électriques., Conversion n°2, décembre 1996.

  • 4. Antonio Sanchez-Andres, Fiche : La conversion dans l’industrie de défense en Russie, Conversion n°2, décembre 1996.

  • 5. Roland de Pénanros, Fiche : Comment, au plan local, contribuer à une avancée durable sur la voie de la reconversion des activités militaire ? , Conversion n°3, décembre 1997.

  • 6. Bernard Reverdy, Fiche : L’initiative communautaire KONVER, Conversion n°1, juin 1996.

  • 7. André Dumoulin, Fiche : Vers la convergence des politiques de défense, Conversion n°5, mai 2000.

  • 8. Luc Mampaey, Fiche : L’industrie belge de l’armement : reconversion ou consolidation ? , Conversion n°5, mai 2000.

  • 9. Sabine Jourdain, Fiche : Réformes et rappel à l’ordre dans l’armée chinoise, Conversion n°5, mai 2000.