Analysis file Dossier : Du désarmement à la sécurité collective

Sergueï Malakhov

Les groupes financiers et industriels : un espoir pour la conversion russe ?

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Introduction

L’avenir de la conversion en Russie a toujours été lié à des réformes économiques radicales. Ce fait est très souvent oublié par les spécialistes de la conversion habitués à construire différents modèles de conversion avec des conditions extérieures standards. Ayant des actifs extrêmement spécifiques, les producteurs d’armements se trouvent au centre de la turbulence économique, d’où la nécessité d’accentuer les efforts nécessaires pour convertir les actifs aux exigences des marchés civiles.

Face aux coûts de transaction importants et à l’abandon de l’Etat qui est dans l’incapacité de leur accorder son soutien dans les conditions d’hyperinflation, les entreprises militaires n’ont pas d’autre option que de se concentrer pour survivre. Cette concentration prend la forme d’une intégration technologique, financière et organisationnelle. Restreintes par les limites du programme de privatisation, les entreprises cherchent des formes d’autoorganisation, qui puissent devancer les impératifs quasi-libéraux des réformateurs.

Et là, les entreprises militaires ne sont pas les seules. Toute l’industrie russe est en train de passer de la concentration horizontale sectorielle à la concentration verticale. Malgré les espoirs des privatiseurs, la plupart des entreprises russes, à l’exception du secteur des matières premières, n’a pas retenu l’attention des investisseurs étrangers. C’est pourquoi, les producteurs d’équipements n’ont pas eu d’autre alternative, que d’attendre la consolidation des ressources bancaires russes. Et, dès que le processus de concentration financière sera achevé, les groupes bancaires pourront se tourner vers l’industrie. Et les entreprises militaires seront les premières visées.

 

La première étape de la concentration

Un des éléments-clé de la réforme économique en Russie a été la liquidation des ministères. Vers le milieu de l’année 1992, la plupart des ministères ont cessé de fonctionner. Pourtant, à leur place, sont apparus des concerns et les associations de différents types. Dans certains cas, comme par exemple dans l’industrie pétrochimique, l’association nouvellement créée était pratiquement identique à l’ancienne configuration du ministère. Dans d’autres cas, notamment dans l’industrie électrotechnique et dans la construction des machines lourdes, on a créé plusieurs associations à la fois avec une certaine spécialisation par marchandises. L’administration de ces associations était constituée presque partout par les cadres administratifs des ex-ministères. Cependant, les associations sont loin d’avoir hérité de toutes les fonctions des ministères. Elles ont été instaurées comme une forme transitoire entre la gestion centralisée et l’autonomie des entreprises. Le compromis a été trouvé dans le maintien, par les associations, des centres de coordination des ventes. Les sources des financements de ces associations ont été constitués en partie par les ressources des ex-ministères, ainsi que par les cotisations soi-disant "volontaires" des entreprises-membres.

A la mi-1992 les associations et les concerns fonctionnaient dans presque toutes les branches de l’industrie. Les plus grands parmi eux étaient Rostextil (546 entreprises de l’industrie textile), Lessoprom (près de 3000 entreprises de l’industrie forestière), Avtoselhozmash (environ 2500 entreprises du complexe agro-alimentaire), Transénergomash, Transmash, Radioindustria, Roslegprom, etc. (Lors d’études de terrain, l’auteur a eu la possibilité de connaître les détails du fonctionnement d’associations de ce type dans les industries pétrochimique, électrotechnique et radiotechnique.) Comme on le voit, les associations et les concerns étaient strictement créés selon le principe sectoriel.

Du fait de la privatisation, les entreprises sont devenues plus rapidement autonomes. La plupart des associations de branches ont alors, soit cessé de fonctionner, soit ont perdu leur contrôle sur l’activité des entreprises, en se transformant en organisations commerciales intermédiaires typiques, comme par exemple, "Exportles". Certaines de ces structures ont acquis le statut du monopole d’Etat, comme par exemple, "Roskhleboproduct", "Roscontract" ou "Rosvoorougéniye", exportateur officiel d’armements.

Les tendances à la concentration et à la formation d’associations sectorielles ont été immédiatement remarquées par de nombreux spécialistes. Signalons l’étude de T. Dolgopiatova et de ses collègues, effectuée en 1992-1993 (Dolgopiatova 1995, 113-115). Selon elle, en 1993 près des deux tiers des entreprises avaient adhéré à tel ou tel regroupement sectoriel. De plus, la forme la plus répandue des regroupements étaient des concerns et des associations sectoriels créés à la place d’anciennes structures de gestion étatique (Dolgopiatova 1995, 113).

Mais dès l’année 1993, le processus de formation des structures corporatives au niveau local commençait. Une des premières formes était liée aux tentatives des entreprises de créer des holdings et d’introduire la propriété croisée des titres. Les deux processus ont rencontré une vive résistance de la part du gouvernement, malgré son grand intérêt. Un autre fait intéressant est que les tentatives pour créer des liens corporatifs ne coïncidaient pas le plus souvent avec les structures sectorielles. Par exemple, la société anonyme "Ouralmash", le plus grand producteur russe d’équipements énergétiques et de canons, avait tenté d’introduire la propriété croisée d’actions avec "Gazprom". Comme cette propriété croisée d’actions était interdite, alors que le processus d’organisation des holdings exigeait de ses participants la délégation de larges pouvoirs dans la prise de décisions, la tentative n’a pas connu de développement. C’était le clearing spontané, la création de groupes autonomes de clearing au niveau local et une politique des prix autonome qui jouait le rôle d’unification. Les contours de nouvelles structures de monopoles dans l’économie russe sont devenus de plus en plus précis.

Il est remarquable que T. Dolgopiatova, en prévoyant justement le développement des regroupements sectoriels, ait mis l’accent, déjà en 1993, sur le nouveau type de relations organisées selon la chaîne "fournisseur-producteur-consommateur". "Avec cela, - écrit-elle - on passe de relations non-formelles, basées sur des liens personnels et sur l’éthique du business, à des structures contractuelles précises... Le but essentiel des regroupements de ce type consiste à prévenir la rupture des liens économiques et à contenir la hausse des prix de production..." (Dolgopiatova 1995, 115).

Pour le moment T. Dolgopiatova ne peut pas encore identifier précisément le caractère de ces nouveaux groupements. C’est pourquoi elle essaie de les présenter comme des groupements sectoriels, en donnant les exemples de "Rousskiy len" et "Rossiyskaya cherst". Mais après avoir mis à jour la nouvelle qualité des liens établis entre les entreprises, elle n’a pas pu éclaircir non plus la nature intersectorielle de ces groupements.

Le processus d’intégration a été l’un des rares cas où le gouvernement russe a fait le pas sans retard. Une réponse en quelque sorte du gouvernement à ce processus a été d’autoriser l’organisation des groupes financiers et industriels (GFI).

 

Transition des structures horizontales à des structures verticales.

Le 5 décembre 1993, le Président de la Russie prend un Décret "Sur la création des groupes financiers et industriels dans la Fédération de Russie". La concentration de la production et le renforcement des liens verticaux étaient le but principal de la création des GFI. Mais il faut remarquer que, parmi les quatre premiers GFI enregistrés à l’automne 1994, seulement un groupe - "Les bijoux de l’Oural" - était monosectoriel ; et il n’a regroupé que 9 participants. Les trois autres représentaient de puissants groupements intersectoriels comprenant des productions et des banques diverses. Par exemple, le groupe "Sokol" comprenait les productions du béton armé et d’avions (IET Economic Review, Spring 1994, 200). Le groupe "Menatep" qui est en train de se former autour d’une puissante structure financière, inclut des entreprises de l’industrie légère, du complexe de l’agriculture, une usine de tubes, une fonderie de cuivre, des productions chimiques.

Les experts de l’OCDE observent à juste titre deux tendances dans la formation des GFI : (1) la création des GFI "d’en haut" en vue de faire renaître les anciens liens de gestion ; (2) la création des GFI "d’en bas" en vue de renforcer les mauvais liens financiers et productifs. Ces deux tendances se reflètent aussi dans les évaluations quantitatives. Au 1er juillet 1995, les GFI officiellement enregistrés étaient au nombre de 15 et ceux absents du registre de l’Etat dépassaient la centaine. (OECD Economic Review, Russian Federation, 1995, 94).

Bien sûr, la création des GFI ne s’effectue pas seulement sur la base de liens intersectoriels. Il existe un grand nombre de groupes sectoriels. C’est justement au sein de ces derniers que se forment les monopoles classiques. En principe, ces groupes existent dans des branches hautement rentables. Ces groupes commencent à se comporter comme des monopoles et tâchent de mener une politique unifiée des prix. Comme exemple de monopole de ce type on peut citer le GFI en train de se former qui regroupe les usines produisant des roulements à billes et plusieurs productions connexes, dans lequel les usines "Roulements premiers" et "Roulements de Samara" ont déjà exprimé la volonté d’entrer. Les groupes "Acier de Magnitogorsk " et "Automobiles de Nijegorod", créés autour d’une grande entreprise leader, constituent d’autres exemples d’intégration verticale.

Au mois de juin 1994, sur l’initiative de AO "GAZ" a été créée la société anonyme "Automobiles de Nijegorod". D’après les intentions de ses créateurs, elle devait être le noyau d’un futur groupement financier et industriel. L’usine automobile de Gorki (AO "GAZ") est aujourd’hui l’exception agréable à la règle, selon laquelle tous les géants de l’industrie automobile russe sont dans une crise aiguë. L’entrée réussie sur le marché du camion à faible tonnage "Gazel" a donné à "GAZ" des avantages comparatifs dans sa lutte conte la concurrence non seulement avec des producteurs russes, mais aussi des produits analogues importés.

Le GFI "Automobiles de Nijegorod" a été enregistré en avril 1995. Il comprend 30 participants dont la plupart étaient des fournisseurs de l’usine automobile de Gorki, comme par exemple, l’usine de pneumatiques de Kirov, l’usine de moteurs diesels de Yaroslav, l’usine de pièces détachées automobiles de Kouybychev. Outre les entreprises industrielles, le groupement comprend des structures financières, telles que "AvtoGAZbank", "Avtobank", "Rosgosstrah-Polis". Ce qui est remarquable c’est la présence dans ce groupement d’entreprises des ex-républiques de l’URSS : "RAF" de Lettonie, "BATE" de Biélorussie, "BOTOM" du Tadjikistan, "TIZAR" de Moldavie (Commersant-DAILY, 19/04/1996, 19).

Les motivations de création d’un groupement de ce type sont assez évidentes. Du point de vue stratégique, c’est l’élaboration d’une politique industrielle commune, la coordination des programmes de production et l’augmentation des parts de marché pour le produit final - l’automobile "GAZ". Du point de vue tactique, la création d’un GFI a pour but d’établir les tarifs internes des échanges, l’optimisation des règlements mutuels, et dans une certaine mesure l’optimisation du paiement des impôts. Dans les conditions qui sont celles de la Russie, la concentration de la production et du capital selon le principe du holding a des avantages supplémentaires. Dans le contexte de crise des liquidités, les livraisons deviennent irrégulières, les prix des matières premières et des matériaux ne peuvent pas être définis exactement et, en plus, leur qualité laisse à désirer ; c’est pourquoi l’optimisation de la coopération crée des avantages significatifs. La mise en œuvre d’une politique commune de comptabilité permet aux membres du GFI de minimiser et de retarder le paiement de la totalité de la TVA.

Mais la plupart des GFI se concentrent autour de grandes banques qui sont devenues, lors de la privatisation, les propriétaires de larges paquets d’actions d’entreprises industrielles. Il est intéressant que, dans le cadre de ces groupes, les banques offrent aux entreprises des ressources d’investissement. Ce moment est vraiment significatif car jusqu’à présent on estimait qu’il était pratiquement impossible d’obtenir un crédit à long terme en Russie. Pourtant la pratique des GFI témoigne du fait que les banques sont prêtes à investir dans "leurs" entreprises.

 

L’intervention des banques

La question des relations des entreprises avec les banques en particulier, et avec les investisseurs en général est l’une des plus compliquée dans l’analyse de l’économie russe. Tandis que les mass média publient de multiples informations concernant la lutte des banques et des investisseurs pour des actions d’entreprises industrielles, la littérature scientifique, quant à elle, traite très peu de cette question et de manière incohérente. On peut citer l’exemple d’une étude sur la privatisation en Russie, réalisée par A. Radyguin, qui a participé activement au processus de privatisation en Russie, et qui est considéré à juste titre comme un des spécialistes les plus informés sur cette question. Pourtant, dans son travail le plus important consacré à l’histoire et aux bilans de la privatisation en Russie, A. Radyguin ne présente que de rares exemples de l’influence des banques et d’autres investisseurs sur le processus de la privatisation (Radyguin, 1994).

Selon toute apparence, l’information des journaux est trop fragmentaire et les statistiques officielles sur cette question sont pratiquement absentes. En plus, une pratique très répandue en Russie parmi les banques est d’utiliser des filiales peu connues pour acheter des actions d’entreprises industrielles. C’est pourquoi les études de terrain ont une importance primordiale. C’est grâce à ces études que l’on a réussi à se faire une image plus précise des relations entre les entreprises et les investisseurs.

L’étude déjà mentionnée de T. Dolgopiatova et de ses collègues décrit les relations des banques et des entreprises en 1991-1993. En analysant l’augmentation des taux de crédits à court terme en période d’hyperinflation, T. Dolgopiatova attire l’attention sur les efforts des entreprises pour obtenir des crédits de ses propres banques, c’est-à-dire des banques créées par les entreprises elles-mêmes, à des taux inférieurs à ceux du marché. Des parts importantes du capital propre des banques permettaient aux nombreuses entreprises d’obtenir des avantages significatifs lors de l’octroi de crédits. T. Dolgopiatova fournit les chiffres suivants : selon les entreprises interrogées, les variations de taux allaient de 10-20‰ jusqu’à 150-180‰ (Dolgopiatova, 1995, 132). A vrai dire, de telles variations témoignent non pas de la discrimination du crédit, mais plutôt de l’absence ou de l’imperfection du marché des crédits en tant que tel. Les études de terrain, effectuées par l’auteur en 1992-1994, montrent une variation des taux plus modeste, ainsi qu’une tendance à l’octroi de crédits avantageux aux entreprises-créatrices de banques. D’autre part, déjà en 1993, ce phénomène tendait à disparaître. En profitant des exigences régulières de la Banque Centrale d’augmenter leur capital propre déjà en 1994, les banques ont réduit les parts des entreprises industrielles à des dimensions insignifiantes. Ainsi, les banques se sont libérées de cette tutelle en même temps qu’elles ont réduit les prétentions de leurs fondateurs initiaux à des crédits avantageux. Par exemple, en 1994-1995 la part des entreprises dans le capital statutaire des banques spécialisées appartenant auparavant à l’Etat était en moyenne de 50%, et celle dans le capital de nouvelles banques commerciales n’excédait pas 20% (Belianova, 1995, 17). Ces chiffres sont vraiment très modestes par rapport à ceux de la période 1990-1993 (70 - 80%).

D’autre part, les banques et les autres investisseurs extérieurs sont de même représentés faiblement jusqu’à présent dans le capital des entreprises industrielles. Ainsi, selon les mêmes données, après la privatisation, les fonds d’investissement sont entrés dans la composition des conseils d’administration des entreprises industrielles seulement à hauteur de 9%, et les banques à hauteur de 7% (Belianova, 1995, 17). Pourtant, les statistiques faussent ici dans une certaine mesure l’état des choses. Dans ce cas, il s’agit de toutes les entreprises industrielles russes. Mais, selon les données de Belianova, la moitié des entreprises n’ont pas du tout d’actionnaires autres que les banques et deux tiers des entreprises n’ont pas d’investisseurs extérieurs dans leurs conseils d’administration (Belianova, 1995, 17). Ces indices révèlent plutôt l’attrait des entreprises industrielles russes pour les investisseurs extérieurs que l’éloignement des banques.

On pourrait supposer que les banques jouent un rôle actif seulement dans les entreprises qui représentent pour elles un certain intérêt. On peut évoquer les bilans des enchères de gage de décembre 1995, où l’on a observé une véritable guerre entre ONEXIMBank, la banque MENATEP et Inkombank pour obtenir le titre de propriété des actions des plus grandes compagnies de l’industrie d’extraction.

C’est pourquoi, pour le moment, nous ne devrions pas sous-estimer le rôle des banques dans la gestion des entreprises industrielles russes. Même dans les cas où la banque n’est pas représentée formellement parmi les actionnaires de l’entreprise, elle est libre dans le choix d’autres moyens d’influence. Le clearing et les groupes financiers et industriels occupent des places à part parmi ces moyens.

 

Une nouvelle étape de concentration

Comme nous l’avons déjà mentionné, les premiers groupements financiers et industriels (GFI) ont été créés sur l’initiative de l’Etat à la fin de l’année 1993. A ce moment là, de nombreuses entreprises ont vu dans les GFI la possibilité de recevoir quelque financement du budget ou des avantages fiscaux. Cependant, leurs espérances ont été vaines, ce qui a retardé le processus de création des GFI "formels". En même temps, le développement des GFI "non-formels" a obligé le gouvernement à prêter de nouveau attention à ce phénomène. Le 1er avril 1996, le Président a signé le Décret "Sur les mesures de stimulation pour la création et l’activité des groupements financiers et industriels". Conformément à ce Décret, le gouvernement russe doit : soutenir les GFI qui participent à la réalisation des programmes fédéraux à destination spéciale ; prendre des mesures visant à la concentration de la propriété au sein des compagnies centrales des GFI ; garantir en cas de nécessité le transfert des actions d’autres participants des GFI, qui sont la propriété de l’Etat, au trust de ces compagnies centrales pour une gestion de mandant ; ainsi que permettre aux compagnies centrales d’apporter les biens immobiliers, qui sont la propriété de l’Etat et qui sont à leur disposition, comme leurs parts dans le fonds statutaire des GFI. En outre, le gouvernement est autorisé à céder ces biens immobiliers en bail et à les hypothéquer (Nouvelles Economiques, N°86, 1996, 8).

De toute apparence, la lutte préélectorale du printemps 1996 a détourné l’intérêt des spécialistes vers d’autres questions, c’est pourquoi ce Décret n’a pas eu une grande résonance. Néanmoins, il avait en quelque sens une importance historique. Il a non seulement annulé le Décret de 1993 qui avait visiblement un caractère déclaratif, mais il a donné aussi aux GFI des avantages significatifs par rapport aux autres formes de corporations.

Le Décret a démontré la force des GFI "non-formels", renforcés, capables d’influencer la politique de l’Etat. En même temps, il a montré la vision de l’Etat sur les perspectives de développement de la propriété et des marchés en Russie. En renforçant les positions des compagnies mères, l’Etat s’est prononcé en faveur du processus de concentration et de centralisation de la production et du capital. Le transfert des actions étatiques au trust des GFI signifie que l’Etat a donné, de fait, aux GFI ses fonctions dans la politique économique. Mais de tels "ministères nouveaux" sont radicalement différents de la centralisation de type soviétique. On peut souligner deux distinctions fondamentales. Les GFI gardent leur indépendance économique par rapport à l’Etat et ce sont des groupements intersectoriels.

 

Etude de cas : la banque Menatep et le GFI "Rosprom"

On ne peut certainement pas considérer les chaînes de clearing comme l’unique moyen de formation des groupements financiers et industriels. Dans une large mesure, le processus de formation des GFI a été accéléré par la privatisation, et notamment par sa deuxième étape. Après les enchères de gage, les grandes banques ont acquis le contrôle des géants de l’industrie russe, dont la gestion a suscité des changements dans l’infrastructure des groupes bancaires eux-mêmes. Et si l’achat de RAO "Norilskyi nikel" par ONEXIMBank n’a pas exigé de changement de la structure déjà existante du GFI "Interros", la banque Menatep a dû se réorganiser après l’acquisition de la compagnie pétrolière "UKOS". C’est pourquoi la direction de Menatep a pris la décision de créer le groupement financier et industriel "Rosprom", en septembre 1995, pour gérer les paquets d’actions des entreprises industrielles appartenant à Menatep. Le groupe Menatep, à cette époque, contrôlait déjà plus de 30 entreprises des industries de construction, d’alimentation, de textile, minière-chimique et chimique avec un volume annuel total des ventes de l’ordre d’1 milliard de dollars. Après l’acquisition du contrôle de "UKOS", ce volume a augmenté jusqu’à 6 milliards de dollars (Commersant-DAILY, 17/04/1996, 8).

Le noyau financier du GFI est constitué de la banque Menatep et de la compagnie d’investissement "Aliance-Menatep". Les intérêts industriels, après l’acquisition de "UKOS", se concentrent essentiellement sur l’extraction et le raffinage du pétrole. Après avoir acquis le contrôle de "UKOS" qui est lui-même un holding, Menatep a eu accès à la gestion de grandes entreprises pétrolières russes comme "Uganskneftegaz", "Samarneftegaz", "Kouybichevnefteorgsintez".

La deuxième grande orientation de l’activité du groupe Menatep est l’industrie alimentaire, avec le contrôle d’entreprises comme "Coloss" et "Mospichekombinat". Dans l’industrie textile, Menatep contrôle de grandes entreprises comme "Chelk", "Sobitex" et "Commune de Paris". Parmi les entreprises d’autres branches, sous le contrôle de Menatep, se trouvent le complexe de fonderie de cuivre de Kirovograd, le complexe de titane et de Magnésium de Béréznikov, "Ouralelectromed", le complexe de l’industrie du bois "Oust-Ilim", l’usines de tubes de la Volga et l’usine de matières plastiques de Jilevsk. Le GFI "Rosprom" et la banque "Menatep" sont également reliés personnellement : le président du conseil des directeurs de la banque, Mikhaïl Khodorkovski, est le président de la direction du groupe "Rosprom".

La stratégie industrielle de Menatep vise à obtenir le contrôle d’une chaîne technologique et de son marché tout entier. Ses investissements dans l’industrie des métaux cuivreux sont mis en œuvre précisément selon ce principe. Dans l’Oural, Menatep contrôle tout le processus, de l’extraction et l’enrichissement du cuivre jusqu’à la production de cuivre raffiné. Menatep essaie de créer une chaîne identique pour le titane. Après avoir acheté Bereznikovskyi kombinat qui fait le produit intermédiaire, Menatep essaie maintenant d’obtenir l’accès au producteur final de titane qui est la SA "VSMPO". Comme il a rencontré l’opposition du conseil d’administration de celle-ci, il tâche maintenant de lui imposer sa coopération, en menant une politique de prix surélevés sur la vente de titane intermédiaire à Bereznikovskyi kombinat. Et en même temps, Menatep a acquis la SA VILS, concurrent de VSMPO sur le marché russe. La SA VILS a toujours été reconnue dans le secteur militaire comme le producteur de pièces spécifiques en métaux non-ferreux. Organisée comme un institut de recherches technologiques, l’entreprise s’était engagée dans beaucoup de programmes militaires.

Le passage de Menatep du secteur des matières premières à celui de l’industrie de transformation paraît très intéressant. Depuis qu’il s’est introduit dans l’industrie, Menatep s’est efforcé d’acquérir l’ensemble de la chaîne technologique du titane, jusqu’au secteur ex-militaire. La logique interventionniste de la banque est tout à fait évidente. Pour éviter les risques, elle s’efforce de prendre le contrôle de l’ensemble de la chaîne. Mais le contrôle n’est que l’impératif du moment ; demain, pour soutenir la chaîne, la banque devra investir dans ses entreprises.

 

Conclusion

Après toute une décennie d’attente, les entreprises russes, qui étaient engagées à l’époque soviétique dans la production d’armements, ont reçu une chance réelle de se développer. Mais la conversion a pris une forme très sélective et radicale. Le financement budgétaire inefficace et très souvent peu raisonnable a été remplacé par des investisseurs plus rationnels. Les banques russes ont déjà effectué leur propre concentration et sont prêtes aujourd’hui à soutenir les entreprises ex-militaires dans le cadre d’une intégration verticale. Et ceci donne aux producteurs d’équipements russes l’espoir d’investissements futurs.

Notes

Serge MALAKHOV est Docteur en Sciences Economiques et Enseignant à la Higher School of Economics de Moscou.

Première rédaction de cet article : fin 1997, traduit du russe.

Résumé :

Les réformes économiques en Russie ont eu pour but de liquider le système d’administration centralisée. En 1992, la plupart des ministères ont été fermés, et courant 1993 la majorité des entreprises ont été privatisées. Cependant, du fait de la spécialisation étroite des entreprises industrielles russes, le développement d’une coopération était nécessaire, et les programmes de conversion réclamaient une concentration du capital. C’est pourquoi dès l’année 1994, les anciennes entreprises militaires ont commencé à se réunir en groupes industriels. Le développement du secteur financier a renforcé les banques russes, qui ont commencé à manifester de l’intérêt pour les hautes technologies des programmes de conversion. Les banques se sont mises à entrer dans les groupes industriels et à former des groupes financiers et industriels.