Grenoble, décembre 2017
Immigration, racisme et droits des femmes: les héritages de la colonisation
Une anti-dote intellectuel contre l’idée reçue que le sexisme est l’apanage des quartiers populaires ou des populations descendantes des sociétés ex-colonisées.
La rhétorique faisant du sexisme l’apanage des quartiers populaires ou des populations descendantes des sociétés ex-colonisées, surtout celles qui sont majoritairement musulmanes, s’impose en France depuis notamment le début des années 2000. Elle est parfois interprétée sous le prisme de l’actualité immédiate. Or, elle a une longue histoire qui isole des objets identiques. Le préjugé de statut inférieur des femmes indigènes était en effet fortement utilisé par les colons comme dans le savoir colonial pour légitimer la domination et dénigrer les sociétés colonisées, comme le montre, entre autres, Franz Fanon dans l’An V de la révolution algérienne [1959]. Avant de voir de quelle manière le contexte français des années 2000 réactualise cette rhétorique, ainsi que certains de ses principaux objets, j’évoque brièvement la migration postcoloniale comme « fille de la colonisation » ainsi que le passage idéologique du racisme de couleur, ou racisme colonial, au racisme culturel qui, comme à l’époque coloniale, utilise les femmes à des fins de domination. Je montrerai enfin que le processus de mise en avant des droits des « autres » femmes n’a jamais signifié la mise en place de politiques favorables à leur égard.
Histoire migratoire / histoire coloniale
On ne peut pas dater le début des migrations puisque le déplacement des populations démarre avec l’histoire de l’humanité. Mais on peut dire que le début des migrations modernes date du 15e siècle et de la colonisation, alors que les migrations contemporaines ont pour caractéristique de s’établir entre sociétés constituées autour d’un État. Ces dernières migrations sont aujourd’hui en général assimilées aux descendants des sociétés ex-colonisées et abordées à travers l’idée de diversité ou de différences culturelles. Pourtant, les migrations modernes et contemporaines sont en grande partie liées à l’expansion capitaliste et aux conséquences de la colonisation, dans la mesure où elles se combinent pour créer à la fois une émigration, d’Européens puis d’ex-colonisés, en quête de ressources, mais aussi des déplacements forcés de populations, en particulier dans le cadre de le traite transatlantique.
On peut parler aujourd’hui de renversement de flux migratoires.
Au cours du 15e siècle, les Européens — rappelons-nous Christophe Colomb bien sûr —, en particulier les Européens de l’Ouest et du Sud, émigrent vers l’Amérique surtout, toute nouvellement conquise. C’est le temps de la colonisation au sens fort, avec l’expansion marchande, la traite de populations africaines, la mise en main d’œuvre des populations locales et bien sûr le déploiement hégémonique des puissances industrielles, financières et militaires. Des millions d’européens se sont installés en Amérique puis dans d’autres régions du monde. Leur déplacement a été accompagné de déplacements forcés de populations surtout africaines.
Au début du 20e siècle, le mouvement migratoire s’est inversé, les anciens grands pays d’émigration, c’est-à-dire les pays européens d’où les gens partaient vers l’ailleurs, sont devenus des pays d’immigration. Les nouvelles migrations qui démarrent à cette époque ont suivi les anciennes lignes coloniales. Donc des Indien.ne.s ont commencé à arriver en Angleterre, alors qu’avant c’étaient les Anglais.es qui partaient en Inde, des Algérien.ne.s venaient en France alors que des Français.es partaient auparavant en Algérie, et ainsi de suite.
Ces migrations sont favorisées par l’émergence d’une division internationale du travail, qui canalise les migrants. Elles héritent des imaginaires et des savoirs construits par et pour la colonisation.
Naissance du racisme de couleur et de la supériorité blanche
Le racisme de couleur est né pendant la première phase des migrations modernes, qui a impliqué le déplacement de populations africaines en Amérique. C’est en effet au cours de cette période qu’il y a eu l’invention du racisme de couleur, nommé également racisme colonial, utile aux intérêts coloniaux.
Le racisme a historiquement existé dans différentes sociétés, l’esclavage aussi. Mais avant cette période, ces processus ne se basaient pas sur la couleur de peau. Cette dernière catégorie est une fabrique de la colonisation moderne, donc européenne, qui a distingué les humains entre « Blancs » et « Noirs». Autrement dit, cette catégorie (de couleur) n’est pas antérieure à la mise en place de l’esclavage transatlantique. Des populations sont devenues « noires » pendant la colonisation, alors que les colonisateurs se découvraient « blancs » et « supérieurs ». C’est en effet à cette période aussi qu’on fait remonter l’idée de supériorité européenne blanche. La supposée supériorité européenne se fabrique en désignant une supposée infériorité des sociétés conquises et des populations qui leur sont assimilées.
Ce processus de différenciation s’est longtemps basé sur « la race ». Tout au long de cette période du 15e jusqu’au début du 20e siècle, pendant laquelle des millions d’Européens se sont déplacés vers d’autres territoires du monde, c’est le racisme de couleur et le racisme colonial qui dominaient dans les discours légitimant les pratiques racistes et reconduisant la domination. Jusqu’au début du 20e siècle, la question de la différence culturelle n’est pas mise en avant. Mais elle va rapidement remplacer la race dans un contexte de migrations contemporaines caractérisées par l’importance des déplacements inter-étatiques de populations ex-colonisées. Ces déplacements se caractérisent par la division entre Étrangers et Nationaux, que les Européens qui se déplaçaient à travers le monde au cours des siècles précédents n’avaient pas subi – dans la mesure même où leur « rêve américain » ne nécessitait pas de contrôle (visa, carte de séjour, passeport, etc.) politique rigidifié. De la même manière que « les expatriés » d’aujourd’hui connaissent des privilèges en termes de libre circulation, que « les migrants » et « demandeurs d’asile » originaires des Suds ne possèdent pas par la seule nationalité.
Nouvelles différenciations et dominations
Le racisme se transforme plus ou moins et se considère parfois « respectable » surtout dans les situations de désignations de « différence culturelle ». En effet, il n’est plus acceptable de se baser sur la différence de couleur. Il s’agit de se référer à « la culture » (ce qui inclut « la religion), au lieu de « la race ». Or, cette « nouvelle » référence/différence est elle aussi historiquement construite dans le contexte colonial. Sa diffusion actuelle est facilité par l’imaginaire colonial.
En effet, la différence se pose dans des contextes de domination. Donc ceux et celles qui sont désigné(e)s comme différent(e)s sont « toujours » ceux et celles appartenant aux groupes minoritaires. Leur désignation se fabrique dans/par la domination et inclut la stigmatisation. Elles-ils deviennent ainsi différent(e)s par rapport à la référence, constituée par les majoritaires (les Blanc-he-s). Et dans ce domaine, tous les groupes sociaux n’ont pas les mêmes pouvoirs, à la fois de se nommer et de nommer les autres. Le pouvoir de classer, de nommer, construit des groupes différentes car elles ont des positions minoritaires et subalternes au sein de la société. Ces groupes sont du point de vue de la « race » des descendants des sociétés ex-colonisés, qui héritent donc de positions et de représentations construites et transmises depuis la colonisation. Ces représentations ré-utilisent en général les « mêmes » objets (« voile », « mariage forcé », « polygamie », etc.) isolés, particularisés et stigmatisés pendant la colonisation.
Désigner la différence, c’est légitimer la marginalisation, contrairement à ce que peut supposer le discours sur la tolérance ou le respect de la différence. La désignation de la différence sert à définir des actes et des rôles sociaux. Autrement dit, l’insistance sur la différence culturelle implique des formes d’exclusion. Puisqu’elles-ils sont différent-e-s, elles-ils ne peuvent pas être pleinement associé-e-s à la conduite de la société. Elles-ils ne peuvent pas assumer les rôles politiques, économiques, intellectuels, etc. que « nous » assumons : elles -ils doivent donc rester à leur place (de minoritaires au sein de la société).
Par exemple, lorsque dans le domaine du travail (social, culturel, etc.) on suppose que certaines personnes sont différentes, par leur religion ou par un autre aspect (leur habit, langue, appartenance à un territoire, etc.), c’est tout simplement pour qu’elles ne puissent pas être professionnelles comme les autres. Lorsqu’on suppose que les jeunes habitants des quartiers populaires ne peuvent pas avoir la « distance culturelle » nécessaire pour travailler avec d’autres jeunes de quartier populaire, c’est qu’on veut se maintenir le privilège d’être les professionnels qui veulent éduquer (ou aider) les « autres ». Ce processus d’exclusion a une principale particularité depuis le début des années 2000 : la référence aux droits des femmes.
Punir, sous prétexte de protéger les femmes
Pour mieux saisir les implications racistes de la désignation de « la différence culturelle », je reviens sur le contexte du début des années 2000. Pour la première fois en France, les questions des droits des femmes issues de l’immigration, mais aussi des femmes en général, ont été intégrées par les politiques publiques et migratoires. Des hommes politiques s’expriment clairement en faveur des « droits des femmes » en France et la construisent ce registre comme « une valeur nationale ». Or, cette « valeur » se fabrique dans un contexte de renouvellement des formes de contrôle en utilisant l’imaginaire colonial. La référence à certains objets dits culturels ou religieux (qui ont déjà fait l’objet d’une « obsession » dans les discours coloniaux, comme « le voile » ou « la polygamie ») constitue un outil d’exclusion, qui contribue à l’expression de schémas présentant des populations descendantes des sociétés ex-colonisées comme une menace.
En effet, la « nouveauté » dans ce contexte, c’est le ciblage des femmes (et donc de leurs hommes) surtout descendantes des anciennes colonies, qui sont parmi les plus fragiles économiquement en France, et le développement de la nécessaire protection de ces femmes contre leur culture, leur religion (et leurs hommes ou proches au sens large).
À ce moment, début des années 2000, la plupart des migrants sont des migrantes. Le principal outil de régularisation et d’accès au territoire européen [de façon « légale », ndlr], c’est le lien familial ou le mariage (avec un-e national-e ou un-e résident-e régulier ou européen-ne bénéficiant de ressources adaptées aux critères administratifs). Le discours dominant sur l’immigration passe de « l’homme travailleur immigré », historiquement cible de discours stigmatisants, à « la femme » qualifiée de « victime », qu’elle soit migrante assimilée au trafic d’êtres humains, donc à la prostitution, ou « musulmane » « victime » de « mariage forcé » ou de « voile ». Il s’agit d’un passage du travail (assimilé aux hommes) à la culture, en désignant les femmes (et leurs hommes) descendant-e-s des ex-colonies.
Un ensemble d’objets reliés à des « victimes » (venues d’ailleurs ou minoritaires en France) ont émergé par le haut, dans les discours d’hommes politiques et d’acteurs peu concernés au premier degré. Parmi ces principaux objets : le « voile », le « mariage forcé », la « traite des femmes » (la prostitution) et «la « polygamie ». Ce ne sont pas les femmes voilées elles-mêmes qui se sont mobilisées au départ pour dire : « Nous sommes victimes ! ». Ce ne sont pas les femmes prostituées étrangères sans-papiers qui se sont mobilisées pour dire : « Nous sommes victimes du trafic d’êtres humains ! » Ce ne sont pas les – supposées – femmes vivant en situation de polygamie (ou de bigamie, ce qui correspond aux rares cas possible en France et dans d’autres pays du monde), qui ont fait émerger la polygamie comme catégorie problématique dans les discours d’hommes politiques, comme Nicolas Sarkozy qui en a fait, dans un de ses discours, la cause des révoltes de novembre 2005. Ainsi, alors que l’ancien président Nicolas Sarkozy dénonçait dans sa campagne en 2007 « ceux qui veulent soumettre leur femme, ceux qui veulent pratiquer la polygamie, l’excision ou le mariage forcé, ceux qui veulent imposer à leurs sœurs la loi des grands frères, ceux qui ne veulent pas que leur femme s’habille comme elle le souhaite », son programme présidentiel ne faisait aucune référence à l’égalité femmes-hommes, comme le constate Sylvie Tissot (2007).
Les mobilisations de ces anti-voile, anti-prostitution, anti-mariage forcé ont redéfini différentes catégories assimilées à « la différence culturelle », en isolant certaines interprétations dominantes et souvent héritées de la colonisation, et ont abouti à introduire des transformations de la loi.
Pourtant, les objets « voile », « prostitution » et « mariage forcé » étaient absents des structures collectives où je menais moi-même mes travaux, au début des années 2000 (à Paris et dans sa banlieue proche). Je fais partie de celles et ceux que ça a étonné que des représentants de l’État parlent de problématiques comme le mariage forcé. Très soudainement, ce thème a émergé de la bouche du secrétaire d’État aux droits des femmes, mais aussi de celle de Nicolas Sarkozy, qui a proposé de mettre en place des dispositifs de contrôle du mariage forcé dans les consulats français au Sénégal, au Mali, en Algérie, en Tunisie, en Turquie, soit les principaux pays d’où sont originaires les migrants non-européens (et qui sont majoritairement musulmans).
Le voile aussi est devenu un problème. Sur le terrain, les femmes qui galéraient quotidiennement, qui venaient dans des associations, qui se mobilisaient pour leurs papiers ou contre les discriminations ne disaient pas que leur problème c’était le voile, la religion ou leur culture. Elles avaient d’autres explications pour désigner les problèmes qui se posaient à elles et qu’elles combattaient parfois en soutien avec des militantes et des travailleurs sociaux conscients du décalage entre les discours dominants et ce qui se joue sur le terrain.
Les discours sur les trois objets sont différents. Ils ont été construits par des acteurs qui ne se rencontrent pas forcément. Or, ils évoquent tous l’idée de soumission à une religion, une magie (dans le cas de « traite des femmes », à des cultures différentes et donc à des hommes qui sont ainsi construits comme une menace en France. Dans ces trois discours, on retrouve l’idée de danger : contre les valeurs de la République (la laïcité, les droits des femmes, etc.) ou contre les frontières françaises européennes. Des acteurs se sont posés en experts sur les trois sujets. Des expert-e-s pour parler du voile, de la soumission des musulmanes, sans celles qui se définissent comme musulmanes. Des expert-e-s, qui ne sont pas forcément les mêmes, qui vont parler des « pauvres victimes », surtout africaines (subsahariennes et anglophones) qui ne bénéficient ni de « papiers » ni de soutiens de communautés importantes en France. Des expert-e-s qui s’auto-désignent en faveur de la sortie de la prostitution, du retrait du voile ou du refus du mariage dit forcé, alors que les mobilisations collectives ainsi que les témoignages de « musulmanes » ou de « prostituées » étrangères soulèvent surtout les questions d’accès aux droits (séjour, libre circulation, etc.) et à l’égalité (à travers notamment la lutte contre les discriminations mises en place dans les institutions majoritaires, et non pas par la famille, le père, le mari, la religion ou la culture).
Dans ces trois registres, des structures associatives vont se saisir de ces sujets, bénéficier de subventions, y compris pour faire des rapports institutionnels qui sont aujourd’hui très critiqués, par exemple sur les chiffres des mariages forcés ou ceux sur la traite des femmes en France.
Ainsi, alors que les débats dominants se réclament des droits des femmes, ils ont eu des réponses pénales de contrôle, d’exclusion ou d’expulsion. Par exemple, après l’adoption de la loi Nicolas Sarkozy pour la sécurité intérieure, on a observé sur le terrain l’augmentation du nombre d’expulsions de prostituées sans-papiers, essentiellement des Nigérianes. L’ancien Ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, a en effet justifié l’expulsion de femmes sans papiers du territoire français par les « droits des femmes »: « Que l’on ne vienne pas m’expliquer que je fais une mauvaise action en raccompagnant chez elle une personne qui se trouve dans un pays qu’elle ne connaît pas, où elle est exploitée par des proxénètes sous la contrainte de la violence ! » (Sénat, 14 novembre 2002) .
Ces débats sont parvenus à écarter les thèmes de la justice, de la mobilité, de la libre circulation de tous les individus et ont défini, dans les faits, des pratiques d’exclusion, y compris dans des espaces qui se réclament de l’égalité. Du jour au lendemain, ces espaces, comme par exemple des espaces féministes, ont commencé à débattre sur le fait d’accepter ou non une femme voilée. Tolérer ou non dans les manifestations du 8 mars [lors de la journée internationale des droits des femmes ndlr] des prostituées ou des femmes voilées. Par exemple, au cours de la manifestation du 8 mars 2008, il y a eu une mobilisation de certaines féministes (« blanches » et représentantes d’une structure collective) pour faire sortir du défilé (parisien) à la fois les prostituées et les femmes voilées.
Les débats sur ces thèmes « culturels » ou « religieux » (et « sexuels ») ont globalement amené à intégrer les points de vue favorables aux choix étatiques. Ce ne sont pas les féministes anti-racistes qui ont été entendu(e)s par les politiques qui voulaient décider de la Loi contre les signes religieux. Ni les féministes pro-prostituées (et non pas prostitution) qui ont été entendu-e-s dans les réformes concernant la prostitution. Les chercheures critiques sur « le mariage forcé » ont également été peu entendues dans les actions étatiques autour de ces divers sujets qui reconduisent la frontière entre le « nous » (« femmes émancipées » vivant avec des hommes majoritaires dans des sociétés « occidentales ») et le « eux-elles » (femmes « victimes » d’hommes « étrangers » particulièrement sexistes).
Cette vision binaire n’est pas nouvelle. Elle caractérise l’idéologie coloniale. Dans les années 1930, l’une des principales questions que posaient les journalistes français aux politiques marocains, c’était : « Est-ce que vous pouvez être féministe ? », alors que le féminisme était radicalement exclu en France. Ils demandaient aussi : « Êtes-vous pour la polygamie ? ». Le colonialisme se présentait comme favorable aux droits des femmes, alors qu’on leur laissait peu de moyens : en Algérie comme au Maroc, la scolarisation des filles a été généralisée au cours de l’indépendance. Et la dénonciation des inégalités entre les hommes et les femmes, dans les sociétés colonisées, servait surtout à affirmer la supériorité du colonisateur et à légitimer la colonisation. Le colonialisme a inventé, en quelque sorte, l’idée de sauver les femmes, qui étaient représentées comme recluses, soumises et victimes d’hommes ou de cultures archaïques. Cette idée a été diffusée de différentes manières, dans différents écrits et productions (art, littérature, etc.). Elle nourrit les imaginaires coloniaux sans transformer les positions des femmes en faveur de l’égalité.
J’ai donc soutenu l’idée que l’utilisation actuelle et majoritaire des droits des femmes de l’immigration porte l’empreinte de l’histoire coloniale. Elle sert à instrumentaliser la référence aux femmes, pour mieux les exclure, tout en légitimant le rejet de leurs hommes. Le contexte français du début des années 2000 a fait passer les femmes de l’immigration, qu’elles soient migrantes ou descendantes de l’immigration, du statut de victime, qui a été historiquement assigné à leurs mères, à celui de victime-coupable. Victimes-coupables de transgression des « valeurs de la République », la laïcité ou
Ce texte est issu du discours de Nasima Moujoud le 8 décembre à Grenoble, dans le cadre du cycle « Que reste-t-il du passé colonial?", qui s’est tenu à l’Université populaire de la Villeneuve 2017-2018.
les droits des femmes, ou de transgression des frontières. Leur transformation en « victimes-coupables » légitime le maintien des discriminations qu’elles subissent ainsi que le refus des revendications d’égalité qu’elles demandent en France. Ce processus a en effet légitimé l’expulsion de femmes (sans papiers, notamment africaines) du territoire français mais aussi l’exclusion de jeunes femmes de l’école. Avec pour conséquence aujourd’hui, la discussion, dans certains espaces, de sujets comme « Faut-il accepter des stagiaires voilées ? », ce qui dépasse le cadre de la loi. Or, il ne suffit pas d’enlever le voile, ou de se réclamer d’une valeur majoritaire, pour ne pas être discriminée. Le voile est tout simplement devenu l’un des outils faciles pour justifier le racisme, alors que ce processus ne se limite ni à l’habit ni aux signes dits religieux. Sortir de la religion et de la culture nous permettra de mieux comprendre le racisme ainsi que les nouvelles divisions et formes de contrôle dans la société actuelle.
Notes
TISSOT, Sylvie, 2007, Bilan d’un féminisme d’Etat. De Ni putes ni soumises aux lois anti-voile, Plein Droit, www.gisti.org/spip.php?article1072
FANON, Franz, l’An V de la révolution algérienne, Paris, La Découverte, 2011 [1959].