Jean-Marie COLLIN, France, juin 2017
La Convention d’interdiction des armes nucléaires : de la négociation au premier « draft »
La première session de négociation
Le 23 décembre 2016, le vote de la résolution L.411 à l’Assemblée générale de l’ONU (AGNU), à une large majorité, a ouvert la voie à une conférence « ayant pour objectif la négociation d’un instrument juridiquement contraignant visant à interdire les armes nucléaires en vue de leur élimination complète ». Conformément au calendrier prévu, le premier cycle de négociations a réuni aux Nations unies (New York), du 27 au 31 mars, en moyenne plus de 115 États par jour (pour atteindre le chiffre de 132 lors de la dernière journée) et des organisations de la société civile pour débuter ce processus.
Cette très forte participation, sous la présidence de Elayne Whyte, Ambassadeur du Costa Rica, a montré la volonté des États de poursuivre leur action engagée à travers le processus de l’initiative humanitaire. Notons une grande présence des États sud-américains, africains, asiatiques et du Moyen-Orient. Côté Europe : l’Autriche, Chypre, l’Irlande, le Lichtenstein, Malte, la Suède, la Suisse, Saint-Marin, le Saint-Siège et une délégation du bureau des affaires étrangères de l’UE étaient présents ; sans compter les visites au fond de la salle impromptues (mais non retenues) de diplomates de différents États d’Europe centrale.
L’absence, sans surprise, des neuf États possédant des arsenaux nucléaires et de leurs alliés bénéficiant d’une dissuasion élargie ne vient en rien relativiser le rôle et l’impact politique de cette première session :
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Les États-Unis ont, dans une volonté de dramatiser ce processus, provoqué le jour de l’ouverture (27 mars) une conférence de presse. L’ambassadrice américaine Nikki Haley2 indiqua que comme « mère », il était aujourd’hui dangereux d’interdire les armes nucléaires, celles-ci protégeant la sécurité de ses enfants et de sa nation. Des arguments d’une grande faiblesse et qui en plus résonnent comme un appel à la prolifération nucléaire. Cette démarche, malgré une forte pression américaine fut refusée part des États alliés majeurs (comme la Belgique et le Canada) preuve d’un certain mal-être.
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La Russie avait fait part de sa frustration à l’égard de ceux qui voulaient imposer cette négociation dans un autre forum3 que la Conférence du désarmement (CD) lors du vote de la L41.
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La France4 (également au nom du Royaume-Uni et des États-Unis) avait indiqué dans son explication de vote de la L41, être « consternée par le fait que le débat sur le désarmement ait pris une telle direction » et être « ouverte à tous autres canaux de discussion ».
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La posture ambiguë de la Chine s’est confirmée, après son vote d’abstention de la L41, par une annonce du président Xi (18 janvier 2017, ONU, Genève) que « les armes nucléaires devraient être totalement interdites et détruites afin de construire un monde sans armes nucléaires » et son absence à cette négociation. S’il semble que Pékin ait subit des pressions pour assurer sa non-participation, il faut mentionner que la Chine a toujours été pour une démarche progressive de désarmement nucléaire dans le cadre de la CD ou le consensus est la règle d’or…
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Parmi les quatre autres États possédant des armes nucléaires, Israël est resté muet, contrairement à la Corée du Nord. Bien que cet État ait voté en faveur de la L41 en octobre 2016, un porte-parole de son ministère des Affaires étrangères précisa le 31 mars qu’en raison de « la nécessité de renforcer ces capacités de légitime défense avec une force nucléaire en raison de l’attitude agressive des États-Unis, la RPDC ne peut participer à cette conférence »5.
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Concernant l’Inde et le Pakistan, malgré un vote d’abstention sur la L41 et une participation à une réunion (16 février 2017) informelle de préparation, ils ne furent pas présents. New Delhi prit soin de mentionner le 28 mars à la CD que cette instance est le seul « bon endroit pour la poursuite du désarmement nucléaire » car seul « le mandat, l’adhésion et les règles pour s’engager sur le chemin du désarmement nucléaire » y sont réunis.
Deux États opposés à ce processus ont été présents. Le Japon, qui n’est resté que le premier jour, pour indiquer sa difficulté à « participer à cette Conférence de manière constructive et de bonne foi » mais aussi pour souligner que « ce futur traité compromettrait les mécanismes de désarmement existant et approfondirait le schisme entre les États qui ont et ceux qui n’ont pas d’arme nucléaire ». Les Pays-Bas, disposant d’armes nucléaires américaines sur leur territoire, sous la pression de son Parlement a été le seul État de l’OTAN présent.
Nous devons retenir de la seule déclaration de son représentant une phrase qui raisonne comme un aveu de l’importance de ce traité : « Les Pays-Bas souscrivent à l’objectif d’un monde sans armes nucléaires et peuvent soutenir la notion d’instrument juridiquement contraignant interdisant les armes nucléaires en tant qu’élément d’un monde exempt d’armes nucléaires. »
Tous les autres États de l’OTAN ou encore sous protection nucléaire américaine (comme l’Australie) étaient absents. Si l’on prend le cas de la Belgique, le ministre des affaires étrangère Didier Reynders avait dans une réponse à une question du député Dirk Van der Maelen6 stipulé son opposition à une « interdiction immédiate » des armes nucléaires et mentionné (17 janvier 2017) que Bruxelles ne participerait pas « aux négociations, sauf bien entendu, s’il se dessinait un mouvement significatif au sein du groupe de nos partenaires – les États membres de l’Union européenne et de l’Alliance atlantique – allant dans le sens d’une participation ». Une position ferme mais flexible…
Le premier draft
La publication d’un projet d’une « Convention d’interdiction des armes nucléaires »7 est une avancée rapide et incontestable pour promouvoir le désarmement nucléaire et une victoire des États promoteurs de l’initiative humanitaire. Cette large fronde s’est en effet mobilisée depuis 2010 (notamment à travers la série des conférences sur l’impact humanitaire des armes nucléaires8) pour prendre en main « la course » vers un monde sans armes nucléaires consciente que toute détonation nucléaire (lors d’un acte de guerre, d’un accident ou d’un acte terroriste) affecterait la sécurité de leur population, de leur environnement, de leur économie et culture. Peu de monde aurait en effet parié en 2010 sur la faisabilité que l’ONU organise cette négociation sept années plus tard. La rapidité de ce processus est incontestablement due à une volonté forte d’États leaders (Autriche, Mexique, Irlande, Costa Rica, Afrique du Sud) et de la force de conviction de l’ambassadeur E.
Whyte qui a mentionné lors de la clôture de cette première session (en espagnol et en anglais) sa détermination à remplir le mandat donné par l’Assemblée générale des Nations unies et l’urgence d’adopter un texte au soir du 7 juillet, date de la fin de cette négociation. L’absence des États disposant d’armes nucléaires et de la majorité des États bénéficiant d’un parapluie nucléaire, n’a donc en rien altéré le travail qui a été accompli dans une ambiance constructive et avec l’expertise de la société civile9.
Le préambule
Conformément à une volonté importante, qui a été soulevée lors du premier round, le préambule qui décrit les interdictions et obligations positives est un texte fort qui servira aussi par la suite « d’outil de communication » pour permettre une popularisation du texte.
Le premier alinéa est à l’image des raisons d’être de ce processus qui souligne « les conséquences humanitaires catastrophiques qui résulteraient de toute utilisation d’armes nucléaires et la nécessité de faire tous les efforts pour s’assurer que les armes nucléaires ne soient jamais utilisées en aucune circonstance ». C’est l’expression « toute utilisation » qui est employée, regroupant de fait un usage militaire (une guerre), accidentel ou dû à un acte terroriste. De plus, cette notion est répétée (al.5) en précisant que cet usage serait contraire à la règle « du droit international applicable dans les conflits armées » et en particulier contraire aux principes et aux règles du droit international humanitaire (DIH). Ici est particulièrement visé le fait que tout usage d’arme nucléaire serait non discriminatoire puisque les populations civiles seraient aussi ciblées.
Le fait d’inscrire la notion « en aucune circonstance » marque aussi une limite claire avec l’argumentation généralement utilisée par les tenants de la dissuasion, qui affirment qu’un usage ne sera jamais réalisé sauf pour assurer leur légitime défense ; tel que la par exemple décrit le président Hollande10 dans son discours en 2015 sur la dissuasion.
Le second alinéa vient souligner l’impact humanitaire des armes nucléaires. Il est ainsi repris des aspects des conclusions émises aux conférences d’Oslo, de Nayarit11 et de Vienne : « les conséquences catastrophiques des armes nucléaires dépassent les frontières nationales, impliquent de graves conséquences pour la survie humaine, l’environnement, le développement socioéconomique, l’économie mondiale, la sécurité alimentaire ». Il faut noter l’inclusion du concept « de générations futures », tout comme de la présence de la notion du genre (directement affirmé dans l’article 6). Des notifications qui viennent à la fois renforcer de nouvelles perspectives juridiques12 mais aussi souligner un fait, celui des effets (sanitaires et humanitaires) beaucoup plus importants sur les femmes en cas d’usage de ces armes. La souffrance et l’horreur causées par l’emploi des armes atomiques sont soulignées avec l’emploi du mot « Hibakusha » (les victimes japonaises des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki) et la reconnaissance des « victimes des essais nucléaires » ; une prise en compte attendu par la communauté des ONG.
Les alinéas 8 et 9 affirment, quant à eux, que l’interdiction des armes nucléaires est une « contribution importante au désarmement nucléaire complet », celui-ci devant être poursuivi avec « d’autres mesures » pour permettre « l’élimination des arsenaux nationaux d’armes nucléaires et de leur vecteurs ». La conclusion d’un Traité d’interdiction de production de matières fissiles en serait un exemple. Tant redouté par les détracteurs de cette initiative, le lien et l’importance du TNP sont au coeur de ce préambule à la fois par la reprise de la notion de « bonne foi » (article 6 du TNP) et en « réaffirmant l’importance cruciale » du TNP comme « pierre angulaire du régime international de non-prolifération nucléaire et fondement essentiel pour la poursuite du désarmement nucléaire ». De même le TICE et les traités régissant des zones exemptes d’armes nucléaires sont inscrits comme « un élément central » et des « contributions […] au renforcement du régime de non-prolifération nucléaire et à la réalisation de l’objectif du désarmement nucléaire ».
Renforcer le langage du préambule
Un projet n’est qu’une première ébauche et il est normal que le texte ne soit donc pas pleinement satisfaisant. Il est nécessaire que le langage adopté soit le plus fort possible et n’engendre aucun vide juridique.
Depuis le lancement de l’initiative humanitaire, de nombreux chercheurs et ONG ont montré que les armes nucléaires posaient de nombreux dangers et qu’à différentes reprises des accidents13 avaient été évités grâce au facteur chance. De ce fait, la présence de la notion du « risque » devrait trouver sa place à la suite du premier paragraphe du préambule. Au second paragraphe, la notion « d’écocide » pourrait être ajoutée soulignant ainsi encore plus fortement le danger qui pourrait résulter de l’usage de cette arme. Le troisième paragraphe relatif aux Hibakushas et aux victimes des essais nucléaires, nécessite aussi une référence sur les effets intergénérationnels des essais nucléaires, permettant de souligner que ces essais continuent d’avoir des conséquences dans le temps sur la santé humaine. Enfin, il serait souhaitable de reprendre les termes exacts de la conclusion faite lors de la première conférence sur l’impact humanitaire des armes nucléaires à Oslo : « Il est peu probable qu’un État ou un organisme international puisse réussir à faire face à l’urgence humanitaire provoquée par une explosion d’arme nucléaire et à apporter une assistance suffisante aux personnes touchées. D’autre part, il peut s’avérer impossible de mettre en place les capacités nécessaires, même si des efforts sont faits pour y parvenir »14.
Le paragraphe 8 précise l’importance du rôle de l’interdiction des armes nucléaires pour parvenir au désarmement nucléaire complet. Cette phrase pourrait être complétée en incluant le lien sur l’arrêt des dépenses pour les arsenaux nucléaires et les Objectifs du développement durable : « Ayant à l’esprit que […] en réorientant les dépenses en matière d’armes nucléaires, ce serait une étape importante pour parvenir à l’achèvement des Objectifs du développement durable ».
L’avant-dernier paragraphe qui mentionne que le TNP est la pierre angulaire du régime de non-prolifération, pourrait aussi réinscrire cette phrase issue du document final de la conférence de révision de 2000 pour renforcer une nouvelle fois le lien entre le TNP, l’interdiction et l’élimination de ces armes : « L’engagement sans équivoque de la part des États dotés d’armes nucléaires à parvenir à l’élimination complète de leurs armes nucléaires et par là même au désarmement nucléaire que tous les États parties se sont engagés à réaliser en vertu de l’article VI. » De même, s’il est inscrit l’importance des zones exemptes d’armes nucléaires, il est nécessaire de rajouter l’existence d’un État exempt d’armes nucléaires ; même si ce cas est à ce jour unique avec la Mongolie. Enfin le dernier paragraphe relatif au « rôle de la conscience publique » devrait faire une référence explicite à l’éducation en matière de désarmement et de non-prolifération. Egalement, ce paragraphe qui mentionne le rôle du Comité international de la Croix-Rouge et de l’ONU devrait sans aucun doute comporter une référence explicite à la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires (ICAN) en raison de son implication dans ce processus. Ce fut ainsi le cas pour les Conventions sur les mines antipersonnel et sur les armes à sous-munitions où il est fait référence respectivement à la Campagne internationale pour l’interdiction des mines antipersonnel et à la Cluster Munition Coalition, du fait de leur leadership dans la société civile.
Lors des débats réalisés avec des représentants de la société civile, le scientifique Zia Man a proposé l’inscription d’une disposition sur les lanceurs d’alerte, en rappelant l’histoire du scientifique israélien Mordechai Vanunu, qui dévoila en 1986 dans un quotidien britannique l’existence du programme nucléaire d’Israël et écopa de 18 ans de prison. Il apparaît compliqué de pouvoir retranscrire une telle demande dans un article, car la définition de « lanceur d’alerte » est loin d’être la même à travers le monde (voire inexistante dans certains États), mais spécifier le rôle de ces personnes – dans le préambule – serait une reconnaissance et une prise en compte de leur action par la communauté internationale.
21 articles pour interdire les armes nucléaires
La Convention est assez courte avec un total de 21 articles. L’article 1 décrit les « obligations principales » par le biais desquelles un État partie s’engage, en aucune circonstance, à ne jamais :
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(A) développer, produire, fabriquer, acquérir, posséder ou stocker des armes nucléaires ou d’autres explosifs nucléaires ;
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(B) Transférer des armes nucléaires ou tout autres dispositifs explosifs nucléaires ou contrôler ces armes ou ces engins explosifs directement ou indirectement ;
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(C) Recevoir le transfert ou le contrôle des armes nucléaires ou d’autres explosifs nucléaires directement ou indirectement ;
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(D) Utiliser des armes nucléaires ;
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(E) Effectuer tout essai d’arme nucléaire ou de tout autres explosifs nucléaires ;
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(F) Aider, encourager ou susciter de quelque manière que ce soit des personnes à s’engager dans une activité interdite à un État partie en vertu de la présente Convention ;
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(G) Chercher ou recevoir de quelque manière que ce soit, de toute personne à engager une activité interdite à un État partie en vertu de la présente Convention.
Dans son second alinéa, les États s’engagent à interdire et à prévenir sur leur territoire ou dans tout endroit relevant de leur juridiction ou de leur contrôle :
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A) Tout stationnement, installation ou déploiement d’armes nucléaires ou d’autres explosifs nucléaires ;
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B) Toute explosion d’un essai d’arme nucléaire ou toute autre explosion nucléaire.
L’article 2 (« Déclaration ») dispose que l’État déclare, au plus tard 30 jours après l’entrée en vigueur de la convention« s’il a fabriqué, possédé ou autrement acquis des armes nucléaires ou d’autres explosifs nucléaires après le 5 décembre 2001 ». Cette date correspond au septième anniversaire du Traité conclu entre les États-Unis et l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) sur la réduction et la limitation des armements stratégiques offensifs (START). Un traité entré en vigueur le 5 décembre 1994. Ce « septième anniversaire » correspond plus précisément au fait que les trois anciennes républiques soviétiques (la Biélorussie, le Kazakhstan et l’Ukraine) disposaient de ce délai maximum pour faire rapatrier sur le sol russe les armes stratégiques en leur possession comme le Protocole de Lisbonne (lui signé en 1992, mais n’entrant en vigueur qu’à la date du traité START) les y engageaient. Nous aurions donc « un avant » et un « après 2001 » où seraient distingués les États possédants15 des États ayant possédés16 des armes nucléaires. La question des garanties (article 3) est essentielle pour l’efficacité du Traité et est complétée par une annexe. La Convention donne actuellement la possibilité aux États qui possèdent des armes nucléaires soit de la rejoindre une fois leurs arsenaux éliminés (article 4 « mesures pour les États qui ont éliminé leurs armes nucléaires »), ou de la rejoindre (article 5 « Mesures pour les situations non couvertes par l’article 4 ») avec leurs arsenaux, tout en proposant des mesures efficaces visant un désarmement nucléaire étudiées lors d’une conférence de révision.
L’article 13 (universalité) exige que chaque État partie encourage les États qui ne sont pas parties à la Convention à en devenir membre. Cette Convention sera donc clairement à la fois un instrument juridique pour interdire les armes nucléaires et un outil politique permettant d’exercer des pressions sur les États disposant d’armes nucléaires et bénéficiant d’une dissuasion élargie.
L’entrée en vigueur (article 16) de cette Convention se fera à partir du dépôt du quarantième instrument de ratification. Lors des débats, la Suède était en faveur d’un nombre de signataires assez élevé (80) contrairement à la Malaisie (souhaitant un nombre correspondant au tiers des États présents soit entre 30 et 40), le Mexique et les Philippines avaient proposé le chiffre de 30 et 25 pour le Guatemala.
Ce nombre de 40 correspond à celui retenu pour l’entrée en vigueur du Traité sur le commerce des armes (TCA), de la Convention sur les mines antipersonnel, du TNP (plus les trois États dépositaires). Un nombre plus faible (30) avait cependant été retenu pour la Convention sur les sous-munitions, et respectivement de 22 et de 65 et pour les Conventions sur les armes biologiques et chimiques.
L’article 18 énumère quant à lui les conditions de retrait. On peut s’étonner de la présence d’un tel article, signifiant alors qu’un État puisse avoir l’intention de se doter d’un programme nucléaire militaire. Ce droit ne peut être néanmoins refusé selon la Convention de Vienne sur le droit des traités. Fort logiquement (article 20) c’est le secrétaire général de l’ONU qui sera le dépositaire de cette convention.
Renforcer les articles pour éviter tout échappatoire
L’article 1 al.A, « obligations générales » se devrait d’être complété avec des notions précises relatives à l’interdiction de réaliser des programmes d’essais nucléaires par simulation. En effet, le TICE n’interdit pas ce type d’expérience scientifique, ce qui donne le droit aux États de poursuivre leurs recherches et de maintenir à niveau les capacités d’expertises de leurs scientifiques. Si la notion de développement est assez vague, il faut souligner que les États dotés indiquent réaliser des programmes de modernisation et non pas de développement ce qui serait alors en contradiction direct avec le TNP.
Ainsi, pour englober ces nombreux aspects et renforcer simultanément le TNP et le TICE, il serait nécessaire d’inscrire « qu’un État s’engage, en aucune circonstance, à ne jamais : moderniser, rechercher (via un supercalculateur, une installation de fusion avec confinement inertiel, une installation radiographique, une expérience sous-critique) ». Notons également que la notion de transit est absente, mais qu’une telle interdiction semble difficile à faire respecter. Comment interdire à un sous-marin nucléaire lanceurs d’engins d’entrer dans une zone, quand la nature même de ce sous-marin fait qu’il est « invisible ». Comme l’Autriche l’a souligné à la première session, un État serait-il aussi désigné et tenu responsable de la violation de la Convention si des armes nucléaires traversent son territoire sans avoir été au courant ? Si cette notion devait être transcrite (mais peu de chance), alors il faudra préciser que le transit est justifié uniquement quand celui-ci est nécessaire pour le processus de démantèlement des armes. L’alinéa D ne fait référence qu’à l’interdiction de l’usage des armes nucléaires, or il est nécessaire de rajouter également une interdiction d’usage pour les « autres dispositifs nucléaires explosifs ».
L’article 1, al.F est actuellement volontairement vague. La notion d’assistance pouvant aussi bien inclure le fait de financer17 des entreprises d’armement qui travailleraient sur des systèmes nucléaires ou leurs vecteurs. Cette notion d’interdiction de financement est volontairement absente du projet, car elle représenterait un réel frein18 à son adoption rapide.
Même si cela a fait peu débat, l’absence d’une définition (qui devrait être l’article 2) d’une arme nucléaire (par arme on entend l’ogive) comme de « dispositif nucléaire explosif » dans une Convention qui créait une interdiction sur ces systèmes est surprenant. À première vue, cela pourrait ne pas poser de difficulté, après tout le TNP comme le TICE ne donnent pas de définition d’une arme nucléaire ; contrairement à la plupart des zones exemptes d’armes nucléaires. Si l’on reprend la définition du Traité de Tlatelolco, on entend par arme nucléaire « tout dispositif susceptible de libérer de l’énergie nucléaire de manière non contrôlée, et qui possède un ensemble de caractéristiques propres à l’emploi à des fins belliqueuses. L’engin pouvant servir au transport ou à la propulsion du dispositif n’est pas compris dans cette définition, s’il peut être séparé du dispositif et ne fait pas partie intégrante de celui-ci ». Il est certain que vouloir donner une définition, qui deviendrait la définition de référence, entrainerait un débat scientifique et politique profond avec le risque futur que les puissances nucléaires ne l’acceptent pas et le risque de prolonger des débats sans fin… Une solution, pour éviter tout possible vide juridique futur serait peut-être d’indiquer, que ce système d’arme a été défini à travers les différents traités exempts d’armes nucléaires (qui de fait sont acceptés par les puissances nucléaires signataires de ces traités).
Une mention sur la présence d’une définition dans le Traité de Bruxelles modifié19 pourrait également renforcer cet article, sa définition étant plus scientifique : « L’arme atomique est définie comme tout arme que contient ou est conçue pour contenir ou utiliser un combustible nucléaire ou des isotopes radioactifs et qui, par explosion ou autre transformation nucléaire non contrôlée ou par radioactivité du combustible nucléaire ou des isotopes radioactifs, est capable de destruction massive, dommages généralisés ou empoisonnements massifs. Est, en outre, considéré comme arme atomique, toute pièce, tout dispositif, toute partie constituante ou toute substance, spécialement conçu ou essentiel pour une arme définie [précédemment] au paragraphe (a). »20 Mais reste la question de définir ce qu’est un autre dispositif nucléaire explosif.
Le choix de la date (5 décembre 2001) utilisée dans l’article 2 semble assez contestable. D’une part, les débats de la première session n’ont jamais fait référence à une quelconque référence dans le temps et d’autre part on peut s’interroger sur le choix de cette date. Ainsi, pourquoi ne pas retenir soit la date de l’accord de cette Convention (7 juillet 2017), ou celle du 26 septembre 2014 (résolution de l’AGNU A/RES/68/32), qui fut la première Journée internationale pour l’élimination totale des armes nucléaires ; à moins plus simplement de ne pas spécifier de date.
Il y a une sorte de consensus pour dire que l’article 3 est assez faible, notamment avec l’absence de références directes à l’AIEA, comme futur acteur pour réaliser ces vérifications et le besoin de s’appuyer sur un système de garantie au standard le plus élevé tel que le représente le protocole additionnel21. Cependant, il ne faut pas occulter22 que tous les États négociant cette Convention sont membres du TNP et sont donc, selon son article 3, soumis à l’obligation d’accepter le processus de garantie de l’AIEA. Enfin 94 de ces 130 États sont, de plus, membres de ZEAN qui inclut un autre accord de garanties avec l’AIEA.
Le processus actuel de l’article 4 repose sur le concept « Afrique du Sud plus ». En effet l’Afrique du Sud a rejoint le TNP en 1991 comme État non doté, ayant procédé auparavant dans le plus grand secret à l’élimination de son arsenal nucléaire. Ce processus laisse la liberté à un État de réaliser par lui-même le démantèlement de son arsenal et de ses infrastructures. Mais à l’aune de l’expérience sud-africaine, on sait que les actions de vérifications de l’AIEA seront longues et compliquées pour garantir une élimination totale des moyens nucléaires militaires. En effet, il aura fallu attendre 19 ans23 pour avoir la certitude que toute la capacité nucléaire sud-africaine est à usage purement pacifique. Cette option pourrait cependant être pour Israël la plus simple politiquement, lui permettant de rester en accord avec sa doctrine ambigüe de ne jamais avoir confirmé sa possession d’arme nucléaire.
L’article 5, qui s’adresse, aux États qui rejoindraient la Convention avec leurs arsenaux nucléaires nécessite des précisions. Tous d’abord en indiquant que ces États pourraient apporter des propositions pour d’autres mesures efficaces concernant le désarmement nucléaire, il est nécessaire que ce langage soit plus strict, car dans le cas contraire des États pourraient présenter des actions sans calendriers et objectifs précis. Il est ainsi impératif que d’une part, ce mécanisme additionnel comprenne une acceptation des interdictions prévues selon l’article 1 et une obligation de destruction des stocks avec une échéance précise (comme c’est le cas par exemple pour la convention sur les armes à sous-munitions).
L’article 6 porte sur l’assistance et le droit aux victimes, mais reste assez imprécis sur les modalités d’exécution de cette aide (alinéa 1), ainsi que sur les moyens à mettre en place pour réhabiliter un environnement contaminé (alinéa 2). Cet article pourra entraîner des obligations directes envers les États qui (dans un premier temps) ne seront pas membres de cette Convention.
En effet, il est possible d’imaginer par exemple que l’Algérie demande à la France une assistance pour les populations malades et une aide pour nettoyer les zones contaminées (de Reggane et In Ekker) par les 17 essais nucléaires atmosphériques et souterrains24 réalisés entre 1960 et 1966…
Selon l’article 17, les articles de cette Convention ne peuvent pas faire l’objet de réserve, mais rien n’est notifié pour les annexes. Sans doute serait-il donc souhaitable que les éléments actuels de l’annexe soit directement intégrés dans l’article 3 afin d’éviter toute discussion juridique future25 sur le droit ou non de déposer des réserves. L’article 18, relatif au droit de retrait, n’est pas assez dissuasif. Ainsi, il devrait être inclus la notion de menace à la paix et à la sécurité internationale et de passer le préavis de retrait de trois à six mois (comme c’est le cas dans le TICE), pour que le futur secrétariat en charge de cette Convention et le Conseil de sécurité des Nations unies puissent réaliser les vérifications nécessaires à l’utilisation de ce droit.
L’article 19 pose aujourd’hui dans la manière dont il est retranscrit un problème de compréhension. En effet, cet article dispose que la Convention « n’affecte pas les droits et obligations des États parties en vertu du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires ». Il ne faudrait pas qu’en première lecture, il soit compris qu’un droit de possession d’un arsenal aux États dotés d’armes nucléaires soit reconnu. Il serait ainsi opportun de rajouter à cette phrase « ainsi que celles prises dans les différents documents finaux adoptés par consensus lors des conférences de révisions passées et à venir ».
Conclusion
La seconde session qui débutera le 15 juin permettra de renforcer et de compléter ce premier projet, de nombreux éléments demandant à être renforcés pour éviter tout vide juridique futur ou une double lecture juridique de certains articles. Aura-t-on ou pas une Convention au soir du 7 juillet approuvée par une large majorité du monde ? Vu le dynamisme de la première session tout semble possible.
Une chose est certaine, en 2012, le renommé diplomate canadien Douglas Roche écrivait « les principaux représentants de gouvernement [en faveur du désarmement] et les grandes ONG doivent maintenant se réunir et joindre leur travail avec une intention concrète pour atteindre une interdiction légale de toutes les armes nucléaires. […] Une loi complète contre les armes nucléaires (appelez-la une Convention ou un cadre d’instruments ou comme vous voulez) doit être construite avant que le mécanisme de désarmement nucléaire, maintenant abruti et sclérosé, se décompose complètement. Ce seul message – interdire les armes nucléaires – doit résonner dans les deux camps. »26 Quatre années plus tard, sa pensée est devenue réalité. Seule reste pleinement en suspend la réaction des puissances nucléaires : vont-elles encore protester comme le 27 mars 2017 ? Vont-elles toutes pratiquer la politique de la chaise vide, où est-ce que l’une d’elle saisira l’opportunité d’apparaître comme un leader du désarmement nucléaire multilatéral ?
Notes
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Cette note d’analyse a été rédigée pour le Think Tank Belge Le GRIP et est disponible sur leur site en cliquant ici.
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1Collin Jean-Marie, « L’Assemblée générale de l’ONU ouvre la porte à un traité d’interdiction des armes nucléaires », Note d’Analyse du GRIP, 9 décembre 2016, Bruxelles.
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2Liste complète : goo.gl/VC6yGq
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3Intervention de la Russie, Débat général de la première commission, 4 octobre 2016.
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4Guitton Alice, Ambassadeur de France, « Explication de vote L41 : Faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire », 71e Assemblée générale des Nations unies, Première commission, 27 octobre 2016.
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5« DPPK not to attend UN nuclear conference », Pyongyang Time, 30 mars 2017.
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6Lettre d’information parlementaire n°22, 2017, publiée par le PNND France et l’Observatoire des Armements.
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7Disponible sur : www.icanw.org/wp-content/uploads/2017/05/DraftTreaty.pdf
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8Collin Jean-Marie, « Dimension humanitaire du désarmement nucléaire et danger du nucléaire militaire en France », Note d’Analyse du GRIP, 16 septembre 2015, Bruxelles.
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9Des travaux qui s’appuient aussi sur le Groupe de travail à composition non limitée de l’ONU de 2013 et de 2016 qui ont été constitués pour élaborer des propositions visant à faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire.
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10Collin Jean-Marie, « La France et sa Bombe », Éclairage du GRIP, 27 février 2015.
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11Collin Jean-Marie, « Conférence de Nayarit sur l’impact humanitaire des armes nucléaires : Un point de non-retour! », Note d’Analyse du GRIP, 5 mai 2014.
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12Gaillard Emilie, « Générations futures et droit privé - Vers un droit des générations futures », LGDJ, 2011.
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13Voir : John Borrie, Tim Caughley and Wilfred Wan, « Understanding nuclear weapon risk » , UNIDIR, 2017 et Wilson Ward, « Armes nucléaires : et si elles ne servaient à rien? 5 mythes à déconstruire », Éditions GRIP, 2015.
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14www.regjeringen.no/globalassets/upload/ud/vedlegg/hum/chair_french.pdf
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15États-Unis, Russie, France, Chine, Royaume-Uni, Israël, Inde, Pakistan, Corée du Nord.
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16Afrique du Sud, Biélorussie, le Kazakhstan et l’Ukraine.
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17C’est le cas pour les Conventions sur les armes à sous-munitions et les mines antipersonnel et interprétés comme tel. Les politiques d’investissement des compagnies financières font qu’elles refusent de financer des entreprises fabriquant ce type d’arme.
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18Des diplomates ont indiqué devoir vérifier des règles liées au droit commercial en cas d’une telle inscription, repoussant définitivement toute adoption de ce texte pour juillet.
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19Traité de Bruxelles modifié et son Protocole n°3, annexe II relatif au Contrôle des armements, 6 mai 1955.
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20Remarquons que la Suède a déposé le 10 mai 2017 un working paper A/CONF.229/2017/WP.5 « Définition nucléaire ».
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22Pour un détail complet, lire Zia Mian, Tamara Patton, Alexander Glaser, « Addressing Verification in the Nuclear Ban Treaty », Arms Control, volume 47, n°5, juin 2017.
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23Olli Heinonen, « Verifying the Dismantlement of South Africa’s Nuclear Weapons Program », in Nuclear Weapons Materials Gone Missing: What Does History Teach? ed. Henry D. Sokolski, novembre 2014.
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24La Lettre de Damoclès, Visite du site d’essais français de Reggane au Sahara algérien, n°121, novembre 2007.
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25Proposition de Gaukhar Mukhatzhanova, Directeur au sein du James Martin center for Non proliferation studies, émise lors du séminaire « A thematic review of proposals for the Convention on the Prohibition of Nuclear Weapons », organisé par le GCSP et le Geneva Disarmament Platform, 2 juin 2017.
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26Douglas Roche, « The dance » NPT News n°7, 9 mai 2012.