Fiche d’analyse

Brice POKA, Cameroun, octobre 2015

La Compagnie industrielle des bois du Cameroun(CIBC) et les braconniers dans l’Unité Forestière d’Aménagement UFA 10015

Acteurs et violence structurelle d’un conflit de territoire

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Brève mise en contexte du conflit

L’Unité Forestière d’Aménagement (UFA) 10015 est une concession forestière attribuée à la Compagnie Industrielle du Bois au Cameroun (CIBC). À cet effet, la convention provisoire d’exploitation n°0137/CPE/MINEF/CAB du 15 février 2001 désigne l’UFA 10015 comme étant la concession forestière n°1004 (ZAO et TAMEKOU, 2011).

Sur le plan administratif, cette UFA est située dans l’arrondissement de Moloundou, département de la Boumba et Ngoko, Région de l’Est du Cameroun. Elle fait également partie de l’UTO Sud-est. L’UFA 10015 est évaluée à 130110 hectares (CIBC, 2004).

Elle s’étend entre 2°05’ et 2°30’ de latitude Nord d’une part, entre 14°15’ et 14°45’ de longitude Est d’autre part. Elle est délimitée respectivement : à l’Est par la rivière Boumba qui constitue la limite naturelle avec la forêt communale de Moloundou ; au Nord et à l’Ouest par la rivière Bek qui constitue la limite commune avec les parcs nationaux Boumba-Bek et Nki ; au Sud par la zone agroforestière longeant l’axe routier Moloundou-Ndongo.

L’UFA 10015 se trouve dans une région baignée par un climat de type équatorial continental. Ce climat est influencé par deux vents, à savoir la mousson et l’harmattan (ZAO et TAMEKOU, 2011).

Plusieurs auteurs (Antaga, 1998 ; Bobo, 2002) ont révélé que le massif forestier sur lequel repose l’UFA 10 015 est dotée d’une faune riche et diversifiée. Toutefois, ces auteurs soulignent que cette forte densité des populations fauniques est liée au fait que l’UFA est limitrophe aux PN de Nki et Boumba-Bek. C’est donc ainsi que la partie Nord-ouest de l’UFA, en plus d’être très accidentée, est plus riche que les autres parties.

De façon générale, on y note une abondance et une diversité particulièrement importante de Lépidoptères : 96 espèces de papillons appartenant à 17 sous-familles (Bobo, 2002). On y identifie aussi 194 espèces d’oiseaux, dont 117 sont restreintes au biome de la forêt guinéo-congolaise. Parmi celles-ci, on peut citer : l’hirondelle de forêt (Hirundofuliginosa), la fauvette du Dja (Bradypterus grandis) et le canard de hartlaud (Pteronettaharlauubii).

Bobo Kadjiri (2002) souligne que la présence des grands mammifères est relativement abondante. Parmi les espèces observées, on peut citer : l’éléphant (Loxodontaafricana), le buffle (Syncerusaffernanus), le chimpanzé (Pan troglodytes), le gorille (Gorillagorilla), la panthère (Panthera panthera), le bongo (Tragelaphuseuryceros) et le sitatunga (T. spekii).

La structure de l’habitat est relativement hétérogène dans les villages environnant l’UFA 10015 (ZAO et TAMEKOU, 2011). Les structures chez les Bantous ne sont pas identiques à celles des Baka. De même, au sein des Bantu, on note des structures d’habitats disparates. Par contre, elles sont parfaitement homogènes chez les Baka. En effet, les Baka possèdent uniquement deux types d’habitats : les huttes en feuilles (ou Mongoulou) et des petites cases en poto-poto avec des toitures en nattes de raphia.

Chez les Bantu, l’hétérogénéité de la structure de l’habitat découle de la nature de la diversité des matériaux utilisés pour la construction.

Le braconnage d’espèces sauvages et le commerce illégal, pratiques qu’on y rencontre, déciment des populations entières d’espèces emblématiques telles que les rhinocéros et les éléphants, ainsi qu’une multitude d’autres espèces moins connues comme les pangolins, certains oiseaux, reptiles, primates, certaines plantes médicinales et plusieurs essences forestiers.

Le braconnage désigne la chasse ou la pêche illégale. Il se définit donc par rapport à la législation, et relativement à la réglementation qui l’applique ; concernant le permis de chasse ou de pêche, les dates et lieux de chasses autorisés, et les listes d’espèces autorisées à la chasse /pêche (avec des tailles et âges à respecter le cas échéant)1

Dans cette activité, on rassemble la chasse illégale au fusil et le piégeage comme nous le montre la carte de la zone de conflits ci-dessous. Sur cette dernière, nous pouvons noter la présence des campements de braconniers, des douilles de cartouches usagées, des pièges mais surtout des carcasses d’éléphants preuves du grand braconnage qui sévit dans cette UFA.

Cette UFA est vraisemblablement le lieu de prédilection du braconnage. Ce phénomène se justifie certainement par rapport à sa situation géographique qui fait d’elle un massif forestier voisin de deux parcs nationaux, lieux de refuge de plusieurs grands mammifères. Le braconnage d’éléphants s’opère même dans les zones qui sont en cours d’exploitation. Le conflit se situe donc dans « l’appropriation » de cet espace géographique par les braconniers (difficilement identifiables), les faisant maître des lieux, au détriment de la CIBC qui a une licence d’exploitation durable de cette partie de la forêt. C‘est une guerre relativement armée contre des individus difficilement identifiables pour la gestion d’un même espace.

Typologie des acteurs.

Cette typologie est une construction. Elle n’est en réalité qu’un inventaire des acteurs opérant ou habitant la région. La typologie est bâtie ici sur un élément central qui est la fonction officielle des différents acteurs. Cette fonction officielle qui dévoile le type d’activité exercé par chacun des acteurs explique en partie le fait que certains soient mieux lotis en ressources, en capacités et en moyens que d’autres.

Dans ce conflit, il existe deux acteurs principaux : la CIBC et les braconniers.

À ceux-ci, se greffent plusieurs autres acteurs qui entrent en jeu et qui ont des rôles aussi importants. Ce sont : la conservation du parc national Boumba Bek, la conservation du parc national de Nki, le sous préfet de Moloundou, la brigade de gendarmerie, le WWF, la population riveraine, les ONG locales.

Notre outil nous aide à comprendre les différents acteurs dans leur contexte respectif, leurs relations, les dynamiques de conflit entre les acteurs en conflit, et notre positionnement dans le contexte, étant moi-même responsable social et médiateur social dans cette société (CIBC) chargée d’exploiter la forêt de cet espace géographique.

Groupes stratégiques et acteurs

LÉtat dans la région de Moloundou est représenté par les administrations déconcentrées et décentralisées qui exercent quotidiennement en son nom, lieu et place, la gestion des affaires publiques. Elles sont dépositaires et garants du pouvoir régalien dans le massif forestier. Il s’agit du poste de contrôle forestier et de chasse et les conservateurs et écogardes des aires protégées. Toutes ces structures mettent en œuvre la politique du ministère en matière de gestion des forêts et de la faune. Il s’agit aussi ici de l’Administration déconcentrée du Ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation (MINATD) représentée par les sous-préfectures de Moloundou, des forces de sécurité. La caractéristique principale de ces administrations déconcentrées est le manque de moyens, de ressources et de capacités en tout genre. Dans cette zone enclavée, les agents de l’État sont privés de moyens de mobilité. Et quand ils en disposent, ils sont généralement dans un état délabré et largement amorti. À titre d’exemple, le Conservateur du Parc National de Nki se trouve dans l’obligation d’arrimer ses descentes sur le terrain aux voyages et déplacements de l’Équipe WWF, parce qu’il ne possède pas de véhicule adapté pour le faire.

L’UFA 10-015 qui fait partie des forêts domaniales de production définies sur la base du plan de zonage du Cameroun méridional (Coté, 1992) a été créée à partir d’anciennes licences octroyées dans la zone à certaines entreprises d’exploitation forestière depuis les années 1970. La CIBC a signé avec le MINEF la Convention provisoire d’exploitation n° 0137/CPE/MINEF/CAB du 15 février 2001 désignant cette UFA comme concession forestière N° 1004, s’engageant entre autre, à réaliser le plan d’aménagement de l’UFA 10-015. L’UFA 10015 est évaluée à 130 110 hectares

Les populations constituent la dernière catégorie des acteurs recensés dans la région. C’est une population composite constituée d’autochtones de la région (Bakwele, Bagando, Baka) et d’étrangers (populations venant des contrées voisines, du reste du pays et des pays voisins).

ActeursPositionsIntérêtsBesoins
CIBCEngagée dans l’exploitation rationnelle et durable de la ressource à exploiter (bois)Respect du cahier des chargesSécurité des ouvriers
Les braconniersChasse des espèces protégéesChasseGain économique
La conservation du parc national Boumba BekMaîtriser et protéger la population faunique et florale dans le parcGestion durable des ressources forestièresImplication et participation de tous
La conservation du parc national de NkiMaîtriser et protéger la population faunique et florale dans le parcGestion durable des ressources forestièresImplication et participation de tous
Le sous préfet de MoloundouDépositaires et garants du pouvoir régalien dans le massif forestierGestion durable des ressources forestièresAméliorer la qualité de la gestion des aires protégées
La brigade de gendarmerieRépression contre les braconniersDésarmer la population des armes de guerre, surtout dans un contexte d’insécurité frontalière ; car cette brigade est garant de la sécurité des biens et des personnesSécurité et renseignements
Le WWFEngagé dans la protection des espèces menacées,engagé dans la conservation des écosystèmes et œuvre quotidiennement pour que dans un avenir proche, le développement humain puisse se faire en harmonie avec la natureLes organisations telles que le WWF devraient être à leur écoute, leur apporter l’aide dont ils ont besoin concernant la protection de leurs terres et les soutenir autant que possibleImplication et participation de tous
La population riveraineChasse pour droit d’usage ; Chasse de subsistancePratiques culturelles ; Gain économiqueCulturel ; économique
Les ONG localesÉveiller les consciences sur la gestion durable des ressources ; Attirer l’attention de l’État et des organismes internationaux sur la pratique des activités illégales//

Les causes profondes et les incompatibilités du conflit?

Certains criminologues réfutent en effet l’idée que la pauvreté est la cause de la criminalité. Ils constatent en revanche que de nombreux actes criminels sont opportunistes. En l’absence de pauvreté, la criminalité ne disparaît pas. C’est également vrai pour la criminalité liée aux espèces sauvages, comme l’expliquent des experts du Fonds mondial pour la nature dans un entretien : « La pauvreté n’est pas à l’origine du braconnage, mais le braconnage accroît la pauvreté ».

Analyse de la violence structurelle en présence

Comportements

Des confrontations entre des prospecteurs et gardiens sont assez régulière et braconniers. Cela démontre à suffisance la régularité du phénomène et du niveau d’exposition des employés de l’entreprise. Cependant, le relais de cette information auprès de la hiérarchie n’est pas bien organisé. Des employés ayant fait ces constats d’activités menées dans les UFA n’ont fait que des rapports verbaux auprès de la hiérarchie. Ce qui sous-entend que le suivi de l’évolution de ces activités n’est pas au point. Ce problème finit par être alarmant lors que 26% de ces enquêtés reconnaissent avoir été confrontés directement et indirectement à des individus armés (« calibre 375 » et « Kalachnikov »). En effet, un gardien de chantier a été agressé en décembre 2014 et des prospecteurs entendent très souvent des coups de feux au fil de chasse et à l’arme de guerre à proximité du lieu de travail. En plus des intimidations par les armes, les braconniers s’emparent très souvent des approvisionnements des ouvriers en forêts.

Perceptions

Pour les Populations, la conservation de la biodiversité est une activité dominée par la répression et à la contrepartie hypothétique et incertaine. Pour cette position, il est important d’interroger le rapport que les populations ont avec le temps. Comme dans d’autres régions du Cameroun, les populations n’aiment pas attendre. Elles aiment des choses concrètes. Or, l’histoire des promesses montre que, la plupart du temps, elles ne sont pas tenues. De plus, les expériences passées de conservation de la biodiversité dans la région n’ont pas pu améliorer l’image que les populations gardent du service de conservation de la biodiversité et des conservateurs. Certes, elles reconnaissent que la conservation est importante pour la survie à long terme des écosystèmes et des espèces animales utiles pour le maintien des équilibres biologiques et humains. Mais, elles ont l’impression de payer le prix fort dans le processus, du fait de la répression de la chasse, y compris la chasse de subsistance, et la contrepartie des sacrifices consentis par les populations reste utopique, au stade des énoncés, des déclarations, des vœux. Et lorsque des actions alternatives sont envisagées ou mises en œuvre, elles n’entraînent pas une dynamique durable de développement. Les sacrifices consentis et les souffrances endurées sont jugés vains. Les exemples de Boumba-bek, et de Nki sont cités, pour relever que les programmes de conservation de la biodiversité réalisés depuis plus de deux décennies n’ont produit, de manière essentielle et pour les populations locales et autochtones, que frustration, tristesse et désarroi, sentiment d’injustice et d’impuissance, malgré les nombreuses promesses faites au démarrage des projets. Bien que cette perception populaire de la conservation de la biodiversité soit, à certains égards, excessive, au regard des résultats obtenus par le service de conservation et ses partenaires en matière de lutte contre le braconnage et l’exploitation forestière illégale. Les populations de Moloundou, émettent des doutes au sujet de l’ancrage de la gestion participative et du développement intégré des aires protégées et, plus globalement, sur les effets de la conservation dans l’amélioration des moyens d’existence des populations locales et autochtones et la lutte contre la pauvreté.

Pour le WWF, la conservation de la biodiversité est une activité bénéfique qui n’exclut pas une contrepartie pécuniaire selon lui, acteur historique, aux côtés de l’État, dans cette région, pour la conservation de la biodiversité et l’appui au développement durable, il est nécessaire d’œuvrer, sans relâche, pour l’avènement d’une attitude favorable à la conservation de la biodiversité dans la région. Sans aucun doute, la conservation de la biodiversité est une activité bénéfique sur plusieurs plans : préservation de la biodiversité, gestion durable des ressources naturelles.

Pour l’État, la conservation de la biodiversité est une activité nécessaire et utile mais non exclusive dans le massif forestier de Moloundou. Le processus de développement de la région ne doit exclure aucune activité. Le Cameroun étant attaché aux principes de développement durable et de gestion rationnelle des ressources naturelles, il a le devoir d’assumer ses engagements pour la gestion durable et bénéfique des forêts.

Pour les ONG locales, les mécanismes de compensation efficients doivent accompagner la compensation pour qu’elle devienne une activité viable et équitable. Ces ONG locales constituent la caisse de résonance des revendications des populations en faveur d’une compensation viable et équitable.

Structures

Ce conflit a des répercussions dans le quotidien même des populations riveraines et environnantes de Moloundou ; des impacts sur la politique étatique de conservation et la gestion durable des ressources naturelles, ainsi que l’exploitation forestière.

Au niveau des riverains, la pratique du braconnage a conduit à l’interdiction de la chasse de l’éléphant même pour les droits d’usage. Aussi, ces braconniers qui sèment la terreur dans l’UFA et dont on ne connaît pas les origines, a créé un sentiment de méfiance à l’égard de la population, considérée comme complice de l’acte.

Au niveau de la politique étatique l’utilisation d’une arme de guerre par des tiers est une infraction selon l’article 8 de la loi N°2008/015 du 29 Décembre 2008.

Au niveau de l’exploitation forestière l’agression démotive le personnel et baisse par conséquent la productivité.

Conclusion

Un conflit est une relation entre deux ou plusieurs parties qui ont, ou pensent avoir, des objectifs, des valeurs, des intérêts incompatibles.

Cette réflexion ouverte sur la question des violences structurelles, se réfère au cours « Agir sur les conflits » dans lequel nous avons utilisé un outil analytique, le triangle de la violence, qui repose sur le postulat que chaque conflit est composé de trois éléments : le comportement des acteurs du conflit (comportements) ; les mécanismes et les institutions qui structurent leurs relations (structures) ; les représentations qu’ils portent (perceptions). Dès lors, des mesures ont été prises, pendant des rencontres de sensibilisation et de concertation. Ainsi des comités de vigilances ont été créés et formés afin que toute information jugée dangereuse dans l’espace d’occupation de la CIBC soit relayée.

L’ouverture du dialogue et de la concertation avec les populations et les autres parties prenantes s’est avéré nécessaire, incontournable.

Notes

  • 1 www.wikipedia.org/braconnage

  • Liste des sigles utilisés :

    • CIBC : Compagnie Industrielle du Bois au Cameroun

    • UFA : Unité Forestière d’Aménagement

    • WWF: World Wild Fund for nature

    • MINEF : Ministère de l’Environnement et des Forêts

  • Bibliographie :

    • CIBC, 2004 - Plan d’aménagement de l’UFA 10 015, Cellule aménagement VICWOOD THANRY. Douala, Cameroun.

    • Maurice Tadjuidje, Barthelemy Dipapoundji et Saturnin Brice Mowawa, 2012. Le Paysage Tri-National de la Sangha, COBAM – CIFOR, Bogor, Indonesia.

    • MINFOF - Stratégie nationale du contrôle forestier et faunique, mars 2005.

    • ZAO AGNAH, Y. A. et TAMEKOU, E. 2011 - Etude socio-économique et intégration des connaissances traditionnelles dans le processus d’aménagement durable de l’UFA 10 015 de la CIBC (Localité de Moloundou, Sud-est Cameroun). Département Aménagement et certification VICWOOD THANRY.

    • Georg SIMMEL, Le conflit, Paris, Circé, 1992, 166 p.

    • Guy Rocher, Le changement social.

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