Gautier TONONGBE, Bénin, septembre 2016
L’universalité des droits de l’homme : entre fantasme et réalité
Sujette à une profonde relativité la notion d’universalité des droits de l’homme serait mieux acceptée si elle était plus flexible.
Mots clefs : Respect des droits humains | La responsabilité des autorités politiques à l'égard de la paix | Rôle de l’ONU | ONU | Communauté Internationale
Introduction
L’adoption de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) au cours du XXe siècle s’est traduite par un renforcement de la notion de l’universalité des droits de l’homme. Cette notion désigne une chaîne de valeurs qui garantit à tous et partout dans le monde, un corpus de droits dont la jouissance repose sur le simple fait d’être Homme. Pour Jacques Maritain, « la personne humaine possède des droits du fait même qu’elle est une personne, un tout, maîtresse d’elle-même et de ses actes ; … elle n’est pas un simple moyen au service d’une fin, mais une fin en soi qui doit être considérée comme telle »1. Ainsi, ces droits prennent en compte des concepts tels que le droit à la dignité, à la liberté, à l’égalité … qui ne sont pas inhérents à une catégorie particulière d’individus mais à tout être humain. Ils transcendent donc toutes les particularités culturelles pour s’imposer au genre humain.
En effet, les droits de l’homme ont acquis, de nos jours, une telle autorité qu’Andrew Heard en arrive à les identifier à une forme de religion. Ils constitueraient un baromètre pour mesurer le traitement d’un pouvoir public à l’égard de ses sujets2. Mais dans un monde de plus en plus marqué par le choc des civilisations3, il serait naïf d’occulter toutes les controverses que soulève la notion de l’universalité des droits de l’homme et les ambiguïtés auxquelles elle demeure sujette4. C’est du moins ce qui ressort des réflexions de Rusen Ergec, lorsqu’il déclare dans un extrait de son manuel intitulé « Protection européenne et internationale des droits de l’homme » que « … Hormis les droits intangibles comme l’interdiction de la torture ou le droit à la vie, la plupart des droits de l’homme sont affectés d’une certaine relativité dans l’espace… ». Afin de mieux analyser les nombreuses controverses dont fait l’objet l’universalité des droits de l’homme (II), il est indispensable au préalable d’en décrire les fondements et les caractéristiques majeures (I).
I. L’universalité des droits de l’homme
Le principe de l’universalité des droits de l’homme tire son fondement de diverses sources (A) qui ont conféré un caractère intangible à certains droits (B).
A. Les fondements de l’universalité des droits de l’homme
Si les droits de l’homme ont connu une évolution certaine à partir de l’adoption de la DUDH, leurs origines remontent à la Grèce antique et à la pensée chrétienne. En effet, il existait des droits naturels, universels et immuables auxquels le législateur devait faire référence5. Ainsi, pour John Locke, l’Homme, à l’état de nature, est avant tout, titulaire de droits individuels au premier rang desquels nous avons la liberté et la propriété. Les auteurs du droit positif, quant à eux, soutiennent que les Droits de l’Homme sont des règles de droit établies par les hommes eux-mêmes.
Les prémices de l’universalité des droits de l’homme remontent au XVIIIe siècle avec la déclaration d’indépendance des États-Unis de 1776, laquelle s’est inspirée de l’évolution des droits en Grande-Bretagne. Elle précisait : « Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont nés égaux ; ils sont doués par leur Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur …»6 L’universalité des Droits de l’Homme qui transparaît à travers cette déclaration sera davantage renforcée en 1789 au cours de la révolution française, plus précisément lors de la rédaction de la Déclaration des Droits de L’Homme et du Citoyen adoptée par l’Assemblée Française le 26 Août 1789. Ces droits seront affinés, voire reconsidérés au lendemain de la seconde guerre mondiale dans un texte fondateur intitulé Déclaration Universelle des droits de l’homme adopté par l’Assemblée Générale des Nations-Unies le 10 décembre 1948. Le concept d’universalité est affirmé dans le préambule de cette déclaration à travers : « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables ». Au fil des ans, cette déclaration sera complétée par l’adoption des pactes internationaux dont le premier est relatif aux droits civils et politiques et le deuxième relatif aux droits économiques et socio-culturels.
La question de l’universalité a été abordée, plus tard, par les Nations-Unies en 1993 et un texte a été adopté sur l’universalité et l’indivisibilité des droits de l’homme à Vienne. Ce texte énonce que « tous les droits de l’homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés…. ». Ces différents fondements ont permis la consécration du caractère intangible de certains droits.
B. La consécration du caractère intangible de certains droits
L’une des caractéristiques majeures des droits de l’homme est l’universalité. Elle repose sur l’idée que tous les êtres humains sont titulaires de droits et de privilèges reconnus comme tels et dont la jouissance est assurée par l’État et les organisations internationales. En effet, la primauté de ces droits est exprimée dans le préambule de la DUDH qui reconnaît que tous les hommes sont égaux et semblables en « Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ». Il s’ensuit que l’homme est titulaire d’un certain nombre de droits intangibles destinés à protéger l’intégrité physique et morale de la personne humaine.
Ces droits sont expressément affirmés dans la DUDH. Il s’agit du droit à la vie, à la liberté et à la sûreté (article 3), de l’interdiction de l’esclavage, de la servitude et la traite des esclaves (article 4), de l’interdiction de la torture, des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (article 5), du droit à un procès équitable (article 6) et du principe de la non rétroactivité de la loi pénale (article 7). Ces droits font l’unanimité au sein de toutes les cultures et s’imposent au genre humain. L’affirmation de leur universalité peut être mieux comprise lorsqu’on se réfère aux questionnements de l’ancien Secrétaire Général de l’ONU Koffi Annan : « Qui peut nier que nous partagions la même horreur de la violence ? Qui peut nier que nous cherchions à vivre à l’abri de la peur, de la torture, de la discrimination ? Qui peut nier que nous cherchions à nous exprimer librement et à réaliser les objectifs que nous nous sommes fixés ? Avez-vous jamais entendu la voix d’un homme libre demandant que l’on abolisse la liberté ? Avez-vous entendu un esclave défendre l’esclavage ? Avez-vous entendu une victime de la torture approuver les actes du bourreau ? Avez-vous entendu les hommes de tolérance réclamer l’intolérance ? »7
La protection de ces droits est garantie, à l’échelle internationale, par plusieurs organes spécialisés créés par la Charte des Nations-Unies tels que le Haut-Commissariat des Droits de l’Homme qui a, entre autres, pour mission de favoriser la jouissance universelle de tous les droits de l’homme et le Conseil des Droits de l’Homme dont le but principal est d’aborder des situations de violations de droits de l’homme et d’émettre des recommandations pour leur respect. Il faut y ajouter la Cour Pénale Internationale, organe indépendant des Nations-Unies, chargée de la répression des violations massives des droits de l’homme.
Plusieurs institutions régionales garantissent aussi la protection des droits de l’homme. C’est le cas de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme. Ces différentes institutions témoignent d’une reconnaissance du caractère transnational, et donc universel des droits de l’homme. Mais cette universalité soulève de plus en plus diverses controverses.
II. La relative universalité des Droits de l’homme
L’universalité suscite de vives critiques et est diversement remise en cause du fait soit du relativisme culturel et religieux (A), soit du relativisme politico-économique (B).
A. Le relativisme culturel et religieux
La thèse de l’universalité des droits de l’homme est généralement battue en brèche par l’argument du relativisme culturel. Ce relativisme postule que la diversité culturelle rend difficile l’universalisation des droits de l’homme et prône une prééminence des cultures locales plutôt qu’une « exportation » de valeurs occidentales imposées aux autres peuples. Les détracteurs de cette thèse réfutent l’idée qu’on fasse transcender les droits de l’homme au-delà des valeurs purement occidentales marquées par un individualisme à outrance.
En effet, la pluralité culturelle remet en cause la notion même de l’universalité des droits de l’homme. La tradition asiatique, par exemple fait prévaloir l’harmonie au sein de la société. La tradition africaine, quant à elle, repose sur un certain communautarisme qui préfère le groupe, la société à l’individu. Ainsi, la terre est collective et constitue une propriété des ancêtres. À cet effet, un écrivain africain a résumé la culture africaine de l’existence en ces termes : « Je suis parce que nous sommes, et parce que nous sommes, je suis. »8 De même, dans certaines traditions africaines, il est inconcevable que les femmes héritent de la terre des ancêtres. Une telle pratique, aux yeux des occidentaux, est discriminatoire, donc contraire aux droits de l’homme, tandis qu’en Afrique elle se justifie par la prétendue supériorité de l’homme sur la femme.
Au plan religieux, la perception occidentale des droits de l’homme est fortement contestée dans le monde musulman. Il en résulte un développement de courants extrémistes religieux qui contredisent l’universalité des droits de l’homme. L’exemple le plus évocateur est symbolisé par le groupe terroriste Boko Haram dont la signification en langue Haoussa est : « l’éducation occidentale est un péché ». De même, les nombreuses controverses soulevées à la suite des caricatures danoises et celles récentes de Charlie Hebdo ayant abouti aux attentats de Paris en 2015 montrent la difficulté pour les uns et les autres de regarder par le même prisme la notion de l’universalité des droits de l’homme. Si pour les occidentaux, la liberté d’expression et de pensée sont « sans frontière » et irréductibles, il en est autrement pour les pays musulmans qui voient dans la représentation caricaturale de leur prophète une atteinte intolérable à leur liberté de religion. L’universalité est aussi remise en cause du fait du relativisme politico- économique.
B. Le relativisme politico-économique
Depuis « la fin de l’histoire » qu’évoquait Fukuyama marquant la chute du régime communiste, nombre de critiques prennent les droits de l’homme comme un nouvel outil impérialiste de l’Occident. Il voudrait donc conserver son hégémonie civilisationnelle et ses intérêts dans le monde. Ainsi les puissances occidentales ont-elles constamment recours aux droits de l’homme pour conditionner les aides au développement9. La situation devient paradoxale lorsqu’on se rend compte que ces États, véritables donneurs de leçons en matière de droits de l’homme, sont parfois loin d’être exemplaires. Bien souvent, ils se cachent sous le manteau des droits de l’homme pour atteindre leurs fins personnelles10. L’une des plus belles preuves réside dans les déviances notées au lendemain des attentats du 11/09/2001 marquées par la mise en place d’institutions d’exceptions et l’adoption de textes restrictifs des droits de l’homme, en l’occurrence le Patriot Act. Il s’en est suivi une violation massive des droits de l’homme allant de l’enfermement de détenus sans procès à Guantanamo, à des tortures. L’invasion de l’Irak par les États-Unis assortie du scandale d’Abou Ghraib a conforté l’argumentaire de ceux qui perçoivent les droits de l’homme comme un instrument à la solde des occidentaux11. De même, l’état de guerre ou de crise est souvent brandi comme argument pour restreindre, voire suspendre des libertés. C’est le cas, par exemple, de l’état d’urgence décrété en France à la suite des attentats du 13 novembre 2015. Par ailleurs, les réserves émises par certains États, lors de la ratification des conventions auxquels ils ne souhaiteraient pas se conformer, remettent en cause l’universalité des droits de l’homme. Il en est ainsi pour des États comme Djibouti et le Qatar qui ont émis des réserves leur permettant d’appliquer la Convention internationale relative aux droits de l’enfant en conformité avec la Shari’a12.
En outre, les conditions économiques d’un État peuvent fortement influencer la réception des droits de l’homme. La primauté qu’accorde la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples aux droits économiques, sociaux et culturels au détriment de ceux politiques et civils en raison du niveau de développement du continent en est un bel exemple. De même, l’état de nécessité économique peut aussi conduire à rejeter et à déprécier les exigences des droits de l’homme en vue de consolider le développement. Le bel exemple est donné par la Lybie sous Kadhafi et le Rwanda.
Conclusion
La notion d’universalité des droits de l’homme est sujette à une profonde relativité. Toutefois, il existe un corpus de droits intangibles dont la mise en application fait consensus au sein de toutes les cultures. Mieux, l’acceptation grandissante par les États des juridictions internationales permettent d’avoir une lueur d’espoir. La notion d’universalité serait mieux acceptée si elle était plus flexible, c’est-à-dire si on procédait à ce que Shashi Tharoor a appelé une « indigénation» des droits de l’homme. Mais pour l’instant, il est évident que les droits de l’homme doivent être compris comme une vocation, une aspiration, une ambition.
Notes
1Jacques Maritain, cité dans Anthologie des Droits de l’homme. Textes réunis par Walter Laqueur et Barry Rubin, Horizons, page 30.
2Andrew Heard, Human rights: chimeras in sheep’s clothing?, Simon Fraser University (en ligne) 1997 (cited 2013); disponible sur le lien :www.sfu.ca/ aheard/417/util.html
3Samuel Huntington, Le choc des civilisations, in revue Foreign Affairs.
4Roseline Letteron, L’universalité des droits de l’homme: Apparences et réalités l’idéologie des droits de l’homme en France et aux Etats-Unis, Annuaire Français de Relations Internationales, 2001, p. 145-164.
5Antigone, Sophocle.
6Inventing human rights, A history, Lynn Hunt, W. W. Norton, 17 avr. 2008 - 272 pages.
7« L’universalité face au pluralisme : Le dialogue entre les civilisations, fondement de l’universalité des droits de l’Homme », FERNANDEZ Alfred, 2003, cité dans DUDH L’universalité des Droits de l’Homme en questions, page 12.
8Cité dans l’article intitulé : « Les droits de l’Homme sont-ils universels ? », Shashi Tharoor téléchargeable sur le lien: pointdebasculecanada.ca/les-droits-de-lhomme-sont-ils-universels-par-shashi-tharoor/
9Le discours de la Baule de François Mittérand du 20 juin 1990.
10Jack Donnelly, The Relative Universality of Human Rights, Human Rights Quarterly, Volume 29, Number 2, May 2007, pp. 281-306 (Article), The Johns Hopkins University Press.
11L’universalité des Droits de l’Homme en questions, page 15.
12Jean Dhommeaux Professeur de droit, Université de Rennes 1, cours intitulé UNIVERSALISME ET DIVERSITE DES SYSTEMES dans le cadre du M2DIDF.
Fiches associées
Fiche de bibliographie : Bibliographie : L’universalité des droits de l’homme, entre fantasme et réalité
Gautier TONONGBE, Bénin, septembre 2016