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, Paris, 2005

L’éducation, facteur de paix. L’éducation, facteur de guerre

Les promoteurs de la paix insistent souvent sur l’éducation comme remède à l’ignorance, mère de tant de conflits. Toutefois, il faut rappeler que l’éducation n’est jamais neutre et qu’elle peut même orienter des populations vers la violence.

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I. L’éducation dans l’histoire

En grec ancien, « éducation » et « culture » ne sont désignées que par un seul et même mot, la « Paideia », ce qui aide à expliquer l’intrication des deux termes aujourd’hui.

La paideia, dans la Grèce antique, permet de définir l’unité du peuple entre ceux partageant une même langue et des mêmes coutumes hellénistiques. C’est donc un facteur d’unité et de paix intérieure.

À Athènes, l’éducation n’était pas généralisée, car il fallait être en mesure de payer le maître. Au contraire, dans la Sparte voisine, l’éducation (agôgê) était une étape obligatoire pour devenir citoyen. Elle permettait d’intégrer les jeunes à un système collectiviste et de dégager une élite politique et militaire. On voit dans le cas de Sparte que l’éducation fait figure de lien social très fort, mais qu’elle aboutit à la guerre.

Dans la Rome antique, l’éducation est une prérogative d’État, qui ouvre tout un réseau d’écoles municipales. Ni la montée en puissance des chrétiens, ni même la conversion des empereurs romains n’ont alors abouti à la création d’écoles cléricales. Ceci s’explique par la non différentiation entre culture religieuse et culture laïque au début de notre ère.

Dans l’Occident dit barbare, l’éducation humaniste n’est qu’un reliquat de l’empire romain, les peuples dits barbares ayant une conception de l’éducation centrée sur la formation des guerriers et des paysans. Les lettrés sont ceux qui ont adopté la culture romaine, mais les savoirs littéraires ne sont pas valorisés par les cultures dites barbares : ainsi, en Gaulle, on prêtait des pouvoirs superstitieux à l’écrit !

Au Moyen Âge en Occident, l’éducation redevient unitaire en faisant un usage généralisé du latin. Le latin garantit pour l’Église l’homogénéité de l’instruction scolaire à travers toute la chrétienté en faisant référence à un système commun de classification et de légitimation des savoirs. Le programme des universités, créées à partir du XIe siècle, part de ce substrat latiniste unitaire.

II. L’éducation unifiant le peuple

La culture fait partie du domaine de l’acquis, d’où la nécessité de mettre en place un système d’éducation unifié pour favoriser l’union d’un peuple. L’éducation inculque une culture scolaire, entendue comme l’ensemble des savoirs enseignés. Elle permet d’amender les cultures populaires différentiées (traditions et coutumes) et d’instaurer une base commune de références et de valeurs. Car si l’éducation relève de l’acquis, elle sert à réguler les pulsions innées relevant de l’instinct. Ces pulsions sont souvent les ferments de conflits entre des microcultures régionales.

C’est la raison pour laquelle l’autorité politique cherche toujours à maîtriser le domaine de l’éducation pour assurer l’unité du peuple : la conduite de l’éducation et la définition des programmes est un pouvoir régalien. La mainmise de l’Église sur l’éducation visait à garantir l’intégrité du dogme, et au-delà, à établir une union culturelle de l’ensemble de la chrétienté.

Les mouvements nationalistes ont contraint l’Église à céder du terrain dans le domaine de l’éducation, qui est toutefois restée unifiée. L’Éducation nationale française, avec ses programmes communs et son centralisme, témoigne bien de cette dynamique. Son rôle dans le nivellement culturel français est évident, tant au niveau de la disparition des cultures et des langues régionales (breton et autres patois) que de l’élargissement du public scolaire (80 % d’une classe d’âge au baccalauréat). L’existence d’une culture française repose aussi sur l’Éducation nationale.

III. La question des savoirs à enseigner

Ceci soulève la question du contenu des savoirs à enseigner. Si l’éducation relève aussi d’une logique de politique sociale, il importe de définir des programmes servant les desseins politiques. C’est ainsi que l’éducation peut autant se révéler un facteur de paix qu’un facteur de guerre.

Les promoteurs de la paix insistent souvent sur l’éducation comme remède à l’ignorance, mère de tant de conflits. L’éducation, apportant une ouverture d’esprit, permet de confronter l’individu à l’altérité, de lui présenter d’autres modèles de civilisations, d’insister sur les échanges millénaires entre les peuples… De plus, l’éducation fait germer un sens critique dans la tête des individus, qui peuvent alors avoir le recul nécessaire pour ne pas tomber dans les filets du démagogue.

Toutefois, il faut rappeler que l’éducation n’est jamais neutre, et qu’elle peut même orienter des populations vers la violence. Le politique décide d’un programme d’éducation qui est systématiquement orienté : les jeunes français apprenaient auparavant les tares spécifiques à chaque race humaine (par exemple les Noirs sont joyeux et paresseux…) ; les petits Soviétiques n’avaient jamais entendu parler du Goulag ; tandis que les enfants américains ne devaient pas connaître la théorie de l’évolution de Darwin. On voit à travers ces exemples, innombrables, que tout programme d’éducation sert, délibérément ou non, les orientations et finalités du pays en matière de politique intérieure, extérieure ou de religion.

Un exemple récent des dérives politiques des programmes d’éducation est fourni par les manuels distribués par les États-Unis en Afghanistan au moment du conflit avec les Soviétiques : par le soutien à l’éducation populaire, devenue « partie stratégique de l’arsenal de politique extérieure de l’administration Reagan », les États-Unis incitent fortement les Afghans à se radicaliser autour de l’islam, avec les conséquences que l’on sait. Voici des exemples tirés des manuels fournis aux écoles afghanes de 1984 à 1994 : (et utilisés parfois jusqu’à aujourd’hui) dans un abécédaire : « D comme Din, religion : l’islam est notre religion et les Russes sont ses ennemis » ; dans un problème de mathématique de niveau CM1 : « la vitesse d’un projectile de kalachnikov est de 800 mètres par seconde. Si un Russe se trouve à une distance de 3200 mètres d’un moudjahidin qui lui vise la tête, au bout de combien de secondes la balle frappe-t-elle le Russe dans le front ? ».

On voit donc que l’on peut éduquer à la paix, mais aussi à la guerre et que cette arme peut se retourner contre celui qui pensait la diriger.