Sebastien Babaud, Paris, septembre 2003
Analyse critique des missions d’intervention civile déjà organisées en Israël - Palestine
Article paru dans la revue Alternative non-violente qui présente une analyse des missions d’intervention civile de paix en Israël-Palestine.
A l’heure du troisième anniversaire du début de la seconde intifada, le bilan des victimes est lourd : 3500 au total (dont plus des trois quart sont Palestiniennes), sans compter le nombre de blessés, plus difficile à établir, estimé à plus de 20 000 pour les Palestiniens et à plus de 5 000 pour les Israéliens.
Le cercle vicieux de la violence nourrit par des actions de représailles réciproques semble aujourd’hui avoir raison des plans de paix, feuilles de routes, et autres tentatives de médiation internationale, si bien que différents cercles issus de la société civile stigmatisent ce qu’ils dénoncent désormais comme l’inaction ou du moins l’incapacité des grandes puissances à pouvoir apporter une solution au conflit israélo-palestinien dont les populations civiles sont les principales victimes.
La question de l’intervention civile dans le cadre de ce conflit est à la fois complexe et délicate :
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Toute présence étrangère, revendiquée par les Palestiniens et rejetée par les Israéliens, est largement perçue comme étant partisane ; ce qui ne facilite pas l’affirmation du bien fondé de l’apport d’une telle initiative dans la résolution du conflit israélo-palestinien.
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Pourtant de telles missions existent, implantées dans les territoires depuis la seconde intifada et parfois même avant son déclenchement. Ces missions d’intervention civile continues (c’est à dire présente sur le terrain de manière permanente), bénéficiant de leur propre structure dans les territoires et menées par des volontaires étrangers sont de natures diverses : organisations non gouvernementales ou mandatées par des Etats.
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Le principe de leur action est toutes fois identique : intervenir de façon non-violente auprès des civils et soutenir les structures locales israéliennes et palestiniennes qui luttent pour un règlement pacifique du conflit.
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En fonction des organisations, les formes d’intervention prennent généralement la forme d’observation (patrouilles dans les rues d’une ville, aux abords des barrages dressés par l’armée israélienne, etc.), d’interposition (lors d’une altercation, pour empêcher la démolition d’une maison, etc.), d’accompagnement (d’enfants sur le chemin de l’école, d’ouvriers agricoles dans leurs champs, de manifestations, d’ambulances, etc.), de médiatisation (de la situation, des exactions commises, des violations des droits de l’homme, etc.), etc.
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Parmi les missions présentes dans les territoires, les Christian Peacemaker Team (ou CPT), ainsi que la Présence Internationale Temporaire à Hébron (ou TIPH, selon l’abréviation anglophone) jouissent d’une certaine ancienneté. Les patrouilles régulières qu’elles assurent depuis 1995 pour les premiers et 1997 pour la seconde, à Hébron même ou dans sa proche région constituent les premières formes d’intervention civile dans le cadre du conflit israélo-palestinien. Bénéficiant d’un amont institutionnel, elles répondent ainsi à une demande politique émanant des Palestiniens tout d’abord (pour ce qui est des CPT, grâce à la demande d’une telle présence par la municipalité d’Hébron) et avalisées par les autorités israéliennes par la suite (pour ce qui de la TIPH uniquement).
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Le cas de la TIPH est particulier dans la mesure où cette présence mandatée par la Norvège, la Suède, le Danemark, l’Italie, la Suisse et la Turquie s’inscrit dans le cadre des accords d’Oslo. Ses compétences se limitent à une stricte observation de la situation, sans pouvoirs d’intervention ou d’interposition. Ses rapports ne sont pas publiés et ne sont communiqués qu’aux gouvernements intéressés (Israël, Autorité Palestinienne, ainsi que les pays mandataires de la mission).
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D’autres organisations d’intervention civile ont vu le jour depuis la seconde intifada et connaissent un retentissement médiatique plus important, comme International Checkpoint Watch et plus particulièrement l’International Solidarity Movement (ISM) active depuis 2001 en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza. Ces missions révèlent un engagement citoyen plus militant face à la violence qu’elles estiment être la conséquence directe de la politique d’occupation des territoires (armée, colons) menée par Israël ; politique que dénoncent clairement ces organisations tout en appelant à un retrait de ces territoires pour envisager une résolution du conflit.
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Ces positions politiques, également partagées par les CPT, posent la question du positionnement de ces missions d’intervention civile qui est éthiquement et théoriquement fondamentale dans la conception de ce type d’action. La théorie de l’intervention civile conçoit de telles présences tierces sur le terrain comme étant guidées par un souci d’équité et d’intégrité dans la continuité de l’action : elles prennent deux fois parti dans la mesure où les moyens mis en œuvre doivent être en accord avec la fin désirée, à savoir un règlement équitable du conflit.
Les différentes organisations étrangères présentes dans les territoires affichent volontiers ce souci d’équité en soulignant leur soutien aux structures israéliennes et palestiniennes œuvrant pour un rapprochement entre les deux communautés et pour un règlement pacifique du conflit.
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Les CPT avaient ainsi mené une action symbolique à Jérusalem visant à protester contre les attentats suicides perpétrés par les kamikazes palestiniens.
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Cependant, cette notion d’équité semble être confrontée à la dimension, plus réaliste, de dissuasion qui caractérise ces missions d’intervention civile. En effet, le postulat de ces organisations est de considérer que la population civile palestinienne est victime de la violence perpétrée par l’armée et les colons israéliens. Une présence étrangère ou internationale a donc pour objectif de rendre compte de cette violence d’une part, et de tenter de la prévenir d’autre part, en estimant que le caractère international de cette présence est dissuasif sur les individus qui la produisent, et sur les institutions qui l’encourageraient ou la toléreraient.
La dissuasion d’une intervention civile a donc pour objectif d’assurer une complémentarité entre l’action citoyenne de la société civile et l’action diplomatique des Etats.
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Le lien entre ces deux sphères est assuré par la sensibilisation de l’opinion publique qui exercerait une pression sur ses élus nationaux.
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Cette sensibilisation s’effectue à travers différents canaux d’information. Les premiers types de réseaux qu’utilisent ces mouvements, par le biais de communiqués de presse diffusés sur Internet, sont en général proches de par les sensibilités politiques, militantes ou confessionnelles. Les actions de l’ISM sont ainsi relayées par des mouvements épousant la cause palestinienne ou se situant dans une mouvance altermondialiste. Les CPT, de par l’origine mennonite de leur structure, trouvent un écho à leur mission auprès des médias ou revues scientifiques chrétiens nord-américains. Le second type de médiatisation est assurée, de manière plus parcimonieuse, par des réseaux plus traditionnels, en particulier les presses écrites à portée nationale et internationale (Le Monde, The Guardian, New York Times, etc.).
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La dissuasion dans le cas du conflit israélo-palestinien, qu’elle s’effectue sur le terrain ou après médiatisation, par le biais des canaux diplomatiques, ne semble pas guidée par un souci d’équité, mais bien dirigée contre les protagonistes de l’occupation : les colons, l’armée et le gouvernement israéliens.
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Il faut donc percevoir l’intervention civile en Israël - Palestine de deux manières : dissuasion partiale sur le terrain et dans les objectifs politiques, et soutien équitable aux structures locales luttant pour une solution pacifique et surtout non-violente au conflit.
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Les missions présentes sur le terrain sont aussi guidées par un certain pragmatisme qui tend à se positionner du côté de la population considérée comme opprimée par la politique d’un Etat. Cette relative partialité remet-elle pour autant en cause la légitimité et la pertinence de ces interventions civiles ?
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La question de la légitimité de ces formes d’intervention est liée aux notions de désengagement de la communauté internationale et de prise de position volontaire de certaines structures émanant de la société civile. Le décalage qui persiste entre le vide interventionniste des Etats et une situation de conflit qui perdure et au sein de laquelle les populations civiles constituent les principales victimes, aboutit à une prise de position de la part de la société civile dont les modalités d’intervention sont plus souples car les contraintes géopolitiques, diplomatiques, économiques ne sont pas directement de son ressort.
La légitimité de ces missions repose donc essentiellement sur le fait qu’elles soient entreprises par la société civile dans une volonté de soutien et de solidarité à des populations civiles.
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Bien entendu, la dimension politique de leur action n’est pas étrangère à leurs motivations, mais il semble qu’elle soit formulée plus en réaction par rapport à une situation sur le terrain, plutôt qu’en amont d’un processus interventionniste. La question de la légitimité est différente pour le cas de la TIPH, de par la nature étatique de son mandat qui restreint, par contre, ses compétences sur le terrain à une stricte observation s’inscrivant dans la logique de relations inter-étatiques souveraines.
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La question de la pertinence, et donc d’une certaine manière de l’évaluation, de l’intervention civile en Israël - Palestine est difficile à déterminer puisqu’elle revient souvent à répondre que « cela pourrait être pire » .
L’analyse peut cependant se baser sur des éléments subjectifs comme les représentations qu’entretiennent les différents protagonistes du conflit à propos de ces missions.
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Elles font en général l’unanimité du côté palestinien (civil et politique) qui affirment que ces présences étrangères constituent un facteur de réduction de la violence. Il semble que ce soit le cas à Hébron, « point chaud » de la Cisjordanie dû à la présence d’une colonie juive en plein centre ville. Inversement, la violence exercée sur les civils palestiniens serait plus systématique dans les zones plus difficiles d’accès pour les étrangers (journalistes ou volontaires) comme à Rafah dans le sud de la Bande de Gaza ou Jénine dans le nord de la Cisjordanie.
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La perception des Israéliens (colons, armée, Etat) sur ces missions d’intervention civile est radicalement opposée. Considérées comme résolument pro-palestinienne, et donc anti-israélienne, l’aversion est particulièrement prononcée chez les colons qui voient dans ces présences étrangères une forme d’antisémitisme. L’armée et l’Etat israélien, plus modérés dans leurs propos, ne cachent pas pour autant leur opposition à ces organisations, notamment les plus médiatisées d’entre elles comme l’ISM, qu’ils tentent même parfois d’associer au terrorisme des islamistes radicaux. Les reconduites à la frontière ou les actions en justice (notamment afin de statuer sur le risque sécuritaire que poserait l’ISM à l’Etat d’Israël), sont autant de façons de déstabiliser, décrédibiliser ou se débarrasser des volontaires et des structures qui les encadrent.
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Les intervenants civils doivent également faire face à l’intransigeance des soldats israéliens sur le terrain ce qui les expose à des risques majeurs. Malgré les précautions prises (tenue vestimentaire distinctive, utilisation de porte-voix, etc.) et les formations que suivent les volontaires (différentes selon les organisations), la mort de Rachel Corrie, citoyenne américaine, militante au sein de l’ISM, en mars 2003 illustre bien le problème de la sécurité des volontaires, et en même temps cristallise tous les enjeux de la pertinence et de l’efficacité de l’intervention civile. Cet incident a eu raison de la dimension dissuasive sur le terrain, mais qu’en est-il aux niveaux politique, médiatique ? Les conséquences en terme de médiatisation sont indéniables pour l’ISM qui affirme enregistrer un afflux de volontaires internationaux. Les retombées politiques et diplomatiques s’avèrent par contre plus pauvres, même si la prise en compte d’une augmentation des victimes parmi les volontaires internationaux ne jouerait pas en la faveur d’Israël.
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D’une manière générale, la médiatisation du travail de ces organisations d’intervention civile apporte une nouvelle visibilité en terme d’intervention sur une zone de conflit et plus largement en terme d’apport de la non-violence dans la résolution globale d’un conflit.
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Les représentations positives ou négatives, en fonction des protagonistes, et les comportements qu’elles entraînent nous indiquent également que ces corps d’intervention civile pèsent dans les rapports de force et les rivalités qui s’expriment dans le conflit israélo-palestinien. Cette implication est, comme nous l’avons vu, difficile à évaluer, mais le simple fait que ces présences internationales soient soulageante, ou du moins gratifiante, d’un côté et gênante de l’autre met en lumière un degré de pertinence de l’intervention qui ne peut être mésestimé. L’intervention civile dans les territoires n’a pas pour autant fait preuve d’une crédibilité unanime, particulièrement aux yeux de la société israélienne, et c’est peut être dans ce sens que de futures actions doivent être menées.
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La difficulté réside donc dans la définition de l’orientation que l’on veut donner à ces missions agissant dans les territoires. Doit-on renforcer la capacité dissuasive de ces présences tierces au détriment du principe d’équité cher à une certaine conception morale de l’intervention civile ; ou doit-on privilégier cette dimension équitable avec le risque de voir ces missions perdre les soutiens populaires et politiques dont elles peuvent bénéficier et donc peut être leur dimension dissuasive ? Les orientations dépendent finalement des structures mandataires et de leur positionnement politique par rapport au conflit en lui-même et par rapport à ses protagonistes.
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Que ces missions soient donc conçues dans un environnement non-gouvernemental ou étatique, la question est donc de considérer les soutiens sur lesquelles elles peuvent s’appuyer pour minimiser les risques encourus par les volontaires et favoriser l’efficacité de leur intervention dans un objectif de contribution à une résolution non-violente du conflit, ou du moins de réduction significative de la violence à l’encontre des populations civiles.
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L’intervention civile de paix en Israël - Palestine pose donc des questions de positionnement, d’efficacité et de pertinence pour le moins délicates, mais son champ d’investigation est vaste et surtout, son exploitation a déjà été entamée.