Claire HUGONNARD, Berlin, décembre 2013
Quartiersmanagement à Berlin
Pistes pour impliquer les migrants d’un quartier au développement local et à la consolidation d’une cohésion sociale
I. Un projet à vocations multiples, le « Quartiersmanagement » à Berlin
A Berlin, on établit un bureau appelé « Quartiersmanagement » dans les espaces urbains caractérisés par un fort taux de chômage, de dépendance aux aides sociales ainsi qu’un pourcentage élevé de migrants.
L’administration du Sénat de Berlin pour le Développement Urbain et l’Environnement (SenStadtUm) a choisi de faire intervenir des équipes installées au cœur même de ces lieux, que l’on appellerait défavorisés en France, afin d’améliorer la cohésion sociale et le développement de ces derniers. Cette équipe travaille alors avec les habitants et les acteurs intéressés. Depuis les années 1999, soit depuis plus de dix ans, ce projet s’insère dans le programme Fédéral du ministère Allemand pour le transport et la construction. Il est également soutenu par le Fond Européen de Développement Régional (FEDER).
1. Aujourd’hui
Même si au départ l’accent était mis sur un objectif de renouvellement du bâti, pour répondre à un manque de mobilier urbain ainsi qu’à une dégradation de celui-ci, le projet tend finalement à impliquer les habitants afin de les inciter à être eux-mêmes au cœur du développement de leur quartier (appelé « Kiez »). Ils ont en théorie la possibilité de construire, d’orienter le futur de leur lieu de vie en donnant leur avis, en élaborant des propositions et des projets relatifs à leur quartier.
2. Les conseils de quartier
Les conseils de quartier sont une forme de démocratie locale et participative initiant des processus de développement. Il y a deux conseils de quartier différents à renouveler tous les deux ans dans chacun des « Kiez » choisis par l’administration du Sénat.
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Le premier conseil, qui existe depuis le début du projet, est appelé « Jury de citoyen » - Aktionsfondjury – il a pour but de voter les projets à court terme (environ 6 mois de l’élaboration à la réalisation) ciblant le voisinage dans son ensemble, pour l’intérêt commun. Ce peut être un tournoi sportif, l’ouverture des centres culturels du quartier pour un week-end, un festival de musique ou bien encore une action de greening des rues. Tout dépend des ambitions des élus ainsi que des personnes intéressées à mettre un projet en place.
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Le second conseil, plus récent, existe depuis 2006 seulement. Ce dernier est destiné à la discussion et au choix des champs d’action pour le quartier ainsi qu’au vote des projets à long terme (sur 2 ans normalement), tels que l’ouverture d’un cours de théâtre gratuit pour les jeunes de tous milieux du quartier, un café de quartier, la construction d’une aire de jeux etc.
Les deux conseils peuvent modifier certaines règles qui leur sont imposées par le département du Sénat gérant le projet. Les obligations immuables sont d’avoir une majorité de résidents élus ainsi que de se réunir en plénière au moins deux fois par an.
Les conseils de quartier ayant des règles communes et d’autres qui leur sont libres, ils sont tous différents tant au niveau du type de membres qui les composent (obligation d’être représentatif du quartier, quota de femmes, personnes âgées, étudiants ou bien migrants) qu’au niveau des partenaires ayant une place au sein du conseil (structures situées dans la zone urbaine ou bien en dehors, privilèges à certaines structures comme les écoles ou les centres d’art par exemple, en fonction de leur rôle pour le quartier ou choix émanant des autorités supérieures).
3. Idée innovante
L’idée innovante n’est pas seulement d’avoir des conseils de quartier mais aussi d’avoir un budget participatif (autour des 450 000 euros) ainsi que la certitude de mettre des projets en place.
Les membres élus doivent choisir quatre à cinq thèmes parmi une série de thèmes proposés par le Département du Sénat. Les grands thèmes sont l’éducation, les jeunes et les enfants, la culture et l’art, les espaces publics, l’intégration, le voisinage, le sport et la santé.
Ensuite, les projets à financer devront répondre aux caractéristiques de ces grands thèmes aussi appelés champs d’action.
4. Des projets à l’image des votants et des porteurs de projets
Ces projets proviennent soit des résidents, soit des « partenaires » du Quartiersmanagement (QM). La possibilité de réaliser un projet est donnée aux résidents, groupes de résidents, associations, établissements culturels, sportifs (privés ou d’état), entreprises ainsi qu’à d’autres établissements spécifiques à chaque quartier qui jouent un rôle important pour ce dernier. Sur deux ans seront organisés environ 100 projets avec des budgets variables et sur une durée différents. Les projets vont d’une fête de voisinage, à une exposition de peinture, un cinéma de quartier, une permanence d’aide sociale ou le financement d’un équipement pour un centre d’aide à la recherche d’emploi. Les projets dépendent des choix des membres élus (habitants et travailleurs pour le quartier), des workshops ainsi que des porteurs de projets.
5. La place des migrants au sein d’un processus de développement local participatif. Entre démocratie et empowerment.
Un conseil de quartier joue aussi le rôle de lieu de rencontre et d’échange entre différentes cultures, milieux sociaux. Ceux-ci doivent travailler ensemble, se mettre d’accord et débattre sur des thèmes communs. Chaque quartier a ses thèmes et projets particuliers qui normalement doivent être adaptées aux habitants et aux besoins de ce lieu urbain.
La plupart des QM travaillent pour des population à majorité migrante (première à troisième génération). Les conseillers de quartiers ont vocation à prendre des décisions au nom de tout le quartier et pour le bien commun de tous. Ce projet présente l’avantage pour les migrants d’avoir des financements soir pour mettre eux-mêmes en place des projets, soit afin de choisir les projets à développer pour le quartier. Deuxièmement, cela leur d’avoir le droit d’être élu, de se présenter, de voter pour des représentants, pour des projets, de donner leurs idées, ce qui ne leur est habituellement pas permis s’ils ne possèdent pas la nationalité allemande.
En réalité, la part des migrants représentés au sein des conseils de quartier est sous-représentée par rapport aux autres catégories socio-économiques.
Pourquoi sont-ils sous-représentés ? Quels en sont les facteurs/raisons? Et enfin, comment remédier à leur départ des conseils de quartier et à leur désintérêt à participer aux plénières?
II. Etude du quartier de Moabit Ouest
Cet article a été écrit sur la base d’une recherche de six mois réalisée dans le cadre de l’écriture d’un mémoire de recherche en développement international. Des observations et des interviews ont été menées auprès de différents acteurs, instituts, administrations étatiques, autres Quartiersmanagements jusqu’aux migrants habitant le quartier élus et non élus dans les conseils de quartier. Une analyse des données provenant du Sénat de Berlin et de divers instituts ainsi que de données propres au QM de Moabit West constituent également la base de cette étude.
Le Quartiersmanagement de Moabit West existe depuis la création du programme en 1999 et son espace urbain a été délimité par l’administration du Sénat. Historiquement, ce quartier fut une zone industrielle et d’immigration tardive par rapport aux autres quartiers berlinois. Si les migrants ont pu travailler dans les usines, à leur fermeture ils se sont retrouvés et sont encore dans de grands difficultés pour retrouver un travail car il leur est demandé des qualifications qu’ils n’avaient auparavant pas du acquérir.
Ce quartier comptait environ environ 43 000 habitants en 2013 d’après les statistiques officielles. Le quartier de Moabit West est caractérisé par une majorité de résidents issus de l’immigration (migrants, résidents ayant acquis la nationalité allemande) : 52 % en 2013 d’après l’administration du Sénat. Un pourcentage bien au-dessus de celui de la ville entière de Berlin mais dans la moyenne des autres Quartiersmanagements. Les nationalités qui cohabitent à Moabit West sont majoritairement d’origine turque, suivi des pays maghrébins et des pays d’ex Yougoslavie. Un tiers des habitants est sans emploi et un autre tiers dépend des aides de l’Etat mais peuvent avoir une activité professionnelle.
Les problèmes que le Quartiersmanagement doit résoudre indirectement sont la pauvreté, le chômage, les nuisances sonores ainsi que la dévaluation urbaine du quartier, le manque d’identité commune, d’attache au quartier, l’image négative du quartier et la diminution de sa population. Le quartier n’est pas développé de façon homogène, certaines rues, sections ont besoin d’êtres rénovées, ce sont les familles les plus pauvres qui y vivent. La qualité et le nombre d’espaces verts, d’écoles ainsi que d’établissements culturels et sociaux ne sont pas encore répartis équitablement dans le quartier ni accessibles à tous.
L’immigration n’est pas reconnue dans le quartier comme une ressource, ce qui est le cas dans d’autres quartiers. Moabit West fait partie de l’autorité supérieure « Mitte » qui est le quartier central et le plus historique de Berlin. Cette autorité cherche à attirer une nouvelle population plus aisée afin d’harmoniser Moabit West à l’entité Mitte qui est très réputée.
Des lieux de rencontres, d’actions communes sont à développer grâce au Quartiersmanagement afin d’améliorer la cohésion sociale du quartier ainsi qu’un développement plus harmonieux de Moabit West.
Le Quartiersmanagement de Moabit West est composé du jury de citoyen (AFJ), deux élus issus de l’immigration sur douze personnes et du conseil de quartier (QR), quatre migrants pour 20 élus. Par contre, au court des deux ans, une personne s’est retirée, une autre a été obligée de quitter le jury de citoyen et les autres ont participé au moins une fois et ont ensuite été très irrégulièrement présents voir totalement absents des réunions. La majorité des projets financés étaient d’ordre culturel. Les thèmes choisis par le QR ont été l’éducation, l’emploi, la culture et le voisinage. Les thèmes de l’AFJ sont les mêmes pour tous : l’activation des résidents, l’entraide, les responsabilités individuelles, les relations de voisinage et l’engagement. Sept projets sur trente-trois ont été mis en place par des habitants issus de l’immigration.
Le but de cette recherche a été de comprendre premièrement pourquoi peu de migrants étaient élus et ensuite pourquoi quand ils étaient élus, ils ne continuaient pas à participer. Puis je me suis intéressée au fait que très peu de projets étaient réalisés par les migrants. Mon objectif principal est ainsi devenu d’élaborer des recommandations afin de résoudre les problèmes de coopérations entre les migrants et le Quartiersmanagement.
III. Pistes pour des améliorations
« Tout résident ou travailleur du quartier ayant au moins 16 ans et sans obligation de posséder la nationalité allemande peut postuler en tant que candidat ainsi que voter pour ses représentants. »
1. Avoir des représentants et aller les élire
La première étape est constituée par la phase d’élection et par le fait de se présenter en tant que candidat. Déjà, très peu de migrants sont présents au moment du vote pour l’élection des nouveaux conseillers de quartier. Ceci s’explique par un manque de communication. Il est donc nécessaire de consacrer du temps et une part un budget pour créer des outils de communication accessibles à tous les milieux et origines. Les affiches, flyers, documents ne sont pas traduits en différentes langues. La plupart des migrants comprennent suffisamment l’allemand, il s’agit là de montrer que les conseils de quartiers leur sont accessibles, qu’ils y seront les bienvenus. On parle d’une « culture de bienvenue ». De plus, comprendre l’idée et le fonctionnement d’un conseil de quartier n’est pas évident pour tout le monde. C’est encore plus difficile pour quelqu’un qui n’en n’a jamais entendu parler au cours de son cursus éducatif, que ce soit en Allemagne ou dans le pays d’origine (illustrations, slogans courts, témoignages peuvent être des pistes pour améliorer la compréhension du travail d’un conseil de quartier). Un affichage réfléchi, installé dans des lieux comme les parcs (les mamans y sont avec leurs enfants), ou les écoles (les parents). Rentrer en contact directement avec eux sera perçu comme un réel geste à leur égard. L’information autour des CQ se fait tout au long de l’année dans certains QM, par l’équipe appuyée de quelques membres élus.
Arriver à attirer l’attention des habitants est le plus gros défi à relever, ainsi une multitude de techniques doivent être suffisamment adaptées, créatives et non seulement « jolies », mais aussi épurées et simples. Il est souvent important de rappeler avec des photos par exemple, que tel ou tel projet à été choisi et financé par le CQ.
Puis, seulement 20% des membres élus, soit 4 personnes sur 20 sont des migrants. La grande majorité des membres sont allemands, ce qui n’est pas proportionnel au nombre d’habitants d’origine allemande et vice versa. Les migrants interviewés parlent d’eux mêmes d’un problème de représentativité. De ce fait, les migrants élus ne se sentent pas à l’aise durant les séances ainsi que pour d’autres raisons dont nous parlerons plus tard.
Si un tel processus, même démocratique, n’atteint pas les objectifs fixés, la représentativité et la participation de toutes les catégories socioprofessionnelles d’habitants, alors des moyens complémentaires devraient être mis en place. Nous citerons ici des outils qui sont utilisés par certains QM en les adaptant au challenge posé.
Tout d’abord, à l’initiative du projet, l’administration du Sénat pour le développement urbain de Berlin, avait pensé qu’un tiers des membres devait provenir d’un tirage au sort en prenant des noms d’habitants vivant dans le quartier de manière aléatoire. Il est alors possible de solliciter la mairie afin de recevoir l’adresse d’un nombre pré-défini de migrants qui recevront une lettre les désignant membres du CQ. Ces-derniers ont ensuite le droit d’accepter ou de refuser. Cela requiert une volonté de l’équipe du QM et du CQ actuel ainsi qu’une approbation de l’entreprise et du comité de régulation. Toute action est toujours longue et complexe à mettre en place. Les initiatives spontanées ou fantaisistes ont rarement leur place.
Ensuite, des priorités peuvent être instaurées. Dans le cas présent, privilégier un habitant issu de l’immigration par rapport à une structure professionnelle qui ne représentera pas forcément les besoins des migrants.
Pour un réel empowerment des résidents il serait nécessaire de leur permettre d’avoir la possibilité de réaliser leurs projets ; cela exige de les impliquer de la phase consultative, à l’élaboration et à la réalisation de projets jusqu’à la phase d’évaluation.
2. A quoi penser et que mettre en place pour maintenir la participation et susciter la motivation de venir aux réunions
La deuxième étape est la participation active des migrants lors des séances du CQ. Le minimum est que chacun puisse s’exprimer. Ceci implique des temps de parole les plus égaux possibles. Il est du ressort du modérateur de veiller à ce que certains membres ne monopolisent pas la parole, que chaque intervention soit écoutée et prise en considération.
Les migrants élus ne viennent qu’aux premières réunions. Ceci fut expliqué au travers d’interviews avec eux ainsi qu’avec des structures travaillant dans le milieu de l’implication des migrants en ville. Il en est ressorti qu’il ne s’agit pas seulement d’un problème de temps de parole car ceci n’est pas un problème propre aux migrants mais qu’il découle d’une accumulation de pratiques et d’actes entraînant un désintérêt à participer. L’un des points négatifs les plus souvent évoqués est le manque d’une culture de bienvenue. Les migrants ne se sentent pas à leur place car ils sont sous-représentés, mais surtout parce qu’aucun effort n’est fait pour les mettre à l’aise. Les migrants interviewés ont raconté se sentir incompris et non pris en considération. Les exemples relatent les premières fois où ils ont osés prendre la parole et ce furent les dernières. Pourquoi ?, parce que leur remarque n’a pas été comprise, son utilité (et non leur allemand), l’idée ou le besoin exprimé n’est alors pas retenu et on passe à un autre thème ou à quelqu’un d’autre. Il y a un décalage qui s’opère entre les interventions des allemands et des migrants. Un décalage provenant avant tout de vécus différents. C’est pourquoi, d’autres méthodes que l’échange de mots seraient nécessaires. Par exemple, l’utilisation des cartes pour montrer les lieux dont on parle, aller à extérieur pour observer ensemble le territoire et échanger des idées sur ce qui pourrait être aménagé, construit ou afin de trouver des idées d’événements. Ensuite, utiliser des supports plus récréatifs permettraient de varier les formes de communication, de maintenir la motivation et de rendre la participation plus accessible (partir de l’expérience d’une personne, des réflexions de groupe, dessiner une carte du quartier et des lieux où l’on va, partager un repas ensemble, organiser des rencontres habitants/conseil de quartier à la recherche d’idées et de projets, Venn Diagramme, etc…).
Maintenir la motivation de tous est un défi au vue de l’extrême formalité dont les sessions doivent faire preuve. Cette formalité est de nature administrative, protocole de la dernière réunion à lire en chaque début de session, organisationnelle, la séance est pré-établie à l’avance avec les points à aborder ainsi que des horaires à respecter.
⁃ Une voix par groupe d’intérêt (églises ou entreprises ou écoles ou autre).
⁃ Instaurer un système de parrainage des nouveaux membres et porteurs de projet.
⁃ Ouvrir les sessions au public (donner son avis, conseiller, être au courant des futurs projets pour le quartier et comment les subventions sont utilisées)
⁃ Organiser des moments « hors session », se retrouver en extérieur pour apprendre à se connaître, partager la culture culinaire de chacun.
⁃ Organisation des sessions : besoin de plus de liberté dans les horaires, thèmes et manière de travailler, moins utiliser un vocabulaire technique et administratif, privilégier des activités ludiques, illustrations, diversifier les types de sessions, organiser des groupes de travail visités par tous et partir des besoins.
⁃ Privilégier des projets d’habitants à ceux des établissements professionnels, aller chercher des projets auprès des habitants (publicité pour un projet leur est adressée).
⁃ Un projet doit être co-construit avec un habitant.
⁃ Laisser le temps qu’il faut pour un projet, laisser place aux évolutions et aux modifications possibles.
3. Un projet ambitieux mais nécessitant une prise de conscience de la réalité
Un projet dépendant d’un nombre important d’acteurs et donc d’objectifs différents, peut avoir la chance de pouvoir proposer des solutions plus efficaces en raison de la pluridisciplinarité de ses acteurs, d’objectifs qui peuvent être complémentaires et d’une certaine mutualité.
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Comme point négatif on retrouve la complexité administrative et décisionnelle qui en découle et qui peut faire perdre du temps, de l’énergie et de la motivation aux acteurs.
Une équipe de QM prend environ 10% seulement de son temps pour préparer les conseils de quartier et le reste est occupé par des taches administratives, de conseil de projets et sur des projets autres que les conseils de quartier. Les équipes sont toujours surchargées de travail, aimeraient être plus que deux ou quatre personnes à gérer tout un quartier. Ce manque de personnel et donc de temps joue sur la motivation à être actif hors du bureau ainsi qu’à mettre en place de la nouveauté et plus de créativité. L’équipe ne suit pas de formations continues afin d’améliorer leur travail auprès des habitants qui pourraient leur être pourtant très bénéfiques.
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Le point positif reste néanmoins l’accessibilité donnée à tous de participer aux conseils de quartiers et de mettre en place de projets, avec ou sans papiers allemands. Même si en pratique l’accès sera plus complexe pour les migrants. Aussi, le quartier se découvre un nouveau rythme de vie, parsemé de festivals, fêtes, rencontres et autres activités gratuites et pour tous. L’espace urbain est embelli et plus équipé. Les habitants ont la chance de pouvoir trouver de l’aide gratuite dans divers domaines.
Malgré tout, un bureau de Quartiersmanagement ne résoudra pas les problèmes de chômage ni de pauvreté même si cela reste un but lointain.
L’éternel problème du décalage entre ce qui est dit officiellement et ce qui sera fait en pratique est ici aussi fortement présent. Derrière les annonces il y a la réalité et celle-ci n’est pas encore admise. Le programme n’a pas fait d’études préalables ni ne s’est basé sur des concepts à suivre qui auraient pu guider sa mise en place. Les intérêts professionnels des mairies, établissements ou de diverses agences ne sont pas contrôlés puisqu’il s’agit d’un travail en réseau assez fermé et ou tout le monde se connaît. Un programme qui travaille sur diverses problématiques et domaines aurait pu créer au fil du temps des partenariats avec d’autres programme comme celui de la Commission pour la Migration et l’Intégration par exemple. Si des évaluations du projet ont été faites, ce ne fut que par l’administration du Sénat et aucune proposition d’amélioration ou même de prise en compte des résultats n’a été entreprise.
Aujourd’hui ce sont de curieux et embêtants paradoxes que l’on découvre en s’intéressant de plus près aux résultats. Il y a en fait moins d’initiatives locales provenant des habitants eux-mêmes puisque la grande majorité des projets doit être mise en place par des professionnels. Les résidents perdent l’ambition de postuler, de monter leur propre projet d’autant plus lorsqu’ils ont déjà vécu - comme pour la plupart de ceux dont le projet fut un succès - la reprise de celui-ci par des professionnels sans qu’ils aient une chance de rester à la tête de leur projet de départ. Une équipe de Quartiersmanagement sait que son but est de consolider les partenaires de l’administration du Sénat ou de la mairie et non de faire émerger de nouveaux acteurs.
Les migrants interviewés sont déçus leur expérience avec le QM et ont une vision négative de la société allemande et de la démocratie. Leurs espoirs s’évanouissent et ils choisissent d’être actif avec et pour leur communauté.
Depuis l’arrivée du Quartiersmanagement à Moabit West certains journaux et résidents évoquent le fait que l’immobilier est devenu plus cher car, le bâti a été rénové, il y a plus d’offres culturelles et pour les enfants que dans d’autres quartiers. Ceci a attiré une nouvelle population, plus riche et donc bien souvent non issue de l’immigration. Il est vrai que beaucoup de familles immigrées sont obligées de quitter le quartier pour un quartier moins cher. Par contre il reste difficile de prouver que l’introduction d’un QM en est la cause puisque Berlin, à l’image d’autres capitales européennes, devient de plus en plus cher. D’autres sont de l’avis que le QM a apporté plus de vie au quartier. La majorité des membres élus des conseils et des jurys sont très heureux de participer et trouvent cela bénéfique pour le quartier même si cela ne peut être visible à chaque coin de rue, comme ils l’indiquent. Ce sont pour eux les projets qui indirectement et avec le temps vont faire évoluer le quartier vers des améliorations adéquates.
On peut se poser la question de savoir si le projet serait différent si il était indépendant. Serait-il possible sans aide et cadre institutionnel ? Pourrait-t-on voir un système de crowfunding voir le jour ? Est-ce que la population migrante serait intéressée par ce fonctionnement virtuel ? La motivation à agir pour son quartier ne manquerait-elle pas d’énergie commune ?
Les financements baissent d’année en année et en 2014 l’Union Européenne se retire du projet, entraînant une importante réduction des subventions. Le futur même du Quartiersmanagement est en question. Les bruits courent qu’il n’y aura plus de participation citoyenne mais seulement un bureau qui cherche lui-même des porteurs de projets qui auront été décidés en amont.
Un projet qui part d’un bon sentiment mais qui ne peut tout de même pas être magique. Il ne peut à lui seul résoudre tous les problèmes et apporter la certitude d’un meilleur futur. Le projet reste très cadré par des règles émanant de l’administration du Sénat ainsi qu’un contrôle par les administrations locales et par une surveillance externe du bon financement des projets.
On ne peut parler d’empowerment des habitants car même s’ils constituent la majorité des élus cela n’empêchera pas qu’au final il y aura plus de professionnels que d’habitants présents aux réunions. De plus, les projets proviennent en grande majorité des professionnels et non des habitants.
Aboutir à un développement durable et à l’amélioration de la cohésion sociale est discutable du fait de projets qui doivent êtres finis dans la précipitation car ils ne peuvent dépasser une certaine durée d’activité qui est déjà très courte ainsi qu’une quasi impossibilité d’adaptation car modifier un projet une fois voté n’est possible que sur de légers points.
Le potentiel de ce projet bien que stimulant est mis à mal pour cause de formalité extrême, de manque d’adaptabilité du système qui entraînent un désintérêt de la part de la population du ciblée (à faible revenu ou sans emploi ou issu de l’immigration). Il est une fois de plus question de laisser une place dans le processus de réflexion, décisionnel et de mise en place aux personnes dont on veut améliorer le quotidien afin qu’elles soient elles-mêmes à l’origine des changements à venir. Ce qui se passe aujourd’hui est une appropriation du projet des conseils de quartiers et des financements pour les résidents et les professionnels, tout à fait normal car le projet leur est plus favorable et accessible. Ce sont ces personnes qui conduisent le développement futur du quartier, et donc qui prendra la couleur de ses participants et décideurs.
La vocation sociale, d’activation citoyenne, d’engagement, de cohésion sociale n’est que très partiellement réussie puisque le projet est dominé par une certaine classe sociale et des professionnels.
Les conseils de quartiers ainsi que les projets devraient être un formidable moyen de provoquer la rencontre d’habitants de toutes classes sociales confondues et ainsi de mélanger les avis, besoins, expériences et idées de chacun. Des moments d’échanges sur des thèmes communs et de problèmes respectifs, de recherche de solutions communes, du partage de son vécu du quartier. Une manière, à plusieurs, en tant qu’usager, observateur, expérimentateur, d’être alors à même de trouver les meilleurs réponses, les meilleurs idées de projets ou d’événements à organiser, de moyen de mutualiser les connaissances, de se rapprocher, d’apprendre à mieux se connaître, avec les efforts et le temps de chacun.
Conclusion
S’engager pour son quartier est pour les migrants lié au fait de partager des moments conviviaux, d’échanger autour d’expériences communes ainsi qu’une envie de s’ouvrir à l’autre. Même si les migrants ont d’autant plus besoin de voir des changements dans leur quotidien, leur participation au sein d’un Quartiersmanagement ne doit pas être vécue comme un travail sinon, comme nous l’avons vu, ils se tourneront vers d’autres actions citoyennes.
Si on parle ici d’engagement, de volonté d’être actif, il s’agit d’autant plus pour les migrants d’une volonté de répondre à leurs besoins journaliers, pour lesquels ils auraient des recommandations, des solutions à apporter. Ils espèrent voir des évolutions vers quelque chose de « meilleur », une acceptation des différences ; différences de religions, de coutumes, de façons de vivre, de pensées, d’espoirs, de vécus ou bien encore de problèmes. Être migrant ou issu de l’immigration, que ce soit par le biais de parents migrants, par choix, par obligation, ou par hasard, c’est être au cœur de nouveautés mais aussi d’espoir et de désespoir, de difficultés, d’incompréhension, de solitude, de rejet et c’est aussi être sujet à un possible renfermement sur soi. On soulignera ici leurs difficultés à entrer en contact avec les personnes originaires du pays. La plupart font des efforts en permanence pour s’intégrer mais ceux-ci seront insuffisants ou invisibles. Ceux-sont des personnes qui peuvent avoir peur du jugement, du regard ou du comportement de l’autre envers elles lorsqu’elles ne parlent pas parfaitement la langue du pays. Être migrant cela veut aussi dire être dans la comparaison de ce que l’on a connu et de ce que l’on vit désormais. Mais il y a aussi beaucoup de choses nouvelles, surprenantes qui réjouissent, attirent, réveillent, intéressent, des choses que l’on est fier d’avoir acquises en ces lieux nouveaux. Les projets de dialogues inter-religions des Quartiersmanagement ou de rencontres inter-culturelles et d’activités pour femmes ou pères migrants, des fêtes en coopération avec les mosquées par exemple ou avec les associations de migrants sont très appréciés. Ce sont des moments d’échanges primordiaux pour le quartier, qui apportent beaucoup aux deux groupes d’habitants et qui fondent la future unité du quartier. Malheureusement, le Quartiersmanagement ne parvient encore que difficilement à créer de réels moments d’échanges qui soient partagés avec entre tous les habitants.
Enfin, peu de politiques de la ville accordent le droit aux résidents d’être acteur de leur lieu de vie comme à Berlin, et reconnaissent ceux-ci comme les meilleurs connaisseurs de leur quartier (comme potentiel créatif et innovant en matière de solutions pour la ville). Dans la pratique, ces milieux socialement innovateurs ne sont pas encore assez soutenus par le système des Quartiersmanagement, ce qui pourtant permettrait l’émergence d’un développement territorial plus équitable. L’économique du quartier, de la ville, reste dominant sur la dimension sociale, il n’existe pas encore de convergence entre ces deux secteurs afin d’arriver à un développement innovant (appelé économie sociale et solidaire). Dans un monde complexe où les professionnels et politiques ne peuvent plus tout contrôler et avoir les moyens d’enclencher les évolutions adéquates, l’innovation sociale, c’est-à-dire grâce aux personnes dotées d’un potentiel créatif, innovant et surtout d’une volonté de réaliser leurs idées, représente une force et une ressource incommensurable pour un meilleur développement de la ville si ce n’est à plus large échelle.
Les migrants d’aujourd’hui dans les villes européennes sont à la recherche d’un nouveau chez eux ou d’une deuxième « maison » plus colorée que l’ancienne. Ceux-sont des femmes et des hommes, des familles qui souhaitent réaliser leurs rêves à tout prix. Cette énergie, capacité d’adaptation et volonté que ces personnes possèdent en plus des expériences postérieures, des connaissances acquises, des différences culturelles et des langues parlées, représentent une ressource nécessaire à reconnaître comme telle par et pour nos sociétés. Ce sont des personnes qui feront preuve de créativité, de dynamisme, d’ajustement, de prise de risque, de propre responsabilité, de regard futuriste, de déclencheur d’évolutions ou bien encore de prise de conscience de nos erreurs et de nos forces. Les villes, lieu de vie privilégié des migrants, les évoluent et réciproquement, les migrants recréent les villes et les sociétés.