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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche d’analyse

, Paris, décembre 2013

Une approche institutionnelle de la paix et de la sécurité en Afrique : assainir le sommet et autonomiser la base.

Quelques propositions de mesures concrètes pour œuvrer en faveur de la paix et de la sécurité en Afrique.

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La Paix et la Sécurité sont une préoccupation permanente pour une pléthore de personnes morales nationales et internationales : les associations, les ONG, les organismes internationaux, les États. Mais les premières victimes sont et resteront toujours les populations. Ce sont elles qui subissent au quotidien les ravages, les conséquences de l’insécurité. Ce sont elles qui votent les dirigeants, se laissent conduire par eux dans les abymes de l’insécurité ou en font les frais souvent sans aucun moyen de défense.

Le but de cette contribution est de présenter au lecteur quelques idées qui, si elles étaient mises en application par nos gouvernants permettraient aux différentes rencontres sous forme de tables rondes, colloques, symposiums, forums et sommets qui ont lieu autour de la terre d’axer leur action sur des mesures concrètes.

I. De la sécurité et de la paix

1. La sécurité : un besoin humain de survivance

Dans la fameuse échelle des besoins humains du célèbre psychologue et sociologue Abraham Maslow, la sécurité figure en deuxième place après les besoins physiologiques. L’homme a besoin de sécurité : contre toute atteinte à sa personne, atteinte directe (violence, agression) ou indirecte (injustice, absence de ressources pour sa survie, incapacité de se soigner, non respect de son droit de propriété, etc.). Cela se justifie par le besoin qu’il ressent de construire, de fonder une famille, d’appartenir à groupe dans lequel chacun mutualise ses efforts, de vivre en société, de former des institutions pour assurer l’ordre dans l’intérêt de tous, de constituer des forces de police ou des forces armées chargées d’une défense efficace contre les troubles et la loi du plus fort.

2. La paix : un levier pour l’épanouissement humain

Quant à la paix, qu’elle soit prise au sens psychologique (état de quiétude et de sérénité animant l’esprit qui vit en chaque être) ou sociologique (relations d’entente entre les membres constitutifs d’un groupe). Elle est le fondement de toute vie collective prospère. Dans la classification de Maslow, elle peut être considérée comme le levier qui permet d’accéder aux trois autres niveaux de besoins humains qui viennent après la satisfaction des besoins physiologiques et de sécurité. Si on n’est pas en paix avec soi et avec les autres, il est difficile d’envisager toute construction qui va au-delà de sa simple personne : l’amour (amitié, famille, appartenance), l’estime (reconnaissance, respect des autres et par autrui), l’accomplissement de soi (envie de résoudre les problèmes, engagement, créativité,…).

Tous les individus qui vivent dans les nations industrialisées et développées contemporaines connaissent la préciosité et la valeur de la paix. La paix est à la base de projets intégrateurs tels que l’Union Européenne, lauréate du prix Nobel de la Paix en 2012. Les deux grandes puissances (la France et l’Allemagne) initiatrices et motrices de ce projet se firent la guerre dans le passé. Ils voulaient asseoir les bases d’une paix durable en Europe.

3. Qu’en est-il de ces deux éléments, la sécurité et la paix, en Afrique ?

L’Afrique est le terrain de divers maux. Certains sont nettement flagrants : piraterie dans les côtes africaines, développement de mouvements terroristes ou de guérilla, élections présidentielles souvent conflictuelles entretenant l’instabilité institutionnelle, etc. D’autres sont plus subtiles ou insidieux : des dirigeants qui accèdent au pouvoir suprême à la suite d’élections truquées et dont le pouvoir suscite grèves, contestations, oppositions violentes ; des dirigeants qui règnent mais ne gouvernent pas laissant leur pays dans l’abandon total ; asservissement des trois pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire) aux mains du chef de l’exécutif, etc. Le tableau est suffisamment tâché aujourd’hui pour être caché. La situation est vraiment grave. Et le fait que les chefs d’États africains soient conviés à Paris pour discuter des problèmes de sécurité et de paix auxquels sont confrontés leurs États et leurs populations est une mesure parmi tant d’autres mais pas suffisante. Les intellectuels africains, la société civile, les acteurs de terrain ont le devoir de faire preuve d’imagination et de pragmatisme. C’est l’esprit qui anime la rédaction de cet article.

II. Assainir le sommet par des mesures institutionnelles pour établir la sécurité et la paix

Quand on veut balayer un escalier, on commence toujours par le haut. La principale mesure ici consiste à se défaire de la procédure qui consiste à élire le président de la république au suffrage universel.

1. La problématique de l’élection du président au suffrage universel

Dans l’immense majorité des États africains, le président de la République incarne le sommet de l’État : il est le chef de l’État et des armées. Il est élu selon le principe du « suffrage universel » c’est-à-dire à l’issue d’un vote impliquant l’ensemble des citoyens. Comment les États africains actuels sont-ils arrivés à utiliser ce mode d’expression de la volonté populaire ? Examinons le cas des pays francophones.

La constitution du 4 octobre 1958 instituant la Ve république française est le reflet des idées constitutionnelles du général De Gaulle qui était partisan d’un pouvoir exécutif fort avec à sa tête un homme fort. Cette constitution adoptée par les français à travers le référendum du 28 septembre 1958, consacrait la suprématie de l’exécutif sur les autres pouvoirs (législatif et judiciaire). Mais, pour faire du Président de la République le chef incontesté de l’exécutif, De Gaulle avait besoin d’un autre instrument : son élection au suffrage universel. Il écrit : « Le référendum, enfin, institué comme le premier et le dernier acte de l’œuvre constitutionnelle m’offrirait la possibilité de saisir le peuple français et procurerait à celui-ci la faculté de me donner raison, ou tort, sur un sujet dont son destin allait dépendre pendant des générations. » (1). Il l’obtint grâce au référendum qu’il organisa le 28 octobre 1962. Il fit ainsi du « chef du pouvoir des pouvoirs » une sorte de « monarque » mais « républicain » car son autorité découlait d’une bataille électorale populaire. Tout cela eut lieu dans un contexte qui n’a plus lieu d’être.

2. Un bilan négatif de l’élection du président au suffrage universel

La France est à sa Ve République. Dans toutes les républiques qui précédèrent cette dernière, le président jouait un rôle d’arbitre. Les uns diraient qu’il régnait mais ne gouvernait pas. L’élection du président au suffrage universel ne fut introduite qu’au cours de la cinquième république par le fait d’un homme, De Gaulle. Un demi-siècle après l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel, la classe politique de l’hexagone dresse un bilan plutôt négatif. Les dernières déclarations médiatiques d’Hervé Morin sur ce sujet sont plus qu’éloquentes : l’élection du président de la république au suffrage universel est la « gangrène de la démocratie française […]. Un système qui ne fait pas de démocratie […], qui fait de la concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul homme avec une cour. […] Une vie politique qui se résume à une bataille d’ego où chacun essaie de démontrer sa différence par rapport à l’autre dans la même famille politique ». (2)

En Afrique, la réalité est le fidèle reflet de ces déclarations. À chaque élection présidentielle au suffrage universelle, le choix de celui qui est censé incarner l’unité nationale laisse planer le spectre d’une menace pour la sécurité et la paix. Et pour cause : la constitution (loi fondamentale) qui régit les États africains notamment francophones est une copie quasi-conforme et conformiste de la constitution de la Ve République française. Et comme les mêmes causes produisent les mêmes effets, le recours au suffrage universel pour élire le président de la république dans les États africains est une des principales sources de désaccord populaire en Afrique. Ce procédé doit être purement et simplement aboli des constitutions africaines comme mesure de préservation de la sécurité et de la paix.

3. Des alternatives au suffrage universel

Les régimes présidentialistes en vigueur en Afrique font du poste de président un enjeu trop important : celui qui a le pouvoir a tout ! Et ceux qui n’ont rien, n’ont plus rien à perdre ! Voilà le terreau idéal de l’insécurité. Supprimer le suffrage universel suppose de réviser totalement les régimes politiques selon lesquels les États actuels sont gouvernés pour les rendre compatibles avec cette nouvelle condition.

Les régimes « présidentialistes » africains peuvent être substitués par d’autres modèles moins focalisés sur « une personne » et plus ouvertes sur « plusieurs acteurs » politique. On peut citer les régimes semi-présidentiels (comme c’est déjà le cas au Cap - Vert) ou parlementaires (cas de la république de Maurice) ou encore le système de présidence tournante entre régions (cas de l’Union des Comores depuis 2001). Mais, comme disait Napoléon, les demi-mesures sont sources de perte de temps, le summum de la perfection serait d’arriver à un régime collégial à présidence tournante dont la Suisse est le seul pays au monde à en jouir ! Et ce pays réputé « pacifique » est aussi le champion d’une autre mesure qui nous semble indispensable pour garantir la sécurité des populations en Afrique : l’armée de milice en complément d’une armée de métier.

III. Autonomiser la base pour sa sécurité et pour la paix

1. Les armées régulières face aux défis de la paix et de la sécurité

Légion sont les armées régulières des États africains qui ont montré leurs limites à défendre, elles toutes seules, l’intérêt de la nation et même, à protéger leurs populations face à des attaques extérieures.

Au sein des États, les régimes illégitimes qui arrivent à s’imposer et à perdurer au pouvoir s’appuient généralement sur les forces de l’ordre public ou l’armée nationale. Armées supposées être au service de la nation mais qui finissent par servir la cause du dirigeant « élu au suffrage universel ! ». Dans cette première situation, les peuples assoiffés de liberté mais sans moyen de défense finissent par se résigner et se soumettre à ceux qui détiennent l’arme à feu.

Dans les conflits qui causent les massacres des populations en masse aujourd’hui en Afrique, l’observation de divers cas malheureux (Somalie, Mali, Centrafrique, RD Congo, etc.) montre comment des milices ou des groupes armés arrivent à s’attaquent à des États souverains pendant que le monde entier s’émeut sur le sort des populations livrées à leurs bourreaux. Face à ces attaques les armées régulières manquent souvent d’assez de détermination pour assurer leur rôle de défense du territoire national et de leurs compatriotes. Dans cette deuxième configuration, les populations civiles, vulnérables et exposées offrent l’image d’êtres humains sans défense livrés à des bêtes féroces.

Que ce soit dans le premier ou le second cas de figure, la tâche est trop facile pour celui qui possède l’arme. Exceptionnellement, quand la règlementation et les accords internationaux le permettent, seule l’intervention internationale reste le dernier recours pour épargner les vies humaines et pour tenter de rétablir l’ordre. Ceux qui sèment la terreur le savent. Mais, s’ils savaient que leurs adversaires leur opposeront désormais une résistance avec des moyens équivalents, ils regarderaient par deux fois avant de s’engager dans leur besogne de violation des droits humains !

Ainsi, si on veut vraiment parler de paix et de sécurité, on ne peut pas continuer dans cette voie qui réduit la victime à quémander le secours et à mourir ensuite. Le vrai enjeu réside dans la possibilité de donner au peuple les moyens d’assurer la défense de son intégrité physique et de ses droits (propriété, territoire, patrie, etc.).

2. Instaurer une armée de milice à partir d’un système de conscrit et de recrues

Une armée de milice est une armée dans laquelle les civils sont formés et exercent des charges militaires parallèlement à leurs activités professionnelles normales. Le mot « milice » vient du latin militia en référence au « service militaire » qui était pratiqué dans la démocratie grecque (Athènes) et au début de la république à Rome. Le sage dit qu’« il n’y a rien de nouveau sous le soleil » et le scientifique observe à juste titre que « rien ne se créé, rien ne se perd, tout se transforme ». En regardant les exemples contemporains dans lesquels ce système fonctionne, on trouve au premier rang : la Suisse. Dans ce pays qui se réclame militairement neutre, on prépare la guerre pour préserver sa paix. Concrètement, tous les citoyens suisses sont appelés à servir ce qu’on y désigne par l’École de recrues (ER) : « Elle dure 18 ou 21 semaines et comprend trois phases : l’instruction de base générale (IBG), l’instruction de base spécifique à la fonction (IBF) et l’instruction en formation (IFO 1) ». (3)

Cette étape est un passage obligé à partir duquel la Suisse fait d’une partie de sa population, un vivier de militaires non professionnels susceptible de monter au front à tout moment pour défendre la patrie en s’appuyant sur une logistique et des réserves d’armes sous le commandement de militaires professionnels.

Il ne s’agit donc nullement de substituer les militaires professionnels par des miliciens mais de la soutenir d’apporter une garantie supplémentaire à la liberté, à la sécurité et la paix en y impliquant les citoyens de manière responsable.

3. Redéfinir les rôles du sommet et de la base : passer des États-unitaires actuels à des États fédéraux

Parler de l’autonomisation du peuple ne peut se limiter qu’aux aspects sécuritaires. La sécurité et la paix doivent être un tremplin vers le développement et la démocratie donc vers une certaine prospérité.

Aujourd’hui, dans l’immense majorité des pays africains, les capitales, lieux où sont basés les pouvoirs centraux de l’État sont les uniques points d’impulsion de toutes les décisions politiques. L’influence quasi-monopolistique du pouvoir central s’étend alors sur tous les domaines sans distinction.

L’idée de l’autonomisation des populations est de confier aux pouvoirs locaux tous les moyens légaux pour mener à bien leur développement local : Éducation, Culture, Logement, Urbanisme, Environnement, Exploitation forestière, Santé, Assistance sociale, Agriculture, Chasse, Pêche, Tourisme, Loisirs, Langues locales, etc. Dans ces conditions, l’Etat central ne serait plus chargé que des fonctions dites régaliennes : - Sécurité extérieure (Affaires Étrangères, Diplomatie, Défense nationale, Armée) ; - Sécurité intérieure et ordre public (Immigration, Police fédérale) ; - Souveraineté économique et financière (banque centrale, Émission de monnaie) ; - Droit et Justice.

L’organisation qui permet une répartition aussi rigoureuse et responsabilise réellement les populations locales dans le processus de leur développement est le fédéralisme. Signalons au passage que dans un État fédéral réussi, l’armée nationale est représentative de la diversité culturelle du pays et de toutes les entités fédérées du pays. Il joue un rôle de ciment fédérateur et unificateur de la nation. Dans notre proposition, elle est le fruit d’une étroite collaboration entre les militaires professionnels et les militaires de réserves ou miliciens au sens suisse du terme.

En somme, le fédéralisme est par excellence l’organisation qui répond le mieux et le plus complètement au leitmotiv du développement durable : « Penser global et Agir local ». Mais, pour éviter les désagréments qu’on connu les apprentis sorciers dans ce domaine (tel fut le cas de l’ex-Yougoslavie), il faut savoir que le secret d’un bon État fédéral réside dans le choix de la taille des entités fédérées et s’inspirer des modèles en la matière. Ainsi, la Suisse qui est un État fédéral dont l’existence remonte à l’an 1291 est divisée en 26 Cantons suisses pour une superficie de 41.285 km2. Dans les pays francophones, le département pourrait constituer une taille rationnelle. On aurait pour un pays comme le Gabon, constitué de 50 départements, l’État fédéral comprendrait « 50 départements autonomes ». Sachant que chaque département autonome serait à son tour constitué de communes urbaines et/ou de communes rurales (appelées « cantons » actuellement).

En conclusion, la résolution de la problématique de la sécurité et de la paix en Afrique doit s’inscrire dans une approche innovante, intégrée, combinant à la fois les méthodes analytiques et systémiques. Elle suppose quelque part, une réforme profonde de l’organisation et du fonctionnement des États africains.

Notes