France, Février 2016
Les Cahiers de Modop n°2
Les attentats de l’année 2015 vus sous l’angle de la transformation de conflit.
Les Cahiers de Modop est une publication bi-annuelle créée par l’association Modus Operandi pour diffuser des expériences, des analyses et des ressources dans l’actualité de la transformation de conflit. Elle est soutenue depuis sa création par la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme.
Face à la violence des événements du 13 novembre 2015, et pour tenter de rassurer la population, le choix de nos dirigeants a été celui du tout sécuritaire, notamment par une (omni)présence des forces de l’ordre sur le terrain, et des frappes militaires en Syrie.
Cette obsession sécuritaire semble avoir dans le même temps pris le pas sur la volonté de s’interroger sur ce qui avait bien pu amener des terroristes à frapper Paris en plein cœur, pour la deuxième fois en moins d’un an. Vouloir comprendre pourquoi, paraît parfois même inacceptable, au point que le Premier ministre Manuel Valls dise qu’il en a « assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses et des explications culturelles ou sociologiques à ce qu’il s’est passé. »1
La gravité de la situation ne pouvant supporter de paresse intellectuelle, nous ne pouvons faire l’économie de sa compréhension. Tenter de comprendre n’est pas « excuser » mais bien chercher le faisceau de causes et d’événements ayant mené certaines personnes au basculement dans une violence inouïe. S’il convient de nuancer la question de la causalité pour ne pas s’inscrire dans une seule lecture linéaire de causes à effets, d’ailleurs déconstruite notamment par Foucault2, il reste essentiel de saisir le contexte (géo)politique, économique, historique, social et environnemental d’un tel événement. Car même les actes de violence extrême (génocide, terrorisme, crimes de masse…) ont des causes, aussi lointaines, profondes, complexes et inacceptables qu’elles soient ! Loin de céder à la tentation d’appréhender les attentats terroristes qui touchent la France, sous l’angle de la moralité ou de la normativité, nous proposons au contraire de les penser dans leur entité afin d’apporter des élements de compréhension de la société française.
Il semblerait qu’actuellement, seules les questions de sécurité soient entendables, délaissant notre « Etat de droit » et notre philosophie politique établie sur un contrat qui transfère les pouvoirs au souverain entraînant la peur réciproque et la guerre contre tous. Contrat par ailleurs inspiré du modèle de Thomas Hobbes où « l’État est ce qui vient justement mettre fin à la peur. [Or] Dans l’État de sécurité, ce schéma se renverse : l’État se fonde durablement sur la peur et doit, à tout prix, l’entretenir, car il tire d’elle sa fonction essentielle et sa légitimité. »[>(3)3] En soulignant à plusieurs reprises que « pour ces ennemis qui s’en prennent à leurs compatriotes, qui déchirent ce contrat qui nous unit, il ne peut y avoir aucune explication qui vaille : car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser »41, Manuel Valls n’entretient-il pas la peur et l’ignorance pour se légitimer ? C’est dans ce cadre de terreur et d’incertitude, entraînant une progressive dépolitisation du citoyen, que l’État de sécurité fait le contraire « de ce qu’il promet, puisque – si sécurité veut dire absence de souci (sine cura) – il entretient, en revanche, la peur et la terreur. »5
Les deux clés de lecture à travers lesquelles nous avons décrypté le monde ce dernier siècle, le socialisme et le capitalisme, ont tous deux perdu leur pouvoir d’attraction : le premier depuis l’effondrement de l’Union soviétique et le second depuis la crise économique de 2008. La lutte des classes donnait un cadre pour penser sa condition de vie si on était pauvre, si on se trouvait dans des quartiers défavorisés. Elle donnait une voie pour l’action collective. Avec la désindustrialisation, le mouvement ouvrier s’est affaibli et avec lui l’espoir d’un monde meilleur pour celui qui se trouvait au bas de la pyramide du pouvoir. La dernière crise économique a montré à quel point, le capitalisme échoue à élever le niveau de vie de la population mondiale (seul 10% de la population possède 86% des richesses mondiales6), en même temps qu’il produit de la violence et de l’injustice. Il est donc urgent de mettre à jour nos clés de lecture.
Notes :
1« Culture de L’excuse » : Les sociologues répondent à Valls.", Libération, 12 janvier 2016.
2Fiche publiée sur le site ressources de Modus Operandi www.irenees.net/bdf_fiche-analyse-1035_fr.html
3Giorgio AGAMBEN, « De l’Etat de droit à l’Etat de sécurité », Le Monde, publié le 23.12.15.
4“Manuel Valls à l’Hyper Cacher pour un hommage aux victimes des attentats de janvier.”, 20 Minutes, 12/01/2016.
5Giorgio AGAMBEN, op.cit.
6Voir fiche de document sur le site ressources de Modus Operandi www.irenees.net/bdf_fiche-documentation-698_fr.html
Documentos
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